Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 18 août 2021 par lequel le ministre de l'intérieur lui a refusé l'entrée sur le territoire français au titre de l'asile et a décidé de son réacheminement vers le Sénégal.
Par un jugement n° 2117754 du 30 août 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Berdugo, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2117754 du 30 août 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 18 août 2021 du ministre de l'intérieur ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- le jugement est entaché d'irrégularité pour méconnaître les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles L. 352-4 et L. 352-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il n'a pas été présenté à l'audience de première instance ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
- il n'a pas obtenu la communication de l'enregistrement sonore prévu par les dispositions de l'arrêté du 31 juillet 2015 pris pour l'application du II de l'article L. 723-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, avant l'audience devant le tribunal, malgré sa demande ;
- les droits de la défense ont été méconnus dès lors que ne lui a pas été notifié, lors de sa rétention, son droit de contacter des associations autres que le représentant du Haut-Commissariat aux Réfugiés et que sa convocation lui a été remise en français, langue qu'il ne comprend pas ;
- le recours à un interprète par téléphone, qui n'est pas justifié, lui a porté préjudice ;
- le ministre de l'intérieur s'est estimé, à tort, lié par l'avis de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;
- le refus d'entrée est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de réacheminement méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés,
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Perroy,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public,
- les observations de Me Simon pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant malien né le 31 décembre 1987, est arrivé à l'aéroport Roissy Charles de Gaulle le 15 août 2021, en provenance du Sénégal, et a déposé une demande d'entrée en France au titre de l'asile. Par une décision du 18 août 2021, le ministre de l'intérieur, après avis de l'OFPRA, lui a refusé l'entrée sur le territoire français et a ordonné son réacheminement vers le Sénégal ou vers tout pays dans lequel il sera légalement admissible, le cas échéant. Par sa requête, M. A... relève appel du jugement du 30 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 352-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui a fait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile (...) peut, dans les quarante-huit heures suivant la notification de ces décisions, en demander l'annulation au président du tribunal administratif (...) L'étranger peut demander au président du tribunal ou au magistrat désigné à cette fin le concours d'un interprète. L'étranger est assisté de son conseil s'il en a un. Il peut demander au président ou au magistrat désigné à cette fin qu'il lui en soit désigné un d'office ". Aux termes de l'article L. 352-5 de ce même code : " Lorsque l'étranger conteste la décision de refus d'entrée, conformément à l'article L. 352-4, l'audience se tient dans les locaux du tribunal administratif compétent. L'audience peut également se tenir dans la salle d'audience de la zone d'attente. Dans ce cas le président du tribunal ou le magistrat désigné à cette fin peut siéger au tribunal dont il est membre. Les salles d'audience sont alors reliées en direct par un moyen de communication audiovisuelle garantissant la confidentialité de la transmission. (...) L'étranger est assisté de son conseil s'il en a un (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions et de l'objet de cette procédure que l'étranger qui a formé un recours contre la décision lui refusant l'entrée sur le territoire français au titre de l'asile doit, même s'il est assisté d'un avocat, être personnellement convoqué à l'audience et mis à même d'y être effectivement présenté par les autorités compétentes.
4. Il ressort des visas du jugement attaqué que M. A..., retenu à la zone d'attente de l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, n'a pas été présenté à l'audience qui s'est tenue au tribunal administratif de Paris le 30 août 2021 et qu'il n'a pas davantage bénéficié du dispositif prévu à l'article L. 352-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que le retenu avait manifesté son souhait de participer à l'audience en demandant, comme en atteste la convocation à l'audience signée le 20 août 2021, à y être assisté par un avocat commis d'office et à bénéficier du concours d'un interprète. Dès lors, en statuant sur la demande de M. A... sans avoir vérifié que ce dernier avait été mis à même de se présenter à l'audience, le tribunal a entaché le jugement attaqué d'une irrégularité. Ce jugement doit, par suite, être annulé.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 18 août 2021 du ministre de l'intérieur :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 531-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation au livre III du code des relations entre le public et l'administration, lorsque l'entretien personnel a fait l'objet d'une transcription et d'un enregistrement sonore, le demandeur ne peut avoir accès à cet enregistrement qu'après la notification de la décision négative de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sur la demande d'asile et pour les besoins de l'exercice d'un recours contre cette décision. Cet accès, qui se fait dans des conditions sécurisées définies par arrêté du ministre chargé de l'asile, peut être obtenu auprès de l'office ou, en cas de recours, auprès de la Cour nationale du droit d'asile. Dans le cas d'un recours exercé en application de l'article L. 352-4, cet accès peut également être rendu possible auprès du tribunal administratif (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 31 juillet 2015 pris pour l'application de ces dispositions : " L'étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile a accès à l'enregistrement après la notification du refus d'entrée visée à l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et pour les besoins de l'exercice du recours contre cette décision. ". Aux termes de l'article 5 du même arrêté : " Lorsque le tribunal administratif est saisi d'un recours contre une décision de refus d'entrée en France au titre de l'asile en application de l'article L.213-9 du même code, l'office donne accès à l'enregistrement sonore à distance, selon des modalités sécurisées, sur demande du requérant ou du tribunal ".
