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19/01/2024 | FRANCE | N°22PA03490

France | France, Cour administrative d'appel, 9ème chambre, 19 janvier 2024, 22PA03490


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Benlux Louvre a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, d'une part, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sur cet impôt mises à sa charge au titre des exercices 2012 et 2013, d'autre part, en droits et intérêts de retard, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de frais d'assiette et de taxe additionnelle à cett

e cotisation, mis à sa charge pour les mêmes années, enfin de l'amende prévue par l'article ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Benlux Louvre a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, d'une part, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sur cet impôt mises à sa charge au titre des exercices 2012 et 2013, d'autre part, en droits et intérêts de retard, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de frais d'assiette et de taxe additionnelle à cette cotisation, mis à sa charge pour les mêmes années, enfin de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts pour ces mêmes années, ainsi que de mettre à la charge de l'Etat une somme totale de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par jugement n° 2009761-2109959 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a déchargé la SAS Benlux Louvre, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sur cet impôt, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2012 et 2013 ainsi que de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts à laquelle elle a été assujettie au titre des mêmes années, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de conclusions des requêtes de la société Benlux Louvre.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés, sous le n° 22PA03490, les 26 juillet, 20 octobre 2022 et 17 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2009761-2109959 du 7 juin 2022 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a fait droit à la demande de la société Benlux Louvre de décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sur cet impôt au titre des exercices 2012 et 2013 ;

2°) de rétablir à la charge de la société Benlux Louvre, en droits et pénalités, ces cotisations et contributions.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une erreur de droit, consistant en insuffisance de motivation et de dénaturation des faits au regard de l'article L. 59 C du livre des procédures fiscales, dès lors que l'erreur, commise par le contribuable et l'administration dans la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, ne constitue pas un vice substantiel susceptible d'entacher d'irrégularité la procédure d'imposition ; la société n'a pas été, du seul fait de l'examen du litige par la commission départementale, en lieu et place de la commission nationale, privée de la possibilité de discuter utilement du redressement en litige ; les droits et garanties du contribuable ont été respectés au cours de la procédure ;

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il s'est abstenu de qualifier le défaut de saisine de la commission compétente d'erreur substantielle pour juger que la procédure d'imposition était totalement irrégulière ;

- pour les motifs développés devant les premiers juges auxquels elle se réfère, l'administration considère avoir suffisamment démontré le bien-fondé, en droit et en fait, de l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts ;

- l'administration se réfère à ses écritures antérieures afin de conclure au bien-fondé des rectifications litigieuses.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 septembre et 19 décembre 2022, la SAS Benlux Louvre, représentée par Me Nataf, avocat, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, en application du premier alinéa de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales, à la décharge des majorations appliquées, et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ne sont pas fondés.

II. Par une requête et des mémoires, enregistrés, sous le n° 22PA03608, les 2 août et 19 décembre 2022, la SAS Benlux Louvre, représentée par Me Nataf, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2009761-2109959 du 7 juin 2022 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge, en droits et intérêts de retard, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de frais d'assiette et de taxe additionnelle à cette cotisation au titre des années 2012 et 2013 ;

2°) de prononcer la décharge de ces cotisations, frais et taxes supplémentaires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son chiffre d'affaires étant supérieur à 50 000 000 euros, la commission nationale des impôts était seule compétente pour rendre un avis conformément aux dispositions de l'article 1651 H du code général des impôts ;

- l'administration l'a privée d'une garantie substantielle que le litige soit soumis à l'avis de la Commission nationale ;

- les commissions versées en espèces aux guides réintégrées au résultat imposable à l'impôt sur les sociétés des exercices 2012 et 2013 ont été aussi réintégrées à la valeur ajoutée produite déclarée par l'entreprise pour la détermination de la valeur ajoutée produite corrigée et par suite pour le calcul des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, frais d'assiette et taxe additionnelle à cette cotisation ;

- l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère excessif des commissions versées en espèces dès lors qu'elle ne produit aucun comparable pertinent ; la comparaison avec les grands magasins n'est pas pertinente ;

- elle est fondée à opposer à l'administration sur le fondement du principe de sécurité juridique la prise de position exprimée par ses agents au cours des précédents contrôles, dès lors qu'aucune réintégration des commissions versées en espèces aux guides apporteurs d'affaires n'avait jamais été notifiée pour tous les exercices antérieurs à l'exercice 2011.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 octobre 2022 et 11 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête de la SAS Benlux Louvre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamdi, première conseillère,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- et les observations de Me Nataf, avocat, représentant la SAS Benlux Louvre.

