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04/07/2023 | FRANCE | N°22PA02803

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 04 juillet 2023, 22PA02803


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Solotrat a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la condamnation du département du Val-de-Marne à lui verser la somme de 320 245,12 euros correspondant au solde des travaux effectués dans le cadre du marché n°2007-2325 et, subsidiairement, la somme de 55 563,02 euros correspondant à la retenue de garantie, sommes augmentées des intérêts légaux à compter du 29 juillet 2011 et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n°1809145 du 17 mai 2022,

le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Solotrat a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la condamnation du département du Val-de-Marne à lui verser la somme de 320 245,12 euros correspondant au solde des travaux effectués dans le cadre du marché n°2007-2325 et, subsidiairement, la somme de 55 563,02 euros correspondant à la retenue de garantie, sommes augmentées des intérêts légaux à compter du 29 juillet 2011 et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n°1809145 du 17 mai 2022, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 17 juin 2022 et des mémoires ampliatifs, enregistrés les 25 et 26 juillet 2022, la société Solotrat, représentée par Me Delvolve, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 mai 2022 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser la somme de 320 245,12 euros correspondant au solde des travaux effectués dans le cadre du marché n°2007-2325 et, subsidiairement, la somme de 55 563,02 euros correspondant à la retenue de garantie, sommes augmentées des intérêts légaux majorés à compter du 29 juillet 2011 et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge du département du Val-de-Marne la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

-la créance litigieuse n'est pas prescrite dès lors, d'une part, que le point de départ de la créance est constitué par la réception de l'ouvrage sans réserve le 29 juillet 2011 et, d'autre part, que les recours formés devant le juge judiciaire ont interrompu la prescription quadriennale ;

- cette créance est fondée dans son quantum.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2023, le département du

Val-de-Marne, représenté par Me Gauch, conclut au rejet de la requête et demande en outre qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société Solotrat au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Solotrat sont infondés.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 22 février 2023, la société Solotrat maintient ses conclusions par les mêmes moyens.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2023 à 9 heures 42, le département du Val-de-Marne maintient ses conclusions par les mêmes moyens.

Par une ordonnance du 21 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au

21 mars 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 ;

- la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pagès,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rasamoelima pour le département du Val-de-Marne.

Considérant ce qui suit :

1. Le département du Val-de-Marne a entrepris la reconstruction du collège " le Centre " et du centre d'information et orientation à Villejuif. Le marché a été attribué à la société Levaux qui a sous-traité une partie du lot n°1 à la société Solotrat par un contrat en date du 6 avril 2007. Le département du Val-de-Marne a accepté cette sous-traitance et a agréé les conditions de paiement par un acte spécial du 14 mai 2007, modifié le 19 janvier 2009, pour un montant de 394 318,21 euros toutes taxes comprises. Le 23 novembre 2007, la société Solotrat a transmis à la société Levaux et au département du Val-de-Marne son décompte général et définitif pour un montant de 425 281,23 euros. Faute de paiement de la part de la société Levaux, la société Solotrat a assigné cette dernière devant le tribunal de commerce d'Evry par acte d'huissier du 22 octobre 2008. Par plusieurs décisions de ce tribunal, confirmées en dernier lieu par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 avril 2012, la société Levaux a été condamnée à payer, à titre principal, la somme de 425 281,23 euros à la société Solotrat. La société Levaux a été placée en liquidation judiciaire le 9 juillet 2012. La société Solotrat a alors saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Melun. Par une ordonnance n° 1505176 du 29 juillet 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a condamné le département du Val-de-Marne à verser à la société Solotrat une provision de 250 000 euros en application du régime du paiement direct, assortie des intérêts moratoires à compter du 27 décembre 2007. Par une ordonnance n°16PA02774 du 19 octobre 2016, le juge des référés de la Cour administrative d'appel de Paris a annulé l'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Melun et a rejeté la demande de provision présentée par la société Solotrat. Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt du Conseil d'Etat n° 404841 du 10 mars 2017. La société Solotrat a réclamé au département du Val-de-Marne, par un courrier en date du 26 octobre 2018, le paiement direct de la somme de 320 245,12 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 29 juillet 2011. La société Solotrat a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la condamnation du département du Val-de-Marne à lui verser la somme de

320 245,12 euros. Par un jugement du 17 mai 2022, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. La société Solotrat relève appel de ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " L'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d'acceptation. / Passé ce délai, l'entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 116 du code des marchés publics tel qu'en vigueur à la date de signature du marché en cause : " Le sous-traitant adresse sa demande de paiement libellée au nom du pouvoir adjudicateur au titulaire du marché, sous pli recommandé avec accusé de réception, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé. / Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la signature de l'accusé de réception ou du récépissé pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée par lui dans le marché. / Le sous-traitant adresse également sa demande de paiement au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée dans le marché par le pouvoir adjudicateur, accompagnée des factures et de l'accusé de réception ou du récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande ou de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 modifiée relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, applicable en l'espèce : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) ". Les dispositions de l'article 2 de la loi du

31 décembre 1968 subordonnent l'interruption du délai de la prescription quadriennale en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique. Le recours intenté devant les juridictions commerciales par un sous-traitant contre le seul entrepreneur principal sans avoir mis en cause la collectivité publique ne peut avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription à l'égard de cette dernière.

