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21/06/2023 | FRANCE | N°21PA05987

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 21 juin 2023, 21PA05987


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pylos Emerainville a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 28 août 2018 par laquelle la commune d'Emerainville a refusé de procéder au retrait du talus présent sur la parcelle dont elle est propriétaire, située 44, boulevard de Beaubourg à Emerainville et de condamner la commune d'Emerainville à lui verser la somme de 4 824 423,78 euros en réparation des préjudices qu'elle estime subir du fait de l'implantation illégale d'un talus sur cette parcelle, assortie

des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pylos Emerainville a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 28 août 2018 par laquelle la commune d'Emerainville a refusé de procéder au retrait du talus présent sur la parcelle dont elle est propriétaire, située 44, boulevard de Beaubourg à Emerainville et de condamner la commune d'Emerainville à lui verser la somme de 4 824 423,78 euros en réparation des préjudices qu'elle estime subir du fait de l'implantation illégale d'un talus sur cette parcelle, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter du 17 mars 2019.

Par un jugement nos 1809115, 2005356 du 23 septembre 2021, le Tribunal administratif de Melun a, d'une part, condamné la commune d'Emerainville à verser à la société Pylos Emerainville la somme de 36 568,18 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, a enjoint à la commune d'Emerainville de procéder au retrait complet du talus situé sur la parcelle appartenant à la société Pylos Emerainville dans un délai de dix mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 200 euros par jour de retard et, d'autre part, condamné la société Pylos Emerainville, une fois que la commune d'Emerainville aura réalisé lesdits travaux, à lui verser une somme correspondant à 20 % du montant de ces travaux.

Procédure devant la Cour :

I./ Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 novembre 2021, 25 juin, 1er septembre et 13 novembre 2022 et 11 janvier 2023 sous le n° 21PA05987, la commune d'Emerainville, représentée par Me Landot, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 1809115, 2005356 du 23 septembre 2021 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la requête de première instance et les conclusions en appel incident de la société Pylos Emerainville ;

3°) de mettre à la charge de la société Pylos Emerainville la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de la société Pylos Emerainville a été présentée devant une juridiction incompétente pour en connaitre dès lors que les travaux effectués sur la parcelle lui appartenant ne constituent pas des travaux publics exécutés dans un but d'intérêt général mais une intervention effectuée sur un terrain privé en exécution d'un contrat privé et dans l'intérêt d'une personne privée relevant par suite de la compétence de la juridiction judiciaire et que le litige né de la réalisation de ces travaux en exécution d'un contrat sur un terrain privé et au bénéfice de son propriétaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que lors de l'audience du 4 mars 2021, le président de la formation de jugement, alors qu'il n'avait fait aucune demande expresse d'éclaircissement, en donnant la parole à la demande du conseil de la société Pylos Emerainville à un représentant de la société Aecom, qui n'était pas partie à l'instance et pas intéressée par le litige, et qui ne disposait d'aucun mandat permanent lui permettant de représenter la société Pylos Emerainville lors de l'audience, a méconnu les dispositions de l'article R. 732-1 du code de justice administrative ;

- il ne mentionne pas la tenue de la première audience ni les observations présentées à cette occasion par la société Aecom en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- l'audition du représentant de la société Aecom n'a pas eu pour seul objet de préciser les faits relatés dans les écritures des parties mais a conduit les premiers juges, en réalité, à diligenter une enquête en méconnaissance des règles applicables à une telle mesure d'instruction prévues par le code de justice administrative ;

- lors de l'audience du 4 mars 2021, ont été méconnus le principe du contradictoire et les droits de la défense en raison des observations orales présentées par le représentant de la société Aecom qui ne disposait d'aucun mandat ni pouvoir de la société Pylos Emerainville pour présenter des observations pour son compte alors que la commune n'avait pas été préalablement informée de cette intervention par la société Pylos Emerainville, qu'il ne lui a pas été demandé son accord préalable et que la société Aecom a été entendue comme expert alors que cela n'était pas sollicité par la juridiction et que son expertise n'a pas été contradictoire ;

- la charge de la preuve a été méconnue par les premiers juges qui se sont fondés exclusivement sur les pièces produites par la société Pylos Emerainville à savoir les rapports établis non contradictoirement par les sociétés Géotechnique appliquée Ile de France et Aecom pour considérer que la commune " a substantiellement excédé les limites de l'autorisation donnée par la société requérante " en faisant édifier un talus d'une hauteur comprise entre 6 et 9 mètres alors qu'elle a produit un rapport d'information dressé par les agents de police le 9 novembre 2016, lequel fait foi jusqu'à preuve du contraire, qui indique que la société JF Construction, mandatée par la commune, a réalisé sur la parcelle un talus de terre d'une hauteur n'excédant pas cinq mètres, conformément à l'autorisation donnée par la société Pylos Emerainville ;

- il est insuffisamment motivé sur la question du dommage que subirait la société Pylos Emerainville du fait de la présence du talus permettant ainsi au juge administratif de faire usage de son pouvoir d'injonction en matière de dommages de travaux publics ;

- le jugement n'est pas motivé sur le caractère disproportionné des travaux à réaliser en cas d'injonction par rapport au budget de la commune.

Sur le jugement attaqué :

- il est entaché d'une erreur de droit, d'une erreur d'appréciation et a inexactement qualifié les faits de l'espèce en considérant la société Pylos Emerainville comme un tiers aux travaux publics ;

- il est entaché d'une erreur de fait en retenant que la commune avait excédé les limites de l'autorisation donnée par la société Pylos Emerainville dès lors que le talus de terre qu'elle a fait édifier par la société JF Construction n'excède pas une hauteur de cinq mètres et que les travaux réalisés sont bien " temporaires et réversibles " ;

- il est entaché d'une erreur de droit en tant qu'il a considéré que la société Pylos Emerainville disposait d'un droit à réparation de son préjudice alors que compte tenu de son attitude, la société Pylos Emerainville ne dispose d'aucun droit à réparation et que son préjudice tiré de l'impossibilité de céder son terrain est inexistant ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation en refusant d'exonérer totalement la commune, compte tenu de la faute commise par la société Pylos Emerainville en raison de ses négligences liées au défaut d'entretien de son terrain.

