Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Theorb Concept a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et 2010.
Par un jugement n° 1926419/2-2 du 31 mai 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2021 et 27 octobre 2022, la SARL Theorb Concept, représentée par Me Guy Parlanti, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1926419/2-2 du 31 mai 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses, en droits et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'avis de mise en recouvrement du 16 novembre 2015 méconnaît les articles R. 256-1 et suivants du livre des procédures fiscales ;
- elle n'avait pas d'établissement stable en France en 2009 et 2010 au regard de la convention franco-suisse ;
- l'instruction administrative référencée n° BOI-INT-CVB-CHE-10-20-20 prévoit que seules les sociétés participant à des chantiers de plus de douze mois peuvent être regardés comme des établissements stables ;
- à titre subsidiaire, un taux de charges de 69 % en 2009 et 73 % en 2010 doit être substitué au taux de 50 % retenu par le service vérificateur ;
- la majoration de 40 % n'est pas motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré 18 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 5 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention du 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Segretain,
- les conclusions de Mme Prévot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Parlanti représentant la société Theorb Concept.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Brochet Ingénierie, de droit suisse, créée le 13 décembre 2005, devenue la SARL Theorb Concept le 9 mai 2016, exerce l'acticité de bureau d'études techniques dans le domaine du bâtiment. A la suite de la vérification de sa comptabilité, l'administration considérant qu'elle disposait d'un établissement stable en France, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010 et elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2009 et 2010. La SARL Theorb Concept relève appel du jugement du 31 mai 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions, en droits et pénalités.
Sur la régularité de la procédure :
2. Aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. (...) ". Aux termes de l'article R. 256-1 du même livre : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. / L'avis de mise en recouvrement mentionne également que d'autres intérêts de retard pourront être liquidés après le paiement intégral des droits. / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications ".
3. Il résulte de l'instruction que l'avis de mise en recouvrement du 16 novembre 2015 notifié à la société Brochet Ingénierie identifie deux créances, relatives à la taxe sur la valeur ajoutée et à l'impôt sur les sociétés, dont il indique, pour chacune, comme origine, la proposition de rectification du 12 décembre 2012, la réponse aux observations du contribuable du 12 février 2013 et la lettre d'information du 14 novembre 2013. D'une part, si la période visée pour les droits réclamés au titre de ces deux créances s'étend du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010 alors que les impositions litigieuses correspondent aux deux seules années 2009 et 2010, cette mention n'entache pas l'avis de mise en recouvrement d'une erreur substantielle de nature à entraîner la décharge des impositions litigieuses dès lors que la période mentionnée recouvre celle au titre de laquelle les rehaussements et rappels litigieux ont été opérés, et que le montant des droits réclamés permettait d'identifier sans doute possible la période en cause, la société requérante n'ayant pas été induite en erreur ni n'ayant été privée de la possibilité de contester utilement les impositions litigieuses. D'autre part, si l'avis renvoie, s'agissant des majorations, à la lettre de motivation du 12 décembre 2012, alors que la pénalité de 80 % infligée sur le fondement de l'article 1728 du code général des impôts aux termes de la proposition de rectification du 12 décembre 2012 a été abandonnée par l'interlocuteur départemental qui, par un courrier du 14 novembre 2013, l'a remplacée par la majoration de 40 % sur le fondement du même article 1728, ce courrier du 14 novembre 2013 était mentionné comme origine de l'ensemble de la créance. Enfin, l'administration n'était pas tenue de faire référence au courrier du 6 janvier 2014 adressé par l'interlocuteur départemental à la société Brochet Ingénierie dès lors que ce courrier ne modifiait pas les droits, taxes et pénalités résultant des rectifications litigieuses. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales doit être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. - Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45,53 A à 57,108 à 117,237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 7 de la convention du 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable. " L'article 5 de la même convention stipule que : " 1. Au sens de la présente convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression 'établissement stable' comprend notamment : a) Un siège de direction ; / b) Une succursale ; / c) Un bureau; / d) Une usine ; / e) Un atelier ; / f) Une mine, une carrière ou tout autre lieu d'extraction de ressources naturelles ; / g) Un chantier de construction ou de montage dont la durée dépasse douze mois ".
