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27/10/2023 | FRANCE | N°22PA03911

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 27 octobre 2023, 22PA03911


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 février 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros en application de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement du 21 juin 2022 n° 2107003, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 août 2022 et

5 mai 2023, la société

Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :

1°) d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 février 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros en application de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement du 21 juin 2022 n° 2107003, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 août 2022 et 5 mai 2023, la société

Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 3 février 2021 ou de la décharger du paiement de la somme de 15 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle n'est pas tenue à une obligation de résultat en matière de réacheminement et qu'en l'espèce, le passager expulsé refusait de quitter le territoire français, ce qui constitue une circonstance exonératoire.

Par un mémoire enregistré le 3 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'il aurait pris la même décision en retenant seulement que la société ne démontrait pas que le passager a eu un comportement incompatible avec la sécurité du vol.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 ;

- la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 ;

- le règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des transports ;

- la décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 3 février 2021, le ministre de l'intérieur a infligé à la société

Air France une amende de 15 000 euros pour le non-réacheminement de M. A... La société relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, en application de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, les États signataires se sont engagés à instaurer l'obligation pour les entreprises de transport de " reprendre en charge sans délai " les personnes étrangères dont l'entrée sur le territoire de ces États a été refusée et de les ramener vers un État tiers. Selon l'article 3 de la directive 2001/51/CE du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l'entrée dans l'espace Schengen est refusée. L'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, pris pour la transposition de cette directive, devenu l'article L. 333-3, dispose : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ". Le 1 de l'article L. 625-7 du même code, dans la rédaction alors applicable, déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 et devenu l'article L. 821-10, prévoit qu'est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 euros " L'entreprise de transport aérien ou maritime qui ne respecte pas les obligations fixées aux articles L. 213-4 à L. 213-6 ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6522-3 du code des transports : " Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l'équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef ". Aux termes de l'annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du

20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion, alors en vigueur : " OPS 1085. Responsabilité de l'équipage / Le commandant de bord (...) a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d'arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants. (...) OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L'exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants. Le transport d'une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ".

4. Il résulte de ces dispositions et, s'agissant de celles de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'interprétation donnée par le

Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, que les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, la prise en charge et le transport des personnes de nationalité étrangère non admises sur le territoire français. Elles doivent établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés, sans que les en dispense la faculté donnée au commandant de bord par l'article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Ces dispositions n'ont toutefois ni pour objet, ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant de la seule compétence des autorités de police.

5. Pour déterminer s'il y a lieu de sanctionner l'entreprise de transport et fixer le montant de la sanction prévue par l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement. Mais l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu'il n'incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l'intéressé et qu'il ne lui appartient pas d'exercer sur lui une contrainte, constitue une circonstance exonératoire.

Sur le bien-fondé de la sanction :

6. Il résulte de l'instruction que le 1er septembre 2017, les services de la police aux frontières de l'aéroport Roissy-Charles De Gaulle ont requis la société Air France pour assurer sans délai, par un vol prévu le 3 septembre 2017 à 10 heures 05 ou par tout autre moyen le réacheminement vers Tunis de M. A..., ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire français le 19 août 2017. Par un procès-verbal du 4 septembre 2017, les mêmes services ont constaté le défaut de réacheminement de M. A... du fait du refus du commandant de bord de le prendre à bord.

7. Pour justifier le non-réacheminement de ce passager, la société Air France produit le rapport du commandant de bord du 4 septembre 2017 qui invoque un motif de sécurité et fait état du refus du passager d'embarquer. Ces éléments ne sont pas contredits par les autres éléments de l'instruction. Dans ces conditions, et alors qu'il ne lui appartenait pas d'exercer une contrainte sur ce passager, la société Air France justifie de l'impossibilité de le réacheminer en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, ce qui constitue une circonstance exonératoire.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Air France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 3 février 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros.

Sur les frais du litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros à verser à la société Air France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2107003 du 21 juin 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La décision du 3 février 2021 du ministre de l'intérieur est annulée.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 500 euros à la société Air France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience 13 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Briançon, présidente,

M. Mantz, premier conseiller,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2023.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

C. BRIANÇON

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03911


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03911
Date de la décision : 27/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRIANÇON
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : CLYDE et CO LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-27;22pa03911 ?
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