- il est entaché d'une erreur de droit ainsi que d'une erreur d'appréciation en condamnant la commune à verser à la société Pylos Emerainville la somme de 36 568,18 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2020 et capitalisation des intérêts dès lors que les factures produites pour obtenir la réparation des préjudices liés à l'intervention de la société Aecom intégraient des prestations sans lien avec la présence du talus, à savoir les " prestations complémentaires " de la facture du 16 septembre 2019 concernant les réseaux souterrains et l'ancienne cuve d'un montant de 740 euros HT, soit 888 euros toutes taxes comprises ;

- il est entaché d'une erreur de droit en prononçant à l'encontre de la commune une mesure d'injonction dès lors que les conditions permettant le prononcé d'une telle mesure ne sont pas remplies puisque l'abstention de la commune de procéder à l'enlèvement des terres n'est pas fautive, la persistance du dommage, à la supposer établie, ne trouve pas son origine dans la seule réalisation des aménagements exécutés par la commune, la société Pylos Emerainville n'étant absolument pas empêchée de vendre son terrain, et l'évacuation des terres représente un coût disproportionné pour la commune eu égard au prétendu dommage subi par cette société ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation, d'une inexacte qualification juridique des faits ainsi que d'une dénaturation des pièces du dossier concernant la prétendue abstention fautive de la commune pour prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage de la société Pylos Emerainville en considérant que les travaux en excédant les limites de l'occupation donnée par l'autorisation n'avaient pas un caractère temporaire et réversible et que la société Pylos Emerainville a déchargé la commune de toute responsabilité dans cette autorisation ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation, d'une erreur dans la qualification des faits ainsi que d'une dénaturation des pièces du dossier en retenant qu'il n'existe aucun motif d'intérêt général de nature à faire obstacle à l'injonction ;

Sur le bien-fondé de la demande de la société Pylos Emerainville :

- le jugement attaqué doit être réformé en tant qu'il a condamné la commune à indemniser la société Pylos Emerainville à hauteur de 36 568,18 euros dès lors que la faute commise par cette société est de nature à exonérer entièrement la commune de toute responsabilité ;

- la note, non contradictoire, produite par la société Aecom, n'était pas nécessaire et ne constitue pas une dépense présentant un lien direct et nécessaire avec le talus de terre litigieux ;

- s'agissant des intérêts bancaires résultant du prolongement du prêt souscrit pour l'acquisition du terrain, ces frais financiers ou bancaires attachés au montant d'un prêt sont sans lien de causalité avec une éventuelle faute de la commune puisqu'ils découlent de la qualité de propriétaire de la victime et d'éventuels montages financiers et, par suite, sont sans lien de causalité direct et certain avec le talus de terre ;

- s'agissant des frais administratifs divers et des intérêts de compte-courant d'associés, ils ne sont pas justifiés ;

- s'agissant des frais d'avocat, la demande est manifestement infondée ;

- s'agissant des frais de commercialisation de la parcelle, la société Pylos Emerainville ne justifie d'aucun frais de commercialisation en lien direct et certain avec l'existence du talus de terre ;

- la société Pylos Emerainville ne justifie d'aucune perte de chance de commercialiser le terrain ;

- elle ne justifie pas avoir subi une perte de bénéfice en lien direct et certain avec le talus de terre ;

- sur le préjudice résultant d'un trouble de jouissance, la société Pylos Emerainville n'a jamais été privée du droit de jouir de sa parcelle ;

- le préjudice d'image en raison de la présence du talus de terre est infondé ;

- compte tenu de l'irrégularité de la mesure d'injonction prononcée par le jugement attaqué, l'astreinte est infondée ;

- si une injonction de retirer les terres excédant la hauteur de 4,50 m était prononcée, elle devrait être assortie d'un délai de six mois compte tenu des procédures administratives à mettre en œuvre et du comportement de la société Pylos Emerainville.

Par des mémoires en appel incident et en défense et des pièces enregistrés les 2 et 27 juin, 9 septembre, 3 octobre et 11 décembre 2022 et 16 janvier 2023, la société Pylos Emerainville, représentée par Mes Nguyen et Levy, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la commune d'Emerainville ;

2°) de réformer le jugement nos 1809115, 2005356 du 23 septembre 2021 du Tribunal administratif de Melun en tant que la commune d'Emerainville n'a été condamnée à lui verser, à titre de réparation de son préjudice, qu'une somme de 36 568,18 euros au lieu de la somme demandée de 4 824 423,78 euros en réparation de son préjudice et que l'astreinte prononcée a été limitée à un montant de 200 euros par jour de retard en cas de non retrait du talus dans un délai de dix mois à compter de la notification du jugement ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Emerainville la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la commune d'Emerainville ne sont pas fondés ;

- elle n'a pas, alors qu'elle a la qualité de promoteur immobilier, autorisé la commune d'Emerainville à déposer un apport de terre couvrant la quasi-totalité de la surface de son terrain de presque 1,5 hectares que ce soit sur 4,50 m ou plus de 4,50 m de hauteur, de tels travaux modifiant substantiellement les caractéristiques de son terrain pour le sécuriser contre la venue des gens du voyage ; elle a donné son accord pour ce qui se fait usuellement dans le milieu de la construction à savoir la mise en place de buttées / merlons de terre au niveau des points d'entrée possibles sur le terrain pour empêcher l'accès aux gens du voyage ; la responsabilité de la commune d'Emerainville est engagée à la fois pour l'amenée de terres en deçà et au-delà de 4,50 m ; elle ignorait l'existence de l'arrêté du 11 août 2015, lequel ne lui a jamais été notifié et de la convention conclue par la commune avec la société JF Construction qui y était jointe lorsqu'elle a signé l'autorisation d'occupation de sa propriété privée le 12 août 2015 ; le chef de la police municipale a reconnu dans un article de presse qu'il était question de créer des petites buttes pas de recouvrir tout le terrain ;

- la responsabilité de la commune d'Emerainville est engagée entièrement du fait des amenées de terres sans qu'il y ait lieu de distinguer entre celles en deçà et au-delà de 4,50 m dès lors qu'aucun des termes de l'accord conclu avec elle, n'a été respecté puisque les terres apportées sont polluées et non pas inertes, la commune n'a jamais transmis les documents de traçabilité des terres, la convention conclue par la commune avec la société JF Construction ne lui a pas été communiquée au moment de la signature de l'accord qu'elle a donné à la commune mais lui a été communiquée plus tard et elle a donné son accord uniquement en vue de strictement permettre d'empêcher l'intrusion des gens du voyage et non pour la mise en place d'un talus sur la superficie quasi totale du terrain au mépris des strictes nécessités que requiert l'objectif poursuivi et de ce qu'il est d'usage de faire pour éviter l'intrusion des gens du voyage et enfin du fait de la présence de ces terres amenées qui devait être seulement temporaire ;

- le refus de la commune d'Emerainville de procéder au retrait du talus litigieux est fautif ;

- elle n'a commis aucune imprudence dans la gestion du dossier à l'époque des faits compte tenu de la clôture complète de son terrain et du passage régulier de représentants de la société s'occupant de la pré-commercialisation du bien, de personnes habitant à proximité du terrain et de la présence d'une caméra de vidéosurveillance et que l'absence de couverture de la petite fosse présente sur le site est liée au comportement du bénéficiaire de la promesse de vente ;

- la promesse de vente du 17 avril 2018 contenait une condition suspensive liée au retrait du talus présent sur le terrain ;

- elle justifie des frais liés à l'intervention de la société HM Conseils qui a procédé à une assistance administrative et technique pour la société Pylos Emerainville ;

- elle subit un préjudice de 295 177,90 euros au titre des intérêts bancaires du prêt souscrit pour l'acquisition du terrain entre 2015 et 2020, de 11 179,82 euros au titre de frais administratifs divers liés au renouvellement de la caution bancaire entre 2015 et 2019, de 116 135,52 euros au titre des intérêts de compte-courant d'associés versés à la société-mère Pylos entre 2015 et 2020, de 54 960,39 euros au titre des frais d'avocat engagés pour l'épauler dans les négociations avec les acquéreurs potentiels, de 78 144,63 euros au titre de l'augmentation des frais de commercialisation du terrain, de 78 144,63 euros au titre de l'assistance technique apportée par le cabinet HM Conseils, de 31 539,86 euros au titre des frais de gestion courante de la société entre 2016 et 2020, de 46 670,23 euros au titre des frais d'assistance technique du cabinet Aecom, de 3 512 470,80 euros au titre des frais de retrait du talus, de 500 000 euros au titre de la perte de bénéfice, de 50 000 euros au titre des troubles de jouissance et de 50 000 euros au titre du préjudice d'image commerciale ;

- le montant de l'astreinte est nettement trop faible pour être dissuasif et devrait être d'un montant plus élevé, au minimum de 5 000 euros par jour.

