Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La compagnie aérienne Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision n° R/19-0241 du 29 juillet 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n° 1921325/3-2 du 13 janvier 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mars 2022 et 15 février 2023, la compagnie aérienne Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision n° R/19-0241 du 29 juillet 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros ou de la décharger du paiement de cette amende ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner au ministre de l'intérieur de communiquer tout procès-verbal relatif au vol n° 430 du 13 octobre 2019 et/ou relatif à Mme A... et, dans l'attente, de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'amende contestée n'est pas fondée ;
- la compagnie aérienne n'est pas tenue à une obligation de résultat s'agissant du réacheminement des étrangers ;
- les personnels navigants ne peuvent, sauf à commettre une infraction pénale, contraindre un individu à rester assis et attaché sur son siège pendant toute la durée du vol ;
- la passagère avait déjà manifesté un premier refus d'embarquer ;
- la passagère, une fois dans l'avion, a persisté dans son refus de prendre l'avion ;
- aucune escorte n'avait été prévue malgré l'attitude récalcitrante de la passagère ;
- la présence à bord de la passagère présentait un danger pour la sécurité et le bon ordre du vol ;
- le commandant de bord pouvait refuser d'embarquer la passagère à bord de l'appareil.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 janvier 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 23 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 mars 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 ;
- le règlement (CE) n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- la décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu, rapporteure,
- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision n° R/19-0241 du 29 juillet 2019, le ministre de l'intérieur a infligé à la compagnie aérienne Air France, sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 15 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer une passagère, de nationalité indéterminée, qu'elle avait débarquée le 5 mars 2019 en provenance de San José, alors que cette dernière avait fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français. La compagnie aérienne Air France relève appel du jugement du 13 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cette décision ou à ce qu'elle soit déchargée du paiement de l'amende infligée.
Sur les obligations des entreprises de transport aérien :
2. D'une part, en application de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, les États signataires se sont engagés à instaurer l'obligation pour les entreprises de transport de " reprendre en charge sans délai " les personnes étrangères dont l'entrée sur le territoire de ces États a été refusée et de les ramener vers un État tiers. Selon l'article 3 de la directive 2001/51/CE du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l'entrée dans l'espace Schengen est refusée. L'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, pris pour la transposition de cette directive, devenu l'article L. 333-3, dispose : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ". Le 1 de l'article L. 625-7 du même code, dans la rédaction alors applicable, déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 et devenu l'article L. 821-10, prévoit qu'est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 euros " L'entreprise de transport aérien ou maritime qui ne respecte pas les obligations fixées aux articles L. 213-4 à L. 213-6 ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6522-3 du code des transports : " Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l'équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef ". Aux termes de l'annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion, alors en vigueur : " OPS 1085. Responsabilité de l'équipage / Le commandant de bord (...) a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d'arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants. (...) OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L'exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants. Le transport d'une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ".
4. Il résulte de ces dispositions et, s'agissant de celles de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, que les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, la prise en charge et le transport des personnes de nationalité étrangère non admises sur le territoire français. Elles doivent établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés, sans que les en dispense la faculté donnée au commandant de bord par l'article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Ces dispositions n'ont toutefois ni pour objet, ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant de la seule compétence des autorités de police.
5. Pour déterminer s'il y a lieu de sanctionner l'entreprise de transport et fixer le montant de la sanction prévue par l'article L. 625-7, devenu L. 821-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement. Mais l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu'il n'incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l'intéressé et qu'il ne lui appartient pas d'exercer sur lui une contrainte, constitue une circonstance exonératoire.
Sur le bien-fondé de l'amende :
6. D'une part, il résulte de l'instruction que les services de la police aux frontières de l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ont, le 11 mars 2019, requis la compagnie aérienne Air France pour assurer sans délai, par un vol AF n° 430 prévu le 13 mars 2019 à 13h50 ou par tout autre moyen, le réacheminement vers San José de Mme A..., celle-ci ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire français, le 5 mars 2019. Par un procès-verbal du 13 mars 2019, ces services ont constaté le défaut de réacheminement de Mme A..., du fait du refus du commandant de bord de prendre en charge l'intéressée.
7. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment de ce procès-verbal, qu'il a été procédé à l'embarquement de Mme A... par l'escabeau installé à l'arrière de l'appareil et que l'intéressée, accompagnée d'une escorte policière, a pénétré dans l'avion. Il ne saurait donc être reproché à la compagnie aérienne Air France de n'avoir pas mis en place une procédure de nature à permettre ce réacheminement. Le ministre soutient qu'il ne ressort pas de ce même procès-verbal que Mme A... aurait montré de l'agitation ou un comportement pouvant amener le commandant de bord à refuser de la prendre en charge. Toutefois, il ressort de la décision du commandant de bord de débarquer l'intéressée, qui avait déjà fait l'objet d'une première tentative de réacheminement restée vaine, qu'elle a été prise au regard de " l'absence d'escorte et du refus d'embarquer " et ainsi, en l'absence d'élément de nature à contredire la position du commandant de bord, de l'impossibilité d'assurer la sécurité du vol. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, la compagnie aérienne est fondée à demander l'annulation de la sanction qui lui a été infligée et la décharge du paiement de l'amende.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de répondre aux conclusions de l'appelante tendant à la communication de pièces, que la compagnie aérienne Air France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision n° R/19-0241 du 29 juillet 2019 du ministre de l'intérieur lui infligeant une amende de 15 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1921325/3-2 du 13 janvier 2022 et la décision n° R/19-0241 du 29 juillet 2019 du ministre de l'intérieur sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la compagnie aérienne Air France une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la compagnie aérienne Air France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente,
- Mme Briançon, présidente-assesseure,
- Mme d'Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2023.
La rapporteure, La présidente,
L. d'ARGENLIEU
M. HEERS
La greffière,
V. BREMELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA01271