Une note en délibéré, enregistrée le 8 janvier 2024, a été présentée pour la SAS Benlux Louvre par Me Nataf.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Benlux Louvre, qui exerce l'activité de vente de divers produits de luxe pour une clientèle majoritairement étrangère, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité concernant la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, à la suite de laquelle l'administration fiscale a notamment réintégré aux résultats imposables des commissions versées en espèces à des guides touristiques sur le fondement des dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts. La SAS Benlux Louvre a contesté les rectifications opérées par des réclamations des 9 janvier 2018, 6 septembre 2019 et 2 novembre 2020 qui ont fait l'objet de décisions de rejet respectivement les 11 juillet 2019, 4 mars 2020 et 30 avril 2021. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève régulièrement appel, par une requête enregistrée sous le n° 22PA03490, du jugement du 7 juin 2022 en tant que le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de la SAS Benlux Louvre de décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et contributions sur cet impôt au titre des exercices 2012 et 2013. Par une requête enregistrée sous le n° 22PA03608, la SAS Benlux Louvre interjette régulièrement appel du jugement du 7 juin 2022 en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), frais d'assiette et taxes additionnelles à ces cotisations au titre de la période vérifiée.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 22PA03490 et n° 22PA03608, étant dirigées contre le même jugement, présentant des questions identiques à juger et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales dans sa version alors applicable : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts, soit de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 H du même code, soit de la commission départementale de conciliation prévue à l'article 667 du même code. / Les commissions peuvent également être saisies à l'initiative de l'administration ". Aux termes de l'article 59 A du même livre : " I. - La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; / (...) / II. - Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. / (...) ". Aux termes de l'article L. 59 C du même livre : " La Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 H du code général des impôts intervient pour les entreprises qui exercent une activité industrielle et commerciale sur les désaccords en matière de bénéfices industriels et commerciaux et de taxes sur le chiffre d'affaires dans les mêmes conditions que celles définies à l'article L. 59 A ".

4. Aux termes de l'article 1651 H du code général des impôts dans sa version alors applicable : " 1. Il est institué une Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. / Cette commission est présidée par un conseiller d'Etat désigné par le vice-président du Conseil d'Etat. Le président de la commission peut être suppléé par un magistrat administratif nommé dans les mêmes conditions. Elle comprend en outre trois représentants des contribuables et deux représentants de l'administration ayant au moins le grade d'inspecteur départemental. Pour les matières mentionnées aux articles 1651 I et 1651 J, l'un des représentants des contribuables est un expert-comptable. / Le président a voix prépondérante. / 2. Cette commission est compétente pour les litiges relatifs à la détermination du bénéfice ainsi que du chiffre d'affaires des entreprises qui exercent une activité industrielle ou commerciale et dont le chiffre d'affaires hors taxes excède 50 000 000 euros s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement, ou de 25 000 000 euros s'il s'agit d'autres entreprises ".

5. Aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation à l'administration de faire mention ni dans la proposition de rectification prévue par l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, ni dans la réponse aux observations du contribuable, de la possibilité qu'a celui-ci de saisir la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ou la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. La garantie d'information du contribuable, telle que prévue par la Charte du contribuable vérifié, rendue opposable par l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, implique seulement que le contribuable soit mis en mesure de demander la saisine de l'une ou l'autre de ces commissions, et non que sa demande, que l'administration doit en principe satisfaire, soit réorientée vers la commission compétente.

6. Lorsqu'un contribuable demande à bon droit que le désaccord qui l'oppose à l'administration et qui relève de la compétence consultative de la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au titre des articles L. 59 C du livre des procédures fiscales et 1651 H du code général des impôts, soit soumis à cette commission, l'administration est tenue de la saisir. Toutefois, lorsque la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires se déclare à tort compétente pour examiner un désaccord qui relève de la compétence de la commission nationale et se méprend de la sorte sur l'étendue du domaine d'intervention que lui attribuent, notamment, les dispositions du 1°) de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, cette erreur n'affecte pas la régularité de la procédure d'imposition et n'est, par suite, pas de nature à entraîner la décharge de l'imposition contestée.

