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25/10/2023 | FRANCE | N°22PA02926

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 25 octobre 2023, 22PA02926


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Eurl Toanui Pearls Tahiti a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de prononcer la décharge des impositions supplémentaires, intérêts, pénalités et/ou sanctions réclamés et toutes sommes en découlant suite à la notification de redressement du 23 décembre 2019 notifiée le 8 janvier 2020 au titre des rôles 6429 et 6431 pour l'exercice 2016.

Par un jugement n° 2100357 du 29 mars 2022, le Tribunal administratif de la Polynésie française a déchargé l'Eurl Toanui Pearls

Tahiti de la somme totale, en droits et pénalités,

de 35 738 469 F CFP au titre de l'im...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Eurl Toanui Pearls Tahiti a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de prononcer la décharge des impositions supplémentaires, intérêts, pénalités et/ou sanctions réclamés et toutes sommes en découlant suite à la notification de redressement du 23 décembre 2019 notifiée le 8 janvier 2020 au titre des rôles 6429 et 6431 pour l'exercice 2016.

Par un jugement n° 2100357 du 29 mars 2022, le Tribunal administratif de la Polynésie française a déchargé l'Eurl Toanui Pearls Tahiti de la somme totale, en droits et pénalités,

de 35 738 469 F CFP au titre de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur les revenus des capitaux mobiliers (IRCM) et de la contribution de solidarité territoriale à l'impôt sur les revenus des capitaux mobiliers pour l'exercice 2016, et a mis à la charge de la Polynésie française la somme de 100 000 F CFP sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 25 juin 2022, 28 juillet 2022, 10 novembre 2022, 16 novembre 2022 et 13 janvier 2023, la Polynésie française, représentée par Me François Quinquis, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2100357 du 29 mars 2022 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de remettre à la charge de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti les impositions dont les premiers juges ont prononcé la décharge ;

3°) de mettre à la charge de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête n'est pas tardive ;

- les moyens qu'elle invoquait devant les premiers juges n'ont pas été détaillés en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la comptabilité de la société n'était pas probante ;

- la preuve de l'exagération des impositions n'est pas apportée ;

- les impositions ne sont pas prescrites ;

- le conseil des ministres était compétent pour prendre des mesures d'application d'une loi de pays ;

- le président de la commission de impôts pouvait seul constater l'irrecevabilité de la saisine ;

- la base des sommes taxables à l'IRCM a été régulièrement calculée.

Par des mémoires en défense enregistrés les 10 septembre et 29 novembre 2022, la société Eurl Toanui Pearls Tahiti, représentée par Me Arcus Usang, conclut au rejet de la requête, à la décharge des impositions en litige et à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de la Polynésie française est tardive au regard du délai d'appel de deux mois ;

- elle est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre le jugement n° 2100444, ce jugement n'ayant pas été joint à la requête ;

- le mémoire du 28 juillet 2022 est tardif au regard du délai d'appel de trois mois en tant qu'il est dirigé contre le jugement n° 2100357 ;

- les moyens de la Polynésie française ne sont pas fondés ;

- le redressement n'a pas fait l'objet d'une notification régulière avant l'expiration du délai de reprise ;

- le conseil des ministres était incompétent pour réglementer la procédure fiscale ;

- le président de la commission des impôts était incompétent pour décider seul de l'irrecevabilité de la saisine de la commission ;

- le recours à la procédure de taxation d'office est illégal ;

- la méthode de reconstitution des recettes n'a pas été explicitée et les droits de la défense ont été méconnus ;

- le montant de l'IRCM est avancé et peut être calculé en dedans ;

- la délibération du 20 novembre 1956 ayant créé l'IRCM est illégale en tant qu'elle ne pouvait pas créer d'impôt ;

- la session ordinaire budgétaire s'achevant le 9 novembre 1956 a été prolongée illégalement par un arrêté instituant une session extraordinaire en méconnaissance du décret du 4 août 1956 et de l'article 23 du décret 46-2379 créant les Établissements français de l'Océanie (EFO) ;

- la délibération du 20 novembre 1956 n'a jamais été approuvée pour être applicable comme l'exige l'article 36 du décret 46-2379 du 25 octobre 1946.