II./ Par une requête, un mémoire et des pièces enregistrés les 23 novembre 2021 et les 21 et 22 avril 2022 sous le n° 21PA05990, la commune d'Emerainville, représentée par Me Landot, demande à la Cour :

1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement nos 1809115, 2005356 du 23 septembre 2021 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de mettre à la charge de la société Pylos Emerainville la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de sursis à exécution est recevable en application de l'article R. 811-17 du code de justice administrative dès lors qu'elle demande le sursis de l'injonction de retirer le talus de terre et de la condamnation à verser à la société Pylos Emerainville la somme de 36 568,18 euros en raison du risque d'être exposée à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge ;

- les moyens présentés dans la requête d'appel sont sérieux.

Par un mémoire en défense et des pièces enregistrés les 18 mars 2022 et 16 janvier 2023, la société Pylos Emerainville, représentée par Mes Nguyen et Levy, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune d'Emerainville la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de procédure civile ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- les observations de Me Polubocsko, avocat de la commune d'Emerainville, et de Me Nguyen, avocat de la société Pylos Emerainville.

Une note en délibéré a été enregistrée le 24 mai 2023 pour la société Pylos Emerainville.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées nos 21PA05987 et 21PA05990 présentées pour la commune d'Emerainville présentent à juger des questions connexes et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. La société Pylos Emerainville, spécialisée dans la promotion immobilière, est propriétaire depuis le 3 novembre 2011, d'un terrain de 13 250 m² situé 44, boulevard de Beaubourg dans une zone d'aménagement concerté du territoire de la commune d'Emerainville (Seine-et-Marne). Ce terrain, qui était utilisé auparavant comme une plate-forme de distribution de produits alimentaires par une installation régie par la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, a été cédé en l'état à la société Pylos Emerainville et comprenait ainsi un bâtiment à usage d'entrepôts ainsi qu'un bâtiment avec un local technique, des bureaux, des parkings souterrains et des aires extérieures destinées aux parkings. Ce terrain a fait l'objet de plusieurs occupations irrégulières par des gens du voyage. La dégradation des bâtiments a conduit la société Pylos Emerainville à procéder entre les mois d'octobre 2013 et de mai 2014 à des travaux de démolition qui ont laissé à l'air libre la partie correspondant au sous-sol des bâtiments ainsi que des travaux de terrassement pour sécuriser les lieux qui ont été arrêtés avant d'être terminés, la société les réalisant ne lui donnant pas satisfaction et conduisant la société Pylos Emerainville à introduire une action en justice contre elle. Une nouvelle occupation illégale du terrain par des gens du voyage a eu lieu au cours de l'été 2015 qui a conduit à la rédaction par la police municipale d'Emerainville d'un rapport de constatation le 5 août 2015 mentionnant notamment l'insalubrité et la dangerosité du site " recouvert de gravats de grande taille, de pièces d'acier rouillées tranchantes de construction et d'une fosse d'une profondeur importante sur la moitié de la superficie du site " et la présence de " plusieurs regards d'eau (...) dépourvus de plaques de sécurité laissant place à des trous béants d'environ un à deux mètres de profondeur pouvant occasionner des chutes ". Par arrêté n° 2015-089 du 11 août 2015, le maire d'Emerainville a décidé, compte tenu de l'urgence de la situation, de procéder à la sécurisation du terrain de façon temporaire et remédiable sans aucune construction dite " en dur " en sollicitant le concours de la société JF Construction pour effectuer les travaux de sécurisation à ses frais et sous sa responsabilité. Le 12 août 2015, la société Pylos Emerainville a signé une autorisation d'occupation temporaire de propriété privée pour la commune d'Emerainville et ses services municipaux permettant la mise en œuvre des moyens nécessaires à la sécurisation de son terrain en y apportant des aménagements temporaires et les dégageant de toute responsabilité en cas d'incident de quelque nature liée à la mise en sécurité de son terrain. Une convention de sécurisation de terrain a également été signée le 12 août 2015 entre le maire de la commune d'Emerainville et le gérant de la société JF Construction prévoyant des amenées de terres non polluées dites inertes sur le terrain appartenant à la société Pylos Emerainville sur une hauteur moyenne de 4,50 mètres sur tout ou partie de la surface des parcelles, ce qui équivaut à une hauteur d'environ un étage et demi d'un bâtiment collectif. Les travaux ont débuté au mois de septembre 2015 avec l'évacuation du béton, de la ferraille et du polystyrène et la mise en place du remblai de terre qui a conduit à l'élévation d'un talus de terre sur la parcelle en cause. Par courriers des 29 septembre et 2 novembre 2016, la société Pylos Emerainville a demandé à la commune de procéder au retrait immédiat de ce talus. Un refus lui a été opposé les 11 octobre et 1er décembre 2016. Par ordonnance du Tribunal administratif de Melun n° 1703828 du 16 juin 2017, le juge des référés a rejeté la demande de la société en vue de l'évacuation par la commune d'Emerainville des terres déposées sur son terrain. Par courrier du 17 juillet 2018, la société Pylos Emerainville a adressé une nouvelle demande à la commune de procéder au retrait du talus que celle-ci a rejetée par une décision du 28 août 2018. Par ordonnance n° 1809117 du 3 décembre 2018, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de la société Pylos Emerainville tendant à ce que soit ordonnée la suspension de la décision de rejet implicite opposée par la commune d'Emerainville à sa demande de retrait et à ce qu'il soit enjoint à celle-ci d'y procéder. Elle a parallèlement introduit une demande devant le même tribunal tendant à l'annulation de la décision du 28 août 2018 par laquelle la commune d'Emerainville a refusé de procéder au retrait du talus. Par courrier du 16 mars 2020 reçu le lendemain, la société Pylos Emerainville a adressé à la commune d'Emerainville une demande préalable d'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la présence illégale du talus sur la parcelle lui appartenant et une décision implicite de rejet lui a été opposée. Elle a alors saisi la même juridiction d'une requête tendant à la condamnation de la commune d'Emerainville à lui verser la somme de 4 824 423,78 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'implantation illégale dudit talus sur sa parcelle. Par jugement nos 1809115, 2005356 du 23 septembre 2021, dont la commune d'Emerainville relève appel par la requête n° 21PA05987, le Tribunal administratif de Melun a condamné celle-ci à verser à la société Pylos Emerainville la somme de 36 568,18 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, a enjoint à la commune d'Emerainville de procéder au retrait complet du talus situé sur la parcelle appartenant à la société Pylos Emerainville dans un délai de dix mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 200 euros par jour de retard et a condamné la société Pylos Emerainville, une fois que la commune d'Emerainville aura réalisé lesdits travaux, à lui verser une somme correspondant à 20 % du montant de ces travaux. Par un appel incident, la société Pylos Emerainville demande à la Cour de réformer ce jugement en tant que la commune d'Emerainville a été condamnée à lui verser, à titre de réparation du préjudice subi, une somme limitée à 36 568,18 euros en réparation de son préjudice et que l'astreinte prononcée a été limitée à un montant de 200 euros par jour de retard en cas de non retrait du talus dans un délai de dix mois à compter de la notification du jugement. Par la requête n° 21PA05990, la commune d'Emerainville demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement contesté.

