Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Francophonie avenir a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'économie et des finances a implicitement rejeté sa demande tendant à ce qu'il n'utilise plus, dans l'espace public, les marques " French Tech " et " Next 40 ".
Par un jugement n° 2000013 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 décembre 2022 et 9 octobre 2023, l'association Francophonie avenir, représentée par la SCP Arvis avocats, doit être regardée comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'économie et des finances a implicitement rejeté sa demande tendant à ce qu'il n'utilise plus, dans l'espace public, les marques " French Tech " et " Next 40 " ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'économie et des finances de retirer les expressions " French Tech " et " Next 40 " de l'ensemble des supports de communication destinés au public français sur le territoire national ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que ses visas sont incomplets ;
- les expressions " French Tech " et " Next 40 " ne visent pas qu'un public étranger ;
- les termes " French Tech " et " Next 40 " ne présentant pas de caractère technique, ils n'ont pas vocation à être traduits par la commission d'enrichissement de la langue française ;
- par une décision du 2 juillet 2021, la commission d'enrichissement de la langue française a approuvé " les mots, termes et expressions et tournures de la langue française attestés dans les huitième et neuvième éditions du Dictionnaire de l'Académie française et dans le Trésor de la langue française " ;
- il n'y a pas lieu de moduler les effets d'une éventuelle annulation.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête, subsidiairement, à ce que l'effet de l'annulation soit modulé dans le temps, et dans tous les cas à ce que soit mise à la charge de l'association Francophonie avenir une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le principe de loyauté des débats a été méconnu ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;
- si une annulation était prononcée, elle ne devrait prendre effet qu'à une date ultérieure à l'arrêt en raison des enjeux économiques et de l'action internationale des marques contestées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;
- le décret n° 96-602 du 3 juillet 1996 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Arvis, représentant l'association Francophonie avenir.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 17 octobre 2019, l'association Francophonie avenir a demandé au ministre de l'économie et des finances de renoncer à utiliser les marques " La French Tech " et " Next 40 ". Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la décision par laquelle le ministre de l'économie et de finances a implicitement rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient (...) les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ".
3. D'une part, le jugement attaqué n'avait pas à préciser, dans ses visas, les articles des lois dont il fait application. Ces articles sont au demeurant mentionnés dans les motifs du jugement. D'autre part, le tribunal pouvait, sans entacher son jugement d'irrégularité, ne pas viser ni ne mentionner l'article 2 de la Constitution, l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539 et la décision de la commission d'enrichissement de la langue française du 2 juillet 2021, dès lors qu'il ne s'est pas fondé sur ces textes. Par suite, le moyen tiré de ce que les visas du jugement seraient incomplets doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française : " Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire. / Les mêmes dispositions s'appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle ". Aux termes de l'article 14 de la même loi : " I. L'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française. / Cette interdiction s'applique aux personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public, dans l'exécution de celle-ci. / II. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux marques utilisées pour la première fois avant l'entrée en vigueur de la présente loi ". Pour l'application de ces dispositions, le décret du 3 juillet 1996 relatif à l'enrichissement de la langue française a créé une commission générale de terminologie et de néologie, devenue commission d'enrichissement de la langue française, et prévu que les termes et expressions que cette commission retient sont soumis à l'Académie française et publiés au Journal officiel de la République française. Aux termes de l'article 11 de ce décret : " Les termes et expressions publiés au Journal officiel sont obligatoirement utilisés à la place des termes et expressions équivalents en langues étrangères : (...) / 2° Dans les cas prévus aux articles 5 et 14 de la loi du 4 août 1994 susvisée relative à l'emploi de la langue française (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que, pour les noms de marque de fabrique, de commerce ou de service, l'obligation d'emploi de la langue française, dont le principe est posé par l'article 2 de la loi du 4 août 1994, obéit aux dispositions particulières de l'article 14 de cette loi qui prévoit que l'emploi, dans le nom d'une marque utilisée pour la première fois après l'entrée en vigueur de la loi, d'une expression ou d'un terme étranger à la langue française, n'est interdit aux personnes morales de droit public que s'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvé par la commission d'enrichissement de la langue française et publié au Journal officiel de la République française.
6. Il n'est pas contesté par l'association Francophonie avenir que les termes " French " et " Next ", des marques " French Tech " et " Next 40 " déposées auprès de l'Institut national de la propriété industrielle, n'avaient pas, à la date de la décision en litige, fait l'objet de l'approbation, par la commission d'enrichissement de la langue française, de termes français équivalents publiés au Journal officiel. Il s'ensuit, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'ils ne présentent pas un caractère technique, que ces termes ne disposent pas d'équivalent en langue française au sens des dispositions de l'article 14 de la loi du 4 août 1994. Par suite, les marques " French Tech " et " Next 40 " ne méconnaissent pas l'obligation d'emploi de la langue française.
7. Il résulte de ce qui précède que l'association Francophonie avenir n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais du litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, la somme que l'association Francophonie avenir demande sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'association la somme que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande sur ce fondement, en l'absence de toute justification des frais engagés.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'association Francophonie avenir est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Francophonie avenir et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Heers, présidente de chambre,
Mme Bruston, présidente-assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
M. HEERS
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA05154