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10/11/2023 | FRANCE | N°23PA00040

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 10 novembre 2023, 23PA00040


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 27 mai 2022 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2206110 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté attaqué et enjoint au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois.

Procédure devant la Cour :

Par une

requête enregistrée le 5 janvier 2023, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour :

1°) d'annul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 27 mai 2022 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2206110 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté attaqué et enjoint au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 5 janvier 2023, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 1er décembre 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... en première instance.

Il soutient que :

- c'est à tort que les juges de première instance ont, d'une part, retenu que l'arrêté en litige méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en minorant le risque d'atteinte à l'ordre public que constitue la présence en France de M. B... et, d'autre part, prononcé en sa faveur une injonction de délivrance de titre de séjour ;

- les moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Melun ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense et une pièce complémentaire, enregistrés les 19 juin 2023 et 3 août 2023, M. B..., représenté par Me Langagne, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de refus de titre de séjour attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 mai 2023.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lorin,

- et les observations de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant haïtien né le 22 décembre 1969 et incarcéré au centre de détention de Melun depuis le 3 avril 2013, a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français, ou, à défaut, sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 27 mai 2022, le préfet de Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, motif pris de la menace à l'ordre public. Le préfet de Seine-et-Marne relève régulièrement appel du jugement du 1er décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis dans le cas où il se prononce sur la régularité du jugement, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision attaquée dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit ou de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dont serait entaché le jugement entrepris, à supposer soulevé l'un ou l'autre de ces moyens, est inopérant et ne peut qu'être écarté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Il est constant que M. B... a été condamné, par un arrêt de la cour d'assises de Guyane du 22 mai 2015, à une peine de quinze de réclusion criminelle, pour viol sur mineur par ascendant et agression sexuelle sur mineur par ascendant, sur la personne de l'une de ses filles, née en 1998, alors mineure, ces faits ayant été commis, s'agissant du premier de chef de condamnation, entre 2011 et 2013, et, du second, entre 2009 et 2011.

5. Pour annuler la décision de refus de séjour en litige, le tribunal administratif de Melun a retenu que dans les circonstances de l'espèce et pour extrêmement graves que soient les faits commis par M. B..., eu égard à son parcours suivi en détention lequel s'achève en 2023 et à l'intensité de ses attaches familiales en France, en refusant de délivrer à l'intéressé un titre de séjour, le préfet de Seine-et-Marne avait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... est père de neuf enfants issus de plusieurs unions. Six d'entre eux sont issus de sa dernière union et, à l'exception de l'aînée victime des faits précités, sont nés en Guyane entre 2004 et 2011 où leur mère réside toujours avec cinq d'entre eux. Deux de ses filles ont acquis la nationalité française, l'une d'elles résidant en métropole où elle poursuit une formation en apprentissage. Il ressort de ces pièces qu'en dépit de son incarcération, M. B... a conservé des liens affectifs avec ses enfants, ainsi qu'en attestent les relevés téléphoniques très réguliers au domicile de leur mère qui confirme par son témoignage, non sérieusement contesté, la qualité de leurs relations et l'intérêt qu'il porte à leur éducation. Si cette dernière atteste de la contribution financière de l'intéressé à l'entretien et à l'éducation de l'ensemble de ses enfants, cette participation n'est toutefois pas formellement établie par les virements effectués depuis le compte de sa sœur résidant en France et avec laquelle il entretient également des relations suivies. En revanche, M. B... justifie procéder à des versements réguliers, sur la période de 2018 à 2022, au profit de sa fille née en 2004 et présente en métropole. Ainsi, M. B... démontre par l'ensemble de ces circonstances, avoir durablement établi le centre de ses intérêts privés et familiaux en France.

7. D'autre part, il ressort du bulletin n°2 de son casier judiciaire édité le 11 janvier 2022, que l'interdiction judiciaire du territoire français dont a été assortie sa condamnation pénale à quinze ans de réclusion criminelle, a donné lieu à un relèvement total le 8 mars 2016. Par ailleurs, M. B..., placé en détention provisoire depuis le 3 avril 2013, a, à la suite de sa condamnation qu'il n'a pas contestée, été pris en charge au sein du dispositif de soins aux auteurs de violences sexuelles, se rendant régulièrement à l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire pour son suivi thérapeutique dans ce cadre à compter du 10 avril 2017. Le directeur des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) de Seine-et-Marne, dans son rapport du 31 janvier 2020, confirme la participation assidue du requérant en 2019 au programme de prévention de la récidive, relevée comme très bonne tout au long de huit séances mises en place. Dans la synthèse du parcours d'exécution de peine (PEP), établie le 13 septembre 2022, le directeur adjoint du centre de détention de Melun relève que, outre son comportement général satisfaisant, l'intéressé montre ses efforts continus en particulier dans son suivi thérapeutique, l'indemnisation de la partie civile, son investissement dans des actions de formation, son travail aux ateliers, son implication active dans de multiples activités, notamment un groupe de parole, sa contribution aux tâches collectives, comportement que la commission pluridisciplinaire unique (CPU), composée de différents professionnels intervenant au sein de l'établissement, a apprécié au stade de sa préparation à la sortie comme favorable en vue d'un aménagement de la peine de M. B..., alors libérable dès septembre 2023. Enfin, il n'est pas contesté que le rapport d'examen psychiatrique et médico-psychologique qui a été réalisé avant sa libération a conclu à un risque faible de récidive et que ce risque a été écarté en conclusion de synthèse pluridisciplinaire du centre national d'évaluation. Dans ces conditions, eu égard à ses efforts soutenus en détention, c'est à bon droit que les juges de première instance ont retenu que l'actualité de la menace à l'ordre public ne pouvait être regardée comme établie à la date de la décision attaquée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Seine-et-Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé sa décision du 27 mai 2022.

Sur les frais liés à l'instance :

9. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Langagne, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge l'Etat le versement à Me Langagne de la somme de 1 200 euros, ainsi qu'elle le demande.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par le préfet de Seine-et-Marne est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Langagne renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Soyez, président assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 10 novembre 2023.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA00040 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00040
Date de la décision : 10/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : SELARL JOVE-LANGAGNE-BOISSAVY

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-11-10;23pa00040 ?
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