Sur la requête n° 21PA05987 :

Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :

3. Ont le caractère de travaux publics les travaux immobiliers répondant à une fin d'intérêt général et qui comportent l'intervention d'une personne publique, soit en tant que collectivité réalisant les travaux, soit comme bénéficiaire de ceux-ci.

4. Il résulte de l'instruction que le maire de la commune d'Emerainville a, sur le fondement des pouvoirs de police qu'il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, réalisé d'office par l'intermédiaire de la société JF Construction des travaux de sécurisation d'un terrain appartenant à la société Pylos Emerainville pour empêcher l'accès à ce dernier et remédier à l'insalubrité et la dangerosité du site. Ces travaux ont été exécutés d'office par la commune d'Emerainville pour des motifs d'ordre public, à savoir l'intérêt de la sécurité publique, et ont ainsi le caractère de travaux publics. Il s'ensuit que le litige né de la réalisation de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative. L'exception d'incompétence de la juridiction administrative soulevée par la commune d'Emerainville ne peut, par suite, qu'être écartée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. Le premier alinéa de l'article R. 732-1 du code de justice administrative dispose que : " Après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement ou par le magistrat mentionné à l'article R. 222-13, le rapporteur public prononce ses conclusions lorsque le présent code l'impose. Les parties peuvent ensuite présenter, soit en personne, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales à l'appui de leurs conclusions écrites ". Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L. 731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. / Mention y est faite que le rapporteur et le rapporteur public et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs ainsi que toute personne entendue sur décision du président en vertu du troisième alinéa de l'article R. 732-1 ont été entendus. / Lorsque, en application de l'article R. 732-1-1, le rapporteur public a été dispensé de prononcer des conclusions, mention en est faite. / Mention est également faite de la production d'une note en délibéré. / La décision fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été prononcée ".

6. En premier lieu, s'il résulte du dernier alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative que le jugement doit indiquer la date de l'audience et celle à laquelle il est prononcé et que les noms des parties, de leurs mandataires ou défenseurs ainsi que de toute personne entendue sur décision du président constituent des mentions substantielles dont l'absence est de nature à l'entacher d'irrégularité une décision, aucune disposition du code de justice administrative n'impose que la mention d'éventuelles audiences précédentes à l'issue desquelles l'affaire aurait été rayée et l'instruction rouverte soit également portée sur la décision. Par suite, la circonstance que le jugement attaqué ne vise pas la première audience qui s'est tenue le 4 mars 2021 et au cours de laquelle avait été examinée la demande de la société Pylos Emerainville et avaient été présentées des observations par la société Aecom est dépourvue d'incidence sur la régularité de ce jugement.

7. En deuxième lieu, la commune d'Emerainville soutient que le président a accepté d'entendre lors d'une première audience qui s'est tenue le 4 mars 2021, sans avoir fait de demande expresse d'éclaircissement et à la demande du conseil de la société Pylos Emerainville, un représentant de la société Aecom, qui n'était pas partie à l'instance et pas intéressée par le litige et qui ne disposait d'aucun mandat permanent lui permettant de représenter cette société Pylos Emerainville. Elle soutient également que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors qu'ont été méconnus le principe du contradictoire et les droits de la défense lors de cette audience en donnant la parole à un représentant de la société Aecom ne disposant d'aucun mandat ni pouvoir de la société Pylos Emerainville pour présenter des observations pour son compte lors de cette audience, alors que la commune n'avait pas été préalablement informée de cette intervention par la société Pylos Emerainville et qu'il ne lui a pas été demandé son accord préalable à cette intervention et que la société Aecom a été entendue comme expert alors que cela n'était pas sollicité par la juridiction et que son expertise n'a pas été contradictoire. Toutefois, ces circonstances sont insusceptibles d'avoir une influence sur la régularité du jugement attaqué, lequel a été rendu après réouverture de l'instruction et la tenue d'une nouvelle audience, permettant ainsi à la commune d'Emerainville, par la production de deux mémoires les 11 mars et 26 mars 2021, de faire valoir ses observations à la suite de la première audience et de l'audition contestée de la société Aecom. Dans ces conditions, ni les dispositions de l'article R. 732-1 du code de justice administrative ni le principe du contradictoire et les droits de la défense n'ont été méconnus.

8. En troisième lieu, la commune d'Emerainville soutient que l'audition du représentant de la société Aecom n'a pas eu pour seul objet de préciser les faits relatés dans les écritures des parties, mais a conduit en réalité les premiers juges à diligenter une enquête en méconnaissance des règles applicables à une telle mesure d'instruction prévues par le code de justice administrative. Elle n'apporte, toutefois, aucun élément à l'appui de ses allégations qui permettrait d'en établir le bien-fondé alors, en tout état de cause, comme il l'a été dit, que le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une seconde audience n'ayant pas donné lieu à l'audition contestée.

9. En quatrième lieu, la commune requérante met en cause la régularité du jugement attaqué en soutenant que le tribunal, en méconnaissance de la charge de la preuve, s'est fondé exclusivement sur les pièces produites par la société Pylos Emerainville. Les premiers juges se seraient ainsi appuyés sur les rapports établis non contradictoirement par les sociétés Géotechnique appliquée Ile de France et Aecom, pour considérer que la commune " a substantiellement excédé les limites de l'autorisation donnée par la société requérante " en faisant édifier un talus d'une hauteur comprise entre 6 et 9 mètres, alors que la commune d'Emerainville a produit un rapport d'information dressé le 9 novembre 2016 par les agents de police, lequel fait foi jusqu'à preuve du contraire, qui indique que la société JF Construction, mandatée par la commune, a réalisé sur la parcelle un talus de terre d'une hauteur n'excédant pas cinq mètres, conformément à l'autorisation donnée par la société Pylos Emerainville. Ce moyen concerne le bien-fondé et non la régularité du jugement.

10. En cinquième lieu, d'une part, en indiquant au point 24 du jugement attaqué que " la persistance de la présence de ce talus à la date du présent jugement trouve son origine dans l'exécution défectueuse des travaux publics ordonnés par le maire de la commune d'Emerainville ", les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement sur la qualification de la nature du dommage de travaux publics qui perdure à la date de la demande du prononcé d'une injonction tendant à mettre fin à cette situation. D'autre part, contrairement à ce que soutient la commune requérante, les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré, au point 25 du jugement attaqué, que les travaux à réaliser n'étaient pas disproportionnés par rapport au budget de la commune. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisante motivation de ce jugement s'agissant de la mesure d'injonction ne peuvent qu'être écartés.

