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13/10/2023 | FRANCE | N°22PA03596

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 13 octobre 2023, 22PA03596


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Léon Grosse Electricité a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le titre exécutoire n° 3384-1 émis le 19 septembre 2019 par la région Île-de-France.

Par un jugement n° 2007136 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er août 2022 et 9 février 2023, la région Ile-de-France, représentée par la SELARL D4 Avocats associés, demande à la Cour

:

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de la sociét...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Léon Grosse Electricité a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le titre exécutoire n° 3384-1 émis le 19 septembre 2019 par la région Île-de-France.

Par un jugement n° 2007136 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er août 2022 et 9 février 2023, la région Ile-de-France, représentée par la SELARL D4 Avocats associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de la société Léon Grosse Electricité ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir le tribunal judiciaire du siège de la SAERP d'une question préjudicielle portant sur la légalité ou la validité du pouvoir dévolu par le directeur général de la société à Madame A... pour signer les décomptes des marchés ;

3°) de mettre à la charge de la société Léon Grosse Electricité une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il a méconnu le principe du contradictoire ;

- la convention de mandat confiait à la SAERP l'établissement du décompte général ;

- la société Léon Grosse Electricité, tiers au mandat, ne peut se prévaloir de ses stipulations et est tenue par les termes de son marché ;

- le titre exécutoire a été régulièrement signé ;

- il indique les bases de liquidation ;

- le décompte général a été signé par une personne compétente ;

- il est devenu définitif.

Par des mémoires en défense enregistré les 9 janvier et 6 mars 2023, la société Léon Grosse Electricité, représentée par la SELARL Hourcabie Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la région Ile-de-France une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier ;

- la SAERP n'était pas compétente pour signer le décompte général et elle peut se prévaloir de cette incompétence ;

- le titre exécutoire n'est pas signé ;

- il ne mentionne pas les bases de liquidation ;

- le décompte général n'est pas signé par une personne qui avait délégation pour ce faire ;

- la créance n'est ni certaine, ni exigible.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Mokhtar, représentant la région Ile-de-France, et Me Gauthier, représentant la société Léon Grosse Electricité.

La société Léon Grosse Electricité a produit une note en délibéré enregistrée le

5 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La région Ile-de-France a confié un mandat de maîtrise d'ouvrage à la société d'Aménagement et d'Equipement de la Région Parisienne (SAERP) pour la construction d'une résidence pour étudiants à la cité internationale universitaire de Paris (CIUP). Elle a confié le lot n°5 " Electricité - courants forts / courants faibles - Photovoltaïque " de ces travaux à la société Léon Grosse Electricité. Les travaux ont été réceptionnés le 7 août 2017. Par un courrier du

23 août 2018 reçu le 3 septembre 2018, la SAERP a notifié à la société Léon Grosse Electricité le décompte général de son marché. A la suite de ce décompte, la région Ile-de-France a émis, le 19 septembre 2019, un titre exécutoire d'un montant de 137 699,12 euros à l'encontre de cette société. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a, à la demande de la société Léon Grosse Electricité, annulé ce titre exécutoire.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Selon l'article R. 613-4 du même code : " Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. Cette décision est notifiée dans les mêmes formes que l'ordonnance de clôture. / La réouverture de l'instruction peut également résulter d'un jugement ou d'une mesure d'investigation ordonnant un supplément d'instruction (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que la date de clôture de l'instruction avait été fixée par ordonnance du président de la formation de jugement au 22 avril 2022 à 12h00, un mémoire en réplique a été produit par la société Léon Grosse Electricité le 21 avril 2022 et communiqué le lendemain à 10h24 à la région Ile-de-France par un courrier l'invitant, si elle l'estimait utile, à produire ses observations " aussi rapidement que possible ". Cette mention n'a pas eu pour effet de reporter la date de la clôture de l'instruction. Le mémoire en réplique développait cependant le moyen retenu par le tribunal par des éléments nouveaux auxquels la région Ile-de-France n'a, dans ces conditions, pas été mise à même de répliquer. La requérante est, dès lors, fondée à soutenir que le caractère contradictoire de l'instruction a été méconnu et à demander l'annulation du jugement attaqué.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Léon Grosse Electricité devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la demande de la société Léon Grosse Electricité :

En ce qui concerne la légalité externe du titre exécutoire :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " (...) En application des articles L. 111-2 et L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. / Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation (...) ". Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le titre de recettes individuel adressé au redevable doit mentionner les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis, d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de l'émetteur.

6. Il résulte de l'instruction que le titre exécutoire dont la société Léon Grosse Electricité demande l'annulation a été émis le 19 septembre 2019 par la présidente du conseil régional d'Ile-de-France dont il mentionne les nom, prénom et qualité. Si ce titre n'est pas signé, la région Ile-de-France produit le bordereau de titres de recettes qui comporte la signature de la directrice de la comptabilité, laquelle a, par un arrêté du 16 octobre 2018, reçu délégation de la présidente du conseil régional d'Ile-de-France à l'effet de signer, notamment, tous titres de recettes. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de signature du titre de recettes doit être écarté.

7. En second lieu, alors même qu'il est émis par une personne publique autre que l'Etat, pour lequel cette obligation est expressément prévue par l'article 24 du décret n° 2012-1246 du

7 novembre 2012, un état exécutoire doit indiquer les bases et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge des redevables, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.

