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28/06/2023 | FRANCE | N°21PA03337

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 28 juin 2023, 21PA03337


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 142,02 euros en réparation du préjudice résultant du manquement de la France à son obligation de transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 concernant

l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, d'une part, et de la violation manifeste du droit de l'Union européenne par le Conseil d'Etat, d'autre part.

Par un jugement n° 1823994 du 21 avril 2021, le t

ribunal administratif de Paris a fait droit partiellement à sa demande en condamnant l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 142,02 euros en réparation du préjudice résultant du manquement de la France à son obligation de transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 concernant

l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, d'une part, et de la violation manifeste du droit de l'Union européenne par le Conseil d'Etat, d'autre part.

Par un jugement n° 1823994 du 21 avril 2021, le tribunal administratif de Paris a fait droit partiellement à sa demande en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 757,74 euros.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête sommaire n° 21PA03337 et un mémoire ampliatif, enregistrés les 16 juin 2021 et 17 septembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1823994 du tribunal administratif de Paris du 21 avril 2021 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en tant qu'il omet d'évoquer l'ordonnance rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 7 mars 2013, Rivas Montes, C-178/12 ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en retenant l'existence d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 355580 du 5 mai 2014 ;

- la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et les règles de droit applicables n'étaient pas suffisamment claires et précises pour que puisse être reconnue l'existence d'une violation manifeste par le Conseil d'Etat dans sa décision du 5 mai 2014.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2022, M. A..., représenté par Me Cayla-Destrem, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

3°) par la voie de l'appel incident, à ce que la Cour :

- annule le jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a limité le montant du préjudice financier indemnisé à la somme de 757,74 euros ;

- condamne l'Etat à lui verser la somme globale de 50 694,18 euros.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de ce que la décision du Conseil d'Etat n°355580 ne serait entachée d'aucune violation manifeste du droit de l'Union européenne n'est pas fondé ;

- le préjudice au titre duquel les juges de première instance ont fait droit à sa demande est manifestement erroné en tant qu'il circonscrit l'indemnisation accordée à la période du 16 au 25 mars 2009 ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation en refusant de faire droit à sa demande tendant à la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat au titre du défaut de transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 ;

- en l'absence de transposition en droit interne de l'intégralité de cette directive, les dispositions réglementaires du code de la santé publique relatives au recrutement, à la progression de carrière et aux sanctions applicables aux praticiens contractuels recrutés en application du 4° de l'article R. 6152-402 de ce code, demeurent moins favorables que celles applicables aux praticiens hospitaliers, sans qu'aucune raison objective ne justifie cette différence de traitement ; la discrimination salariale qui résulte de ce défaut de transposition complète de la directive repose sur la seule durée déterminée de la relation de travail qui lui a été imposée, l'acte de recrutement comme l'acte de rupture de ses relations contractuelles, contraires aux clauses 4 et 5 de l'accord cadre de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999, étant ainsi dépourvus de base légale et de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 avril 2022.

La requête a été communiquée le 13 décembre 2021 au ministre des solidarités et de la santé qui n'a présenté aucune observation.

II - Par une requête n° 21PA03410, enregistrée le 21 juin 2021, M. A..., représenté par Me Cayla-Destrem, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1823994 du tribunal administratif de Paris du 21 avril 2021en tant qu'il a limité le montant du préjudice financier devant être indemnisé par l'Etat à la somme de 757,74 euros ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 50 694,18 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le calcul du préjudice financier reconnu par les juges de première instance, dont les modalités ne sont pas précisées, est manifestement erroné en tant qu'il limite l'indemnisation à la période courant du 16 au 25 mars 2009 ;

