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18/07/2023 | FRANCE | N°23PA01169

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 18 juillet 2023, 23PA01169


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les deux arrêtés du 24 décembre 2022 par lesquels le préfet de police lui a, d'une part, fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination pour son éloignement et, d'autre part, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2226783/5-3 du 22 février 2023, le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé les arrêtés a

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les deux arrêtés du 24 décembre 2022 par lesquels le préfet de police lui a, d'une part, fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination pour son éloignement et, d'autre part, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2226783/5-3 du 22 février 2023, le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé les arrêtés attaqués, d'autre part, enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation administrative de M. B....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2023, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2226783/5-3 du 22 février 2023 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- il n'a pas été porté atteinte au droit d'être entendu de M. B... dès lors que celui-ci a été mis à même de présenter toutes observations qu'il estimait utiles lors de son audition et qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement ;

- il s'en remet à ses écritures de première instance en ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. B....

La requête du préfet de police a été communiquée à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Hamon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né en 1979, a été interpellé le 23 décembre 2022 et a fait l'objet, par deux arrêtés du préfet de police du 24 décembre 2022, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai fixant le pays de destination pour son éloignement et, d'autre part, d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le préfet de police fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé ces arrêtés et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B....

Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal :

2. En vertu de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il découle de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, et se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Ce droit implique ainsi que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition de M. B... par les services de police en date du 23 décembre 2022, que l'intéressé a été entendu sur sa situation administrative et familiale et a été mis en mesure de présenter des observations. S'il ressort de ce procès-verbal que l'intéressé n'a pas été informé de la mesure d'éloignement envisagée, M. B... ne justifie toutefois pas qu'il a été privé, du fait de l'absence de cette information, de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision en litige, alors au demeurant qu'il a expressément indiqué être en situation irrégulière et a déjà fait l'objet d'une précédente obligation de quitter le territoire français le 26 novembre 2021. Dès lors, le requérant ne pouvait sérieusement ignorer qu'il s'exposait à une décision portant obligation de quitter sans délai le territoire français. Par suite, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés du 24 décembre 2022 au motif qu'ils avaient été pris en méconnaissance du principe général du droit d'être entendu.

4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B....

Sur les autres moyens invoqués par M. B... :

5. Il résulte des termes des décisions portant obligation de quitter le territoire, refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français, qui mentionnent les éléments de droit et de fait sur lesquels elles se fondent que celles-ci sont, contrairement à ce que soutient M. B..., suffisamment motivées.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. M. B... soutient que cette décision est entachée d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle. Si le requérant fait valoir sans être contesté qu'il est marié depuis plus de quatre ans à la date de la décision attaquée à une ressortissante tunisienne en situation irrégulière en France, et vit avec elle et leurs trois enfants nés en France, il ressort toutefois des pièces du dossier, d'une part, que ces enfants ne sont pas scolarisés pour les deux plus jeunes nés en 2020 et 2023, et que l'aîné, né en 2019, est inscrit à l'école maternelle, et d'autre part son épouse et lui ne justifient pas d'une intégration particulière en France, la réalité de l'activité professionnelle de M. B..., par ailleurs défavorablement connu des services de police, n'étant pas établie. Dans ces conditions, et alors que M. B... a vécu en Tunisie jusqu'à l'âge de 39 ans, rien ne fait obstacle à ce que la vie familiale puisse s'y poursuivre. Par suite ces moyens doivent être écartés.

En ce qui concerne le refus de délai de départ volontaire :

7. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...); / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". L'article L. 612-3 du même code précise que : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; ".

8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise par le préfet de police le 26 novembre 2021, à laquelle il s'est soustrait, sans qu'il justifie de circonstances particulières Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

9. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6 la décision n'est pas plus entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences.

10. Enfin aux termes de l'article 3 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 : " Aux fins de la présente directive, on entend par : / (...) 7) " risque de fuite " : le fait qu'il existe des raisons, dans un cas particulier et sur la base de critères objectifs définis par la loi, de penser qu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet de procédures de retour peut prendre la fuite (...) ". Aux termes de l'article 7 de la même directive : " 1. La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 4. / (...) 4. S'il existe un risque de fuite, (...) les États membres peuvent s'abstenir d'accorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours ". Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Enfin, par l'article L. 612-3 du même code, le législateur a entendu définir les cas dans lesquels, sauf circonstances particulières, le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 précité peut être regardé comme établi.

11. Si M. B... soutient que les dispositions du II de l'article L. 511-1, devenu article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile créent une " présomption de risque de fuite très large ", qui serait contraire aux objectifs de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, cet article énumère et définit précisément les cas ou critères objectifs sur la base desquels, sauf circonstance particulière, l'autorité préfectorale peut considérer qu'il existe un risque que l'étranger se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 par cet article L. 612-2 ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

12. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ".

13. Dès lors que M. B... a légalement fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français qui n'était assortie d'aucun délai de départ volontaire et que le préfet, comme il est jugé au point 6, n'a commis ni erreur de fait ni erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle et professionnelle, le requérant ne justifie d'aucune circonstance humanitaire de nature à s'opposer à qu'une interdiction de retour soit prononcée à son encontre. Pour ces mêmes motifs, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de M. B... doit être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé ses arrêtés du 24 décembre 2022 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B.... Les conclusions de la demande présentée par ce dernier devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles cette juridiction a fait droit doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2226783/5-3 du 22 février 2023 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de police

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2023

La rapporteure,

P. HAMONLe président,

C. JARDIN

La greffière,

C. BUOT La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA01169


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01169
Date de la décision : 18/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-18;23pa01169 ?
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