Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... épouse B... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 5 juin 2020 par laquelle le maire de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) a décidé de préempter un bien immobilier situé 75 boulevard Salengro.
Par un jugement n° 2012582 du 3 février 2022, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du 5 juin 2020 et mis à la charge de la commune de Livry-Gargan une somme de 2 000 euros à verser à Mme et M. A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés les 14 mars, 8 et 13 juillet 2022, la commune de Livry-Gargan, représentée par Me Landot, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2012582 du 3 février 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rejeter la requête de Mme et M. A... ;
3°) de mettre à la charge de Mme et M. A... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement méconnait les dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative en ce qu'il ne contient pas dans ses visas les dispositions sur lesquelles il se fonde ;
- la préservation des arbres existants, en ce qu'elle participe à la mise en valeur du patrimoine non bâti de la commune, est au nombre des motifs justifiant l'exercice du droit de préemption urbain tels qu'énumérés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
- la création d'une structure intergénérationnelle, qui relève de la politique d'animation sociale et culturelle en développant les activités de quartier et la participation des habitants, justifie l'exercice du droit de préemption urbain sur le fondement des mêmes dispositions ;
- le projet de création de la structure intergénérationnelle, qui s'insère dans les axes 2 et 3 du projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme adopté le 27 décembre 2015, est ainsi antérieur à la décision de préemption du 5 juin 2020, la délibération du 2 juillet 2020 n'ayant fait que confirmer le choix de la créer ;
- aucun des autres moyens soulevés en première instance n'est de nature à justifier l'annulation de la décision du 5 juin 2020.
Par des mémoires en défense enregistrés les 21 juin et 12 juillet 2022, Mme et M. A..., représentés par Me Jacques, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Livry-Gargan la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
- la décision est en outre entachée d'incompétence de son auteur, de défaut de base légale et de vice de procédure.
La requête a été communiquée à la société civile de construction vente Promotion Pichet qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gobeill,
- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,
- les observations de Me Lenain substituant Me Landot, avocat de la commune de Livry-Gargan,
- et les observations de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 5 juin 2020, le maire de la commune de Livry-Gargan a décidé de préempter un bien immobilier appartenant à Mme et M. A..., situé 75, boulevard Salengro. La commune de Livry-Gargan relève appel du jugement du 3 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil, saisi à cette fin par Mme et M. A..., a annulé la décision du 5 juin 2020.
Sur la régularité du jugement :
2. Si la commune de Livry-Gargan soutient que le jugement méconnait les dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative en ce qu'il ne contient pas dans ses visas les dispositions sur lesquelles il se fonde, il ressort cependant de ses motifs que sont mentionnés les articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme, dispositions sur lesquelles il est fondé, et qu'ainsi, le jugement est motivé en droit. La circonstance que les visas ne fassent pas mention de ces articles est, en tout état de cause, sans influence sur la régularité du jugement. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Pour annuler l'arrêté contesté, les premiers juges ont relevé, d'une part, que la sauvegarde des arbres présents sur la parcelle litigieuse et sur le boulevard Salengro ne pouvait en tout état de cause, valablement fonder la mise en œuvre du droit de préemption urbain et d'autre part, que la commune n'établissait pas que le projet de création d'une " structure intergénérationnelle " existait à la date de la décision attaquée.
4. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code: " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
6. La décision contestée rappelle que le plan local d'urbanisme a identifié un certain nombre d'éléments paysagers et bâtis caractéristiques qu'il faut préserver, que le projet d'aménagement et de développement durables a défini des grandes orientations stratégiques parmi lesquelles figure la préservation et la valorisation du cadre de vie urbain, architectural, paysager et environnemental, que la charte de qualité urbaine, architecturale et environnementale approuvée par la ville a aussi pour objectif de valoriser les éléments paysagers et de prendre part au développement durable, qu'à ce titre, la parcelle en litige est bordée par un alignement d'arbres (voie publique Roger Salengro) identifié comme séquence paysagère remarquable qui crée une continuité végétale, que le bien se distingue par une quantité importante d'arbres notables qui constituent un poumon vert du secteur qu'il convient de préserver dans un souci de continuité écologique et de développement durable et que l'acquisition de cette parcelle permettra d'implanter une structure intergénérationnelle, de préserver les arbres de haute tige notables présents sur la propriété et de préserver l'alignement d'arbres au titre de la séquence paysagère remarquable.
7. D'une part, si la commune soutient en appel que la préservation des arbres relève de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine non bâti au sens des dispositions de l'article L. 210-1 précité du code de l'urbanisme, il ressort des pièces du dossier et notamment des mentions de la décision contestée que l'objectif de protection des arbres, en tant qu'ils forment un élément du patrimoine paysager, ne concerne que les arbres situés le long du boulevard Roger Salengro qui ne sont pas l'objet de la préemption, les dispositions très générales du projet d'aménagement et de développement durables dont elle se prévaut ne permettant en outre pas d'établir comme antérieur à la décision contestée le projet de protection des arbres présents sur la parcelle.
8. D'autre part, pour établir que la création de la structure intergénérationnelle est antérieure à la décision de préemption contestée, la commune appelante se réfère au projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme approuvé le 17 décembre 2015 et mis à jour le 6 février 2017 dont toutefois ni l'axe 2 (" préserver et valoriser le cadre de vie urbain, architectural, paysager et environnemental ") ni l'axe 3 (" assurer un développement urbain mesuré, qualitatif et respectueux des identités urbaines locales "), qu'il s'agisse en particulier des objectifs 3.3 (" développer une mixité sociale dans l'environnement urbain " et 3.4 (" faciliter la participation citoyenne dans l'élaboration et dans la mise en œuvre des politiques et des projets urbains ainsi qu'une meilleure appropriation des espaces par les habitants "), ne fait état d'un projet de création d'une telle structure. Dans ces conditions, la délibération du 2 juillet 2020 qui " valide le projet de création d'une maison de quartier " et qui se borne à faire référence aux orientations rappelées supra, ne saurait être regardée, contrairement à ce que soutient la commune de Livry-Gargan, comme confirmant l'existence d'un projet antérieur à la décision en litige du 5 juin 2020.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Livry-Gargan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du 5 juin 2020 par laquelle le maire de Livry-Gargan a décidé de préempter un bien immobilier situé 75 boulevard Salengro. Ses conclusions à fin d'annulation ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme et M. A..., qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que la commune de Livry-Gargan demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Livry-Gargan une somme totale de 1 500 euros à verser à Mme et à M. A....
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Livry-Gargan est rejetée.
Article 2 : La commune de Livry-Gargan versera la somme totale de 1 500 euros à Mme et M. A....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Livry-Gargan, à Mme D... A... épouse B..., à M. C... A... et à la société civile de construction vente Promotion Pichet.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juin 2023.
Le rapporteur, Le président,
J.-F. GOBEILL J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA01202