Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner solidairement la société Enedis et la société Eiffage Energie Systèmes à l'indemniser des conséquences dommageables de l'accident dont elle a été victime le 14 février 2019 et à lui verser une provision de 10 000 euros ainsi que d'ordonner, avant-dire droit, une expertise médicale pour déterminer l'étendue de ses préjudices.
Par un jugement n° 2016127/6-1 du 14 novembre 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 janvier 2023, Mme C..., représentée par Me Maruani, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 novembre 2022 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner solidairement la société Enedis et la société Eiffage Energie Systèmes à l'indemniser des conséquences dommageables de l'accident dont elle a été victime le 14 février 2019 ;
3°) de condamner ces sociétés à lui verser une provision de 10 000 euros ;
4°) d'ordonner, avant- dire droit, une expertise médicale pour déterminer l'étendue de ses préjudices ;
5°) de mettre à la charge de la société Enedis et de la société Eiffage Energie Systèmes une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est susceptible d'appel ;
- les dommages subis à la suite de sa chute sont liés à l'exécution de travaux sur la voie publique ; le défaut d'entretien normal de la voie publique engage la responsabilité solidaire de la société Enedis et de la société Eiffage Energie Systèmes ;
- une expertise est nécessaire pour déterminer l'étendue de ses préjudices ;
- les dommages subis justifient l'allocation d'une provision de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2023, la société Enedis, représentée par Me Beaumont, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la société Eiffage Energie Systèmes soit condamnée à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle et, en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de la requérante ou de la société Eiffage Energie Systèmes une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, le tribunal ayant statué en premier et dernier ressort, la requête ne relève pas de la compétence de la Cour ;
- à titre subsidiaire, sa responsabilité n'est pas engagée à l'égard de Mme C... dès lors que les mesures de précaution nécessaires ont été mises en œuvre pendant l'exécution des travaux ; dans ces conditions, aucun défaut d'entretien normal de l'ouvrage public ne peut lui être reproché ;
- au surplus, Mme C... qui avait une parfaite connaissance de l'existence du chantier de travaux situé à proximité de son domicile a manqué de prudence ;
- si sa responsabilité est retenue, la société Eiffage Energie Systèmes, qui a réalisé les travaux en cause, devra être condamnée à la garantir de toute condamnation ; sous cette garantie, elle s'en remet à la sagesse de la Cour quant à l'utilité de la mesure d'expertise sollicitée par la requérante ; la provision susceptible d'être allouée à Mme C... devra être réduite à de plus justes proportions.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2023, la société Eiffage Energie Systèmes, représentée par Me Mazuru, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante ou de la société Enedis une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, le tribunal ayant statué en premier et dernier ressort, la requête ne relève pas de la compétence de la Cour ;
- à titre subsidiaire, Mme D... n'a pas été témoin de la chute de Mme C... ;
-le défaut d'entretien normal de l'ouvrage public n'est pas caractérisé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née en 1932, a été victime le 14 février 2019 d'une chute alors qu'elle circulait à pied sur le trottoir au niveau du n° 65 de la rue des Pyrénées à Paris (75020), en trébuchant contre des plaques métalliques recouvrant une tranchée ouverte dans le cadre de travaux sur le réseau électrique réalisés par la société Eiffage Energie Systèmes pour le compte de la société Enedis. Par un courrier du 16 septembre 2019, elle a adressé à la société Enedis une demande indemnitaire préalable qui a été rejetée par une décision du 26 novembre 2019. La société Eiffage Energie Systèmes a également rejeté sa demande indemnitaire présentée le 23 juillet 2020. Par un jugement du 14 novembre 2022, dont Mme C... relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à engager la responsabilité des sociétés Enedis et Eiffage Energie Systèmes du fait de sa chute sur la voie publique.
Sur l'exception d'incompétence de la Cour soulevée par les sociétés Enedis et Eiffage Energie Systèmes :
2. Aux termes de l'article R. 222-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue en audience publique et après audition du rapporteur public (...) : (...)10° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-153 ". Ce montant est fixé à 10 000 euros par l'article R. 222-14. Il résulte du deuxième alinéa de l'article R. 811-1 que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges mentionnés, notamment, au 10° de l'article R. 222-13.
3. Les actions indemnitaires dont les conclusions n'ont pas donné lieu à une évaluation chiffrée dans la requête introductive d'instance devant le tribunal administratif et ne peuvent ainsi être regardées comme tendant au versement d'une somme supérieure à 10 000 euros entrent dans le champ des dispositions du 10° de l'article R. 222-13 et du deuxième alinéa de l'article R. 811-1 du code de justice administrative. Ces dispositions ne sauraient, toutefois, trouver application quand le requérant, dans sa requête introductive d'instance, a expressément demandé qu'une expertise soit ordonnée afin de déterminer l'étendue de son préjudice ou a expressément mentionné une demande d'expertise présentée par ailleurs, en se réservant de fixer le montant de sa demande au vu du rapport de l'expert. Le jugement rendu sur une telle requête, qui doit l'être par une formation collégiale, est susceptible d'appel quel que soit le montant de la provision que le demandeur a, le cas échéant, sollicitée dans sa requête introductive d'instance comme celui de l'indemnité qu'il a chiffrée à l'issue de l'expertise, si celle-ci a été ordonnée.
