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28/06/2023 | FRANCE | N°21PA04331

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 28 juin 2023, 21PA04331


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son épouse et lui ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, des intérêts de retard et majorations pour manquement délibéré correspondants ainsi que des amendes qui leur ont été infligées pour non déclaration de comptes à l'étranger.

Par un jugement n° 1909583 du 30 mars 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a, aux ar

ticles 1er et 2, déchargé M. et Mme B... des cotisations d'impôt sur le revenu mises à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son épouse et lui ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, des intérêts de retard et majorations pour manquement délibéré correspondants ainsi que des amendes qui leur ont été infligées pour non déclaration de comptes à l'étranger.

Par un jugement n° 1909583 du 30 mars 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a, aux articles 1er et 2, déchargé M. et Mme B... des cotisations d'impôt sur le revenu mises à leur charge à concurrence de la réduction de leurs bases correspondant aux sommes facturées à la société Mercury Services par les sociétés A... C... B... et Zumina Torres Gonçalves B..., à l'article 3, prononcé la décharge des majorations pour manquement délibéré mises à leur charge au titre des années 2012 et 2013, à l'article 4, assorti les cotisations supplémentaires restant à leur charge de la majoration de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts, à l'article 5, mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, enfin, à l'article 6, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 juillet 2021, le 22 décembre 2021 et le 22 août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1, 2, 3, et 5 du jugement n° 1909583 du 30 mars 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de rétablir M. et Mme B... au rôle de l'impôt sur le revenu des années 2012 et 2013 à hauteur des droits et pénalités dont la décharge a été prononcée par le jugement attaqué.

Il soutient que :

- les conclusions d'appel incident dirigées contre les amendes infligées en application du IV de l'article 1736 du code général des impôts sont irrecevables dès lors qu'elles soulèvent un litige distinct de l'appel principal ;

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il a considéré que M. C... B... avait résidé au Portugal pendant plus de 183 jours en 2012 et 2013 ;

- la convention fiscale franco-portugaise ne pouvait pas, comme l'a jugé le Tribunal, faire obstacle à l'application de l'article 155 A du code général des impôts en l'absence de situation de double imposition, puisque l'application de ce texte induit que le prestataire réel des services n'a pas été imposé dans un autre état ;

- il n'est pas établi que M. C... B... aurait résidé au Portugal pendant plus de 183 jours en 2012 et 2013 et les rémunérations imposées entre les mains de M. C... B... sur le fondement de l'article 155 A correspondent à une activité exercée principalement en France, ce qui rend en toute hypothèse inapplicables les dispositions du 2 de l'article 16 de la convention fiscale franco-portugaise sur lesquelles le Tribunal a fondé sa décision ;

- l'intention de M. C... B... d'éluder l'impôt a été établie et c'est par suite à tort que les majorations de 40 % pour manquement délibéré ont été déchargées.

Par des mémoires, enregistrés le 29 novembre 2021 et le 22 juin 2022, M. C... B..., représenté par Me de Crevoisier, demande à la Cour :

1°) de rejeter l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance ;

2°) d'annuler les articles 2, 4 et 6 du jugement attaqué ;

3°) de prononcer la décharge des impositions supplémentaires, en droits, intérêts de retard,

majorations et amendes, maintenues à la charge de son foyer fiscal par le premier juge ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à titre principal, n'étant pas résident fiscal en France en 2012 et 2013 par application de la loi française comme de la convention fiscale franco-portugaise, et ayant effectué ses prestations au Portugal, l'article 155 A du code général des impôts n'était pas applicable pour fonder les impositions en litige ;

- à titre subsidiaire, les rémunérations facturées par les sociétés de droit portugais n'étaient pas imposables en France par application de l'article 16 de la convention fiscale franco-portugaise dès lors que les prestations en cause ont été réalisées au Portugal ;

- l'article 155 A du code général des impôts est inapplicable aux sommes facturées par la société Exa Logistics qui a son siège en France ;

- la mise en œuvre de l'article 155 A est contraire aux principes de libre prestation de service et de liberté d'établissement ;

- l'administration a fondé les impositions de ces sommes sur le seul article 79 du code général des impôts ;

- la procédure d'imposition des sommes facturées par Exa Logistics sur le fondement implicite de l'abus de droit est irrégulière, faute de mise en œuvre de la procédure de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- les amendes pour non déclaration de comptes bancaires à l'étranger ne sont pas fondées dès lors qu'il n'était pas résident fiscal en France en 2012 et 2013 ;

- à titre très subsidiaire, les majorations pour manquement délibéré ont été mises en œuvre sans respect des droits de la défense garantis par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elles ne sont pas motivées ;

- elles ne sont pas fondées faute d'intention d'éluder l'impôt.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,

- et les observations de Me de Crevoisier, avocat de M. C... B... .

