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16/01/2024 | FRANCE | N°22PA00826

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 16 janvier 2024, 22PA00826


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Boyer a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation du titre de recette n° 178-1 émis à son encontre le 2 février 2017 par la présidente de la région Île-de-France en vue du recouvrement de la somme de 124 864,43 euros et à la décharge du paiement de la somme correspondante, outre des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 1702602 du 22 décembre 202

1, le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande et a mis à la charge de la région Îl...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Boyer a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation du titre de recette n° 178-1 émis à son encontre le 2 février 2017 par la présidente de la région Île-de-France en vue du recouvrement de la somme de 124 864,43 euros et à la décharge du paiement de la somme correspondante, outre des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1702602 du 22 décembre 2021, le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande et a mis à la charge de la région Île-de-France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 février 2022, la région Île-de-France, représentée par Me Mokhtar, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2021 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande de la société Boyer devant le tribunal administratif de Melun ;

3°) de mettre à la charge de la société Boyer la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'une somme de 93 224,52 euros hors taxes, qui été prise en compte deux fois, ne pouvait faire l'objet d'une correction sur le fondement de l'article 1269 du code de procédure civile, dès lors que le décompte général notifié était entaché d'une erreur matérielle ;

- doit également être corrigée l'erreur quant à l'addition des montants validés par les ordres de services pour une somme de 1 339,34 euros HT ;

- doit également être corrigée, par voie de conséquence, la révision pour 9 837,84 euros HT ;

- les autres moyens soulevés par la société Boyer en première instance examinés par l'effet dévolutif de l'appel sont infondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2022, la société Boyer, représentée par Me Janvier, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la région Île-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la région Ile-de- France sont infondés.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 18 novembre 2023, la région Île-de-France maintient ses conclusions par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de procédure civile ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pagès,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Grail pour la région Île-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. La région Île-de-France a confié à la société Entreprise Boyer, devenue société Boyer, des travaux de restructuration-extension du lycée Montaleau à Sucy-en-Brie. Par un courrier en date du 6 décembre 2011, le mandataire de la région Île-de-France a transmis à la société Boyer le décompte général et définitif d'un montant total hors taxe de 11 025 450,13 euros dont le solde était en faveur de la société Boyer et a été payé à cette dernière le 10 janvier 2012. Le 10 mars 2013, le mandataire de la région Île-de-France a cependant émis un décompte général et définitif rectificatif et a mis en demeure la société Boyer de payer la somme hors taxe de 100 400,10 euros. Par un courrier en date du 6 janvier 2017, le mandataire de la région Île-de-France a émis un second décompte général et définitif rectificatif et a mis en demeure la société Boyer de payer la somme hors taxe de 104 401,70 euros. Le 2 février 2017, la présidente de la région Île-de-France a émis le titre exécutoire n° 178-1 d'un montant toutes taxes comprises de 124 864,43 euros à destination de la société Boyer. La société Boyer a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler ce titre exécutoire du 2 février 2017 et de la décharger du paiement des sommes correspondantes. Par un jugement du 22 décembre 2021, le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande. La région Île-de-France relève appel de ce jugement.

2. D'une part, l'article 13.41 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux du 21 janvier 1976 (ci-après " CCAG Travaux "), applicable au marché litigieux, dispose que : " Le maître d'œuvre établit le décompte général qui comprend : / - le décompte final défini au 34 du présent article ; / - l'état du solde établi, à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies au 21 du présent article pour les acomptes mensuels ; / - la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / Le montant du décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation ". Aux termes de l'article 13.44 du même CCAG Travaux, " si la signature du décompte général est donnée sans réserve, cette acceptation lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires ; ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché ". Aux termes de l'article 13.45 de ce même texte, " Dans le cas où l'entrepreneur n'a pas renvoyé au maître d'œuvre le décompte général signé dans le délai de trente jours ou de quarante-cinq jours, fixé au 44 du présent article, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves en précisant le montant de ses réclamations, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient le décompte général et définitif du marché. ".

3. D'autre part, l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. L'ensemble des conséquences financières de l'exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. Il revient notamment aux parties d'y mentionner les conséquences financières de retards dans l'exécution du marché ou le coût de réparations imputables à des malfaçons dont est responsable le titulaire. Après la transmission au titulaire du marché du décompte général qu'il a établi et signé, le maître d'ouvrage ne peut réclamer à celui-ci, au titre de leurs relations contractuelles, des sommes dont il n'a pas fait état dans le décompte, nonobstant l'engagement antérieur d'une procédure juridictionnelle ou l'existence d'une contestation par le titulaire d'une partie des sommes inscrites au décompte général. Il ne peut en aller autrement, dans ce dernier cas, que s'il existe un lien entre les sommes réclamées par le maître d'ouvrage et celles à l'égard desquelles le titulaire a émis des réserves.

