Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Shurgard France SASU a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution de l'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles mises à sa charge au titre des exercices 2012 et 2014 pour un montant respectif de 86 083 euros et 393 340 euros et de lui accorder en conséquence l'augmentation des déficits reportables à hauteur de 250 000 euros et 1 142 321 euros, au titre respectivement des mêmes exercices.
Par un jugement n° 1904315 du 17 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de la société en ce qui concerne la restitution de l'impôt sur les sociétés et les contributions additionnelles et a fixé le montant des déficits reportables à 250 000 euros et 1 142 321 euros au titre des exercices 2012 et 2014.
Par ordonnance en rectification d'erreur matérielle du 2 juin 2021, le président du tribunal administratif de Paris a précisé que le déficit reportable de la société était augmenté de 250 000 euros au titre de l'exercice 2012 et 1 142 321 euros au titre de l'exercice 2014.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête enregistrée le 12 mai 2021 sous le numéro 21PA02599, la société par action simplifiée unipersonnelle (SASU), représentée par Me Rudeaux, avocate, demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 3 et 4 du jugement n° 1904315 du 17 mars 2021, du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer l'augmentation des déficits reportables de la société à hauteur de 250 000 euros au titre de l'année 2012 et 1 142 321 euros au titre de l'année 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'erreurs matérielles, le dispositif étant erroné eu égard aux motifs du jugement et de la demande de la société.
Par un mémoire, enregistré le 10 septembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au non-lieu à statuer.
Il fait valoir que le président du tribunal administratif de Paris a procédé à la rectification d'erreur matérielle demandée.
II - Par une seconde requête et des mémoires en réplique, enregistrés les 9 juillet, 27 décembre 2021 et 16 février 2022 sous le numéro 21PA03844, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1904315 du 17 mars 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les conclusions de la société Shurgard France SASU devant le Tribunal, de remettre à sa charge les impositions déchargées à tort et de diminuer en conséquence le montant des déficits reportables.
Il soutient que
- l'arrêt de la CJUE C-386/14 du 2 septembre 2015 (Groupe Steria SCA) ne porte pas sur l'imposition de la quote-part pour frais et charges lorsque la société mère n'est pas intégrante fiscalement ;
- l'option ou non pour l'intégration fiscale de la société mère institue une différence de situation entre sociétés mère, en rapport avec l'objet de la législation relative à l'intégration fiscale ; la société Shurgard SASU, qui ne détient aucune filiale en France, ne remplit objectivement pas les conditions pour bénéficier du régime d'intégration fiscale ;
- la réintégration d'une quote-part pour frais et charges est prévue à l'article 4 § 3 de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 et le principe de liberté d'établissement n'interdit pas aux Etats membres de prévoir une exonération pour les seules sociétés membres d'une intégration fiscale.
Par mémoires en défense, enregistrés les 24 novembre 2021 et 26 janvier 2022, la société Shurgard France SASU, représentée par Me Rudeaux, avocate, conclut à titre principal au rejet de la requête du ministre et, à titre subsidiaire, à ce que la Cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 reprise par la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-386-14 du 2 septembre 2015 Groupe Steria SCA ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Simon ;
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;
- et les observations de Me Philippe, substituant Me Rudeaux, pour la société Shurgard France SASU.
Considérant ce qui suit :
1. La société par action simplifiée unipersonnelle (SASU) Shurgard France a perçu, en 2012 et en 2014, des dividendes de sa filiale belge détenue à 99,99 % qui ont été placés sous le régime fiscal des société-mères prévus aux articles 145 et 216 du code général des impôts. Conformément aux dispositions de l'article 216 du code général des impôts, le montant de ces dividendes a été soustrait du résultat fiscal de la société Shurgard France SASU. La société a sollicité que la déduction d'une quote-part de 5 % pour frais et charges ne lui soit pas appliquée, en vertu des dispositions de l'article 223 B du même code. Par jugement du 17 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande, et a ordonné la restitution d'un montant d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles de 86 083 euros au titre de l'exercice 2012 et de 393 340 euros au titre de l'exercice 2014 en fixant le montant du déficit reportable de la société à 250 000 euros au titre de l'exercice 2012 et 1 142 321 euros au titre de l'exercice 2014. Par ordonnance en rectification d'erreur matérielle en date du 2 juin 2021, le président du tribunal administratif de Paris a réformé le jugement en précisant que le montant indiqué de déficit reportable s'entendait de la hausse du déficit des exercices 2012 et 2014 et non de leur montant total. La société Shurgard France SASU demande régulièrement à la Cour la réformation des articles 3 et 4 du jugement du 17 mars 2021, en tant qu'il a fixé le montant du déficit reportable de la société à 250 000 euros au titre de l'exercice 2012 et 1 142 321 euros au titre de l'exercice 2014. Pour sa part, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande régulièrement l'annulation totale du jugement.