Une note en délibéré a été produite pour M. C... B... le 13 juin 2023.

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue d'un examen de la situation fiscale personnelle de M. C... B... et de son épouse, l'administration fiscale a mis à leur charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, au titre des années 2012 et 2013, à raison des sommes facturées à la société Mercury Services par les sociétés A... C... B... (LDCA), Zumina Torres Gonçalves B... (ZTGA) et Exa Logistics, assorties des intérêts de retard et majorations pour manquement délibéré, ainsi que deux amendes pour non déclaration de compte bancaire à l'étranger. Par un jugement du 30 mars 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a, par ses articles 1er et 2, réduit les bases de l'impôt sur le revenu auquel M. C... B... a été assujetti au titre des années 2012 et 2013 à concurrence des sommes correspondant à celles facturées à la société Mercury Services par les sociétés A... C... B... et Zumina Torres Gonçalves B... et prononcé la décharge correspondante en droits et intérêts de retard, par son article 3, prononcé la décharge des majorations pour manquement délibéré au titre des années 2012 et 2013, par son article 4, assorti les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu restant à la charge des contribuables de la majoration de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts, par son article 5, mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et enfin, par son article 6, rejeté le surplus des conclusions de M. B... tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu mis à leur charge au titre des sommes facturées par la société Exa Logistics.

2. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance dit être regardé comme demandant à la Cour d'annuler les articles 1, 2, 3, et 5 de ce jugement, qui lui sont défavorables, et de rétablir M. et Mme B... au rôle de l'impôt sur le revenu des années 2012 et 2013 à hauteur des droits et pénalités dont la décharge a été prononcée par ce jugement. M. C... B... demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation des articles 2, 4 et 6 de ce même jugement et la décharge des impositions supplémentaires, en droits, intérêts de retard, majorations, ainsi que des amendes maintenues à la charge de son foyer par le Tribunal.

Sur la recevabilité de l'appel incident :

3. Des conclusions incidentes portant sur une pénalité qui ne peut être regardée comme afférente à l'imposition sur laquelle porte l'appel principal soulèvent un litige distinct et ne sont, dès lors, pas recevables après l'expiration du délai d'appel. Par suite, dès lors que l'appel principal du ministre ne porte que sur les cotisations supplémentaires, en droit, intérêts et majorations, d'impôt sur le revenu dont le Tribunal a prononcé la décharge, M. C... B... n'est pas recevable à présenter, par la voie de l'appel incident, des conclusions relatives aux deux amendes mises à sa charge en application du IV de l'article 1736 du code général des impôts, à raison de comptes bancaires à l'étranger non déclarés. Ces conclusions doivent par suite être rejetées.

Sur la régularité du jugement :

4. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés "

5. Le Tribunal a prononcé la décharge des impositions relatives aux sommes facturées par les sociétés LDCA et ZTGA au motif que les stipulations du 2. a) de l'article 16 de la convention fiscale franco-portugaise faisaient obstacle à l'imposition en France des rémunérations ainsi perçues par M. C... B..., compte tenu de la durée du séjour de celui-ci au Portugal pour les années 2012 et 2013. En s'étant borné à relever pour cela que " il résulte de l'instruction que M. C... B... a résidé au Portugal pendant plus de 183 jours au cours des années 2012 et 2013 " le Tribunal, compte tenu de l'argumentation respective des parties sur cette durée de séjour, n'a pas suffisamment motivé son jugement. Par suite, le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions relatives aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu relatives aux sommes facturées par les sociétés LDCA et ZTGA, en droits et pénalités.