Par une ordonnance du 16 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le décret 46-2379 du 25 octobre 1946 créant les Établissements français de l'Océanie ;

- le décret du 4 août 1956 reportant la session budgétaire de l'Assemblée territoriale des Établissements français de l'Océanie ;

- l'arrêté n° 1205 du 28 août 1956 portant convocation de l'Assemblée territoriale des Établissements français de l'Océanie en session ordinaire dite budgétaire ;

- l'arrêté n° 1516 du 7 novembre 1956 portant clôture de la session ordinaire dite budgétaire de l'Assemblée territoriale et convoquant l'Assemblée territoriale en session extraordinaire dite budgétaire ;

- la délibération n° 2011-13 APF du 5 mai 2011 ;

- le code des impôts de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Magnard,

- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public,

- et les observations de Me Usang, représentant la société Eurl Toanui Pearls Tahiti.

Considérant ce qui suit :

1. L'administration a mis à la charge de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti, dans le cadre de la procédure de taxation d'office, des cotisations supplémentaires au titre de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur les revenus des capitaux mobiliers et de la contribution territoriale sur le revenu des capitaux mobiliers pour l'exercice clos en 2016. Par un jugement n° 2100357 du 29 mars 2022, dont la Polynésie française relève appel, le Tribunal administratif de la Polynésie française a déchargé l'Eurl Toanui Pearls Tahiti de la somme de 35 738 469 F CFP au titre de ces impositions.

Sur la fin-de non-recevoir opposée par l'Eurl Toanui Pearls Tahiti :

2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. (...) ". Aux termes de l'article R. 811-5 du même code : " Les délais supplémentaires de distance prévus à l'article R. 421-7 s'ajoutent aux délais normalement impartis. (...) ". Et aux termes de l'article R. 421-7 de ce même code : " Lorsque la demande est portée devant un tribunal administratif qui a son siège en France métropolitaine ou devant le Conseil d'Etat statuant en premier et dernier ressort, le délai de recours (...) est augmenté d'un mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises. (...) " En application de ces dispositions, la Polynésie française disposait d'un délai d'appel de trois mois.

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 772-4 du code de justice administrative : " Devant les tribunaux administratifs de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et de Nouvelle-Calédonie, les requêtes en matière fiscale dont le contentieux ressortit à la juridiction administrative sont, présentées et instruites par le tribunal administratif dans les formes prévues dans le présent code ". Aux termes de l'article R. 772-1 du même code : " Les requêtes en matière d'impôts directs et de taxe sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées dont l'assiette ou le recouvrement est confié à la direction générale des impôts sont présentées, instruites et jugées dans les formes prévues par le livre des procédures fiscales ". Enfin, aux termes de l'article R* 200-18 du livre des procédures fiscales : " A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget ".

4. En vertu des articles précités R. 772-4 et R. 772-1 du code de justice administrative, les dispositions de l'article R* 200-18 du livre des procédures fiscales, instituant un délai supplémentaire de transmission au profit de l'administration fiscale, sont en principe applicables aux appels formés contre les décisions rendues en matière fiscale par le Tribunal administratif de la Polynésie française. Toutefois, l'article R* 200-18 du livre des procédures fiscales n'étant pas transposable à la Polynésie française dès lors qu'il n'envisage que la situation de l'administration fiscale placée sous la hiérarchie du ministre chargé du budget, il y a lieu de se référer, pour déterminer le délai d'appel de l'administration fiscale polynésienne, aux dispositions mentionnées au point 2. du présent arrêt, qui instituent, en ce qui concerne la Polynésie française, un délai d'appel de trois mois.

5. Il résulte de l'instruction que la requête présentée le 25 juin 2022 devant la Cour dans le délai d'appel identifiait en première page le jugement n° 2100357 du 29 mars 2022 et que ce jugement, qui statuait sur les impositions mises à la charge de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti au titre de l'exercice clos en 2016, était joint à cette requête. Contrairement à ce qui est soutenu, ladite requête doit être regardée comme motivée, alors même que, par une erreur matérielle, les moyens développés sont ceux soulevés dans la requête du même jour dirigée contre le jugement n° 2100444 du 29 mars 2022 statuant sur les impositions mises à la charge de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti au titre des exercices clos en 2017 et 2018 et que les conclusions figurant en dernière page sont relatives au jugement n° 2100444. Les deux jugements en cause traitent d'ailleurs en partie de questions semblables et sont susceptibles de donner lieu à des contestations analogues. La requête présentée le 25 juin 2022 étant recevable en tant qu'elle est dirigée contre le jugement n° 2100357 du 29 mars 2022 et devant être regardée comme dirigée contre ce seul jugement, les moyens de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti tirés de ce que la requête est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre le jugement n° 2100444, et de ce que le mémoire rectificatif du 28 juillet 2022 est tardif au regard du délai d'appel de trois mois en tant qu'il est dirigé contre le jugement n° 2100357, sont infondés. Il y a par suite lieu de rejeter l'exception de non-recevoir présentée par l'Eurl Toanui Pearls Tahiti.