4. Il résulte de l'instruction que la société Solotrat, sous-traitante agréée par le département du Val-de-Marne, a adressé à la fois à l'entrepreneur principal, la société Levaux et au maître de l'ouvrage, son décompte général définitif relatif aux travaux effectués en exécution du lot n°1 du marché de reconstruction du collège " le Centre " et du centre d'information et orientation à Villejuif. Il n'est pas contesté que le décompte a été réceptionné par le département du Val-de-Marne le 26 novembre 2007. La société Levaux, qui pouvait jusqu'au

11 décembre 2007 faire valoir son acceptation ou son refus motivé, l'a implicitement accepté. Par suite, la société Solotrat, sous-traitante, disposait d'un droit acquis, c'est-à-dire d'une créance certaine et exigible à l'égard du maître de l'ouvrage, à l'expiration du délai de quinze jours suivant la réception par l'entrepreneur principal de la demande de paiement en vertu de l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975. Comme l'ont estimé à juste titre les premiers juges, le point de départ de la prescription quadriennale était donc le 11 décembre 2007, et non comme le soutient la société requérante le 29 juillet 2011 date de la réception définitive des travaux ou la date du décompte général et définitif de la société Levaux.

5. Il résulte également de l'instruction qu'à défaut d'avoir obtenu le paiement des travaux qu'elle a réalisés pour la société Levaux, entrepreneur principal, la société Solotrat, sous-traitante, l'a assignée par acte d'huissier, en date du 22 octobre 2008, devant le tribunal de commerce d'Evry, afin d'obtenir ce paiement. Par un jugement du 19 novembre 2009, confirmé par la Cour d'appel de Paris le 13 avril 2012, ce tribunal a fait droit à sa demande. Toutefois, conformément à ce qui a été dit au point 3, ces actions judiciaires, dirigées contre le seul entrepreneur principal, n'étaient pas de nature à interrompre le délai de la prescription quadriennale à l'égard de la collectivité publique, maître de l'ouvrage. Dès lors, la créance détenue par la société Solotrat à l'égard du département du Val-de-Marne était prescrite à compter du 1er janvier 2012 et l'action de la société requérante prescrite à la date à laquelle elle a introduit sa demande indemnitaire préalable, le 26 octobre 2018 ou même sa requête en référé provision le 30 juin 2015. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à demander le paiement de la somme de 320 245,12 euros au département du Val-de-Marne.

6. Enfin, la société requérante demande à titre subsidiaire la condamnation du département à lui verser une somme de 55 563,02 relative à la retenue de garantie. Aux termes de l'article 8.2 du contrat de sous-traitance " conformément à la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971, une retenue de garantie de 5% est pratiquée sur les règlements mensuels et définitifs de l'entreprise sous-traitante ". L'article 8-1 du même contrat stipulait que cette garantie serait libérée après la réception des travaux. L'article 103 du code des marchés publics en vigueur à la date de réception des travaux disposait que " La retenue de garantie est remboursée un mois au plus tard après l'expiration du délai de garantie ", la date d'expiration de ce délai correspondant à celle de l'expiration du délai d'une année à compter de la date de réception des travaux. En l'espèce, aucune réserve n'ayant été faite par le maître d'ouvrage à la réception des travaux ainsi qu'il ressort de la décision de réception sans réserve du 29 juillet 2011, la société avait droit à la libération de sa caution un an après et le délai de prescription quadriennale a donc commencé à courir pour cette somme le 1er janvier 2013. Il n'était donc pas expiré à la date de saisine du juge des référés du Tribunal administratif de Melun le 30 juin 2015. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la provision, dont la requérante demandait le versement au juge des référés, aurait inclus cette retenue de garantie et cette action en référé n'a donc pas interrompu la prescription sur ce point. Par suite, la créance détenue par la société au regard du département et correspondant à la retenue de garantie était prescrite à date de la demande préalable formée par la société en 2018. Dès lors, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées à titre subsidiaire et tendant au paiement de la somme de 55 563,02 euros.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Solotrat n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

8. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Solotrat une somme de 1 500 euros au titre du même article.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Solotrat est rejetée.

Article 2 : La société Solotrat versera une somme de 1 500 euros au département du

Val-de-Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Solotrat et au département du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2023.

Le rapporteur,

D. PAGES

Le président,

T. CELERIER

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02803


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02803
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : DELVOLVE LOUIS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-04;22pa02803 ?
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