7. M. A..., qui a bénéficié d'un entretien individuel avec un officier de protection de l'OFPRA le 18 août 2021, soutient qu'il n'a pas pu vérifier la conformité à ces propos de la transcription qui a été faite de cet entretien. Cependant, d'une part, s'il soutient qu'il n'a pas pu signer la transcription de l'audition et que son auteur n'est pas connu, dès lors qu'aucun nom ni signature n'y figure, aucun texte ne prévoit de telles formalités. D'autre part, s'il soutient qu'il n'a pas été mis à même de relire la transcription de ses déclarations, et ainsi qu'il n'a pas été en mesure d'en vérifier la concordance avec les propos qu'il a tenus, il n'établit pas, ni même n'allègue, qu'il en aurait sollicité la communication. En tout état de cause, l'intéressé ne se prévaut explicitement d'aucune contradiction ou différence entre le rapport écrit et les propos qu'il a tenus lors de l'audition, de sorte qu'il n'établit pas que cette circonstance aurait été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision litigieuse, ni qu'elle l'aurait privé d'une garantie. Enfin, si M. A... expose qu'il n'a pas reçu la communication de l'enregistrement sonore de son entretien avec un officier de protection de l'OFPRA avant l'audience tenue au tribunal administratif de Paris, il n'apporte aucun élément susceptible de jeter un doute sur la fidélité de la retranscription de ses propos, et n'établit pas ni même n'allègue que l'absence d'une telle communication le priverait de la possibilité de contester utilement la teneur du procès-verbal de transcription de l'entretien, ou de son droit de faire valoir devant le juge tout élément lui permettant de démontrer que sa demande d'asile n'était pas manifestement infondée. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la transcription de l'entretien individuel de M. A... avec un officier de protection de l'OFPRA doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 351-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d'asile, il est informé sans délai, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de la procédure de demande d'asile et de son déroulement, de ses droits et obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l'aider à présenter sa demande. (...) ".
9. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 351-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ont assuré la transposition de l'article 12 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, que l'étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile doit être informé du déroulement de la procédure dont il fait l'objet et des moyens dont il dispose pour satisfaire à son obligation de justifier du bien-fondé de sa demande. Ces dispositions impliquent notamment que l'étranger soit informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, de la possibilité non seulement d'entrer en contact et de se faire assister d'un représentant d'une association ou de tout autre organisation qui fournit des conseils juridiques ou d'autres orientations aux demandeurs mais aussi de communiquer avec un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
10. En l'espèce, il ressort du procès-verbal du 17 août 2021 transcrivant l'entretien de notification des droits et obligations du demandeur d'asile, conduit avec l'aide d'un interprète en langue bambara, que M. A... a été informé de la possibilité de se faire assister au cours de son entretien auprès de l'OFPRA par un avocat ou par une association dont le nom figure sur la liste établie par l'OFPRA et de la possibilité de communiquer avec un représentant du HCR. Il est par ailleurs constant que des affichages rédigés en plusieurs langues existent dans la zone d'attente, indiquant la liste des associations humanitaires habilitées et précisant leurs coordonnées. Alors même qu'il n'existe pas d'affiche en langue bambara, il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. A... a été effectivement informé, dans une langue qu'il comprend, par le truchement d'un interprète lors de l'entretien précédemment évoqué, de la possibilité de se faire assister d'un représentant d'une association habilitée à fournir des conseils juridiques ou d'autres orientations aux demandeurs d'asile, et qu'il a effectivement eu accès à la liste des associations en cause. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 351-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
12. M. A... soutient qu'il n'a bénéficié des services d'un interprète en langue bambara que par téléphone, alors que la condition de nécessité fixée par les dispositions précitées n'était pas établie, et ajoute que cette circonstance l'a privé d'une garantie dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de fournir les précisions et nuances susceptibles d'éclairer sa situation. Toutefois, le requérant n'apporte aucun élément sur la nature des précisions qu'il aurait souhaité apporter et n'établit pas, ni même n'allègue, qu'il aurait eu des difficultés de compréhension et d'interaction avec l'interprète. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le recours à cette méthode d'interprétariat aurait eu une incidence sur le sens de la décision litigieuse ou aurait privé M. A... d'une garantie. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
13. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur, qui a relevé, au vu de l'avis de l'OFPRA du 18 août 2021, le caractère manifestement infondé de la demande d'asile de M. A..., a exercé son propre pouvoir d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé. Dès lors, les moyens tirés de l'erreur de droit et de ce que le ministre se serait estimé en situation de compétence liée ne peuvent qu'être écartés.
14. En cinquième lieu, M. A..., selon le compte-rendu d'entretien précité avec le représentant de l'OFPRA, a expliqué qu'il avait quitté son pays d'origine à raison de craintes pour sa sécurité, liées à son homosexualité. Toutefois, son récit, vague et peu circonstancié, notamment au regard des circonstances dans lesquelles son homosexualité aurait été découverte, et qui n'est étayé par aucune pièce, ne permet pas de caractériser l'existence de menaces de persécution actuelles et personnelles dirigées contre lui. Or M. A..., qui selon les termes de la requête demeure à Montreuil, ne s'est pas présenté à l'audience à la Cour, de sorte qu'il n'a apporté aucun élément complémentaire à l'appui de ses allégations. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que le ministre de l'intérieur, en estimant que la demande formulée par M. A... apparaissait comme dénuée de toute crédibilité et devait être considérée comme manifestement infondée, aurait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
15. En sixième lieu, M. A... soutient qu'il serait exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour au Sénégal en raison de son homosexualité. Toutefois, M. A... n'établit pas, ainsi qu'il vient d'être dit, qu'il serait exposé à des risques actuels et personnels en cas de retour au Sénégal. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 18 août 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé l'entrée sur le territoire français au titre de l'asile et a décidé de son réacheminement vers le Sénégal ou, le cas échéant, vers tout pays vers lequel il sera légalement admissible. Ses conclusions à fins d'annulation de cette décision et d'injonction ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2117754 du 30 août 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris et le surplus de ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- M. Aggiouri, premier conseiller,
- M. Perroy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.
Le rapporteur,
G. PERROY
La présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA04994