8. Le titre exécutoire émis par la région Ile-de-France le 19 septembre 2019, d'un montant de 137 699,12 euros TTC, se réfère au décompte général et définitif négatif du marché de travaux relatif à la maison Ile-de-France à la CIUP, notifié à la société Léon Grosse Electricité le 3 septembre 2018. Si cette dernière soutient que le montant du titre exécutoire ne correspond pas au solde négatif de 126 627,33 euros du marché figurant dans le décompte général et définitif qui lui a été notifié, il résulte de ce décompte que le solde du marché est de -126 627,33 euros mais que le trop-perçu par la société Léon Grosse Electricité est de 137 699,12 euros, le solde du marché incluant les sommes de 10 959,83 euros et 111,96 euros encore dues à des sous-traitants. Dans ces conditions, en se référant au décompte général et définitif précédemment notifié à la société Léon Grosse, le titre exécutoire a indiqué de manière suffisante les bases de liquidation de la créance détenue par la région sur la société. Le moyen tiré de son insuffisante motivation doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne du titre exécutoire :

9. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, applicable au litige : " Dans la limite du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle qu'il a arrêtés, le maître de l'ouvrage peut confier à un mandataire, dans les conditions définies par la convention mentionnée à l'article 5, l'exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou partie des attributions suivantes de la maîtrise d'ouvrage : / (...) 4° Préparation du choix de l'entrepreneur, signature du contrat de travaux, après approbation du choix de l'entrepreneur par le maître de l'ouvrage, et gestion du contrat de travaux (...), et l'accomplissement de tous actes afférents aux attributions mentionnées ci-dessus (...). / Le mandataire représente le maître de l'ouvrage à l'égard des tiers dans l'exercice des attributions qui lui ont été confiées jusqu'à ce que le maître de l'ouvrage ait constaté l'achèvement de sa mission (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 2 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché (CCAG Travaux) : " (...) " Le " représentant du pouvoir adjudicateur " est le représentant du maître de l'ouvrage, dûment habilité par ce dernier à l'engager dans le cadre du marché et à le représenter dans l'exécution du marché (...) ". Selon l'article 13.4.2. du même cahier : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général (...) ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions et stipulations que, lorsqu'au nombre des attributions du mandataire désigné par le maître de l'ouvrage dans les conditions prévues par les articles 3 et suivants de la loi du 12 juillet 1985 figure la gestion du contrat de travaux, le représentant légal du maître d'ouvrage délégué ou la personne physique désignée par celui-ci pour le représenter dans l'exécution du marché doit, pour l'application des stipulations précitées du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, et sauf clause contraire du contrat, être regardé comme le représentant du pouvoir adjudicateur.

10. Il résulte de l'instruction que le cahier des clauses administratives particulières du marché de la société Léon Grosse Electricité précise en son article 1.3.2. que le mandataire du maître d'ouvrage est la SAERP et que selon la convention de mandat passée le 27 mai 2010 entre la région Ile-de-France et la SAERP figurent notamment, au nombre des attributions de cette dernière, la signature des marchés nécessaires à la réalisation de l'opération, leur bonne exécution et la réalisation d'un bilan de chaque marché dans le mois suivant le paiement du solde du marché. En l'absence de clause contraire figurant dans cette convention, la SAERP était ainsi, au sens des stipulations précitées du CCAG Travaux, le représentant du pouvoir adjudicateur et était, dès lors, compétente pour signer le décompte général du marché de la société Léon Grosse Electricité, sans qu'y fasse obstacle le silence de la convention de mandat sur ce point.

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la secrétaire générale de la SAERP a signé le décompte général de la société Léon Grosse Electricité pour le directeur général de la société. Il résulte de la délégation du 23 août 2018 produite par la région Ile-de-France que par cet acte, le directeur général de la SAERP a donné mandat à la secrétaire générale de la société pour statuer sur tous les marchés entrant dans le champ de l'objet de la société, s'agissant des affaires déjà engagées et validées par la direction générale, comme l'étaient le marché conclu entre la SAERP et la région Ile-de-France et celui conclu avec la société Léon Grosse Electricité à la date de cette délégation. Il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas même allégué qu'un texte, et notamment les statuts de la société, interdisait au directeur général de donner compétence à la secrétaire à l'effet de signer les décomptes généraux des opérations dont la société assurait la maîtrise d'ouvrage déléguée. Par suite, la société Léon Grosse Electricité n'est pas fondée à soutenir que le décompte général a été signé par une autorité incompétente.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article 13.4.3. du CCAG Travaux : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. / Ce décompte lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde ".

13. Il est constant que le décompte général de son marché a été notifié à la société Léon Grosse Electricité le 3 septembre 2018. Celle-ci ne conteste pas ne pas avoir formé de réclamation à son encontre dans le délai de trente jours qui lui était imparti par les stipulations précitées du CCAG Travaux. Dans ces conditions, ce décompte était devenu définitif à la date d'émission du titre exécutoire en litige, le 19 septembre 2019. La circonstance qu'à la suite de l'annulation de ce titre exécutoire par le jugement attaqué, la région Ile-de-France a notifié un nouveau décompte général à la société est sans incidence sur le caractère définitif du décompte qui avait été régulièrement notifié. Dès lors, contrairement à ce que soutient la société Léon Grosse Electricité, la créance détenue sur elle par le maître de l'ouvrage présentait un caractère certain et exigible et pouvait, par suite, faire l'objet d'un titre exécutoire.

14. Il résulte de ce qui précède que la société Léon Grosse Electricité n'est pas fondée à demander l'annulation du titre exécutoire émis le 19 septembre 2019 par la région Ile-de-France.

Sur les frais du litige :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Léon Grosse Electricité une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la région

Ile-de-France et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de la région

Ile-de-France, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Léon Grosse Electricité demande sur ce fondement.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2007136 du 3 juin 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Léon Grosse Electricité devant le tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : La société Léon Grosse versera à la région Ile-de-France une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la région Ile-de-France et à la société Léon Grosse Electricité.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Heers, présidente de chambre,

Mme Bruston, présidente-assesseure,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2023.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03596


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03596
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : HOURCABIE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-13;22pa03596 ?
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