6. Pour considérer que la société Brochet Ingénierie disposait d'un établissement stable en France en 2009 et 2010, l'administration a relevé que, alors que celle-ci utilisait pour adresse en Suisse les locaux d'une société de domiciliation, A..., représentant légal de la société et associé à hauteur de 90 % de son capital social, a disposé successivement de deux locaux situés à Paris (15ème), dont l'un était référencé sur son site Internet jusqu'à la réception de l'avis de vérification de comptabilité, a été utilisé dans un échange de courrier avec un client, daté du 2 septembre 2008, et figurait sur deux contrats de la société établis en 2009, et que le numéro de téléphone référencé sur l'ensemble des factures de la société correspondait à une ligne téléphonique en France, y compris sur les quelques factures adressées à des clients étrangers. L'administration a également relevé que dix-neuf contrats, soit la majorité des contrats obtenus par la société, ont été conclus avec des clients situés en France, pour des prestations immobilières relatives à des biens situés en France, et que la société avait recouru à une société d'assurance située en France pour six projets immobiliers d'envergure. Face à ces éléments, si la société requérante fait valoir qu'elle disposait, outre son adresse de domiciliation à Lausanne, d'un bureau à Binningen, elle n'établit pas que l'appartement qu'elle louait à cette adresse, laquelle n'était mentionnée dans aucune correspondance avec ses clients, mais figurait sur une facture médicale de A..., lui servait de local professionnel. Par ailleurs, la circonstance qu'elle ait eu pour seul compte bancaire celui qu'elle avait ouvert en Suisse, qu'elle s'y soit acquittée d'impôts sur les bénéfices et qu'elle y ait souscrit une assurance pour responsabilité civile sont sans incidence sur le lieu de réalisation de son activité. Enfin, si la société a également eu des clients, très minoritaires, établis dans d'autres pays que la France, cette circonstance n'a pas plus d'incidence dès lors que les impositions litigieuses portent sur les seuls bénéfices correspondant à son chiffre d'affaires réalisé en France. Dans ces conditions, au cours des années 2009 et 2010, la société Brochet Ingénierie doit être regardée comme ayant été exploitée en France au sens de l'article 209 du code général des impôts et y ayant disposé d'un établissement stable, la requérante n'invoquant dès lors pas utilement les stipulations de la convention franco-suisse pour faire obstacle à l'imposition de ses bénéfices en France. Elle n'invoque enfin, en tout état de cause, pas utilement l'instruction administrative référencée n° BOI-INT-CVB-CHE-10-20-20, qui ne prévoit pas que la participation d'une société à un chantier de construction d'une durée de moins de douze mois empêcherait la caractérisation d'un établissement stable en France, et par suite ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application.
7. En second lieu, si la société requérante soutient que le taux de charges de 50 % retenu par l'administration, au titre du réalisme économique, aurait dû en réalité s'élever à 69 % en 2009 et 73 % en 2010, elle ne produit aucun élément permettant d'en justifier en se bornant à se référer à ses comptes de résultats relatifs à l'ensemble de ses activités au titre des exercices en cause, qu'elle n'a au demeurant pas transmis au vérificateur pendant les opérations de contrôle. Par suite, le moyen doit être écarté.
Sur les pénalités :
8. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) b. 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte (...). "
9. Il résulte de l'instruction, et en particulier de la lettre du 14 novembre 2013 de l'interlocuteur départemental, par laquelle la pénalité de 40 % fondée sur le b) du 1 de l'article 1728 du code général des impôts a été substituée à la pénalité de 80 % fondée sur le c) du 1 du même article, que la société Brochet Ingénierie s'est abstenue de déposer les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôts sur les sociétés auxquelles elle était tenue au titre des années 2009 et 2010 malgré l'envoi de mises en demeure par le service vérificateur le 27 juillet 2011. Par suite, la pénalité litigieuse doit être regardée comme suffisamment motivée.
10. Il résulte de ce qui précède que la SARL Theorb Concept n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions litigieuses, en droits et pénalités. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Theorb Concept est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Theorb Concept et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Segretain, premier conseiller,
- Mme Fullana, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023.
Le rapporteur,
A. SEGRETAINLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04123 2