Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet de la Seine-Saint-Denis a déféré au tribunal administratif de Montreuil l'arrêté du maire de la commune de Bagnolet n° 2019/188 du 9 avril 2019 décidant que lors de toute procédure d'expulsion sur le territoire de la commune, il devra être fourni au maire la justification que le relogement de la personne expulsée et de sa famille dans un logement décent aura été assuré.
Par un jugement n° 1910726 du 18 juin 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 5 juillet 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Bagnolet n° 2019/188 du 9 avril 2019 décidant que lors de toute procédure d'expulsion sur le territoire de la commune, il devra être fourni au maire la justification que le relogement de la personne expulsée et de sa famille dans un logement décent aura été assuré.
Il soutient que :
- son déféré est recevable dès lors qu'il justifie, par la production de l'accusé de réception postal, de la réception du recours gracieux qu'il a formé auprès de la commune de Bagnolet, dans le délai de deux mois suivant la transmission de l'arrêté attaqué au contrôle de légalité ;
- le maire ne tient d'aucune disposition législative ou réglementaire le pouvoir de faire obstacle à l'exécution d'une décision de justice et d'exiger de l'Etat la justification du relogement des personnes expulsées ;
- le pouvoir d'accorder immédiatement ou non le concours de la force publique n'appartient qu'au seul représentant de l'Etat dans le département.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 avril 2022, la commune de Bagnolet, représentée par son maire en exercice, ayant pour avocat la SCP Lonqueue - Sagalovitsch - Eglie-Richters et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le déféré est irrecevable faute de justification probante de la date de réception du recours gracieux du préfet de la Seine-Saint-Denis et dès lors que le recours gracieux a été signé par une autorité incompétente ;
- le tribunal a violé le principe d'égalité des armes, le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense en se fondant sur un arrêté de délégation de signature sans qu'une copie du bulletin d'information administrative prouvant sa publication ait été produite à l'instance et soumise au débat contradictoire ;
- les moyens soulevés par le préfet de la Seine-Saint-Denis ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston, rapporteure,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de M. A..., représentant le préfet de la Seine-Saint-Denis et de Me Azogui, représentant la commune de Bagnolet.
Une note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2023, a été présentée pour le préfet de la
Seine-Saint-Denis.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté n° 2019/188 en date du 9 avril 2019, intitulé " Arrêté subordonnant toute expulsion locative à la justification du relogement de la personne expulsée et sa famille dans un logement décent ", le maire de la commune de Bagnolet a décidé que lors de toute expulsion locative sur le territoire de la commune, il devra être fourni au maire la justification que le relogement de la personne expulsée et de sa famille dans un logement décent aura été assuré. Par un jugement du 18 juin 2021 dont le préfet de la Seine-Saint-Denis demande l'annulation, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté comme tardif le déféré qu'il a formé contre cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission (...) ". Il résulte de ces dispositions que, dans le délai de deux mois suivant la réception des actes soumis au contrôle de légalité, le représentant de l'Etat a la faculté de former un recours gracieux, qui proroge le délai qui lui est imparti pour saisir le tribunal administratif si ce recours gracieux a été reçu par la commune dans le délai de deux mois suivant la réception de l'acte litigieux.
3. D'une part, le préfet de la Seine-Saint-Denis produit pour la première fois en appel un accusé de réception postal mentionnant de manière lisible la distribution d'un courrier le
11 juin 2019 et le retour de l'accusé de réception à la préfecture le 13 juin 2019. Si la commune soutient qu'il n'est pas établi que cet accusé de réception correspondrait bien au recours gracieux, dès lors qu'il y aurait eu de nombreux échanges de courrier avec le service du contrôle de légalité à la même époque, la réalité des échanges allégués n'est pas établie par la seule production d'un accusé de réception illisible. La commune ne démontre pas davantage que l'accusé de réception produit par le préfet pourrait correspondre à un autre courrier. En outre, si la commune soutient que l'agent signataire de l'accusé réception n'était pas habilité à recevoir le courrier, elle ne donne aucune indication sur l'identité de cet agent qui doit, dès lors, être regardé comme ayant été régulièrement habilité à signer l'accusé de réception litigieux.
4. D'autre part, par un arrêté n° 2019-1059 en date du 29 avril 2019 publié au bulletin d'information administrative du même jour et consultable en ligne sur le site de la préfecture, sans qu'il soit besoin de verser cet arrêté aux débats, s'agissant d'un acte réglementaire, le préfet de la Seine-Saint-Denis a donné délégation à M. B... C..., sous-préfet chargé de mission, à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents à l'exception des actes de réquisition comptable et des arrêtés de conflit, de sorte que M. C... était bien compétent pour signer le recours gracieux du 7 juin 2019 adressé au maire de la commune de Bagnolet. Ce recours gracieux a donc valablement prorogé le délai de recours contentieux. Par suite, c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi. Son jugement du 18 juin 2021 doit, dès lors, être annulé sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens dirigés contre la régularité du jugement.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le préfet de la Seine-Saint-Denis devant le tribunal administratif de Montreuil.
Sur la recevabilité du déféré préfectoral :
6. Pour les motifs indiqués ci-dessus, le déféré n'est pas tardif.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
7. Il ressort, d'une part, des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales que le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale en vue d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.
8. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 411-1 du code des procédures civiles d'exécution : " Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux. " Selon l'article L. 153-1 du même code : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation. "
9. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que si le maire de la commune se voit confier, en vertu des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, des pouvoirs de police générale en vue du maintien de l'ordre public, de la sécurité et de la salubrité publiques, il ne peut en user pour faire échec à l'exécution des décisions du représentant de l'Etat dans le département lorsque celui-ci a, en application d'une décision de justice, accordé le concours de la force publique pour qu'il soit procédé à l'expulsion des occupants d'un logement.
10. D'une part, il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué du 9 avril 2019, qui dispose que " Lors de toute expulsion sur le territoire de la commune, il devra être fourni au Maire la justification que le relogement de la personne expulsée et de sa famille dans un logement décent aura été assuré. " et dont l'objet consiste à " subordonner " toute expulsion locative à la justification du relogement de la personne expulsée et sa famille dans un logement décent, que cet acte présente un caractère impératif et doit nécessairement être interprété comme ayant entendu conditionner effectivement toute expulsion locative à la justification préalable, par le préfet, du relogement de la personne expulsée et de sa famille, alors même qu'il mentionne également qu'il " ne constitue pas une méconnaissance des pouvoirs du Préfet d'accorder ou non le concours de la force publique ".
11. D'autre part, il appartient au seul préfet d'apprécier, sous le contrôle du juge, les risques de troubles à l'ordre public, tant lors de la mise en œuvre d'une procédure d'expulsion qu'une fois cette procédure exécutée. Il suit de là que le maire de Bagnolet ne peut subordonner une expulsion locative à la justification du relogement de la personne expulsée et sa famille dans un logement décent, sans empiéter sur la compétence du préfet et entacher son propre arrêté d'incompétence.
12. Il résulte de ce qui précède que l'arrêté n° 2019/188 du 9 avril 2019 du maire de la commune de Bagnolet doit être annulé.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la commune de Bagnolet de la somme qu'elle demande au titre des frais de l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1910726 du 18 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté n° 2019/188 du 9 avril 2019 du maire de la commune de Bagnolet sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Bagnolet présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bagnolet et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera délivrée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- Mme Bruston, présidente assesseure
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2023.
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente,
M. HEERS
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA03724 2