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06/10/2023 | FRANCE | N°22PA01940

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 06 octobre 2023, 22PA01940


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Karemyx a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur ajoutée et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016.

Par un jugement n° 2015020 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure

devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 avril 2022, la SARL Karemyx, représentée p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Karemyx a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur ajoutée et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016.

Par un jugement n° 2015020 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 avril 2022, la SARL Karemyx, représentée par Me Belkhodja, avocat, demande à la Cour :

1°) à titre principal, de prononcer la décharge, ou la réduction, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur ajoutée et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016 ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux fins de déterminer le taux de pertes ou de démarque inconnue applicable à la société ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- l'administration qui se borne à relever l'existence d'irrégularités formelles dans sa comptabilité, fondées sur une erreur lors de la réalisation des inventaires annuels, quatre factures mal comptabilisées et cinq factures non justifiées, ne démontre pas qu'un nombre important d'articles serait manquant et n'établit pas que sa comptabilité serait dénuée de toute valeur probante et devrait par suite être écartée ;

- la reconstitution de son chiffre d'affaires majore exagérément ses recettes. D'une part, l'administration ne pouvait, le cas échéant, que reconstituer le chiffre d'affaires dissimulé et non l'ensemble du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé, les ventes recensées dans sa comptabilité constituant des décisions de gestion opposables. D'autre part, le vérificateur aurait dû procéder à une évaluation physique des stocks. Enfin, il aurait dû appliquer, dans un souci de réalisme économique, un taux de pertes ou de démarque inconnue au titre des produits volés, disparus ou défectueux à hauteur au minimum de 3 % ;

- à titre subsidiaire, il conviendrait de désigner un expert pour déterminer le taux de démarque inconnue applicable en l'espèce au titre des trois exercices en litige ;

- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises sont infondés en conséquence de la surestimation de son chiffre d'affaires ;

- le taux des pénalités qui lui ont été infligées sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts doit être ramené de 40 % à 10 %, faute pour l'administration de démontrer son intention délibérée d'éluder l'impôt.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Karemyx ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lorin,

- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Karemyx, qui exerce une activité d'import-export, de revente en gros de maroquinerie, accessoires de mode, chaussures, bijoux fantaisie et articles de bazar, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016. Par une proposition de rectification du 13 décembre 2017, l'administration, après avoir écarté la comptabilité de la société, qu'elle a regardée comme entachée de graves irrégularités de nature à lui ôter toute valeur probante, a procédé à la reconstitution de ses recettes et mis à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour cette même période, à l'issue d'une procédure de rectification contradictoire. Ces rectifications ont été assorties de la pénalité prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts. Par la présente requête, la société relève régulièrement appel du jugement du 1er mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge, ou la réduction, des impositions en litige, en droits et pénalités et demande, à titre subsidiaire, que soit ordonnée une expertise aux fins de déterminer le chiffre d'affaires réalisé au titre des trois exercices en litige.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :

2. En vertu de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe à cette dernière.

3. Aux termes de l'article 54 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " Les contribuables mentionnés à l'article 53 A sont tenus de représenter à toute réquisition de l'administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans leur déclaration / (...) ". Aux termes du I de l'article 286 de ce code : " Toute personne assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée doit : / (...) / 4° Fournir aux agents des impôts (...) toutes justifications nécessaires à la fixation des opérations imposables, sans préjudice des dispositions de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales ". Aux termes de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales : " Les contribuables doivent communiquer à l'administration, sur sa demande, les livres dont la tenue est rendue obligatoire par les articles L. 123-12 à L. 123-28 du code de commerce ainsi que tous les livres et documents annexes, pièces de recettes et de dépenses / (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que, pour rejeter la comptabilité de la société Karemyx comme étant dépourvue de valeur probante, l'administration a relevé que la comptabilité " matière " à laquelle elle a procédé à partir du traitement informatique des données comptables et du logiciel de gestion commerciale, a fait apparaître un écart considérable entre, d'une part, les stocks théoriques, reconstitués à partir du stock initial déclaré et les achats et ventes réalisés en cours d'exercice et, d'autre part, les quantités en stock final déclarées. Le traitement informatique des données a ainsi mis en évidence la non-reprise dans le logiciel de gestion commerciale, destiné à établir les factures client, de factures successives portant sur le même code d'articles, ainsi que diverses anomalies comptables dans la mesure où des achats non appuyés de pièces justificatives avaient été comptabilisés, que de nombreuses factures ne comportaient pas les références des articles, que les codages des produits étaient erronés, qu'aucune table de référence des articles n'avait été produite et que l'examen des fichiers des écritures comptables faisait apparaître l'inscription d'écritures postérieures à la date de clôture des exercices. Le traitement de ces données a permis de déterminer que, compte tenu des articles achetés et vendus, les articles manquants en stock, après correction des stocks d'entrée et de sorties, s'élevaient au titre de l'exercice clos en 2014 à 215 % des quantités déclarées en stock, à 94 % pour 2015 et à 10 % pour 2016. Contrairement à ce que soutient la société Karemyx qui a d'ailleurs admis dans ses observations présentées le 14 février 2018 que le comptage des stocks avait été mal effectué et que les quantités de marchandises inventoriées étaient erronées, elle ne démontre pas que le pourcentage des articles manquants par rapport aux articles vendus représenterait un très faible pourcentage qu'elle estime à 5,29 % en 2014, 2,54 % en 2015 et 0,16 % pour 2016. Les irrégularités constatées ne se réduisent pas davantage à de simples erreurs de comptabilisation ou à la non justification de certaines factures mais révèlent une incohérence globale de la comptabilité présentée. Dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve que la comptabilité vérifiée était dépourvue de valeur probante. Par suite, elle a pu à bon droit l'écarter à ce titre et procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société Karemyx au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016.

S'agissant de la charge de la preuve :

En ce qui concerne la reconstitution des recettes :

5. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission (...) ". Il résulte de ces dispositions que le contribuable supporte la charge de la preuve de l'exagération des bases d'imposition retenues par l'administration lorsque, d'une part, la comptabilité comporte de graves irrégularités et, d'autre part, l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.

6. D'une part, l'administration fiscale établit, ainsi qu'il a été énoncé au point 4, que la comptabilité de la société Karemyx comportait de graves irrégularités qui ne pouvaient pas la faire regarder comme probante. D'autre part, il résulte de l'instruction que les impositions contestées ont été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires en date du 3 décembre 2018. Par suite, en application des dispositions précitées de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, la société requérante ne peut obtenir, par la voie contentieuse, la décharge ou la réduction des impositions mises à sa charge qu'en apportant la preuve du caractère exagéré de la reconstitution du chiffre d'affaires effectuée par l'administration fiscale.

S'agissant de la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires :

7. La comptabilité ayant été régulièrement rejetée, comme dit précédemment, il appartient à la requérante de démontrer que la méthode retenue de reconstitution extracomptable de ses recettes est radicalement viciée ou excessivement sommaire ou de proposer une meilleure méthode. Il résulte de l'instruction que la méthode retenue par le service a consisté, pour chacune des années vérifiées, à reprendre les inventaires de stocks au 1er janvier et 31 décembre de chaque exercice et l'intégralité des factures d'achats et de ventes qui lui ont été présentées. Le recoupement de ces données a permis de déterminer le nombre d'articles manquants en stocks et de calculer le volume théorique des ventes. En appliquant un prix moyen de vente par catégorie de produits, elle a mis en évidence que les ventes non déclarées s'élevaient à 266 139 euros en 2014, 206 435 euros en 2015 et 217 095 euros en 2016, correspondant respectivement à 9 %, 8 % et 10 % du chiffre d'affaires.