7. Il est constant que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé par la SAS Benlux Louvre au cours de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 excédait 50 millions d'euros. Le désaccord qui l'opposait à l'administration relevait de ce fait de la seule compétence de la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires mentionnée à l'article 1651 H du code général des impôts. S'il résulte de l'instruction qu'à la demande expresse de la SAS Benlux Louvre, dûment informée de la possibilité de demander la saisine de la commission départementale ou de la commission nationale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires, l'administration fiscale a soumis le litige à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui s'est crue à tort compétente, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 précédents que cette erreur n'a pas eu pour effet d'affecter la régularité de la procédure d'imposition et n'était, par suite, pas de nature à entraîner la décharge de l'imposition contestée.

8. En second lieu, la SAS Benlux Louvre fait valoir qu'en application de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration et de l'instruction administrative référencée BOI-CF-CMSS-30-20, l'administration fiscale était tenue de réorienter sa demande vers la commission compétente. Toutefois, la SAS Benlux ne peut utilement se prévaloir ni des dispositions du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'aucune administration incompétente au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration n'a été en l'espèce saisie, ni des dispositions d'une instruction administrative relative à la procédure d'imposition, alors qu'au demeurant la société Benlux Louvre n'établit ni même n'allègue que l'administration fiscale lui aurait communiqué une information erronée sur la compétence de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et l'aurait ainsi induite en erreur.

9. Par suite, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de la requête, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Paris a estimé que le défaut de saisine de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires a privé la SAS Benlux Louvre d'une garantie et que la procédure d'imposition en ce qui concerne les chefs de redressement relevant de la compétence de cette commission était ainsi entachée d'irrégularité et, pour ce motif, ont prononcé la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société a été assujettie ainsi que, par voie de conséquence, des contributions sociales au titre des exercices litigieux.

10. Il y a toutefois lieu, pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Benlux Louvre tant devant le tribunal administratif de Paris que devant elle.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués par la SAS Benlux Louvre :

11. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, (...) / Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais (...) ".

12. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du même code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

13. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

14. Pour rejeter partiellement la déductibilité fiscale des commissions versées aux guides touristiques selon des taux qui s'élèvent à 20 % voire 23 % du chiffre d'affaires généré par ces apporteurs d'affaires, tout en admettant les commissions versés aux agences et faisant l'objet de virements, l'administration fiscale s'est fondée sur le fait que le mode de rémunération retenu par la société, à savoir en espèces contre délivrance d'un reçu signé par les guides et sans inscription dans un compte, empêche la traçabilité comptable des prestations concernées et ne permet pas de s'assurer de l'identité réelle des bénéficiaires des sommes ni de la réalité des prestations évoquées par la société. Elle a retenu enfin que la justification du paiement même des sommes n'était pas davantage apportée. En outre, elle a relevé que, si des contrats avec les agences et les guides avaient été conclus, prévoyant une rémunération de ces derniers à la commission, aucune preuve de la matérialité des interventions de ces derniers n'étaient produite. Toutefois, par mesure de tempérament, elle a admis la déductibilité d'un montant de charges résultant de l'application d'un taux de 10 %.

15. La SAS Benlux Louvre, qui ne verse aucun document de nature comptable, dont la production lui incombe, permettant d'établir la traçabilité, quant à leurs montants et leurs bénéficiaires, des commissions alléguées, et, en outre, la réalité des interventions des guides et des ventes en résultant, au moyen notamment de facturations ou de justificatifs de recoupement, ne justifie pas plus en appel que devant les premiers juges de l'insuffisance du taux de déduction admis par l'administration fiscale.

16. En outre, si la SAS Benlux Louvre soutient que l'administration n'a jamais remis en cause la déduction des commissions versées aux guides touristiques lors des précédentes vérifications de comptabilité dont elle a fait l'objet, cette abstention ne révèle aucune prise de position formelle opposable à l'administration dans le présent litige.

17. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, et de son intention délibérée d'éluder l'impôt.