2. Les requêtes n° 21PA02599 et 21PA03844 sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur les conclusions de la requête n° 21PA02599 :
3. D'une part, par ordonnance du 2 juin 2021, postérieure au dépôt de la requête de la société Shurgard France SASU devant la Cour, le président du tribunal administratif de Paris a réformé le jugement du 17 mars 2021 pour préciser que le montant du déficit reportable de la société au titre de l'année 2012 était augmenté de 250 000 euros et celui de l'année 2014 de 1 142 321 euros. La requête de la société Shurgard France SASU est désormais dépourvue d'objet. Il n'y a par suite plus lieu pour la Cour d'y statuer.
4. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre des frais exposés par la société Shurgard France SASU en lien avec cette instance et non compris dans les dépens.
Sur les conclusions de la requête n° 21PA03844 :
5. Dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne peut utilement soutenir que les premiers juges ont entaché leur jugement d'erreur de droit pour demander l'annulation du jugement entrepris.
6. Aux termes de l'article 216 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. Cette quote-part ne peut toutefois excéder, pour chaque période d'imposition, le montant total des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de la même période. ". Aux termes de l'article 223 A du même code : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe (...) / Seules peuvent être membres du groupe les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues aux articles 214 et 217 bis (...) / Les sociétés du groupe et, sous réserve de la réglementation étrangère qui leur est applicable, les sociétés intermédiaires doivent ouvrir et clore leurs exercices aux mêmes dates (...) " et aux termes de son article 223 B, dans sa rédaction applicable : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun (...) / Le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa (...) ".
7. D'une part, il est constant que la société Shurgard France SASU ne dispose pas de filiale résidente fiscalement en France et n'entre ainsi pas dans le champ de l'intégration fiscale. Comme le soutient le ministre, elle ne peut par suite utilement se prévaloir du principe d'égalité posé par le droit primaire de l'Union européenne, pour demander la neutralisation de la quote-part de frais et charges réintégrée à raison des produits de participation en provenance de filiales établies dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, dès lors qu'elle ne se trouve pas dans la même situation que les sociétés ayant opté pour le régime de l'intégration.
8. D'autre part, aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre (...) ". Aux termes de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres. / Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l'exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif. ". Par un arrêt du 2 septembre 2015 Groupe Steria SCA (C-386/14), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre Etat membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option.
9. Il résulte nécessairement de l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt mentionné au point 8 du présent arrêt qu'en l'espèce, l'exclusion du bénéfice de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges prévue à l'article 223 B précité du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable, à raison des dividendes provenant de la filiale belge détenue à 99,99 % de la société requérante, alors que ladite filiale aurait été éligible à l'intégration fiscale si elle avait été résidente en France, au seul motif que la société mère française ne dispose pas également d'une filiale française lui permettant de bénéficier du régime d'intégration fiscale, constitue un obstacle à la création d'une filiale dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France et, par suite, à la liberté d'établissement au sens des stipulations de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. En outre, et au demeurant, contrairement à ce que soutient l'administration, l'absence d'option de la société mère française, comme en l'espèce, pour le régime de l'intégration fiscale, ne constitue pas une différence de situation susceptible de justifier la différence de traitement critiquée, dès lors qu'une telle option ne saurait, en tout état de cause, être opposée à la filiale d'une telle société, établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne et non susceptible d'être éligible au régime d'intégration, non plus que, par suite, l'absence d'accord donné par une telle filiale au bénéfice de ce régime. Par ailleurs, les dispositions de l'article 4 § 2 de la directive du 23 juillet 1990 visée ci-dessus, reprises à l'article 4 § 3 de la directive du 30 novembre 2011 visée ci-dessus, s'appliquent sans préjudice du principe de non-discrimination au sens de l'article 49 précité du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui constitue un principe fondamental de l'Union européenne auquel l'application de la directive ne saurait contrevenir. Il suit de là que le la société Shurgard France SASU est fondée à demander le bénéfice de l'exonération demandée au titre de la quote-part pour frais et charges en litige.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 17 mars 2021 attaqué, le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Shurgard France SASU des impositions à l'impôt sur les sociétés et des impositions additionnelles au titre des exercices 2012 et 2014, correspondant à la taxation de la quote-part pour frais et charges des dividendes de titre de participation détenus auprès de sa filiale belge, et a fixé le supplément de déficits reportables au titre desdits exercices à, respectivement, 250 000 euros et 1 142 321 euros.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par la société Shurgard France SASU en lien avec cette instance et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21PA02599 de la SASU Shurgard France.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SASU Shurgard France au titre de l'instance n° 21PA02599 sont rejetées.
Article 3 : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 500 euros à la SASU Shurgard France au titre l'instance n° 21PA03844 sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Shurgard France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction des grandes entreprises (DGE).
Délibéré après l'audience du 12 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Simon, premier conseiller,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 2 juin 2023.
Le rapporteur,
C. SIMONLe président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21PA02599, 21PA03844