4. Dans sa demande introductive d'instance, Mme C..., d'une part, a présenté des conclusions tendant à ce que les sociétés Enedis et Eiffage Energie Systèmes soient déclarées responsables des préjudices qu'elle a subis à la suite de la chute dont elle a été victime le 14 février 2019 sur un trottoir de la rue des Pyrénées à Paris, d'autre part, a sollicité une provision de 10 000 euros et, enfin, a demandé qu'une expertise soit ordonnée pour évaluer le préjudice corporel qu'elle a subi. Ainsi, le litige n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions du 10° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article R. 811-1 du même code et n'était donc pas au nombre de ceux sur lesquels le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Par suite, et même si le courrier de notification du jugement attaqué mentionnait que la voie de recours contre ce jugement était un recours en cassation, l'exception d'incompétence de la Cour soulevée par les sociétés Enedis et Eiffage Energie Systèmes doit être écartée.
Sur la responsabilité de la société Enedis et de la société Eiffage Energie Systèmes :
5. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
6. La société Eiffage Energie Systèmes soutient qu'il ressort des termes de l'attestation du 26 février 2019 de Mme D... que celle-ci n'a pas été témoin de la chute de Mme C.... Si la société Eiffage Energie Systèmes entend ainsi contester la matérialité des faits et le lien de causalité entre l'accident de Mme C... et les plaques métalliques posées sur le trottoir, il résulte cependant de l'instruction, notamment de l'attestation de M. B... qui décrit les circonstances de la chute de Mme C... et qui lui a porté assistance jusqu'à l'arrivée des pompiers et ainsi que du compte-rendu du 14 février 2019 du service des urgences de l'hôpital Saint Antoine où Mme C... a été transportée, que cette dernière a chuté le 14 février 2019, vers 12h 30, sur le trottoir de la rue des Pyrénées à hauteur des travaux en cours sur le réseau électrique réalisés par la société Eiffage Energie Systèmes pour le compte de la société Enedis. Mme C... soutient que, alors qu'elle marchait sur les plaques en tôle disposées le long d'une tranchée afin de permettre la circulation des piétons, son pied se serait coincé sous une de ces plaques qui se serait soulevée lors du passage d'un piéton sur la plaque située face à celle qu'elle empruntait. Il ressort des photographies versées aux débats que des plaques métalliques recouvraient une tranchée creusée sur la longueur du trottoir et étaient disposées sur les deux tiers environ de la largeur de celui-ci. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la matérialité des faits et le lien de causalité entre l'accident de Mme C... et les plaques métalliques posées sur le trottoir sont établis.
7. Il résulte de l'instruction, que la présence de ces plaques métalliques était rendue nécessaire pour couvrir une tranchée creusée sur la longueur du trottoir et recouvrant environ les deux tiers de sa largeur afin d'éviter les chutes dans cette excavation et de permettre le passage des piétons. Cette installation provisoire n'avait pas à être fixée au sol. Il ressort des photographies versées au dossier par la requérante que les planques métalliques étaient parfaitement visibles et qu'un panneau posé sur le trottoir informait les usagers que des travaux étaient en cours sur le réseau d'électricité pour une période comprise entre janvier et mars 2019. La présence de ces plaques en tôle posées sur le sol les unes à côté des autres, même si elles n'étaient pas jointes entre elles pour former un ensemble indissociable et que ce caractère indissociable n'était pas signalé, ne constituaient pas, par leurs dimensions et leurs caractéristiques, un obstacle excédant ceux que les usagers de la voie publique peuvent s'attendre à rencontrer dans une zone de travaux signalée. La seule présence de ces plaques n'est ainsi pas constitutive d'un défaut d'entretien normal de la voie publique. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la responsabilité des société Enedis et Eiffage Energie Systèmes n'était pas engagée à l'encontre de Mme C....
Sur les conclusions de Mme C... tendant à la prescription d'une expertise et au versement d'une provision :
8. La responsabilité de la société Enedis et de la société Eiffage Energie Systèmes n'étant pas engagée à l'encontre de Mme C..., il n'y a dès lors pas lieu d'ordonner une expertise, ni de condamner ces sociétés à lui verser une provision. Par suite, les conclusions de Mme C... tendant à la prescription d'une expertise et au versement d'une provision doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Enedis ou de la société Eiffage Energie Systèmes, qui n'ont pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme C... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En outre, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par les sociétés Enedis et Eiffage Energie Systèmes.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Enedis et la société Eiffage Energie Systèmes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à la société Enedis et à la société Eiffage Energie Systèmes.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,
- Mme Collet, première conseillère
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 octobre 2023.
La rapporteure,
V. LARSONNIER Le président,
F. HO SI FAT
La greffière,
N. COUTY
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA00230 2