Sur le motif retenu par les premiers juges :

6. Aux termes de l'article Lp 423-1 du code des impôts de la Polynésie française : " 1. Sont taxés d'office, les contribuables qui n'ont pas fourni dans les délais réglementaires les déclarations prévues par le présent code, sous réserve de régularisation prévue au 3 / 2 - Sont également taxés d'office, les contribuables qui n'ont pas présenté la comptabilité ou dont la comptabilité n'a pas été reconnue régulière et probante. (...) ". Aux termes de l'article Lp 424-1 du même code : " La taxation d'office consiste en l'établissement de la base imposable par l'administration à partir des seules informations en sa possession (...). Aux termes de l'article Lp 365-1 du même code : " Les redevables des impôts, droits et taxes prévus par le présent code doivent présenter, à toute réquisition des agents assermentés de la direction des impôts et des contributions publiques, les documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans les déclarations souscrites auprès de la direction des impôts et des contributions publiques. " Aux termes de l'article 410-6 de la délibération du 5 mai 2011 relative au plan comptable général applicable en Polynésie française : " Toute entité tient un livre journal, un grand livre et un livre d'inventaire. / (...) Des documents informatiques écrits peuvent tenir lieu de livre journal et de livre d'inventaire s'ils sont identifiés, numérotés et datés dès leur établissement par des moyens offrant toute garantie en matière de preuve ".

7. Ces dispositions exigent que la comptabilité ait tout à la fois un caractère régulier et probant et permettent précisément de recourir à la procédure de taxation d'office dès lors que l'une de ces deux conditions n'est pas remplie

8. Il est constant que le livre journal et le livre d'inventaire n'ont pas été présentés au cours des opérations de vérification. Si la société requérante a présenté le grand livre, lequel reprendrait, selon elle, toutes les opérations qui auraient dû figurer dans le livre journal mais les présente différemment, en classant les opérations par compte, tandis que le livre-journal enregistre les opérations jour par jour, il n'est pas constaté que plusieurs versions de ce grand livre ont été présentées. En outre, les écritures de la société ont été passées en fonction des mouvements figurant dans les extraits de son compte bancaire et cette méthode, basée sur les encaissements et décaissements et donc sur la trésorerie, n'est pas conforme au plan comptable général applicable en Polynésie française, qui requiert la tenue d'une comptabilité d'engagement. Par suite, et alors même que l'administration a fait usage des pièces comptables disponibles pour procéder aux redressements, la comptabilité ne saurait être regardée comme régulière.

9. Au surplus, il résulte de l'instruction que les ventes comptabilisées de la société ne correspondaient pas au montant des factures de vente produites.

10. Au regard de ces éléments, et alors même que les autres irrégularités invoquées par l'administration, telles que les pratiques de prélèvement sur le compte courant d'associé, les modalités d'établissement des factures et les anomalies constatées dans la comptabilisation des stocks ne justifieraient pas à elles-seules d'écarter la comptabilité, ladite comptabilité ne saurait être regardée comme à la fois régulière et probante. C'est par suite à tort que les premiers juges ont accordé la décharge des impositions en litige au motif que l'administration fiscale ne pouvait être regardée comme apportant la preuve du caractère non probant de la comptabilité de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti pour l'exercice clos en 2016.