6. Il y a lieu, pour la Cour, de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande de M. C... B... tendant à la décharge en droits, intérêts de retard et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son épouse et lui ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013 à raison des sommes facturées par ces deux sociétés, et par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions de l'appel incident de M. B....

Sur le domicile fiscal de M. C... B... et de son épouse :

7. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de la détermination du champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

8. En premier lieu, aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française. ". Aux termes du 1. de son article 4 B, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;/ b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ;/ c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. ".

9. Il résulte de l'instruction qu'au cours des années 2012 et 2013 trois des quatre enfants de M. C... B... résidaient dans un logement dont son épouse et lui sont propriétaires en France par l'intermédiaire d'une société civile immobilière, d'eux d'entre eux, mineurs, y étant en outre scolarisés, et que si M. C... B... soutient que son épouse exerçait une activité professionnelle au Portugal, il ne l'établit par aucun élément probant. S'il est constant que

M. C... B..., qui a déclaré des salaires en France, exerçait au Portugal une partie importante de son activité professionnelle, et y séjournait pendant les vacances scolaires, il n'établit pas, par les pièces produites, qu'il y aurait établi son foyer avec son épouse et leur plus jeune enfant mineur, alors que les relevés du compte bancaire dont il est titulaire font état de dépenses alimentaires entre trois et quatre fois plus élevées en France qu'au Portugal, et qu'il avait conclu avec la société Mercury Services un contrat de travail situant le lieu d'exécution de sa prestation de responsable d'agence en France.

10. En second lieu, aux termes de l'article 4 de la convention fiscale conclue entre la France et le Portugal : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. 2. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes : a) Cette personne est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Lorsqu'elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des États contractants, elle est considérée comme résident de l'État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ;".

11. Si l'administration ne conteste pas que M. C... B... était résident dans les deux états contractants, ni qu'il disposait d'un foyer d'habitation permanent en France et au Portugal, il résulte toutefois de l'instruction que le centre de ses intérêts vitaux se situait pour les années en litige en France, où résidaient dans un logement lui appartenant au moins trois de ses quatre enfants ainsi que son épouse, et où était situé le lieu d'exécution de son contrat de travail. Par suite, les stipulations précitées de la convention fiscale franco-portugaise ne font pas obstacle à ce que les contribuables soient regardés comme ayant eu leur domicile fiscal en France en 2012 et 2013.

Sur la régularité de la procédure d'imposition

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) ". L'article R. 57-1 du même livre précise que : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées.

13. Il résulte de l'instruction que les deux propositions de rectification adressées à

M. C... B... et son épouse énoncent l'ensemble des éléments énumérés au point précédent et sont, dès lors, suffisamment motivées, la critique du fondement énoncé dans ces propositions de rectification pour fonder l'imposition des sommes facturées par la société EXA Logistics relevant du seul bien-fondé de cette imposition, et non de sa motivation.

14. En deuxième lieu, pour assujettir le foyer de M. C... B... à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, l'administration s'est bornée à constater que

M. C... B... avait exercé pendant les années 2012 et 2013 une activité imposable en France dont la rémunération avait été versée à l'étranger. Ce faisant l'administration, qui n'a écarté aucun acte comme ne lui étant pas opposable et notamment pas le contrat d'apporteur d'affaires conclu entre la société Mercury et la société de droit portugais A... C... B... et ses avenants, s'est placée exclusivement sur le fondement des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts, lesquelles sont destinées à faire échec à certaines pratiques visant à soustraire à l'impôt sur le revenu français des rémunérations imposables en France. Toutes les conditions étant remplies pour l'application de ces dispositions de l'article 155 A, l'administration pouvait les mettre en œuvre sans rechercher si pouvaient également être appliquées les dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales réprimant les abus de droit. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'administration aurait, même de manière implicite, mis en œuvre la procédure d'abus de droit sans respecter les garanties prévues par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

15. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande.". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration.