- en l'absence de transposition en droit interne de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999, les dispositions réglementaires du code de la santé publique relatives au recrutement, à la progression de carrière et aux sanctions applicables aux praticiens contractuels recrutés en application du 4° de l'article R. 6152-402 de ce code, demeurent moins favorables que celles applicables aux praticiens hospitaliers, sans qu'aucune raison objective ne justifie cette différence de traitement ; la discrimination salariale qui résulte de ce défaut de transposition complète de la directive repose sur la seule durée déterminée de la relation de travail qui lui a été imposée, l'acte de recrutement comme l'acte de rupture de ses relations contractuelles, contraires aux clauses 4 et 5 de l'accord cadre de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999, étant ainsi dépourvus de base légale et de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- la violation manifeste de l'objectif de cette directive et de son accord cadre par la décision du Conseil d'Etat n°355580 du 5 mai 2014 et le refus de cette juridiction de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne portant sur l'interprétation de la clause 4 de l'accord-cadre annexé à la directive 1999/70/Conseil d'Etat, en méconnaissance du troisième alinéa de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- contrairement à ce que le Conseil d'Etat a jugé, en l'absence de transposition de cette directive, de manière complète, aucune prescription n'est susceptible d'être opposée à sa demande indemnitaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une décision du 2 novembre 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle de M. A....

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-283/81 du 6 octobre 1982 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-307/05 du 13 septembre 2007 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-302/11 et C-304/11 du 18 octobre 2012 ;

- l'ordonnance de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-178/12 du 7 mars 2013 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-16/15 du 14 septembre 2016 ;

- l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme n° 38748/97, du 9 mars 1999, Société anonyme immeuble Groupe Kosser c/ France ;

- l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, nos 3989/07 et 38353/07, du 20 septembre 2011, Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique ;

- le code de la santé publique ;

- la loi du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lorin,

- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., praticien hospitalier contractuel, a saisi le ministre de la justice d'une demande d'indemnisation en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison, d'une part, du manquement de la France à son obligation de transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 et de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale, et, d'autre part, de la violation manifeste du droit de l'Union européenne par le Conseil d'Etat dans sa décision n°355580 du 5 mai 2014. Par une première requête enregistrée sous le n° 21PA03337, le garde des sceaux, ministre de la justice relève régulièrement appel du jugement n° 1823994 du 21 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a fait droit partiellement à la demande de M. A... en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 757,74 euros. Par la voie de l'appel incident et par une seconde requête enregistrée sous le n° 21PA03410, M. A... sollicite régulièrement la réformation de ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnité mise à la charge de l'Etat à cette somme.

2. Les requêtes nos 21PA03337 et 21PA03410, qui présentent à juger les mêmes questions, ont fait l'objet d'une instruction commune et sont dirigées contre le même jugement. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 21PA03337 et sur les conclusions de l'appel incident de M. A... :

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'appel principal :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

4. Si le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en l'absence de référence à l'ordonnance de la Cour de justice de l'Union européenne du 7 mars 2013, Rivas Montes, C-178/12, il résulte des points 19 à 30 du jugement que les premiers juges ont exposé très précisément la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qui les a conduits à retenir le fondement de responsabilité pour faute lourde soulevé devant eux, le bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif étant sans incidence sur la régularité du jugement. Par suite, le jugement attaqué satisfait aux exigences de motivation posées par l'article L. 9 du code de justice administrative et le moyen tiré pour ce motif de son irrégularité doit être écarté.

5. En second lieu, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient commis une erreur de droit en retenant l'existence d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 355580 du 5 mai 2014, qui n'est pas susceptible d'être utilement soulevé devant le juge d'appel mais seulement devant le juge de cassation, remet en cause le bien-fondé du jugement, et non sa régularité. Il y sera donc statué à l'occasion de l'examen du bien-fondé du jugement.

