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30/01/2024 | FRANCE | N°22PA02512

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 30 janvier 2024, 22PA02512


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Optical Finance a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.



Par un jugement n° 1906115/1-3 du 6 avril 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



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r une requête et un mémoire enregistrés le 1er juin et 27 septembre 2022, la SAS Optical Finance représentée par Me Pierre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Optical Finance a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1906115/1-3 du 6 avril 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 1er juin et 27 septembre 2022, la SAS Optical Finance représentée par Me Pierre Boudriot, demande à la Cour :

1°) de prononcer la décharge sollicitée devant ce tribunal ;

2°) de mettre à la charge l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure est irrégulière dès lors que l'administration a procédé à la vérification de sa comptabilité antérieurement à la réception de l'avis de vérification ;

- les rappels en litige sont fondés sur la saisie irrégulière de documents ;

- la société ne disposait pas d'indices suffisants lui permettant de soupçonner l'existence d'un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ;

- l'administration n'a pas été diligente pour sanctionner les véritables sociétés à l'origine de la fraude;

- l'application des pénalités pour manquement délibérée n'est pas justifiée.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 5 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Topin,

- et les conclusions de M. Segretain, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Optical Finance, qui a pour activité la prise de participations dans toutes sociétés commerciales, industrielles, immobilières, financières et plus particulièrement dans toutes sociétés ayant pour objet la lunetterie, l'optique médicale ou non, l'acoustique, la photo, le négoce d'articles en tous genres, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration lui a notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée sur la période du 1er janvier 2014 au

31 décembre 2015 sur le fondement du 3 de l'article 272 du code général des impôts. Elle relève appel du jugement du 6 avril 2022 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge de ces rappels, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu, une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité. (...) " et aux termes de l'article R. 13-1 de ce même livre : " Les vérifications de comptabilité mentionnées à l'article L. 13 comportent notamment : / a) La comparaison des déclarations souscrites par les contribuables avec les écritures comptables et avec les registres et documents de toute nature, notamment ceux dont la tenue est prévue par le code général des impôts et par le code de commerce ; / b) L'examen de la régularité, de la sincérité et du caractère probant de la comptabilité à l'aide particulièrement des renseignements recueillis à l'occasion de l'exercice du droit de communication, et de contrôles matériels ".

3. Il ne résulte pas de l'instruction que la vérification de comptabilité ait commencé au stade de l'opération de visite des locaux de la société par l'administration, la seule circonstance que l'administration ait procédé à la saisie de courriels échangés entre la société et l'un de ses fournisseurs ne constituant pas une vérification de comptabilité. La comptabilité de la société n'a été remise au vérificateur que le 16 février 2017, soit postérieurement à la réception de l'avis de vérification de comptabilité le 20 janvier 2017, selon les mentions non contestées de la proposition de rectification du 8 décembre 2017. Par suite, la société Optical Finance n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait débuté la vérification de sa comptabilité lors de la visite domiciliaire.

4. En second lieu, il résulte de l'instruction que par l'ordonnance du 21 septembre 2016, le juge des libertés et de la détention a autorisé la visite des locaux de la société Optical Finance notamment au motif que celle-ci entretenait des relations commerciales avec des entreprises exerçant dans le même domaine de l'optique et présumées commettre une fraude en matière de taxe sur la valeur ajoutée et qu'elle était en conséquence susceptible de détenir dans ses locaux des documents relatifs à la fraude. Le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait fonder les rappels en litige sur les documents saisis lors de la visite domiciliaire du 22 septembre 2016 doit donc, en tout état de cause, être écarté.

Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige :

5. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes du I de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) ". Aux termes de l'article 272 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) / 3. La taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison de biens ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison ".

6. Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében kft (aff. C-80/11). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations.

7. Il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées.

8. En premier lieu, il n'est pas contesté que les sociétés LDAF, et BIBS Trade, auprès desquelles la société requérante s'est approvisionnée en 2014 et 2015, ont commis une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée au cours de la période en cause en s'abstenant de déclarer la taxe collectée à l'occasion de la revente à la société Optical Finance de lunettes et de produits relatifs à la contactologie, approvisionnés auprès de fournisseurs allemands et italiens.