16. Il résulte de l'instruction que les éléments recueillis par l'administration fiscale à la suite de la visite domiciliaire du logement de M. C... B... et de la vérification de comptabilité de la société Mercury Services ont été communiqués au contribuable avec la réponse de l'administration à ses observations, par courrier du 2 février 2017. Si le requérant soutient qu'il n'a en revanche pas eu communication des éléments recueillis par l'administration suite à l'exercice du droit de communication auprès des autorités portugaises, il résulte de l'instruction que les impositions en litige n'ont pas été établies sur le fondement de ces éléments, qui n'ont été transmis à l'administration fiscale que postérieurement à l'établissement des deux propositions de rectification des 21 décembre 2015 et 7 octobre 2016. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 76 B précité, et, en conséquence, du principe des droits de la défense, ainsi, et en tout état de cause, que celui tiré de la violation de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne les sommes facturées par les sociétés A... C... B... et Zumina Torres Gonçalves B... :

17. Aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / (...) lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; (...) ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.

18. En premier lieu, les dispositions en question visent uniquement l'imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée en France et ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d'une personne établie ou domiciliée hors de France. En l'absence d'une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette dernière personne, sa liberté de s'établir hors de France et sa liberté de prestation de services, telles que consacrées par le droit de l'Union européenne, ne sont pas, contrairement à ce que soutient M. C... B..., méconnues du fait de la mise en œuvre de ces dispositions pour établir les impositions en litige.

19. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts que la possibilité qu'elles prévoient d'imposer entre les mains d'une personne qui rend des services les sommes correspondant à la rémunération de ces services lorsqu'elles sont perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France n'est pas subordonnée, dans l'hypothèse, mentionnée au I de cet article, où la personne qui rend les services est domiciliée ou établie en France, à la condition que ces services aient été rendus en France. Par suite, dès lors que

M. C... B... était domicilié en France au cours des années 2012 et 2013, la circonstance que les services facturés par les sociétés de droit portugais A... C... B... et Zumina Torres Gonçalves B... auraient été rendus au Portugal est en tout état de cause sans influence sur le bien-fondé des impositions en cause.

20. En troisième lieu, en se bornant à faire valoir que les sociétés A... C... B... et Zumina Torres Gonçalves B... disposaient d'un bureau au Portugal mis à disposition par leur client, la société Mercury Services, M. C... B... n'établit pas que les sommes que leur a versées la société Mercury Services trouveraient leur contrepartie dans une intervention propre de ces deux sociétés.

21. En quatrième lieu, dans sa décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 155 A précité ne créait pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, sous la réserve suivante : "'dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l'étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, la disposition contestée ne saurait conduire à ce que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt'". S'agissant de contribuables distincts, la circonstance que les sociétés A... C... B... et Zumina Torres Gonçalves B... auraient été imposées au Portugal n'est pas susceptible d'établir l'existence d'une double imposition des sommes en litige faisant obstacle à la mise en œuvre des dispositions de l'article 155 A.

22. Enfin, aux termes de l'article 16 de la convention fiscale franco-portugaise : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 17, 18, 20, 21 et 22, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les rémunérations qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié exercé dans l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans le premier Etat si : / a) Le bénéficiaire séjourne dans l'autre Etat pendant une période ou des périodes n'excédant pas au total 183 jours au cours de l'année fiscale considérée ; / b) Les rémunérations sont payées par un employeur ou au nom d'un employeur qui n'est pas résident de l'autre Etat, et /c) La charge des rémunérations n'est pas supportée par un établissement stable ou une base fixe que l'employeur a dans l'autre Etat. (...) ".

23. M. C... B... soutient qu'en application de ces stipulations, les rémunérations en litige ne sont imposables qu'au Portugal dès lors qu'il a séjourné dans cet état pendant plus de 183 jours en 2012 et en 2013. Toutefois, et alors que l'administration a relevé sur la même période l'importance des dépenses alimentaires et d'entretien courant effectuées en France, avec la carte bancaire dont il est titulaire, il n'établit pas le nombre de jours de présence au Portugal qu'il revendique par les seules pièces qu'il produit, à savoir un tableau de jours de présence établi par lui-même et des relevés de deux comptes bancaires au Portugal, l'un ouvert au nom de la société Eolimpact et l'autre à son nom, dont les libellés ne permettent pas de déterminer si les opérations retracées impliquaient une présence physique au Portugal. Le attestations établies par des travailleurs qu'il aurait auditionnés au Portugal au cours de cette période, lesquelles ne totalisent pas plus de 183 jours pour chacune de ces années, ne sont pas plus probantes compte tenu des liens entre ces travailleurs et M. B....