11. En dernier lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la commune requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de droit, de fait, d'appréciation ou d'erreurs manifestes d'appréciation ou encore d'erreur de qualification des faits ou de dénaturation des pièces du dossier.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne le régime de responsabilité applicable :

S'agissant de la qualité de tiers ou d'usager de la société Pylos Emerainville :

12. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que la société Pylos Emerainville a bénéficié des travaux réalisés sur son terrain qui revêtaient le caractère de travaux publics, elle doit de ce fait être regardée comme ayant la qualité d'usager à leur égard contrairement à ce qu'ont considéré les juges de première instance comme le soutient à juste titre la commune d'Emerainville sans que toutefois cette qualification d'usager ait une incidence sur le bien-fondé du jugement attaqué dès lors que le régime de responsabilité sans faute trouve également à s'appliquer aux usagers.

S'agissant de l'application aux usagers victimes de dommage résultant de travaux publics du régime de responsabilité sans faute :

13. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages anormaux et spéciaux que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux usagers en cas de défaut d'entretien normal. Il ne peut s'exonérer de sa responsabilité à l'égard de l'usager qu'en apportant la preuve d'un entretien normal de cet ouvrage.

14. La société Pylos Emerainville, qui est un usager par rapport à l'opération de travaux publics réalisée sur son terrain pour le compte de la commune d'Emerainville par la société JF Construction, est fondée à demander l'engagement de la responsabilité sans faute de cette commune en raison des conséquences dommageables anormales et spéciales de cette opération de travaux publics comme l'ont considéré à bon droit les premiers juges.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune d'Emerainville :

15. Il résulte de l'instruction que par arrêté du 11 août 2015, le maire de la commune d'Emerainville a décidé de procéder à la sécurisation du terrain de la société Pylos Emerainville de façon temporaire et remédiable sans aucune construction dite " en dur " en sollicitant le concours de la société JF Construction qui effectuera les travaux de sécurisation à ses frais et sous sa responsabilité. Le 12 août 2015, d'une part, la société Pylos Emerainville a signé une autorisation d'occupation temporaire de propriété privée pour la commune d'Emerainville et ses services municipaux permettant la mise en œuvre des moyens nécessaires à la sécurisation de son terrain en y apportant des aménagements temporaires et dégageant de toute responsabilité ladite commune et ses services municipaux en cas d'incident de quelque nature liée à la mise en sécurité de son terrain. Le même jour, une convention de sécurisation de terrain a été signée entre le maire d'Emerainville et le gérant de la société JF Construction prévoyant des amenées de terres non polluées dites inertes sur le terrain de la société Pylos Emerainville sur une hauteur moyenne de 4,50 mètres sur tout ou partie de la surface du terrain. La commune d'Emerainville soutient que cette convention a été transmise à la société Pylos Emerainville, mais n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations permettant d'en apprécier le bien-fondé alors que la société Pylos Emerainville conteste en avoir eu connaissance au moment d'avoir donné son accord le 12 août 2015, mais reconnaît seulement en avoir obtenu un exemplaire postérieurement. De plus, elle soutient n'avoir autorisé la commune d'Emerainville à intervenir sur son terrain pour empêcher l'accès aux gens du voyage que pour procéder à ce qui " se fait usuellement dans le milieu de la construction, à savoir la mise en place de butées/merlons de terre au niveau des points d'entrée possibles sur le terrain " pour en empêcher l'accès, mais pas pour y déposer un apport de terre couvrant la quasi-totalité de la surface de son terrain de presque un hectare et demi, que ce soit sur 4,50 m ou sur plus de 4,50 m de hauteur. La commune d'Emerainville, qui conteste les termes de cet accord, fait valoir que l'autorisation donnée par la société Pylos Emerainville concernait bien la réalisation d'un remblai sur tout ou partie du terrain et sur une hauteur de 4,50 mètres et produit à l'appui de son argumentation le mémoire de la société Pylos Emerainville l'admettant, enregistré le 3 novembre 2018 dans le cadre d'une procédure de référé-suspension devant le Tribunal administratif de Melun, tandis que la société Pylos Emerainville produit un article de presse du 26 avril 2022 dans lequel le chef de la police municipale d'Emerainville reconnaît qu'il " était question de créer des petites buttes et pas de recouvrir tout le terrain ".

16. Si la convention du 12 août 2015 conclue entre la commune d'Emerainville et la société JF Construction prévoit bien " la réalisation des travaux de protection par des amenées de terres non polluées dites inertes, sur une hauteur moyenne de 4,50 mètres sur tout ou partie de la surface des parcelles, ce qui équivaut à une hauteur environ d'un étage et demi d'un bâtiment collectif ", l'autorisation " d'occupation temporaire de propriété privée " signée le même jour par le gérant de l'EURL Pylos Emerainville se borne à " autoriser la ville d'Emerainville et ses services municipaux à mettre les moyens nécessaires à la mise en sécurité de mon terrain (...) et d'y apporter les aménagements temporaires ". Dans ces conditions, ni ce document ni aucune autre pièce émanant de la société Pylos Emerainville ne peuvent être regardés comme ayant autorisé à recouvrir la parcelle dont elle est propriétaire d'une épaisse butte de terre, l'autorisation s'étant bornée à autoriser la mise en sécurité du terrain.

17. Il suit de là que la présence de toutes les amenées de terre sur la parcelle appartenant à la société Pylos Emerainville quelle que soit leur hauteur est constitutive d'un dommage anormal et spécial directement en lien avec cette opération de travaux publics dont elle est ainsi fondée à solliciter l'indemnisation par l'engagement de la responsabilité sans faute de la commune d'Emerainville.

18. La commune d'Emerainville soutient qu'elle doit être totalement exonérée de sa responsabilité compte tenu de la faute commise par la société Pylos Emerainville dès lors que les travaux effectués ne sont que la conséquence des négligences liées au défaut d'entretien de son terrain.

19. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de constatation du 5 août 2015 établi par la police municipale que le site était " recouvert de gravats de grande taille, de pièces d'acier rouillées tranchantes de construction et d'une fosse d'une profondeur importante sur la moitié de la superficie du site " et que " plusieurs regards d'eau (...) dépourvus de plaques de sécurité laissant place à des trous béants d'environ un à deux mètres de profondeur pouvant occasionner des chutes " étaient présents. La dangerosité de ce site non contestée par la société Pylos Emerainville est ainsi caractérisée, quand bien même l'absence de couverture de la petite fosse présente sur le site serait liée à une demande du bénéficiaire de la promesse de vente qu'elle a signée avec le groupe Samse. Par ailleurs, si la société Pylos Emerainville soutient que son terrain était sécurisé par un gardiennage du site sans produire de pièces permettant d'en établir la réalité au moment de la dernière occupation illicite en 2015, qu'il est surveillé à sa demande par des voisins, comme l'établit le courriel d'un élu municipal du 22 juin 2022, par le passage régulier de représentants de la société s'occupant de la pré-commercialisation du bien, qu'il était entièrement clôturé, ce que conteste la commune d'Emerainville en produisant une photographie montrant au moins deux endroits permettant des intrusions et qu'une caméra de surveillance municipale permettait une visualisation de l'entrée du terrain, ces éléments sont insuffisants pour établir qu'elle avait pris les mesures nécessaires pour empêcher les intrusions sur sa parcelle et pour en sécuriser les abords alors qu'elle savait, comme le montrent notamment les courriels de la société des 18 octobre 2012 et 11 août 2015, que son terrain avait déjà fait l'objet de précédentes occupations illégales par des gens du voyage à la suite desquelles elle n'établit pas avoir mis en œuvre de mesures de sécurisation supplémentaires. Par ailleurs, la société Pylos Emerainville, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, ne pouvait ignorer les risques auxquels elle était exposée en s'abstenant de prendre des mesures de sécurité adéquates sur son terrain inoccupé pendant plusieurs années pour empêcher des intrusions et occupations illicites. Ainsi, en rendant nécessaire la sécurisation de son terrain par la commune d'Emerainville suite à son inaction, la société Pylos Emerainville a commis une faute de nature à exonérer ladite commune de sa responsabilité à hauteur de 20 % concernant les conséquences commerciales et financières qu'elle a subies suite à l'exécution défectueuse de ces travaux.

20. Il résulte de l'instruction que les travaux ont conduit à ce que soit érigée une butte de terre d'une hauteur de 5 et 9 mètres au-dessus du niveau naturel du sol constituant un volume estimé à 65 775 m3 sur une superficie de 13 250 m2 de la parcelle appartenant à la société Pylos Emerainville. L'ampleur de ces travaux ne correspond ni à ce qu'impliquait la convention du 12 août 2015 conclue entre la société JF Construction et la commune d'Emerainville ni à l'autorisation donnée par la société Pylos Emerainville se limitant à la création de merlons périphériques pour éviter l'intrusion de squatters. Compte tenu de ce volume totalement disproportionné de ces amenées de terres par rapport à celles qui auraient été nécessaires à la seule réalisation des merlons anti-intrusions, les travaux réalisés ne peuvent par leur ampleur être regardés comme étant en lien direct avec le défaut de sécurisation fautif du terrain par la société Pylos Emerainville. Pour les mêmes raisons, la nature des terres apportées, dont il résulte de l'instruction qu'il s'agit de déchets pollués qui nécessiteront un transport vers des installations de stockage spécialisées, n'a pas davantage de lien avec la faute commise par la société Pylos Emerainville. Enfin si la commune d'Emerainville lui reproche un défaut d'attention pour n'avoir pas réagi avant le mois de février 2016, cette circonstance n'est pas à l'origine du déversement de terres effectué sur l'ensemble du terrain et, à défaut de tout élément sur le déroulement des travaux de remblai, il ne peut être reproché au propriétaire du terrain de n'avoir pas demandé à ce qu'il y soit mis fin. En outre, le chef du service de police municipale s'était engagé auprès de la société, par un courriel du 12 août 2015, à lui envoyer régulièrement des photographies montrant l'évolution des travaux, ce qu'il n'a pas fait, celui-ci s'étant borné, par un courriel du 24 septembre 2015, produit par la société propriétaire du terrain, en réponse à son gérant, à lui préciser que " le remblai avec de la bonne terre continue ". Ni lui, ni aucun agent de la commune d'Emerainville n'a tenu ensuite la société informée de la poursuite et de la teneur des travaux avant un nouveau courriel du 3 février 2016 du chef du service de police municipale en réponse à une demande d'information adressée la veille par le gérant de la société. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que la société Pylos Emerainville aurait commis une faute de nature à atténuer la responsabilité de la commune d'Emerainville en ce qui concerne les frais qui seront nécessaires pour retirer le talus finalement élevé et le volume très important des terres apportées, lesquels trouvent leur origine dans les travaux demandés par la commune à la société JF Construction, et sont sans lien avec une sécurisation du terrain, impliquant seulement la mise en place de merlons sur le périmètre du terrain autorisée par la société Pylos Emerainville.

Sur les préjudices :

21. En premier lieu, la société Pylos Emerainville se prévaut du préjudice qu'elle a subi au titre des frais bancaires d'un montant total de 295 177,90 euros liés à la prolongation du prêt qu'elle a contracté pour l'acquisition du terrain du fait du retard de revente du terrain dû à la l'exécution des travaux par la commune d'Emerainville.

22. Il résulte de l'instruction, s'agissant de la promesse de vente de son terrain signée le 26 juillet 2016 par la société Pylos Emerainville qui était valable jusqu'au 22 décembre 2017, que si elle comprenait une condition suspensive liée à l'évacuation des terres formant le talus par la commune, la société Pylos Emerainville n'apporte aucun élément en appel permettant de considérer que l'échec de la vente n'aurait pas été causée par la méconnaissance par ce projet du plan local d'urbanisme, comme l'a fait valoir la commune d'Emerainville. Il s'ensuit qu'en l'absence de lien de causalité direct et certain établi entre l'échec de cette promesse de vente et la présence du talus, aucune indemnité ne peut être allouée à la société Pylos Emerainville en réparation du préjudice subi du fait de la prolongation de son prêt jusqu'en 2017. S'agissant ensuite de la promesse de vente de son terrain signée le 17 avril 2018 avec la société GFDI 123, la société Pylos Emerainville soutient qu'elle contenait une condition suspensive liée au retrait du talus présent sur le terrain, ce que confirme le courriel du notaire du 23 juin 2022, qui précise que ce retrait constituait tant une condition déterminante du consentement qu'une condition suspensive, ce qui ressort du contenu de cette promesse et de l'avenant n° 2 à cette promesse signé le 30 octobre 2018. Toutefois, cette promesse et cet avenant comportaient d'autres conditions suspensives et notamment l'obtention d'un permis de construire avec l'engagement de la société Pylos Emerainville d'indemniser la société GFDI 123 d'une partie de ses frais liés au dépôt de sa demande de permis de construire et à la réalisation des études géotechniques et de pollution des sols. Or, s'il est constant que la condition suspensive liée au retrait du talus n'a pas été levée, il n'est pas établi que la société GFDI 123 aurait obtenu le permis de construire précité, de sorte que la présence du talus ne peut être regardée comme la cause directe et certaine ayant conduit à l'échec de cette seconde vente. Par suite, aucune indemnité ne peut être allouée à la société Pylos Emerainville en réparation du préjudice subi du fait de la prolongation de son prêt suite à l'échec de cette nouvelle promesse de vente. Pour les mêmes motifs, elle ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice de 11 179,82 euros dont elle se prévaut au titre de frais administratifs divers liés au renouvellement de la caution demandée par la banque à titre de sûreté du remboursement de son crédit bancaire entre 2015 et 2019 et de 116 135,52 euros au titre des intérêts de compte courant d'associés versés entre 2015 et 2020 à la société-mère Pylos qui lui a consenti un prêt complémentaire et de 31 539,86 euros au titre des frais de gestion courante de la société Pylos Emerainville entre 2016 et 2020 qui a vocation à disparaître après la cession du terrain.