11. Il y a lieu par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens présentés par l'Eurl Toanui Pearls Tahiti tant devant le Tribunal administratif que devant la Cour.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

12. En premier lieu, aux termes de l'article 433-2 du code des impôts, issu de l'article 7 de la délibération n° 83-198 du 15 décembre 1983 de l'assemblée de la Polynésie française : " La commission des impôts est régulièrement saisie soit par lettre recommandée, motivée et signée du contribuable ou de son représentant, adressée au président de la commission, soit par la transmission à celui-ci d'un mémoire de la direction des impôts et des contributions publiques ". Aux termes de l'article 89 de la loi statutaire du 27 février 2004 : " le conseil des ministres prend les règlements nécessaires à la mise en œuvre des actes dénommés " lois du pays " ainsi que des autres délibérations de l'assemblée de la Polynésie française ou de sa commission permanente ". Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que fait valoir l'Eurl Toanui Pearls Tahiti, le conseil des ministres a pu légalement prendre les règlements nécessaires à la mise en œuvre de l'article 433-2 du code des impôts par l'arrêté n° 1586 CM du 20 octobre 2011 portant mesure d'application de cet article de ce code et qui dispose dans son article 1er que " La lettre ou le mémoire de saisine de la commission des impôts visé à l'article 433-2 du code des impôts, doit être accompagné des copies contresignées par le demandeur, en nombre égal à celui des membres de la commission (huit), augmenté de deux (une copie de la partie adverse et un original)/ Lorsque le nombre de copies n'est pas égal à celui visé au premier alinéa, le demandeur est averti par le président de la commission des impôts que si la production n'est pas faite dans un délai de trente jours à partir de cet avertissement, la saisine pourra être rejetée comme irrecevable ".

13. En deuxième lieu, l'article Lp 433-2-1 du code des impôts de la Polynésie française dispose que " Lorsque le président de la commission ou, en son absence le vice-président, constate l'irrecevabilité de la saisine, il en avise le demandeur ". Il résulte de ces dispositions que le président de la commission ou, en son absence le vice-président, était compétent pour déclarer la saisine de la commission irrecevable. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il appartenait à la commission des impôts de statuer collégialement sur la recevabilité de la saisine doit être écarté.

14. En troisième lieu, il résulte de la proposition de rectification en date du 23 décembre 2019 qu'elle explicite avec précision les modalités de reconstitution de recettes consistant en la substitution aux recettes déclarées des recettes résultant des factures produites au cours du contrôle. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette proposition de rectification ne peut par suite qu'être écarté. Les droits de la défense ne sauraient en conséquence être regardés comme ayant été méconnus de ce chef.

15. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit plus haut que l'Eurl Toanui Pearls Tahiti a été à bon droit taxée d'office sur le fondement du 2. de l'article Lp 423-1 du code des impôts pour défaut de présentation d'une comptabilité régulière et probante. La circonstance que l'administration n'ait pas adressé à la société de demande de justification en vertu de l'article Lp. 411-2 dudit code ou de demande d'explication sur la comptabilité est par suite sans influence sur la régularité de la procédure mise en œuvre.

16. Enfin, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'Eurl Toanui Pearls Tahiti a présenté une comptabilité. Elle ne saurait par suite, et en tout état de cause, se prévaloir utilement de ce que le procès-verbal pour défaut de présentation de comptabilité prévu au IV de l'article Lp 412-1 du code des impôts n'a pas été établi.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

17. Aux termes de l'article 424-1 du code des impôts : " La taxation d'office consiste en l'établissement de la base imposable par l'administration à partir des seules informations en sa possession, sans recours possible à la procédure contradictoire prévue à l'article 421-1. / La base retenue est portée à la connaissance du contribuable qui ne peut par voie contentieuse obtenir la réduction de l'impôt mis à sa charge qu'en apportant la preuve de l'exagération de son imposition ". L'Eurl Toanui Pearls Tahiti ayant été régulièrement taxée d'office ainsi qu'il a été dit ci-dessus, elle supporte la charge de la preuve de l'exagération des impositions qu'elle conteste.

En ce qui concerne la prescription des impositions :

18. Aux termes de l'article Lp 451-1 du code des impôts de la Polynésie française : " Les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette ou la liquidation des impôts et taxes visés au présent code ainsi que les erreurs commises dans l'établissement des impositions, dans l'application des tarifs ou dans le calcul des cotisations peuvent être réparées jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due (...) ". Aux termes de l'article Lp 451-3 du même code : " Est interruptive de prescription : toute proposition de rectification motivée et notifiée à son destinataire (...) Un nouveau délai de trois ans court à compter du 1er janvier de l'année suivant celle de la réception de l'acte interruptif ". Eu égard à l'objet de ces dispositions, relatives à la détermination du délai dont dispose l'administration pour exercer son droit de reprise, la date d'interruption de la prescription est celle à laquelle le pli contenant la proposition de rectification a été présenté à l'adresse du contribuable. Il en va de même lorsque le pli n'a pu lui être remis lors de sa présentation et que, avisé de sa mise en instance, il l'a retiré ultérieurement ou a négligé de le retirer.

