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03/10/2023 | FRANCE | N°22PA00321

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 03 octobre 2023, 22PA00321


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Limabeech, a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) d'annuler la décision n° 19/194 du 7 mai 2019 par laquelle l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) lui a infligé une amende administrative d'un montant de 10 000 euros ;

2°) de condamner l'ACNUSA à lui verser deux sommes de 2 000 euros et de 3 000 euros en réparation, respectivement, du préjudice moral et du préjudice économique résultant de cette décision.

Par un jugement n°1919056

du 18 novembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la C...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Limabeech, a demandé au Tribunal administratif de Paris :

1°) d'annuler la décision n° 19/194 du 7 mai 2019 par laquelle l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) lui a infligé une amende administrative d'un montant de 10 000 euros ;

2°) de condamner l'ACNUSA à lui verser deux sommes de 2 000 euros et de 3 000 euros en réparation, respectivement, du préjudice moral et du préjudice économique résultant de cette décision.

Par un jugement n°1919056 du 18 novembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2022, et par un mémoire complémentaire, enregistré le 22 février 2022, la société Limabeech, représentée par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 18 novembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision de l'ACNUSA du 7 mai 2019, mentionnée ci-dessus ;

3°) de condamner l'ACNUSA à lui verser deux sommes de 2 000 euros et de 3 000 euros en réparation, respectivement, du préjudice moral et du préjudice économique résultant de cette décision ;

4°) de mettre à la charge de l'ACNUSA une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal administratif est irrégulier en ce qu'il ne comporte pas les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- il a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, le sens des conclusions du rapporteur public n'ayant pas été porté à la connaissance des parties dans le délai imparti par l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;

- le 3°) de l'article L. 6361-12 du code des transports est insuffisamment précis au regard des exigences de clarté et de prévisibilité de la norme répressive et du principe de légalité des délits et des peines ;

- il ne permet pas de déroger, au principe de personnalité des délits et des peines ;

- la société Limabeech ne pouvait sans erreur de droit, être sanctionnée pour l'infraction commise le 23 janvier 2018, alors qu'elle n'exerce aucune activité aérienne au sens du 3°) de l'article L. 6361-12 du code des transports, et alors qu'elle n'était pas personnellement responsable du manquement commis par le seul pilote, dans le cadre d'un vol effectué par la société AM Air, locataire de l'appareil en vertu d'un contrat de location " coque nue " ;

- la sanction attaquée est intervenue en violation du principe du contradictoire, de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article L. 6361-14 du code des transports et des articles R. 227-1 et R. 227-2 du code de l'aviation civile, ni le procès-verbal de constat de manquement, ni le dossier d'instruction ne précisant l'alinéa de l'article L. 6363-12 dont il était fait application ;

- en substituant les dispositions du 3°) de l'article L. 6361-12 du code des transports à celles du 2°) du même article, le tribunal administratif a aggravé cette violation du principe du contradictoire ;

- la sanction est disproportionnée ;

- contrairement à ce que le tribunal administratif a estimé, ses conclusions indemnitaires étaient recevables, une décision implicite de rejet de sa demande préalablement formée dans ses observations le 30 avril 2019, étant intervenue le 30 juin 2019.

Par trois mémoires en défense, enregistrés le 12 décembre 2022, le 24 mars 2023 et le 5 mai 2023, l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA), représentée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Limabeech sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- elle est fondée à demander une substitution de motifs, la sanction devant être confirmée au motif que la documentation à bord de l'appareil n'était pas à jour ou pas complète.

Par trois mémoires en réplique, enregistrés les 23 février, 19 avril et 20 avril 2023, la société Limabeech conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.

Elle soutient en outre que la substitution de motifs demandée par l'ACNUSA doit être refusée.

Par une ordonnance du 9 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des transports ;

- le code de l'aviation civile ;

- l'arrêté du 6 mars 2009 portant application de procédures de moindre bruit sur l'aérodrome de Bordeaux-Mérignac ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Uzan-Sarano pour la société Limabeech et de Me Sarrazin pour l'ACNUSA.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision n°19/194 du 7 mai 2019, l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) a infligé à la société Limabeech sur le fondement de l'article L. 6361-12 du code des transports une amende administrative d'un montant de 10 000 euros à raison d'un manquement à la procédure de départ commis le 23 janvier 2018, constitutif d'un non-respect de l'article 1er de l'arrêté du 6 mars 2009 portant application de procédures de moindre bruit sur l'aérodrome de Bordeaux-Mérignac. La société Limabeech fait appel du jugement du 18 novembre 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et de la greffière. Ainsi, le moyen tiré de l'absence des signatures requises manque en fait.

3. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le sens des conclusions du rapporteur public, tendant au rejet de la demande, a été mis en ligne le 27 octobre 2021, en vue d'une audience se tenant le lendemain à 13h45. Le rapporteur public ayant ainsi indiqué aux parties le sens de ses conclusions, dans un délai raisonnable avant l'audience, la société Limabeech n'est pas fondée à soutenir que le jugement aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. Aux termes de l'article L. 6361-12 du code des transports : " L'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires prononce une amende administrative à l'encontre : / 1° De la personne exerçant une activité de transport aérien public au sens de l'article L. 6412-1 ; / 2° De la personne au profit de laquelle est exercée une activité de transport aérien au sens de l'article L. 6400-1 ; / 3° De la personne exerçant une activité aérienne, rémunérée ou non, autre que celles mentionnées aux 1° et 2° du présent article ; / 4° Du fréteur dans le cas défini par l'article L. 6400-2, / ne respectant pas les mesures prises par l'autorité administrative sur un aérodrome fixant (...) c) Des procédures particulières de décollage ou d'atterrissage en vue de limiter les nuisances environnementales engendrées par ces phases de vol (...) ". Ces dispositions se bornent à énumérer des personnes participant à l'activité aérienne et susceptibles, à cette occasion, de manquer au respect de certaines procédures particulières de décollage ou d'atterrissage. Elles n'ont pas pour objet ou pour effet de rendre une personne responsable d'un manquement qui ne lui serait pas imputable.

6. Aux termes de l'article L. 6400-3 du même code : " La location d'un aéronef est l'opération par laquelle un bailleur met à la disposition d'un preneur un aéronef sans équipage ".

7. Il résulte de l'instruction que l'appareil en cause, propriété de la société Limabeech, était pris en location " coque nue " (sans équipage) par la société AM Air en vertu d'un contrat conclu le 2 janvier 2018, et était piloté par le dirigeant de la société AM Air, le 23 janvier 2018, lorsque le manquement à la procédure de départ a été commis.

8. L'ACNUSA entend cependant démontrer que ce manquement serait imputable à la société Limabeech, en soutenant que la documentation à bord de l'appareil n'était pas à jour ou pas complète, et en se référant aux échanges entre le pilote et la tour de contrôle, dont il résulte qu'interrogé sur son virage à droite juste après l'envol, alors que, selon le rapport d'instruction du manquement et selon la décision de sanction, il aurait dû, dans le cadre de la procédure de restriction permanente " SID RNAV RWY23 CNA 3P ", suivre la " route magnétique 226° (axe de piste) sur 3 NM jusqu'à BD230 ", et interrogé sur le point de savoir s'il était en possession des cartes, le pilote à qui il avait été rappelé que le virage à droite était prévu à une distance de trois miles nautiques, a répondu être en possession des cartes, en ajoutant : " j'avais 2,2 sur ma carte ". Il résulte toutefois du rapport d'instruction que, pour l'instructeur : " affirmer que la documentation à bord (...) était à jour nous est impossible et il est fort probable qu'en tout état de cause elle n'a pas été consultée ". De même, dans les motifs de sa décision, l'ACNUSA, après avoir relevé que : " dans ses observations, la personne poursuivie allègue que la documentation du commandant de bord était à jour ", n'a pas remis en cause cette allégation. Dans ces conditions, l'ACNUSA ne peut être regardée comme établissant que cette documentation n'était pas à jour.

9. Si l'ACNUSA soutient également que la documentation à bord de l'appareil n'était pas complète, en se référant au dossier de vol, dans lequel la procédure de restriction permanente " SID RNAV RWY23 CNA 3P " ne figurait pas, elle ne conteste pas que cette procédure avait été " chargée " dans les deux systèmes de positionnement à bord (système GTN, de type GPS), et que le premier segment (" leg ") de cette procédure, situé dans l'axe de la piste, sur la route magnétique 226°, jusqu'au point de report " Fly Over BD230 ", n'a pas été activé par le pilote, ainsi que l'instructeur l'a relevé dans son rapport d'instruction et ainsi que l'ACNUSA l'a elle-même relevé dans les motifs de sa décision, en qualifiant ce comportement de regrettable. Dans ces conditions, l'ACNUSA ne peut être regardée comme établissant que la documentation de bord n'était pas complète.

10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, faute pour l'ACNUSA de démontrer que le manquement lui serait imputable, la société Limabeech, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 7 mai 2019 par laquelle l'ACNUSA lui a infligé l'amende administrative en litige.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

11. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " (...) Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle (...) ".

12. Si la société Limabeech a dans ses observations présentées le 30 avril 2019 dans le cadre de la procédure devant l'ACNUSA, indiqué qu'elle " pourra être conduite à engager la responsabilité de l'administration à défaut de classement sans suite immédiat, compte tenu du préjudice qui lui serait causé " par cette procédure, ces observations, antérieures à la décision de sanction du 7 mai 2019, ne peuvent, contrairement à ce qu'elle soutient devant la Cour, être regardées comme une demande préalable susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris aurait irrégulièrement rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice moral et du préjudice économique résultant de la sanction infligée par l'ACNUSA.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Limabeech, qui n'est pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'ACNUSA demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Limabeech sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1919056 du Tribunal administratif de Paris du 18 novembre 2021 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Limabeech tendant à l'annulation de la décision n° 19/194 de l'ACNUSA du 7 mai 2019, et cette même décision sont annulés.

Article 2 : La société Limabeech est déchargée de l'amende administrative mise à sa charge par la décision n° 19/194 de l'ACNUSA du 7 mai 2019.

Article 3 : L'Etat versera à la société Limabeech une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Limabeech est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de l'ACNUSA présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Limabeech et à l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente de chambre,

M. Niollet, président-assesseur,

Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2023.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLa présidente,

J. BONIFACJLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22PA00321


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00321
Date de la décision : 03/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU ET UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-03;22pa00321 ?
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