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05/07/2023 | FRANCE | N°22PA02219

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 05 juillet 2023, 22PA02219


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Babel Stratégie et Création a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 septembre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant total de 40 000 euros en raison de manquements aux dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce relatives aux délais de paiement et a ordonné la publication de cette sanction

durant six mois.

Par un jugement n° 2019649/2-1 du 15 mars 2022, le trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Babel Stratégie et Création a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 septembre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant total de 40 000 euros en raison de manquements aux dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce relatives aux délais de paiement et a ordonné la publication de cette sanction durant six mois.

Par un jugement n° 2019649/2-1 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 17 septembre 2020 en tant qu'elle ordonne la publication de la sanction durant six mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 mai 2022, la société Babel Stratégie et Création, représentée par Me Tricot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 15 mars 2022 en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande de première instance ;

2°) d'annuler la décision du 17 septembre 2020 du DIRECCTE d'Île-de-France en ce qu'elle lui inflige une amende administrative d'un montant total de 40 000 euros ;

3°) d'ordonner à l'administration de lui restituer la somme de 40 000 euros ;

4°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'amende infligée ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision litigieuse est motivée de manière erronée et insuffisante dès lors qu'elle mentionne les dispositions de l'article L. 470-2 du code de commerce et ne fait pas état de son recours gracieux ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'administration ne l'a pas informée de la possibilité d'exercer un recours hiérarchique ; ce manquement est à l'origine d'une méconnaissance des droits de la défense, l'ayant privée de la possibilité d'expliquer ses difficultés financières au ministre de l'économie et des finances ;

- l'exécution de la décision du 17 septembre 2020 lui a causé un préjudice important en ce que la publication de la sanction a duré dix-huit mois ; ce préjudice n'est pas réparé par l'annulation prononcée par les premiers juges, laquelle n'a pas eu pour elle de conséquence positive ;

- les manquements qui lui sont reprochés résultent d'usages et de particularités contractuelles communs à l'ensemble des agences de communication ;

- sa bonne foi et sa coopération avec l'administration doivent être prises en compte, de même que la mise en place d'un système d'affacturage et les difficultés financières qu'elle a rencontrées.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 22 décembre 2022.

Vu :

- le code de commerce,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Mme B..., représentant le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Babel Stratégie et Création exerce une activité d'agence de publicité et de communication. Elle a fait l'objet d'un contrôle par les services de la DIRECCTE d'Île-de-France portant sur son respect des dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement interentreprises. Des manquements à cet égard ont été constatés par un procès-verbal établi le 8 avril 2019. Par un courrier du 30 avril 2019, reçu le 6 mai 2019, la société a été informée de l'intention de l'administration de lui infliger une amende d'un montant de 211 000 euros, assortie d'une publication de la sanction pendant douze mois. La société requérante a présenté des observations orales puis écrites. Par une première décision du 9 décembre 2019, la DIRECCTE a infligé à l'intéressée une amende d'un montant de 123 000 euros, assortie d'une publication de la sanction pendant douze mois. Par un courrier du 30 janvier 2020, la société requérante a formé un recours administratif contre cette décision. Par une décision du 17 septembre 2020, le DIRECCTE d'Île-de-France a partiellement fait droit à ce recours en ramenant le montant de l'amende administrative à 40 000 euros et la durée de publication de cette sanction à six mois. La société Babel Stratégie et Création relève appel du jugement du 15 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cette dernière décision en tant seulement qu'elle lui inflige une sanction complémentaire de publication d'une durée de six mois et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

2. Si, en matière d'édiction de sanctions administratives sont seuls punissables les faits constitutifs d'un manquement à des obligations définies par des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur à la date où ces faits ont été commis, en revanche, et réserve faite du cas où il en serait disposé autrement, s'appliquent immédiatement les textes fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure à suivre, alors même qu'ils conduisent à réprimer des manquements commis avant leur entrée en vigueur. N'ont toutefois pas à être réitérés des actes de procédure régulièrement intervenus.

3. Aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce : " I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre (...) III. - Les manquements passibles d'une amende administrative sont constatés par procès-verbal, selon les modalités prévues à l'article L. 450-2. / IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. / Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende. / (...) ". Aux termes de l'article R. 470-2 du même code : " I. - L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 470-2 est : / (...) / 3° Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ou son représentant nommément désigné ; (...) / II. - La décision mentionnée à l'article L. 470-2 peut être contestée par la personne qui en fait l'objet devant le ministre chargé de l'économie. Ce recours est exclusif de tout autre recours hiérarchique. ". Enfin, aux termes de l'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. / Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés. ".

