Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 août 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a mis à sa charge une amende de 10 000 euros.
Par un jugement n° 2016450 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 juillet et 19 décembre 2022, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 6 août 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a mis à sa charge une amende de 10 000 euros et de la décharger du paiement de cette somme ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'usurpation d'identité de la passagère n'était pas manifeste.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que l'usurpation d'identité est manifeste.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 6 août 2020, le ministre de l'intérieur a infligé à la société
Air France une amende de 10 000 euros pour avoir, le 29 septembre 2019, débarqué sur le territoire français une passagère en provenance de Conakry en Guinée, dépourvue de visa Schengen mais munie d'un titre d'identité républicain français usurpé. La société Air France relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais codifié à l'article L. 821-6 de ce code : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 € l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 625-5 du même code, désormais codifié à l'article L. 821-6 du même code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 et L. 625-4 ne sont pas infligées : (...) / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste ".
3. Ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police en lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
5. Il résulte de l'instruction que la société Air France a laissé débarquer, le 29 septembre 2019, à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, une ressortissante guinéenne en provenance de Conakry munie d'un titre d'identité républicain français usurpé. Si la décision contestée retient que les dissemblances entre la photographie de ce titre d'identité et la passagère étaient manifestes, les deux photographies de la passagère figurant au dossier ne comportent pas de différences d'une importance telle que le caractère usurpé du titre d'identité républicain puisse être regardé comme manifeste et décelable par un examen normalement attentif de l'agent d'embarquement. Cette irrégularité n'était dès lors pas susceptible de justifier le prononcé d'une amende sur le fondement des articles L. 625-1 et L. 625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Air France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2016450 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Paris et la décision du 6 août 2020 du ministre de l'intérieur sont annulés et la société Air France est déchargée du paiement de la somme de 10 000 euros mise à sa charge.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à la société Air France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Briançon, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2023.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
C. BRIANÇON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA03068