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17/05/2023 | FRANCE | N°21PA03710

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 17 mai 2023, 21PA03710


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Paris a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1907292 du 5 mai 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. B....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 5 juillet 2021 et 14 novembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. B...

, représenté par Me Arvis, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1907292 du 5 mai 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Paris a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1907292 du 5 mai 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. B....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 5 juillet 2021 et 14 novembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Arvis, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1907292 du 5 mai 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Paris a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

3°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Paris de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, ou à tout le moins de réexaminer sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;

- il remplissait les conditions pour bénéficier de la protection fonctionnelle et n'a pas commis de faute personnelle justifiant que celle-ci lui soit refusée.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 janvier 2022, le recteur de l'académie de Paris conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bourgeois, substituant Me Arvis représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., professeur certifié qui enseigne la philosophie au lycée Montaigne dans le 6ème arrondissement de Paris depuis 1998, relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Paris a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis dans le cas où les juges de première instance ont méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à eux et ont ainsi entaché leur jugement d'irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, M. B... ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable au présent litige : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (...). IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

4. Il ressort des pièces du dossier que le 28 mars 2017, les parents d'une élève de terminale ont adressé au proviseur du lycée Montaigne un courrier comportant des accusations à l'encontre de M. B..., son professeur de philosophie. Le 5 mai 2017, le ministre de l'éducation nationale a demandé à l'inspection générale de l'éducation nationale et à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche de diligenter une mission d'inspection à l'égard de M. B.... Le rapport définitif de cette mission a été rendu en octobre 2017. Par lettre du 13 décembre 2017, le recteur de l'académie de Paris a informé M. B... de la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire à son encontre. Par courrier du 26 mars 2018, le recteur de l'académie de Paris a informé M. B... de l'engagement d'une nouvelle procédure disciplinaire à son encontre visant à prendre en compte les nouveaux faits qui venaient d'être portées à sa connaissance. Par arrêté du même jour, le recteur de l'académie de Paris a également décidé de suspendre M. B... de ses fonctions à compter du 4 avril 2018. Par arrêté du 31 juillet 2018, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a prononcé à l'encontre de M. A... B... la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office. Toutefois, par ordonnance n° 1819192/9 du 7 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision du ministre de l'éducation nationale du 31 juillet 2018, d'autre part, enjoint au ministre de réintégrer M. B... dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête au fond. En exécution de cette ordonnance du 7 novembre 2018, le ministre de l'éducation nationale a pris simultanément, le 10 décembre 2018, un arrêté réintégrant, à titre provisoire, M. B... dans ses fonctions à compter du 8 novembre 2018 et lui infligeant, à compter du 10 décembre 2018, la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois.

5. M. B..., convoqué le 10 décembre 2018, à 16 heures 30, par les services de la direction des ressources humaines du rectorat de l'académie de Paris afin d'examiner sa situation professionnelle, a présenté à cette occasion une demande de protection fonctionnelle au motif que, depuis les accusations portées à son encontre en 2017, il est la cible d'agissements et de propos diffamatoires, injures, dénonciations calomnieuses, outrages et violences psychologiques, à raison de l'exercice de ses fonctions, et qu'il a été publiquement déconsidéré, accusé d'avoir commis de multiples fautes disciplinaires et pénales, suspendu de ses fonctions et mis à la retraite d'office.

6. Il ressort des pièces du dossier que le 28 mars 2017, les parents d'une des élèves de M. B..., l'élève L., ont adressé au proviseur du lycée Montaigne une lettre dans laquelle ils faisaient état " d'injures, de provocations et de propos obscènes " qui auraient été tenus par M. B... à l'encontre de leur fille, à laquelle était annexé le témoignage de cette dernière, signé par six autres élèves, l'un d'entre eux s'étant rétracté ensuite. Le 13 mars 2018, la mère de l'élève Y. a dénoncé auprès du proviseur des " propos racistes, humiliants et de harcèlement " de M. B... à l'encontre de son fils. Eu égard à la nature et à la gravité des faits allégué, qui ont d'ailleurs donné lieu à des poursuites disciplinaires et qui étaient susceptibles, le cas échéant, d'entraîner des poursuites judiciaires, et à leur diffusion au sein de la communauté éducative, ces mises en cause personnelles de M. B..., susceptibles de porter atteinte à son honneur et à sa réputation, constituent des attaques ouvrant droit au bénéfice de la protection fonctionnelle, sous réserve d'une faute personnelle de l'intéressé ou d'un motif d'intérêt général.