8. En premier lieu, la société Karemyx soutient que, dans la mesure où les ventes réalisées constituent des décisions de gestion opposables à l'administration, le service ne pouvait procéder à une reconstitution globale de son chiffre d'affaires mais aurait dû appliquer la méthode de reconstitution au seul pourcentage des articles manquants. Il résulte toutefois de l'instruction que les irrégularités relevées ne constituent pas de simples erreurs commises de bonne foi ou des décisions de gestion comptable résultant d'un choix opéré régulièrement par la société. Par suite, en l'absence de valeur probante de la comptabilité de la société, le service pouvait procéder à une reconstitution intégrale du chiffre d'affaires réalisé à partir des factures d'achats et de ventes et des inventaires des stocks pour l'ensemble de la période vérifiée. La méthode alternative proposée par la société et qui consisterait à restreindre la reconstitution de son chiffre d'affaires aux seuls articles manquants et donc non déclarés, sans précision des prix attachés à ces articles, est nécessairement plus sommaire et moins précise que celle retenue par l'administration, ainsi que l'ont relevé à bon droit les juges de première instance.

9. En deuxième lieu, la société Karemyx ne démontre pas que l'absence d'inventaire physique des stocks par l'administration, à la date d'intervention du vérificateur, aurait radicalement vicié la méthode employée, alors que ses écritures d'inventaire lui sont opposables, y compris dans l'hypothèse d'espèce où la comptabilité a été écartée et qu'il lui incombe d'établir, le cas échéant, que les articles manquants se trouvaient en réalité dans ses stocks et n'avaient pas fait l'objet de ventes dissimulées.

10. En troisième lieu, la société Karemyx soutient que le réalisme économique impliquait de prendre en considération un taux correspondant à la moyenne du chiffre d'affaires perdu par un distributeur au titre des produits volés, disparus ou défectueux, le taux de perte ou taux de démarque inconnue devant, a minima, être évalué à 3 % de son chiffre d'affaires. Toutefois, les études auxquelles elle se rapportent et qui traitent principalement du secteur d'activité de la grande distribution ou des secteurs de la mode et cosmétique ne précisent aucune méthodologie pour aboutir à un taux moyen de démarque inconnue en France évalué à 3,72 % en 2011, à 1,4 % en 2017 et pouvant atteindre 10 % en 2020 suivant la nature des produits. La société qui est une entreprise de vente en gros de marchandises, ne démontre par aucune pièce justificative que le taux de 3 % qu'elle souhaiterait, a minima être appliqué, correspondrait à une réalité économique de son activité commerciale.

11. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, que la méthode de reconstitution des recettes utilisée par le vérificateur n'apparaît ni excessivement sommaire, ni radicalement viciée. La société Karemyx qui ne propose pas de méthode d'évaluation alternative plus précise, faute de justificatifs du montant de ses recettes, n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère exagéré de cette reconstitution effectuée par l'administration fiscale. Par voie de conséquence, les conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui en résultent, doivent être rejetées.

En ce qui concerne les pénalités :

12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...). ". Il incombe à l'administration, en application des dispositions de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, d'établir l'absence de bonne foi du contribuable pour justifier de l'application d'une telle majoration.

13. Afin de justifier l'application de la pénalité pour manquement délibéré, l'administration s'est fondée sur la circonstance que la société Karemyx qui n'avait pas été en mesure de présenter une comptabilité probante, avait omis sur les trois exercices contrôlés de déclarer ses recettes imposables représentant 8 à 10 % de son chiffre d'affaires. Ce faisant, l'administration apporte la preuve que la société a sciemment minoré son chiffre d'affaires et les produits imposables dans des proportions importantes et de manière réitérée dans le but d'éluder l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Karemyx n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société à responsabilité limitée (SARL) Karemyx est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Karemyx et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Soyez, président-assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 6 octobre 2023.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA01940


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01940
Date de la décision : 06/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : SELARL INITIA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-06;22pa01940 ?
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