9. En second lieu, il résulte de l'instruction que, pour établir que la société Optical Finance savait ou ne pouvait ignorer que, par l'acquisition des fournitures dont la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante lui a été refusée, elle participait à cette fraude, l'administration a relevé que cette société, qui a acheté 52 % de ses marchandises auprès des sociétés fraudeuses en 2014, pour plus de six millions d'euros, ne connaissait par leurs gérants, n'était en contact qu'avec une personne se présentant comme le directeur commercial de ces sociétés alors que la simple consultation des sites d'information légale permettait de constater que ces dernières n'employaient pas de salariés, que les deux sociétés en cause avaient leur siège social à une adresse de domiciliation et ne disposaient d'aucune notoriété sur le marché. La société requérante ne peut utilement se référer à l'absence de salariés chez certains de ses autres fournisseurs, également intermédiaires de commerce, dès lors que l'administration fait valoir sans être contredite qu'il s'agit de sociétés de très petite taille traitant de faibles volumes. L'administration établit par ailleurs que la société requérante avait également en sa possession des documents lui permettant de savoir que la société BIBS Trade avait communiqué à la société Progressive global trading - Prezioso Giuseppe, fournisseur allemand, un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à une société tierce. Elle souligne l'absence de justification économique ou commerciale de l'intervention des sociétés LDAF et BIBS Trade en tant qu'intermédiaires, en établissant en particulier que la société requérante passait directement des commandes de marchandises aux fournisseurs italiens pourtant facturées par les sociétés intermédiaires. Elle a produit à ce titre des ordres de commandes directement établis auprès de la société Vision Group. Si la société soutient qu'elle se bornait à faire connaître les quantités et les dates de livraison souhaitées et que les conditions commerciales étaient négociées par son interlocuteur auprès des deux sociétés en cause, elle ne produit aucun document pour justifier des modalités de détermination du prix avec l'intéressé. De même, si elle soutient que la société Vision Group ne pouvait pas entretenir des relations commerciales directes avec elle pour des motifs liés à un contrat d'exclusivité territoriale, elle n'apporte à l'appui de cette affirmation aucun commencement de preuve se rapportant à cette société, alors que l'administration établit que la société Vision Group avait, en 2014, des clients directs établis en France. L'administration établit également que la société Optical Finance entretenait auparavant des relations commerciales directes avec le fournisseur italien Progressive Global Trading auquel elle a imposé, en 2014 le recours à la société LDAF en qualité d'intermédiaire, ainsi que le démontre le courriel du 10 mars 2015 que le dirigeant de la société italienne a adressé au gérant de la société requérante. Si la société Optical Finance conteste avoir réceptionné dans ses locaux l'intégralité des commandes facturées aux sociétés intermédiaires et dont elle ne se serait qu'en partie portée acquéreur ainsi que le soutient l'administration, les courriers et mails échangés entre le dirigeant de la société Progressive Global Trading et le gérant de la société requérante joints en annexe 11 à la proposition de rectification du 8 décembre 2017 démontrent pour partie le contraire. L'administration établit que les marchandises ont été acquises auprès des sociétés fraudeuses à des prix très inférieurs au prix figurant sur les factures proforma des fournisseurs, dont la société requérante avait connaissance, sans que cette dernière, qui ne produit aucun document contractuel permettant d'appréhender les modalités de détermination des prix de vente, ne démontre avoir ainsi bénéficié de remises, et en particulier de celles anticipées sur des volumes d'achat annuel. Enfin, l'administration a mis en évidence des pratiques de paiement inhabituels au seul bénéfice des sociétés BIBS Trade et LDAF, payées le jour même de la facturation ou à court terme, voire ayant bénéficié d'avances de trésorerie, alors que les autres fournisseurs de la société requérante étaient payés à un ou deux mois, sans que la société ne justifie de cette différence de traitement sur la période en litige. La circonstance invoquée par la société requérante selon laquelle son chiffre d'affaires de 2015 aurait été similaire à celui de 2014, alors qu'elle avait cessé toute relation commerciale avec les deux sociétés en cause début 2015 n'est, quant à elle, pas de nature à établir qu'elle n'avait pas connaissance de la fraude à laquelle elle participait au regard de la multiplicité des indices établis par l'administration.

Sur les pénalités :

10. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".

11. Pour appliquer les pénalités litigieuses, l'administration a estimé que les éléments intentionnels et matériels mis en évidence démontraient la participation volontaire de la société requérante à un circuit de facturation destiné à appréhender la taxe sur la valeur ajoutée et à procurer aux véritables destinataires un avantage indu en minorant le prix des marchandises. Au regard du cumul d'indices établis par l'administration ainsi qu'il a été dit au point 9., l'administration démontre le caractère délibéré du manquement commis.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Optical Finance n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Optical Finance est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Optical Finance et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction nationale d'enquêtes fiscales

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Topin, présidente assesseure,

- M. Magnard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024.

La rapporteure,

E. TOPINLe président,

I. BROTONS

Le greffier,

C. ABDI-OUAMRANE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA02512 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02512
Date de la décision : 30/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Emmanuelle TOPIN
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : BOUDRIOT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-30;22pa02512 ?
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