4. En premier lieu, la société Babel Stratégie et Création soutient que la décision du 17 septembre 2020 n'est pas suffisamment motivée dès lors qu'elle mentionne les dispositions de l'article L. 470-2 du code de commerce et ne fait pas état de son recours administratif. Toutefois, d'une part, cette décision a été prise en application, notamment, des dispositions précitées de l'article L. 470-2, qui régissent les formes de la procédure de sanction, et qui devaient donc être visées par ladite décision. D'autre part, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'imposait à l'administration de faire état du recours formé par l'intéressée. Le moyen tiré d'un défaut de motivation doit par suite être écarté.

5. En deuxième lieu, la société appelante soutient que l'administration ne l'a pas informée de la possibilité d'exercer un recours hiérarchique et l'a ainsi privée de la possibilité d'expliquer ses difficultés financières au ministre de l'économie et des finances. Toutefois, l'administration n'est tenue de faire figurer dans la notification de ses décisions que les délais et voies de recours contentieux ainsi que les voies et délais des recours administratifs préalables obligatoires. Il lui est loisible d'y ajouter la mention des recours gracieux et hiérarchiques facultatifs, à la condition toutefois qu'il n'en résulte pas des ambiguïtés de nature à induire en erreur les intéressés dans des conditions telles qu'ils pourraient se trouver privés du droit à un recours contentieux effectif. Par suite, alors en tout état de cause que les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur sa légalité, que la possibilité d'effectuer un recours administratif, gracieux et/ou hiérarchique, était indiquée dans la décision initiale du 9 décembre 2019, et que la société Babel Stratégie et Création a formé un recours administratif le 30 janvier 2020, la DIRECCTE d'Île-de-France n'a pas méconnu le principe du contradictoire en prenant la décision du 17 septembre 2020.

6. En troisième lieu, si la société requérante fait valoir que la publication de la sanction contestée lui a causé un préjudice qui n'a pas été réparé par les premiers juges, il est constant, d'une part, que le jugement attaqué a annulé la sanction complémentaire de publication et, d'autre part, que l'intéressée n'a formé aucune demande indemnitaire devant l'administration ni présenté de conclusions indemnitaires en première instance. Dans ces conditions, elle ne peut utilement se prévaloir d'un préjudice qu'elle aurait subi à l'encontre de la décision litigieuse, et elle n'est pas recevable à soulever en appel un moyen dirigé contre la sanction de publication prévue par la décision du 17 septembre 2020.

7. En dernier lieu, aux termes du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa version applicable à la date de constatation des manquements par un procès-verbal du

8 avril 2019 et dont les dispositions sont reprises, depuis le 26 avril 2019, au I de l'article L. 441-10 et au II de l'article L. 441-11 du même code : " (...) Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier (...) Nonobstant les dispositions précédentes, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane, les délais de paiement convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d'émission de la facture. ". Aux termes du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa version applicable à la date de constatation des faits, comme aux termes de l'article L. 441-16 de ce code applicable à compter du 26 avril 2019, qui en reprend la substance, sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder deux millions d'euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement ainsi fixés.

8. La société Babel Stratégie et Création, qui ne conteste pas la matérialité des manquements sanctionnés, se prévaut de sa bonne foi et de sa coopération avec l'administration par la mise en place d'un système d'affacturage. Elle indique en outre que ces manquements résultent d'usages et de particularités contractuelles communs à l'ensemble des agences de communication. Elle soutient enfin que ses difficultés financières doivent être prises en compte et justifient, à titre subsidiaire, une minoration du montant de l'amende qui lui a été infligée. Il résulte cependant de l'instruction que, dans le cadre des échanges contradictoires dont les étapes procédurales sont exposées au point 1 du présent arrêt, les arguments exposés par la société requérante ont été examinés par l'administration qui, si elle avait initialement envisagé l'infliction d'une amende d'un montant de 211 000 euros, a d'abord ramené celui-ci à 123 000 euros, puis à 40 000 euros. Quant à la mise en place de mesures correctives d'affacturage, elle est postérieure à la constatation des manquements et est par suite sans incidence sur le bien-fondé de la décision litigieuse. Enfin, le législateur n'a pas prévu de dérogation au respect des règles fixées par les dispositions précitées du code de commerce en raison des spécificités alléguées des agences de communication. La société Babel Stratégie et Création n'est dès lors pas fondée à soutenir que le DIRECCTE d'Île-de-France aurait inexactement appliqué lesdites dispositions en lui infligeant la sanction contestée, ni à demander la réduction du montant de l'amende qu'elle prévoit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Babel Stratégie et Création n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 septembre 2020 en tant qu'elle lui inflige une amende de 40 000 euros. Ses conclusions à fin d'annulation doivent donc être rejetées ainsi, par voie de conséquence, que ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Babel Stratégie et Création est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Babel Stratégie et Création et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02219


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02219
Date de la décision : 05/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : KPMG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-05;22pa02219 ?
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