4. Enfin, aux termes de l'article 1269 du code de procédure civile : " Aucune demande en révision de compte n'est recevable, sauf si elle est présentée en vue d'un redressement en cas d'erreur, d'omission ou de présentation inexacte ". Il résulte de ces dispositions que le décompte général et définitif d'un marché ne peut être remis en cause sur le fondement de cet article qu'en cas d'erreur matérielle, d'omission ou de fraude. La région Île-de-France n'est pas fondée à se prévaloir de la rédaction de l'article 541 de l'ancien code de procédure civile, qui étendait la demande en révision de compte au cas du " double emploi ", antérieure au 1er janvier 1982, auquel a succédé à cette date l'article 1269 du nouveau code de procédure civile, .

5. Il résulte de l'instruction que la société Boyer a établi un projet de décompte final reprenant l'ensemble des travaux réalisés, les acomptes versés par le mandataire de la région Île-de-France et établissant un solde du marché à 13 387 280,70 euros toutes taxes comprises, arrêté le 21 octobre 2010. Le 6 décembre 2011, le mandataire de la région Île-de-France, maître d'ouvrage, a établi un décompte général d'un montant total de 11 025 450,13 euros hors taxes et faisant apparaitre un solde en faveur de la requérante de 305 120,88 euros toutes taxes comprises. Il n'est pas contesté que ce décompte a été signé sans réserve par l'entrepreneur, le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage, ni que la procédure prévue aux articles 13.44 et 13.45 CCAG Travaux a été respectée. Dès lors, ce décompte général du 6 décembre 2011 constitue un décompte général et définitif au sens des dispositions rappelées ci-dessus et donc doit être regardé comme ayant acquis un caractère définitif et intangible à compter de sa signature par les parties.

6. Pour justifier l'adoption d'un second décompte général et définitif sur la base duquel a été émis le titre exécutoire litigieux, la région Île-de-France soutient principalement que des travaux supplémentaires, s'élevant à une somme de 93 224,52 euros hors taxes, ont été pris en compte deux fois dans le décompte établi le 6 décembre 2011 signé par les parties. Toutefois, en admettant qu'elle n'ait pas exclu du montant fixé dans le décompte général du 6 décembre 2011 devenu définitif une facture déjà payée la région Île de France doit être regardée comme ayant renoncé à compenser lesdites sommes au moment de l'adoption de ce décompte, comme l'a jugé à juste titre le tribunal. Dès lors, la région Île-de-France ne peut être regardée comme ayant commis sur ce point une erreur ou une omission au sens des dispositions précitées de l'article 1269 du code de procédure civile. Par ailleurs, l'erreur invoquée par la région quant à l'addition des montants validés par les ordres de services pour une somme de 1 339,34 euros HT est contestée par les calculs précis de l'intimée dans son mémoire en défense, auxquels le mémoire en réplique ne répond pas, et ne peut donc en tout état de cause être regardée comme une erreur matérielle susceptible d'être corrigée sur le fondement de l'article 1269 du code de procédure civile. Enfin, la région demande la correction du montant de l'assiette de la révision, afin d'en retirer les deux trop perçus allégués susvisés, et conduisant à fixer la révision à la somme de 548 975,50 euros HT soit un nouveau trop perçu de 9 837,84 euros HT. Les deux demandes de la région n'étant pas constitutives d'erreur matérielle au sens de l'article précité, comme il vient d'être dit, sa demande de correction, par voie de conséquence, de l'assiette de la révision ne peut pas plus, en tout état de cause, relever d'une telle erreur. Dans ces conditions, la région Île-de-France ne pouvait réviser le décompte général et définitif du 6 décembre 2011. Et par suite, la présidente de la région Ile-de-France ne pouvait légalement émettre un titre exécutoire à l'encontre de la société Boyer sur le fondement de ce nouveau décompte.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la région Île-de-France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé le titre exécutoire n° 178-1 en date du 2 février 2017 et a déchargé la société Boyer de la somme correspondante de 124 864,43 euros. Par voie de conséquence, ses conclusions au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

8. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la région Île-de-France une somme de 1 500 euros au titre du même article.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la région Île-de- France est rejetée.

Article 2 : La région Île-de- France versera la somme de 1 500 euros à la société Boyer au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la région Île-de- France et à la société Boyer.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente de chambre,

- M. Pagès, premier conseiller,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 janvier 2024.

Le rapporteur,

D. PAGES

La présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA00826


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00826
Date de la décision : 16/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : SELARL PARME AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-16;22pa00826 ?
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