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10/11/2023 | FRANCE | N°23PA02834

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 10 novembre 2023, 23PA02834


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 18 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé sa remise aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2305224 du 2 juin 2023, le magistrat désigné par le président du Tribunal Administratif de Montreuil a admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du 18 avril 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis, lui a en

joint de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 18 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé sa remise aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2305224 du 2 juin 2023, le magistrat désigné par le président du Tribunal Administratif de Montreuil a admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du 18 avril 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis, lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, Me Bechieau, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

I°) Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023 sous le n° 23PA02834, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Il soutient que :

- le moyen retenu par le tribunal est mal fondé dès lors que la preuve de la saisine des autorités italiennes le 22 décembre 2022 est rapportée par le " constat d'un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " émanant du système Dublinet ;

- les autres moyens avancés par Mme A... en première instance ne sont pas fondés : la qualification de l'agent qui a mené l'entretien est présumée et le compte-rendu de l'entretien n'avait pas à comporter de signature ni les prénom et nom de l'agent ; l'erreur manifeste d'appréciation invoquée n'est pas fondée.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 août 2023, Mme B... A... demande à la cour :

1°) de rejeter la requête d'appel du préfet de Seine-Saint-Denis ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Mme B... A... soutient que :

- c'est à bon droit que le magistrat désigné, dès lors que la preuve de saisine des autorités italiennes n'est pas rapportée ;

- l'arrêté de transferts est entaché d'un défaut de motivation ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'un défaut d'examen de sa situation individuelle ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur de fait ;

- il méconnait l'article 4 du règlement Dublin n° 604/2013 ;

- il méconnait l'article 5 du règlement Dublin n° 604/2013 ;

- il méconnait l'article 17 du règlement Dublin n° 604/2013 ;

- il méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par une décision du 9 août 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé à Mme A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

II°) Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023 sous le n° 23PA02835, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement attaqué.

Il soutient que les conditions prévues aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement et que le réexamen de la demande de Mme A... lui ouvrirait un droit au séjour auquel il ne peut prétendre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 août 2023, Mme A..., représentée par Me Bechieau demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête en sursis à statuer présentée par le préfet de Seine-Saint-Denis ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le magistrat désigné a annulé l'arrêté de transfert en cause dès lors que la preuve de saisine des autorités italiennes n'est pas rapportée ;

- l'arrêté de transferts est entaché d'un défaut de motivation ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'un défaut d'examen de sa situation individuelle ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur de fait ;

- il méconnait l'article 4 du règlement Dublin n° 604/2013 ;

- il méconnait l'article 5 du règlement Dublin n° 604/2013 ;

- il méconnait l'article 17 du règlement Dublin n° 604/2013 ;

- il méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 octobre 2023 :

- le rapport de M. Dubois, premier conseiller.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante de nationalité ivoirienne née le 12 mai 1990 à Dalowa est entrée sur le territoire français avec sa fille mineure le 13 novembre 2022 et y a déposé une demande d'asile le 14 décembre 2022 auprès des services de la préfecture de Seine-Saint-Denis. La consultation du fichier Eurodac ayant fait apparaitre que le traitement de la demande d'asile de l'intéressée relevait des autorités italiennes, le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé du transfert de Mme A... et de sa fille vers l'Italie, par arrêté du 18 avril 2023. Saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre cette décision, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a prononcé l'annulation de cet arrêté par un jugement n° 2305224 du 2 juin 2023. Par deux requêtes enregistrées respectivement sous les nos 23PA02834 et 23PA02835, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'annuler ce jugement et de surseoir à son exécution.

Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées nos 23PA02834 et 23PA02835, présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur les conclusions de la requête n° 23PA02834 :

3. D'une part, il résulte de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride que, lorsque l'autorité administrative saisie d'une demande de protection internationale estime, au vu de la consultation du fichier Eurodac prévue par le règlement (UE) n° 603/2013 relatif à la création d'Eurodac, que l'examen de cette demande ne relève pas de la France, il lui appartient de saisir le ou les Etats qu'elle estime responsable de cet examen dans un délai maximum de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. À défaut de saisine dans ce délai, la France devient responsable de cette demande. Selon l'article 25 du même règlement, l'Etat requis dispose, dans cette hypothèse, d'un délai de deux semaines au-delà duquel, à défaut de réponse explicite à la saisine, il est réputé avoir accepté la reprise en charge du demandeur.

4. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " DubliNet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Selon l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Le 2 de l'article 10 du même règlement précise que : " Lorsqu'il en est prié par l'Etat membre requérant, l'Etat membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse ".

5. En vertu de ces dispositions, lorsque le préfet est saisi d'une demande d'enregistrement d'une demande d'asile, il lui appartient, s'il estime après consultation du fichier Eurodac que la responsabilité de l'examen de cette demande d'asile incombe à un Etat membre autre que la France, de saisir la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, qui gère le " point d'accès national " du réseau Dublinet pour la France. Les autorités de l'Etat regardé comme responsable sont alors saisies par le point d'accès français, qui archive les accusés de réception de ces demandes.

6. La décision de transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable au vu de la consultation du fichier Eurodac ne peut être prise qu'après l'acceptation de la reprise en charge par l'Etat requis, saisi dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. A cet égard, s'il est nécessaire que les autorités françaises aient effectivement saisi les autorités de l'autre Etat avant l'expiration de ce délai de deux mois et que les autorités de cet Etat aient, implicitement ou explicitement, accepté cette demande, la légalité de la décision de transfert prise par le préfet ne dépend pas du point de savoir si les services de la préfecture disposaient matériellement, à la date de la décision du préfet, des pièces justifiant de l'accomplissement de ces démarches.

7. Le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise alors que l'Etat requis n'a pas été saisi dans le délai de deux mois ou sans qu'ait été obtenue l'acceptation par cet Etat de la reprise en charge de l'intéressé. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur ce point au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance.

8. Il résulte de ces dispositions que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " DubliNet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux semaines au terme duquel la demande de reprise est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception de l'Etat requis n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier Eurodac et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.

9. En l'espèce, si, en réponse au moyen invoqué en première instance par Mme A... et tenant à l'absence de saisine des autorités italiennes d'une demande de reprise en charge dans le délai de deux mois fixé à l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de Seine-Saint-Denis a fait valoir avoir saisi lesdites autorités le 22 décembre 2022, il ne verse aux débats qu'un formulaire type de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande de protection internationale non signé électroniquement et non daté dont rien n'atteste qu'il aurait effectivement été transmis aux autorités italiennes dans ce délai. Si le préfet de Seine-Saint-Denis verse également aux débats le document intitulé " Constat d'un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " émis dans le cadre des dispositions de l'article 10 du règlement n° 1560/2003 et reçu par les autorités italiennes le 1er mars 2023, postérieurement à la date de l'arrêté attaqué, ce document établi par les autorités françaises ne permet pas davantage d'attester de la saisine des autorités italiennes dans le délai fixé à l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 non plus que de l'accord de ces autorités à la reprise en charge de l'intéressée.

10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté de transfert du 18 avril 2023.

Sur les conclusions de la requête n° 23PA02835 :

11. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 23PA02834 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 23PA02835 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

12. Il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme demandée par Mme A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23PA02835.

Article 2 : La requête du préfet de la Seine-Saint-Denis enregistrée sous le n° 23PA02834 est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer et à Mme B... A....

Copie en sera adressée au préfet de Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,

- M. Dubois, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 novembre 2023.

Le rapporteur,

J. DUBOISLa présidente,

H. VINOT

La greffière,

A. MAIGNAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA02834, 23PA0283502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02834
Date de la décision : 10/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Jacques DUBOIS
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : BECHIEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-11-10;23pa02834 ?
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