En ce qui concerne les sommes facturées par la société Exa Logistics :

24. Il résulte de l'instruction que l'administration a soumis à l'impôt sur le revenu les sommes facturées à la société Mercury Services, par la société de droit français Exa Logistics agissant pour le compte de la société A... C... B..., sur le seul fondement de l'article 79 du code général des impôts aux termes duquel : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu. (...)". Par suite, M. C... B... ne peut utilement soutenir que les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts ne seraient pas applicables à ces sommes, dont il n'est pas contesté qu'elles constituent, en exécution du contrat le liant à la société Mercury, des salaires rémunérant des prestations qu'il a exécutées, et qu'elles ont été encaissées par lui.

Sur les majorations pour manquement délibéré :

25. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ".

26. En premier lieu, en ayant relevé que M. C... B... avait mis en place un système de facturation de ses prestations par l'interposition de plusieurs structures n'ayant d'autre objet que de soustraire les revenus issus de ces prestations à l'impôt en France, et que le montant des sommes ainsi soustraites composait la majorité de ses revenus, l'administration a suffisamment motivé l'application de ces majorations.

27. En deuxième lieu, en vertu des dispositions des articles L. 57 et R. 57 du livre des procédures fiscales, une proposition de rectification porte à la connaissance du contribuable les rectifications que l'administration envisage d'apporter à ses impositions, ainsi que les intérêts de retard et les pénalités dont ces dernières peuvent être assorties. Cette proposition peut être abandonnée ou modifiée selon les observations que le contribuable peut, comme en l'espèce, dans la procédure de rectification contradictoire, présenter en principe dans le délai d'un mois à compter de leur réception. Par suite, cette proposition de rectification ne présente pas le caractère d'une décision. Ainsi, en motivant, dans cette proposition de rectification, les pénalités qu'elle se propose d'infliger au contribuable, l'administration ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, dès lors, que comme en l'espèce, un délai minimal d'un mois sépare la réception de ce document de la mise en recouvrement de ces pénalités.

28. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été jugé au point 27 que l'administration a respecté, à l'occasion de l'application des pénalités en litige, les droits de la défense de la requérante, garantis en matière fiscale notamment par les dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales. Si de telles pénalités constituent des accusations en matière pénale au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elles n'entrent pas pour autant en l'espèce dans le champ d'application de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui comporte le droit d'être informé au cours de la procédure administrative préalable à une contestation contentieuse, des motifs d'une décision, dès lors que le présent litige porte sur des suppléments d'impôt sur le revenu. Par suite le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté comme inopérant, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

29. Enfin, pour justifier l'application de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration fiscale fait valoir que

M. C... B... n'a déclaré en France qu'une très faible fraction des revenus de son activité et qu'il a créé plusieurs sociétés de droit portugais ayant pour seul objet de procéder à la facturation des revenus de cette activité pour les faire échapper à l'impôt en France. Dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant la volonté délibérée de M. C... B... d'éluder l'impôt.

30. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à demander l'annulation des articles 1, 2, 3 et 5 du jugement attaqué et la remise à la charge de M. et Mme C... B... des impositions et pénalités déchargées par les premiers juges, ce qui implique que les contribuables n'auront pas à exécuter l'article 4 de ce jugement, et d'autre part que les conclusions d'appel incident de M. C... B... doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... B... demande à ce titre .

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1, 2, 3, et 5 du jugement n° 1909583 du 30 mars 2021 du Tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : Les impositions supplémentaires d'impôt sur le revenu des années 2012 et 2013 dont le jugement mentionné à l'article 1er a prononcé la décharge sont remises, en droits et intérêts de retard, à la charge de M. et Mme C... B....

Article 3 : Les pénalités pour manquement délibéré déchargées par le jugement mentionné à l'article 1er sont remises à la charge de M. et Mme C... B....

Article 4 : Les conclusions d'appel incident présentée par M. C... B... ainsi que celles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. A... C... B....

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023.

La rapporteure,

P. HAMONLe président,

C. JARDIN

La greffière,

L. CHANA La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA04331


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04331
Date de la décision : 28/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : FIDAL DIRECTION PARIS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-28;21pa04331 ?
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