19. Il résulte de l'instruction et notamment de l'accusé de réception produit au dossier que la proposition de rectification du 23 novembre 2019 a fait l'objet d'une présentation à l'adresse de la société le 26 décembre 2019. Elle a donc interrompu la prescription, alors même que le gérant a cherché en vain à retirer ce pli le 31 décembre 2019 après la fermeture du bureau de poste et que le pli n'a été effectivement retiré au bureau de poste que le 8 janvier 2020. L'Eurl Toanui Pearls Tahiti, qui indique que le gérant a cherché en vain à retirer ce pli le 31 décembre 2019, ne saurait sérieusement soutenir qu'elle n'a pas été avertie avant la fin de l'année de la mise à disposition dudit pli par le dépôt d'un avis d'instance. Les dispositions invoquées et tirées du code de procédure civile sont à cet égard dépourvues de portée.

En ce qui concerne la méthode de reconstitution des recettes :

20. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit plus haut que l'Eurl Toanui Pearls Tahiti a été à bon droit taxée d'office sur le fondement du 2. de l'article Lp 423-1 du code des impôts pour défaut de présentation d'une comptabilité régulière et probante. La circonstance invoquée que les montants redressés auraient pu être différents si le vérificateur avait mis en œuvre la procédure contradictoire est en tout état de cause dépourvue de portée.

21. En deuxième lieu, en se bornant à faire valoir, de manière générale, sans apporter au soutien de son moyen d'autres éléments que des écritures comptables dépourvues de pièces justificatives, que le chiffre d'affaires a été surestimé à cause de la prise en compte de factures non définitives, l'Eurl Toanui Pearls Tahiti n'établit pas la surestimation dont elle se prévaut.

22. En troisième lieu, en se bornant à se prévaloir des carences de son comptable, l'Eurl Toanui Pearls Tahiti ne conteste pas utilement le redressement dont elle a fait l'objet au titre des intérêts dus sur le solde du compte courant d'associé.

En ce qui concerne le montant des distributions taxables :

23. En premier lieu, l'Eurl Toanui Pearls Tahiti fait valoir que les sommes retenues par l'administration fiscale au titre des distributions sur la base des écritures comptables de l'année 2016 sont erronées en raison des carences du comptable qui a comptabilisé au titre de cet exercice des distributions effectuées auparavant au cours d'années prescrites. En se bornant à produire à l'appui de ce moyen un procès-verbal en date du 20 juin 2016 qui indique un montant de distribution très inférieur au montant comptabilisé, elle ne met pas la Cour en état d'apprécier le montant effectif des distributions effectivement réalisées en 2016 et n'apporte par suite pas la preuve de l'exagération du montant retenu par l'administration fiscale.

24. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte ni de l'article 173-1 du code des impôts, aux termes duquel : " Le montant de l'impôt est avancé sauf leur recours par les sociétés, compagnies, entreprises, communes ou établissements publics ", ni de l'article Lp 113-11 du même code, aux termes duquel : " Le bénéfice imposable est constitué par le bénéfice net total, établi selon les règles fixées à la présente section, après déduction d'un montant égal à 85 % des revenus des actions et parts sociales figurant à l'actif de l'entreprise qui sont soumis à l'impôt sur les revenus de capitaux mobiliers en Polynésie française " que les sommes distribuées puissent être regardées comme comprenant l'impôt sur les distributions et que celui-ci doit en conséquence être calculé " en dedans ". Il résulte au contraire des dispositions de l'article 171-1 du code des impôts que l'impôt en cause est établi sur la base des sommes effectivement distribuées.

