Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à titre principal à l'annulation de l'arrêté CSRJ/ETR du 26 novembre 2019 par lequel le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a rompu son établissement au Brésil à compter du 22 novembre 2019 pour le placer en congé annuel pour une durée maximale de 25 jours ouvrés et l'a affecté au sein de l'administration centrale du ministère avec changement de résidence pour plus de six mois à l'issue de son congé.
Par un jugement n° 1926624/5-1 du 7 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2022, la ministre de l'Europe des affaires étrangères demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. D... devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de M. D... une somme de 1000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier car il ne vise pas sa note en délibéré ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de l'erreur de droit quant à la priorité d'affectation de M. D... ;
- les autres moyens soulevés en première instance pour M. D... examinés par l'effet dévolutif de l'appel sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2023, M. D..., représenté par la SCP Sevaux- Mathonnet, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire en cas d'annulation du jugement à ce qu'il soit fait droit à ses conclusions de première instance. Il demande, en outre, qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sont infondés.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 11 janvier 2024, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères maintient ses conclusions par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
-le décret n° 69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès ;
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique ;
-les observations de Mme A... pour la ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
- et les observations de Me Mathonnet pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., adjoint administratif principal de deuxième classe du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, était en poste au consulat général de France à Rio de Janeiro (Brésil) depuis le 12 août 2002. Il y occupait des fonctions de gestionnaire comptable depuis le 1er août 2015, date de sa dernière réintégration prononcée à la suite d'une nouvelle annulation par le tribunal administratif de Paris de la décision prononçant son affectation en administration centrale. Au titre du mouvement de transparence 2019, le service des affectations pour l'étranger a informé l'intéressé, par un courriel du 19 juin 2019, du rejet de ses candidatures sur des postes à pourvoir en Algérie, à Alger et Oran. Par un second courriel du 25 juin 2019, M. D... s'est vu proposer deux postes à la direction des affaires financières à Nantes et Paris. Propositions que l'intéressé a refusées, par un courriel du 1er juillet 2019, en rappelant qu'il souhaitait, à défaut d'obtenir un poste en Algérie où réside sa mère malade, son maintien à Rio de Janeiro compte-tenu de ses contraintes familiales. Sa demande a été rejetée au motif que son poste allait être supprimé à compter du 1er septembre 2019. Puis, par un arrêté du 26 novembre 2019, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a prononcé la rupture d'établissement de M. D... au Brésil à compter du 22 novembre 2019 pour le placer en congé annuel pour une durée correspondant à ses droits à congés, soit une durée maximale de 25 jours ouvrés, et l'a affecté au sein de l'administration centrale du ministère avec changement de résidence pour plus de six mois à l'issue de son congé. M. D... a saisi le tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 7 octobre 2022, a annulé cet arrêté et a enjoint à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères de réexaminer les demandes de mutation de M. D... en tenant compte de sa priorité d'affectation. La ministre de l'Europe et des affaires étrangères relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si le jugement attaqué vise une note en délibéré enregistrée le 22 septembre 2022 il indique que celle-ci avait été présentée pour M. D..., alors qu'elle avait été produite non par ce dernier mais par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Faute de visa de la note en délibéré de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, cette dernière est fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. D... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les conclusions à fin d'annulation et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
4. Aux termes de l'article 60, alinéa 4 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ,issu de l'article 59 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, applicable à la date de la décision attaquée : " Lorsqu'un service ou une administration ne peut offrir au fonctionnaire affecté sur un emploi supprimé un autre emploi correspondant à son grade, le fonctionnaire bénéficie, sur sa demande, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, d'une priorité d'affectation sur tout emploi correspondant à son grade et vacant dans un service ou une administration situé dans la même zone géographique, après avis de la commission administrative paritaire compétente (...) ". Il résulte de ces dispositions, applicables en l'absence même d'un décret d'application, qu'il appartient à l'administration qui entend supprimer un emploi de proposer à l'agent concerné les emplois vacants ou ayant vocation à l'être dans la même zone géographique afin que l'intéressé soit mis en mesure de faire valoir sa priorité d'affectation.
5. Il ressort des pièces du dossier que si le projet de suppression du poste de M. D..., avec effet initialement prévu au 31 août 2019, avait été arrêté définitivement dès le 20 février 2019 dans une note de service du département, l'intéressé n'en a pourtant été informé que le 11 juillet 2019 postérieurement au rejet de ses candidatures en Algérie dans le cadre du dispositif de " Transparence ". Si la ministre de l'Europe et des affaires étrangères fait valoir en appel que l'intéressé avait connaissance du projet et en avait nécessairement été informé oralement antérieurement, elle ne l'établit pas par les seules pièces versées au dossier. Il n'est par ailleurs pas contesté que M. D... n'a jamais été informé de la possibilité qu'il avait, compte tenu de sa priorité d'affectation résultant de cette suppression, de faire acte de candidature sur un des emplois vacants correspondants à son grade disponibles au sein du consulat de France à Rio de Janeiro. Il ressort également des pièces du dossier qu'à la date du 20 février 2019, au moins un emploi correspondant à son grade était prévu comme vacant à l'été 2019 au sein du service de l'état civil, sans que la ministre puisse utilement soutenir que la candidature d'un autre fonctionnaire était privilégiée, ce qui ne pouvait toutefois pas faire obstacle à la priorité d'affectation de M. D.... Enfin, en tout état de cause, la ministre n'est pas fondée à soutenir que l'intimé aurait renoncé à sa priorité d'affectation prévue par les dispositions précitées du fait de ses candidatures pour l'Algérie dès lors que, comme il a été dit ci-dessus, ces candidatures étaient antérieures à l'information donnée à l'intimé sur la suppression de son poste. Dès lors, M. D... est fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d'erreur de droit et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
6. L'annulation de la décision contestée, eu égard à son motif, n'implique pas nécessairement que M. D... soit réaffecté au consulat de Rio de Janeiro dans un poste équivalent à celui qu'il occupait jusqu'au 22 novembre 2019. Elle implique, en revanche, qu'il soit enjoint au ministre de réexaminer la candidature à la mutation de l'intéressé en tenant compte de son caractère prioritaire, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. D'une part, les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens. D'autre part, il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens au titre de la première instance et une somme du même montant au titre de la requête d'appel, soit une somme de 3 000 euros au total.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1926624/5-1 du 7 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'arrêté du ministre de l'Europe et des affaires étrangères du 26 novembre 2019 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de réexaminer la candidature à la mutation de M. D... en tenant compte de son caractère prioritaire, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. D... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. D... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à M. B... D....
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 janvier 2024.
Le rapporteur,
D. PAGES
La présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA05221