En ce qui concerne l'appel incident :

6. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, M. A... ne peut utilement soutenir que les premiers juges auraient entaché le jugement attaqué d'une erreur de droit ou d'une erreur d'appréciation en écartant l'un des fondements de responsabilité de l'Etat qu'il entendait engager et tiré du défaut de transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'appel à titre principal :

S'agissant du fondement de responsabilité retenu par les juges de première instance :

7. En vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité. Si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l'Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

8. Pour apprécier si le contenu d'une décision juridictionnelle de l'ordre administratif est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne, il appartient au juge administratif, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a indiqué dans ses arrêts Köbler (C-224/01) du 30 septembre 2003, Tomášová (C-168/15) du 28 juillet 2016 et Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe (C-620/17) du 29 juillet 2019, de tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui lui est soumise, notamment du degré de clarté et de précision de la règle de droit de l'Union en question, de l'étendue de la marge d'appréciation que cette règle laisse aux autorités nationales, du caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, du caractère excusable ou inexcusable de l'éventuelle erreur de droit, de la position prise, le cas échéant, par une institution de l'Union européenne et ayant pu contribuer à l'adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l'Union ainsi que de la méconnaissance, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel au titre du troisième alinéa de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. En particulier, une violation du droit de l'Union est suffisamment caractérisée lorsque la décision juridictionnelle concernée est intervenue en méconnaissance manifeste d'une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l'Union européenne en la matière.

9. Il y a lieu, pour le juge administratif saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée du fait d'une violation manifeste du droit de l'Union à raison du contenu d'une décision d'une juridiction administrative devenue définitive, de rechercher si cette décision a manifestement méconnu le droit de l'Union européenne au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date de cette décision.

10. Aux termes de son article 1er, la directive du 28 juin 1999 " vise à mettre en œuvre l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe, conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) ". Aux termes de la clause 4 de cet accord-cadre, annexé à la directive, relative au principe de

non-discrimination : " 1. Pour ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. / 2. Lorsque c'est approprié, le principe du "pro rata temporis" s'applique. / 3. Les modalités d'application de la présente clause sont définies par les États membres, après consultation des partenaires sociaux, et/ou par les partenaires sociaux, compte tenu de la législation Communautaire et la législation, des conventions collectives et pratiques nationales. / 4. Les critères de périodes d'ancienneté relatifs à des conditions particulières d'emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d'ancienneté différents sont justifiées par des raisons objectives ".

11. Par son arrêt Impact du 15 avril 2008 (C-268/06), la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur la question de savoir si les conditions d'emploi, au sens de la clause 4 de cet accord-cadre, comprennent les conditions relatives aux rémunérations et aux pensions fixées par un contrat de travail. Elle a dit pour droit que cette clause doit être interprétée en ce sens que les conditions d'emploi auxquelles elle se réfère incluent les conditions relatives aux rémunérations ainsi qu'aux pensions qui sont fonction de la relation d'emploi, à l'exclusion des conditions concernant les pensions découlant d'un régime légal de sécurité sociale. La Cour a également considéré, dans son ordonnance du 7 mars 2013, Rivas Montes (C-178/12), que le principe de non-discrimination visé à la clause 4 de l'accord-cadre, a été mis en œuvre et concrétisé par cet accord uniquement en ce qui concerne les différences de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée qui se trouvent dans une situation comparable et qu'en revanche, les éventuelles différences de traitement entre le personnel statutaire et les agents contractuels ne relèvent pas du principe de non-discrimination consacré par l'accord-cadre, dès lors qu'une telle différence de traitement est fondée non pas sur la durée déterminée ou indéterminée de la relation de travail, mais sur le caractère statutaire ou contractuel de celle-ci. Ces principes déjà énoncés dans les ordonnances Vino des 11 novembre 2010 et 22 juin 2011 (C-20/10 et C-161/11), ont été rappelés par l'arrêt Rosanna Valenza du 18 octobre 2012 (C-302/11 et C-304/11), qui considère qu'il convient d'empêcher tout traitement défavorable des travailleurs à durée déterminée sur le seul fondement de la durée des contrats ou des relations de travail justifiant leur ancienneté et leur expérience professionnelle.

12. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'à l'appui du litige soumis au Conseil d'Etat dans le cadre de l'instance n° 355580, M. A... s'est fondé sur la clause 4 de l'accord-cadre annexé à la directive du 28 juin 1999, relative au principe de non-discrimination, pour soutenir que les conditions de rémunérations des praticiens hospitaliers contractuels et des praticiens hospitaliers titulaires telles que définies aux articles R. 6152-15 et R. 6152-416 du code de la santé publique instituaient une différence de traitement au regard des règles de reprise d'ancienneté qui n'était justifiée par aucune raison objective. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne citée au point précédent que les stipulations de la clause 4 de l'accord-cadre du 18 mars 1999 ne concernent pas les différences de traitement entre personnel statutaire et agents contractuels qui sont fondées, non sur la durée déterminée ou indéterminée de la relation de travail, mais sur le caractère statutaire ou contractuel de celle-ci. En l'espèce, la détermination de la rémunération des praticiens hospitaliers définie par les dispositions mentionnées du code de la santé publique repose sur les modalités différenciées de leur recrutement, eu égard à la nature de leur relation de travail, tirée de leurs statuts respectifs en tant que contractuel ou statutaire, et aux critères de recrutement, destinés à préserver le principe de la sélection par voie de concours des candidats à l'emploi à pourvoir. Le juge national n'a donc pas commis une violation manifeste du droit communautaire en estimant, compte tenu du degré de clarté et de précision de la règle de droit de l'Union invoquée et de l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne de la clause 4 de l'accord-cadre, que la différence de traitement entre praticiens hospitaliers contractuels et titulaires était étrangère à la durée de la relation de travail et n'entrait pas dans le champ d'application de cette clause. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir, en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique rappelés aux points 7 à 9 du présent arrêt, que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a considéré que la responsabilité de l'Etat devait être engagée au motif que le Conseil d'Etat avait manifestement méconnu le droit communautaire en rendant sa décision n° 355580 du 5 mai 2014 et a condamné l'Etat, sur le fondement de la responsabilité pour faute lourde, à verser à M. A... une somme de 757,74 euros au titre du préjudice financier qui en aurait résulté.

13. Il appartient à la Cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres fondements de responsabilité invoqués en première instance par M. A....

14. En premier lieu, si M. A... entend engager la responsabilité de l'Etat au titre du défaut de transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 visant à mettre en œuvre l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) annexé à cette directive, le défaut de transposition de la clause 4 de cet accord à l'expiration du délai imparti qui expirait le 10 juillet 2001, ou le caractère incomplet de celle-ci dont il entend se prévaloir, n'ont pas fait obstacle à ce que l'intéressé puisse faire valoir ses droits dans le cadre de l'instance introduite devant le Conseil d'Etat sous le n° 355580, en retenant le caractère précis et inconditionnel des dispositions édictées par cette clause. Par suite, le seul défaut de transposition de cette clause en droit interne n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat. S'agissant du défaut de transposition de la clause 5 de cet accord-cadre ou de son caractère incomplet, M. A... qui a exercé ses fonctions de praticien hospitalier contractuel au sein du centre hospitalier de Vouziers au cours de la période comprise entre le 1er avril 2001 et le 31 décembre 2001, puis été engagé par le centre hospitalier de Sambre-Avesnois par un contrat de travail à durée déterminée conclu le 16 mars 2009 et résilié dès le 25 mars 2009, n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée sur le fondement d'un éventuel défaut de transposition en droit interne de cette clause qui vise à prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat devrait être engagée au titre du défaut de transposition de la directive 1999/70/CE.