En ce qui concerne les modalités d'institution de l'IRCM :

25. En premier lieu, il résulte des dispositions du 25° de l'article 34 du décret 46-2379 créant les Établissements français de l'Océanie que l'assemblée de Polynésie était compétente en matière de " Mode d'assiette, règles de perception et tarifs des impôts, taxes et contributions de toute nature, y compris les droits d'importation et d'exportation perçus au profit du territoire et d'octroi de mer, ainsi que le maximum des centimes additionnels ordinaires ou extraordinaires dont la perception est autorisée au profit des collectivités autres que le territoire ". Les dispositions précitées lui attribuaient compétence pour établir l'assiette et le taux d'une imposition sur les revenus de capitaux mobiliers. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la délibération du 20 novembre 1956 ayant créé l'IRCM est illégale en tant qu'elle ne pouvait pas créer d'impôt ne peut qu'être écarté.

26. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article 24 du décret 46-2379 créant les Établissements français de l'Océanie que si la deuxième session ordinaire dite session budgétaire de l'assemblée représentative s'ouvre entre le 1er juillet et le 31 août, ces dates peuvent être exceptionnellement modifiées par décret et que la durée des sessions ordinaires ne peut excéder trente jours et celle des sessions extraordinaires quinze jours. Le décret du 4 août 1956 prévoit que la deuxième session ordinaire dite session budgétaire de l'Assemblée territoriale des Etablissements français de l'Océanie s'ouvrira exceptionnellement entre le 1er octobre et le 30 novembre 1956. Si cette session ordinaire s'est ouverte le 9 octobre et a été clôturée le 7 novembre à minuit, elle a été suivie d'une session extraordinaire courant du 8 novembre 1956 à 8 heures au 22 novembre 1956 à minuit. Contrairement à ce qui est soutenu aucune des dispositions précitées ni aucune autre disposition législative ou réglementaire, et notamment pas le fait que l'article 24 du décret 46-2379 qualifie la deuxième session ordinaire de l'année de session budgétaire ne fait obstacle à ce que des questions budgétaires soient traitées lors de sessions extraordinaires. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la délibération du 20 novembre 1956 ayant créé l'IRCM serait illégale au motif qu'elle aurait été votée dans des conditions illégales ne peut qu'être écarté.

27. Enfin, aux termes de l'article 36 du décret 46-2379 du 25 octobre 1946 : " Par dérogation aux dispositions de l'article précédent : 1° Les délibérations prises sur le mode d'assiette et les règles de perception des impôts, taxes et contributions de toute nature, y compris les droits d'importation, d'exportation et d'octroi de mer, ne sont applicables qu'après avoir été approuvées par décrets en conseil d'Etat. Ces décrets doivent être pris dans les quatre-vingt-dix jours à partir de la date de l'arrivée des délibérations au ministère de la France d'outre-mer, date qui est notifiée au président de l'assemblée et au président de la commission permanente par l'intermédiaire du chef du territoire, dès réception des délibérations. Passé ce délai, ces délibérations sont considérées comme approuvées ; elles deviennent définitives et sont exécutoires ". La délibération du 20 novembre 1956 a été approuvée par un décret du 28 décembre 1956 publié au Journal officiel du 15 février 1957. Le moyen tiré de ce que ladite délibération n'a pas été approuvée ne peut par suite qu'être écarté.

28. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la Polynésie française est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Polynésie française a déchargé l'Eurl Toanui Pearls Tahiti de la somme totale de 35 738 469 F CFP au titre de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur les revenus des capitaux mobiliers et de la contribution de solidarité territoriale à l'impôt sur les revenus des capitaux mobiliers mis à sa charge, en droits et pénalités, au titre de l'exercice clos en 2016. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Polynésie française qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que l'Eurl Toanui Pearls Tahiti demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la Polynésie française sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2100357 du 29 mars 2022 du Tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, d'impôt sur les revenus des capitaux mobiliers et de contribution territoriale sur le revenu des capitaux mobiliers dont le Tribunal administratif de Polynésie française a prononcé la décharge au titre de l'exercice clos en 2016 sont remises, en droit et pénalités, à la charge de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti.

Article 3 : Les conclusions de la Polynésie Française et de l'Eurl Toanui Pearls Tahiti présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Polynésie française et à l'Eurl Toanui Pearls Tahiti.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- Mme Fullana, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2023.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLe président,

I. BROTONS

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

2

N° 22PA02926


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02926
Date de la décision : 25/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : SEP USANG CERAN-JERUSALEMY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-25;22pa02926 ?
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