18. Il est constant que les commissions que la SAS Benlux Louvre a versé en espèces aux guides touristiques des commissions représentant 19,66 % du chiffre d'affaires réalisé à l'export au titre de l'exercice 2012 et 21,13 % au titre de l'exercice 2013, et ce de manière réitérée. Il résulte en outre de l'instruction que de telles modalités de règlement en espèces n'étaient assorties d'aucune modalité permettant de prouver la réalité du versement de ces commissions, notamment au-delà du montant admis par le service, ni de s'assurer de l'identité réelle des bénéficiaires de ces sommes, ainsi qu'il a été dit au point 15 du présent arrêt. C'est donc à juste titre que l'administration fiscale a mis à la charge de la SAS Benlux Louvre la majoration de 40 % du a. de l'article 1729 du code général des impôts.

En ce qui concerne l'application de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales :

19. Aux termes de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales : " La juridiction saisie peut, lorsqu'une erreur non substantielle a été commise dans la procédure d'imposition, prononcer, sur ce seul motif, la décharge des majorations et amendes, à l'exclusion des droits dus en principal et des intérêts de retard. (...) ". Dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 7 du présent arrêt, l'erreur alléguée n'a pas eu pour effet d'entacher d'irrégularité la procédure d'imposition, il n'y a pas lieu de prononcer la décharge des majorations litigieuses.

Sur l'appel de la SAS Benlux Louvre :

20. Dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, la SAS Benlux Louvre ne peut utilement soutenir que le jugement entrepris est entaché d'erreurs de droit pour en obtenir l'annulation.

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

21. L'administration n'est tenue de saisir la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, sur demande du contribuable, que lorsque le litige concerne les matières pour lesquelles la commission est compétente en vertu de l'article L. 59 C du livre des procédures fiscales. Aux termes de ces dispositions, cette commission n'a pas compétence pour se prononcer sur les rectifications opérées en matière de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et les taxes additionnelles à cette cotisation. Par suite, la SAS Benlux Louvre n'est pas fondée à soutenir que la procédure serait entachée d'irrégularité.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

22. Aux termes de l'article 1586 sexies du code général des impôts : " I. Pour la généralité des entreprises (...) : 1. Le chiffre d'affaires est égal à la somme : / - des ventes de produits fabriqués, prestations de services et marchandises ; (...) / 4. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) d'une part, le chiffre d'affaires tel qu'il est défini au 1, majoré / (...) des subventions d'exploitation et des abandons de créances à caractère financier à la hauteur du montant déductible des résultats imposables à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés de l'entreprise qui les consent ; (...) b) et, d'autre part : / - les achats stockés de matières premières et autres approvisionnements, les achats d'études et prestations de services, les achats de matériel, équipements et travaux, les achats non stockés de matières et fournitures, les achats de marchandises et les frais accessoires d'achats (...) ".

23. La SAS Benlux Louvre soutient que l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère excessif des commissions versées en espèces aux guides touristiques apporteurs d'affaires, dès lors qu'elle ne produit aucun comparable pertinent. Toutefois, il y a lieu d'écarter le moyen pour les mêmes motifs que ceux développés aux points 12, 14 et 15 du présent arrêt.

24. La société soutient qu'elle est fondée à opposer à l'administration, sur le fondement du principe de sécurité juridique, la prise de position exprimée par ses agents au cours des précédents contrôles, dès lors qu'aucune réintégration des commissions versées en espèces aux guides apporteurs d'affaires n'avait jamais été notifiée pour tous les exercices antérieurs à l'exercice 2011. Toutefois, il y a lieu d'écarter le moyen pour le même motif que celui développé au point 16 du présent arrêt.

25. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a déchargé, en droits et pénalités, la SAS Benlux Louvre des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, et à demander à la Cour de rétablir ces impositions à la charge de la SAS Benlux Louvre, et, d'autre part, que la SAS Benlux Louvre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais de l'instance :

26. L'Etat n'étant la partie perdante dans aucune des deux instances, les conclusions de la SAS Benlux Louvre présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2009761-2109959 sont annulés.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que les contributions sociales, auxquelles la SAS Benlux Louvre a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 sont remises, en droits et pénalités, à la charge de la SAS Benlux Louvre.

Article 3 : Les conclusions de la requête de la SAS Benlux Louvre sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société par actions simplifiée (SAS) Benlux Louvre.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère président,

- Mme Boizot, première conseillère,

- Mme Hamdi, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 19 janvier 2024.

La rapporteure,

S. HAMDILe président,

S. CARRERELa greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 22PA03490 et 22PA03608


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03490
Date de la décision : 19/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Samira HAMDI
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : CABINET NATAF & PLANCHAT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-19;22pa03490 ?
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