15. En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et notamment de son arrêt Köbler (C-224/01) du 30 septembre 2003, que si la méconnaissance par une juridiction nationale statuant en dernier ressort de l'obligation prévue par l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, laquelle ne crée pas de droit au renvoi préjudiciel dans le chef des particuliers, constitue un des éléments que le juge national doit prendre en considération pour statuer sur une demande en réparation fondée sur la méconnaissance manifeste du droit de l'Union par une décision juridictionnelle, elle ne constitue pas une cause autonome d'engagement de la responsabilité d'un Etat membre. A cet égard, il résulte des énonciations des points 11 et 12 du présent arrêt qu'aucun doute raisonnable ne portait sur l'interprétation de la clause 4 de l'accord-cadre annexé à la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que, dans le cadre des instances introduites devant le Conseil d'Etat sous les nos 355580 et 389738, le refus de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne en méconnaissance de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne serait de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

16. En troisième lieu, la responsabilité de l'Etat résultant, d'une part, du défaut de motivation du refus de transmission d'une question préjudicielle et, d'autre part, de la méconnaissance du droit à un recours effectif résultant de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, doit être écartée par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 40, 41, 45 et 46 de leur jugement.

En ce qui concerne l'appel incident :

17. En premier lieu, il résulte des énonciations des points 11 et 12 du présent arrêt que les conditions de rémunération des praticiens contractuels et titulaires ne trouvent pas leur origine dans la durée de leurs relations de travail respectives au sens de la clause 4 de l'accord-cadre annexé à la directive du 28 juin 1999. De même, il résulte des énonciations du point 14 du présent arrêt que M. A... ne justifie pas d'une situation de recours abusif à un contrat à durée déterminée. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée en l'absence de transposition en droit interne, à la date du 10 juillet 2001, de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 et de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 annexé à cette directive.

18. En second lieu, il résulte des énonciations des points 7 à 16 du présent arrêt, qu'en l'absence de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, M. A... ne peut prétendre à l'indemnisation d'aucun préjudice. Il n'est par suite pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal aurait circonscrit l'indemnisation accordée à la période du 16 au 25 mars 2009.

Sur la requête n° 21PA03410 :

19. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement en tant qu'il aurait seulement limité l'indemnisation de son préjudice à raison de la faute résultant de la violation manifeste de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999.

20. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 15 de cet arrêt, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le refus de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne en méconnaissance de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans les instances introduites sous les nos 355580 et 389738 devant le Conseil d'Etat serait de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

21. En troisième lieu, d'une part, les conditions de rémunération des praticiens contractuels et titulaires ne trouvent pas leur origine dans la durée de leurs relations de travail respectives au sens de la clause 4 de l'accord-cadre annexé à la directive du 28 juin 1999 ainsi qu'il a été dit aux points 11 et 12 du présent arrêt. D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 14, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat devrait être engagée au titre du défaut de transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 et de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 annexé à cette directive.

22. En quatrième lieu, en se bornant à soutenir qu'en l'absence de transposition complète de cette directive, aucune prescription n'était susceptible d'être opposée à sa demande indemnitaire contrairement à ce que le Conseil d'Etat a jugé, M. A... qui ne conteste précisément aucun des motifs du jugement attaqué, ne met pas le juge d'appel en mesure d'apprécier la portée du moyen ainsi présenté.

23. En dernier lieu, en l'absence de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, M. A... ne pouvait prétendre à l'indemnisation d'aucun préjudice. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris aurait circonscrit l'indemnisation qui lui a été accordée à la période du 16 au 25 mars 2009.

24. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, d'une part, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 757,74 euros à titre d'indemnité, et à demander à la Cour d'annuler son article 1er, et, d'autre part, M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. A... aux fins de réformation du jugement attaqué et d'indemnisation, et celles présentées au titre des frais liés aux instances nos 21PA03337 et 21PA03410 doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris n° 1823994 du 21 avril 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. A... présentées par la voie de l'appel incident à l'appui de la requête n° 21PA03337 et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La requête n° 21PA03410 est rejetée.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... A....

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré après l'audience du 26 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Simon, premier conseiller,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 28 juin 2023.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA03337, 21PA03410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03337
Date de la décision : 28/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : CAYLA-DESTREM

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-28;21pa03337 ?
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