23. En deuxième lieu, si la société Pylos Emerainville se prévaut du préjudice qu'elle a subi d'un montant de 54 960,39 euros au titre des frais d'avocat qu'elle a dû engager pour l'assister lors des négociations avec les acquéreurs potentiels, toutefois, elle n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions et n'établit ainsi ni que le montant dont elle se prévaut serait lié à de telles négociations, ni comme il vient d'être dit que la présence du talus serait la cause directe et certaine ayant conduit à l'échec des négociations avec les acquéreurs potentiels au cours desquelles elle a exposé des frais d'avocat. Il y a lieu, par suite, d'écarter ce chef de préjudice comme l'ont considéré à bon droit les premiers juges.

24. En troisième lieu, la société Pylos Emerainville se prévaut du préjudice qu'elle a subi d'un montant de 78 144,63 euros lié à l'augmentation des frais de commercialisation de son terrain dès lors qu'elle dû recourir à l'assistance administrative et technique de la société HM Conseils. Toutefois, si elle justifie de l'assistance de cette société et du règlement des frais dont elle sollicite l'indemnisation, en revanche elle n'établit pas que l'exécution des travaux par la commune d'Emerainville serait la cause directe et certaine l'ayant conduit à avoir recours aux services de cette société. L'indemnisation de ce chef de préjudice ne peut ainsi qu'être écartée comme l'ont considéré à bon droit les premiers juges.

25. En quatrième lieu, la société Pylos Emerainville se prévaut du préjudice d'un montant de 46 670,23 euros qu'elle a subi en raison des frais exposés par l'assistance technique de la société Aecom. Tout d'abord, s'agissant des frais de 960 euros TTC liés à la présence d'un représentant de cette société lors de l'audience du tribunal administratif du 16 novembre 2018, cette somme a déjà été indemnisée par le tribunal au titre des frais d'instance mis à la charge de la commune d'Emerainville. Ensuite, s'agissant des factures des 31 octobre 2017 et 15 janvier 2018, d'un montant respectivement de 25 994,23 euros TTC et de 11 628 euros TTC, relatives à la " caractérisation de la qualité des terres d'apport et estimation des coûts de gestion ", ces investigations réalisées sur le terrain dont la société Pylos Emerainville est propriétaire sont en lien direct et certain avec l'exécution des travaux par la commune d'Emerainville et par suite cette dernière est fondée à en solliciter l'indemnisation. S'agissant de la facture du 16 septembre 2019 d'un montant de 8 088 euros TTC relative à la recherche de revalorisation des remblais d'apport, la commune d'Emerainville est fondée à demander que soit déduite de ce montant la somme de 740 euros HT soit 888 euros TTC qui correspond à des prestations complémentaires sans lien avec l'exécution des travaux litigieux, soit des investigations relatives aux réseaux souterrains et à l'ancienne cuve enterrée. L'indemnisation au titre de cette facture doit ainsi être fixée à un montant de 7 200 euros TTC. Par suite, l'indemnisation à laquelle la société Pylos Emerainville peut prétendre au titre des prestations réalisées par la société Aecom doit être ramenée à la somme de 44 822,23 euros et le jugement attaqué réformé en ce sens.

26. En cinquième lieu, la société Pylos Emerainville se prévaut d'un préjudice de 50 000 euros lié au titre des troubles de jouissance de son terrain. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de l'exécution des travaux par la commune d'Emerainville qui a conduit à la présence d'un talus aux dimensions disproportionnées par rapport à ce qui était strictement nécessaire à la sécurisation du terrain, il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en lui allouant la somme de 40 000 euros.

27. En sixième lieu, la société Pylos Emerainville fait valoir qu'elle a subi un préjudice de 500 000 euros au titre de la perte de bénéfice sur le prix de vente du terrain. Elle produit le courriel du 1er avril 2021 adressé à son gérant par la directrice d'activité Île-de-France Est de la société CBRE France indiquant que depuis 2015, elle s'efforce de commercialiser son terrain mais que " le volume de terre déposé sur le terrain freine tous les prospects qui veulent développer un ensemble immobilier ", " avec le temps le terrain est dévalorisé puisqu'il est proposé au marché depuis de nombreuses années et est connu avec son problème de terre de tous les acteurs immobiliers intéressés par ce type de bien ", et ajoutant qu'un " bien qui est depuis longtemps sur le marché rend les acquéreurs potentiels suspicieux, anticipant de gros problèmes " et que la valeur d'un terrain si bien localisé que celui dont elle est propriétaire et avec une affectation commerciale s'évalue sur la base d'un prix minimum de 200 euros par mètre carré, soit pour son terrain à 2 975 000 euros HT mais que la dévalorisation du sien peut être estimée dans une fourchette de 15 à 20 %, soit une décote de plus ou moins 500 000 euros. Toutefois, dès lors qu'il résulte de ce qui précède que l'étendue de son préjudice n'est pas certaine, la société Pylos Emerainville n'est pas fondée en solliciter l'indemnisation.

28. En septième lieu, la société Pylos Emerainville se prévaut d'un préjudice de 50 000 euros lié au préjudice d'image commerciale. Elle établit la réalité de ce préjudice en produisant le courriel précité du 1er avril 2021, lequel mentionne que la " suspicion s'étend aussi à la qualité du vendeur, c'est-à-dire, à la société Pylos Emerainville dont la réputation (...) est apparue écornée si l'on s'en tient aux échanges que [la directrice d'activité Île-de-France Est de la société CBRE France a] pu avoir avec différents prospects/professionnels qui se et [lui] demandent comment votre société a pu en arriver là ". Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en lui allouant à ce titre la somme de 30 000 euros.

29. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnisation à laquelle la société Pylos Emerainville peut prétendre au titre des préjudices qu'elle a subis du fait de l'exécution des travaux par la commune d'Emerainville s'élève à un montant total de 114 822,23 euros. Compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 19, la somme que la commune d'Emerainville devra verser à la société Pylos Emerainville est fixée à 91 857,78 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2020, date de réception de la demande préalable d'indemnisation adressée à la commune d'Emerainville et de la capitalisation des intérêts à compter du 17 mars 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Il y a lieu de réformer le jugement attaqué en ce sens.

Sur la demande d'injonction :

30. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

31. Pour la mise en œuvre des pouvoirs décrits ci-dessus, il appartient au juge, saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de la personne publique soit engagée, de se prononcer sur les modalités de la réparation du dommage, au nombre desquelles figure le prononcé d'injonctions, dans les conditions définies au point précédent, alors même que le requérant demanderait l'annulation du refus de la personne publique de mettre fin au dommage, assortie de conclusions aux fins d'injonction à prendre de telles mesures. Dans ce cas, il doit regarder ce refus de la personne publique comme ayant pour seul effet de lier le contentieux.

32. Il résulte de l'instruction, d'une part, que le talus litigieux est toujours présent sur le terrain dont la société Pylos Emerainville est propriétaire à la date à laquelle la Cour statue sur la demande d'injonction de cette dernière tendant à ce que la commune d'Emerainville procède à son retrait, lequel lui avait déjà été ordonné par le jugement attaqué du 23 septembre 2021. La persistance de la présence dommageable de ce talus trouve son origine dans l'exécution défectueuse des travaux publics ordonnés par le maire de la commune d'Emerainville et est constitutive d'une abstention fautive de prendre les mesures de nature à y mettre fin.