7. D'une part, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir la réalité des propos et agissements dont M. B... a été accusé par les deux élèves précités et leurs parents. Cela est d'ailleurs reconnu, s'agissant des " injures, provocations et propos obscènes " dénoncées par l'élève L., dont ils étaient alors seuls saisis, par les auteurs du rapport de la mission d'inspection eux-mêmes. A ce titre, vingt-quatre élèves attestent, de manière précise et détaillée, et sans que rien ne puisse laisser penser qu'ils auraient été manipulés par leur professeur, que les propos en cause soit n'ont jamais été tenus, soit ont été sortis de leur contexte ou déformés par l'élève. Il ressort également de ces témoignages, ainsi que de ceux de plusieurs professeurs, que l'élève L. et les cinq personnes qui l'ont soutenue ne venaient que rarement en classe ou y adoptaient une attitude perturbatrice. S'agissant des propos racistes qui auraient été tenus à l'encontre de l'élève Y., M. B... produit de nombreux témoignages contestant le caractère raciste des propos rapportés, à deux reprises seulement, et indiquant que ceux-ci n'ont été dénoncés par l'élève concerné et un petit nombre d'élèves ayant un comportement perturbateur en classe qu'après que cet élève s'est vu décerner une mauvaise note, susceptible de compromettre son accès aux classes préparatoires aux grandes écoles, et dans le cadre d'une démarche visant à tenter de remettre en cause cette note. Il ressort par ailleurs du rapport rédigé par le proviseur que les professeurs qui ont soutenu l'élève Y. n'ont pas été témoins directs des faits. Enfin, plusieurs anciens élèves ont indiqué, par écrit, n'avoir jamais été témoins de propos ou d'agissements sexistes, racistes ou discriminatoires de la part de M. B.... Dès lors, et quels que soient par ailleurs les faits reprochés à M. B... dans le cadre de la procédure disciplinaire diligentée à son encontre, s'agissant plus largement de sa manière d'enseigner et de servir, le recteur n'établit pas, s'agissant des seuls faits en cause, l'existence d'une faute personnelle de M. B... justifiant que la protection fonctionnelle lui soit refusée.

8. D'autre part, le recteur n'invoque aucun motif d'intérêt général pour justifier son refus d'octroyer à M. B... la protection fonctionnelle à laquelle il avait droit.

9. Enfin, s'il est vrai que les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 n'ont ni pour objet, ni pour effet d'ouvrir droit à la prise en charge par l'Etat des frais qu'un fonctionnaire peut engager pour sa défense dans le cadre d'une procédure disciplinaire diligentée à son encontre par l'autorité hiérarchique dont il relève ou des frais qu'il expose pour contester devant la juridiction administrative une sanction disciplinaire prise à son encontre, il ressort des termes mêmes de la demande de M. B... du 10 décembre 2018, alors même qu'elle a été faite à la date à laquelle une seconde sanction de mise à la retraite d'office a été prononcée à son encontre, qu'elle ne portait pas sur la prise en charge des frais qu'il a exposés à l'occasion de la procédure disciplinaire diligentée à son encontre et des différentes actions contentieuses engagées devant la juridiction administrative, mais sur sa protection contre les actes d'injures, dénonciations publiques et outrages publics subis à raison de l'exercice de ses fonctions de professeur certifié de philosophie titulaire. Par ailleurs, M. B... pouvait solliciter la protection fonctionnelle alors même qu'il n'avait pas encore déposé plainte pour dénonciations calomnieuses, comme il l'a fait ultérieurement le 25 mars 2019, dans le cadre d'une plainte contre X déposée sur le fondement de l'article

226-10 du code pénal auprès du procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. La présente décision implique que le recteur de l'académie de Paris accorde à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle contre les actes d'injures, dénonciations publiques et outrages publics subis à raison de l'exercice de ses fonctions de professeur certifié de philosophie titulaire. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros que M. B... réclame au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1907292 du 5 mai 2021 du tribunal administratif de Paris et la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Paris a refusé d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle qu'il a sollicitée le 10 décembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au recteur de l'académie de Paris d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle contre les actes d'injures, dénonciations publiques et outrages publics subis à raison de l'exercice de ses fonctions de professeur certifié de philosophie titulaire, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, et au recteur de l'académie de Paris.

Délibéré après l'audience du 20 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,

- M. Perroy, premier conseiller.

Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 17 mai 2023.

La rapporteure,

C. C...La présidente,

H. VINOT

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA03710 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03710
Date de la décision : 17/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : SCP ARVIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-05-17;21pa03710 ?
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