33. D'autre part, il appartient au juge administratif de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. La commune d'Emerainville soutient que l'évacuation des terres représente un coût disproportionné pour le budget communal eu égard au prétendu dommage subi par la société Pylos Emerainville. Il résulte de l'instruction, et notamment des calculs non contestés effectués par la société Aecom détaillés dans un schéma, que l'épaisseur de la butte se situe entre 5 et 9 mètres au-dessus du niveau naturel du sol et constitue un volume estimé à 65 775 m3 sur une superficie de 13 250 m2. Le coût d'évacuation des terres représente selon les indications fournies par la société Géotechnique appliquée Ile de France dans sa note de calcul du 9 septembre 2016, un montant différent pour les terres évacuées en installation de stockage de déchets inertes (ISDI) aménagée spécifique à la problématique de fraction soluble et sulfates et pour les terres évacuées dans une installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND) ou biocentre. La société Pylos Emerainville invoque un coût total d'évacuation du talus dans son ensemble évalué à 3 512 470,80 euros TTC en fonction des éléments apportés par la société Géotechnique appliquée Ile de France, montant non contesté par la commune d'Emerainville. Dès lors que la présence de ce talus est la conséquence de l'exécution défectueuse des travaux publics effectués pour le compte de la commune d'Emerainville, le coût de l'enlèvement des terres litigieuses par rapport au préjudice subi par la société Pylos Emerainville ne peut être regardé comme étant disproportionné pour la commune d'Emerainville. En effet, cette dernière avait un budget de 19 123 255,99 euros en 2020, a déclaré auprès du tribunal de commerce de Créteil une créance de 7 000 000 euros dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société JF Construction et ne soutient ni même n'allègue qu'elle ne disposerait pas d'une assurance pour couvrir les dommages en litige et qu'elle ne pourrait pas échelonner sa dette en ayant recours à l'emprunt. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que des droits de tiers justifieraient l'abstention de la commune d'Emerainville. Par suite, aucun motif d'intérêt général et aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la commune d'Emerainville de procéder au retrait du talus litigieux.

34. Il suit de là qu'il y a lieu d'enjoindre à la commune d'Emerainville de procéder, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt, au retrait de l'ensemble du talus présent sur le terrain de la société Pylos Emerainville excédant la hauteur naturelle du sol, soit 108,63 m A..., ainsi qu'il ressort du courriel de la société Géotechnique appliquée Ile de France du 14 novembre 2018 adressé à la société Pylos Emerainville et du schéma illustratif complémentaire du talus de cette société. Le maire de la commune d'Emerainville communiquera à la Cour copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter le présent arrêt. Par ailleurs, il y a lieu de prononcer contre la commune d'Emerainville, à défaut pour elle de justifier de l'exécution du présent arrêt dans ce délai, une astreinte de 1 000 euros par jour de retard jusqu'à la date à laquelle cet arrêt aura reçu exécution.

35. Le prononcé d'une telle injonction, laquelle constitue une forme de réparation en nature, a pour effet de mettre fin au préjudice invoqué par la société Pylos Emerainville au titre des frais de retrait du talus. Toutefois, il y a lieu de laisser à la charge de celle-ci le montant des frais liés à l'évacuation des terres dont la présence était strictement nécessaire à la sécurisation du site et qui sont à l'origine du litige né avec la commune d'Emerainville.

36. Dans la mesure où la société Pylos Emerainville avait donné son accord à la sécurisation du site, doit être mis à sa charge le coût relatif à la mise en place de merlons de 6 m3 par mètre autour du périmètre du terrain, estimé à 550 mètres linéaires par la société Aecom dans son courrier du 8 décembre 2017 adressé à la société Pylos Emerainville, correspondant à un volume de terres de 3 300 m3. La société Géotechnique appliquée Ile de France a estimé, ainsi qu'il a été dit au point 33, que les terres devront être évacuées en ISDI ou en ISDND. Il y a lieu, dès lors, pour calculer le coût d'évacuation du volume des terres correspondant aux seuls merlons dont l'installation était nécessaire pour sécuriser le périmètre du terrain, d'appliquer la proportion de leur évacuation en ISDI, en ISDND ou le cas échéant en d'autres installations. Ainsi, une fois que la commune d'Emerainville aura réalisé les travaux prescrits par le présent arrêt, la société Pylos Emerainville devra lui verser la seule somme résultant des coûts supportés pour l'évacuation de 3 300 m3 de terres en appliquant à ce volume les proportions observées correspondant à l'évacuation de l'ensemble des terres litigieuses en ISDI, en ISDND ou le cas échéant en d'autres installations.

Sur la requête n° 21PA05990 :

37. Le présent arrêt statuant sur l'appel présenté pour la commune d'Emerainville contre le jugement nos 1809115, 2005356 du 23 septembre 2021 du Tribunal administratif de Melun, les conclusions de la requête n° 21PA05990 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés à l'instance :

38. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle ce que soit mise à la charge de la société Pylos Emerainville, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune d'Emerainville demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune d'Emerainville la somme totale de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société Pylos Emerainville et non compris dans les dépens en application de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21PA05990 de la commune d'Emerainville à fin de sursis à exécution.

Article 2 : La somme de 36 568,18 euros, que la commune d'Emerainville a été condamnée à verser à la société Pylos Emerainville par le jugement nos 1809115, 2005356 du 23 septembre 2021 du Tribunal administratif de Melun est portée à 91 857,784 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2020. Les intérêts échus à la date du 17 mars 2021 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Il est enjoint à la commune d'Emerainville de procéder au retrait de l'ensemble de la hauteur du talus excédant la hauteur naturelle du sol, à savoir 108,63 m A..., situé sur la parcelle appartenant à la société Pylos Emerainville, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Une astreinte de 1 000 euros par jour est prononcée à l'encontre de la commune d'Emerainville s'il n'est pas justifié de l'exécution du présent arrêt dans le délai mentionné à l'article 2 ci-dessus. Le maire de la commune d'Emerainville communiquera à la Cour copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter le présent arrêt.

Article 5 : Une fois que la commune d'Emerainville aura réalisé les travaux mentionnés à l'article 2 ci-dessus, la société Pylos Emerainville versera à la commune d'Emerainville une somme correspondant au coût d'évacuation de 3 300 m3 de terres dans les conditions définies au point 35 du présent arrêt.

Article 6 : Les articles 1 à 4 du jugement nos 1809115, 2005356 du 23 septembre 2021 du Tribunal administratif de Melun sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 7 : La commune d'Emerainville versera à la société Pylos Emerainville la somme totale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête n° 21PA05987 et des conclusions d'appel incident de la société Pylos Emerainville est rejeté.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Emerainville et à la société Pylos Emerainville.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2023.

La rapporteure,

A. COLLET Le président,

R. LE GOFF

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 21PA05987, 21PA05990 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA05987
Date de la décision : 21/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL LANDOT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-21;21pa05987 ?
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