Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'hôpital privé des Peupliers a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler trente-quatre titres exécutoires émis à son encontre entre le 30 janvier 2019 et le 29 janvier 2020 par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP), de la décharger de payer les sommes qui lui sont réclamées et de condamner l'AP-HP à lui restituer les sommes prélevées pour le recouvrement de ces titres.
Par un jugement n° 2015583/6-1 du 11 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé les trente-quatre titres exécutoires et a enjoint à l'AP-HP de restituer à l'hôpital privé des Peupliers les sommes perçues sur le fondement desdits titres, pour un montant total de 40 107,53 euros, dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sous réserve que des nouveaux titres aient été émis dans des conditions régulières avant l'expiration de ce délai.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 mai 2022 et le 16 janvier 2023, l'AP-HP, représentée par Me Caralp-Delion, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2015583/6-1 du 11 mars 2022 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par l'hôpital privé des Peupliers devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de condamner l'hôpital privé des Peupliers à lui rembourser la somme de 40 107,53 euros correspondant au montant total des trente-quatre titres exécutoires émis entre le 30 janvier 2019 et le 29 janvier 2020 ;
4°) de mettre à la charge de l'hôpital privé des Peupliers la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de la demande de première instance présentée par l'hôpital privé des Peupliers ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant que les titres litigieux ont été émis en méconnaissance de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales dès lors qu'elle apporte la preuve, en appel, que les bordereaux de ces titres ont été signés par le délégataire de l'ordonnateur ;
- l'autre moyen soulevé par l'hôpital privé des Peupliers en première instance, tiré de la prescription des créances en cause, n'est pas fondé.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 novembre 2022 et le 28 mars 2023, l'hôpital privé des Peupliers, représenté par Me Moulin, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement n° 2015583/6-1 du 11 mars 2022 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de l'obligation de payer les créances litigieuses ;
3°) d'annuler les trente-quatre titres exécutoires émis entre le 30 janvier 2019 et le
29 janvier 2020 pour un montant total de 40 107,53 euros et de prononcer la décharge de l'obligation de payer correspondante ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que la prescription des créances litigieuses était acquise, conformément à l'instruction DGOS/PF4/DSS/1A/2018/101 du 16 avril 2018 relative aux actes de biologie médicale et d'anatomopathologie hors nomenclatures éligibles au financement au titre de la mission d'intérêt général d'enseignement, de recherche, de rôle de référence et d'innovation G03, aux règles de facturation de ces actes et aux modalités de délégation associées ;
- les titres exécutoires ont été émis tardivement dès lors qu'en vertu de l'instruction précitée du 16 avril 2018, les établissements de santé effectuant des actes de biologie médicale et d'anatomopathologie hors nomenclature sont tenus, par exception à la règle de la prescription quinquennale, de transmettre leurs factures aux établissements ayant sollicité ces actes avant le 31 janvier de l'année suivant leur réalisation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'instruction n° DGOS/PF4/DSS/1A/2018/101 du 16 avril 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- les observations de Me Cholet, représentant l'AP-HP,
- et les observations de Me Moulin, représentant l'hôpital privé des Peupliers.
Considérant ce qui suit :
1. Au cours de l'année 2018, l'hôpital privé des Peupliers, établissement de santé privé constitué sous forme de société par actions simplifiées, a prescrit des actes de biologie moléculaire et d'anatomie-cytologie-pathologie pour le compte de certains de ses patients, qui ont été réalisés par le laboratoire du groupement hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, relevant de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP). Entre le 3 janvier 2019 et le 2 décembre 2019, l'AP-HP a émis trente titres exécutoires à l'encontre de l'hôpital privé des Peupliers pour un montant total de 34 091,93 euros puis le 29 janvier 2020 quatre titres exécutoires pour un montant total de 6 915,60 euros correspondant aux actes réalisés durant l'année 2018 par le laboratoire du groupement hospitalier de la Pitié-Salpêtrière. L'hôpital privé des Peupliers a alors demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'ensemble de ces titres exécutoires, de le décharger de l'obligation de payer les sommes correspondantes et de condamner l'AP-HP à lui restituer les sommes prélevées pour le recouvrement desdits titres. Par un jugement du 11 mars 2022, le tribunal a annulé les trente-quatre titres exécutoires et a enjoint à l'AP-HP de restituer à l'hôpital privé des Peupliers les sommes perçues sur le fondement de ces titres dans le délai de trois mois, sous réserve que des nouveaux titres aient été émis dans des conditions régulières avant l'expiration de ce délai.
2. L'AP-HP relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, l'hôpital privé des Peupliers demande la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge de l'obligation de payer les sommes en cause.
Sur la régularité du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " Les dispositions du présent article s'appliquent également aux établissements publics de santé. / 1° En l'absence de contestation, le titre de recettes individuel ou collectif émis par la collectivité territoriale ou l'établissement public local permet l'exécution forcée d'office contre le débiteur. / (...) / L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois à compter de la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite. / 2° La contestation qui porte sur la régularité d'un acte de poursuite est présentée selon les modalités prévues à l'article L. 281 du livre des procédures fiscales. (...) ". Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. (...) Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. (...). " Il résulte de ces dispositions que l'ensemble du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des établissements publics de santé est de la compétence du juge de l'exécution, tandis que le contentieux du bien-fondé de ces créances est de celle du juge compétent pour en connaître sur le fond.
4. Il résulte de l'instruction que l'hôpital privé des Peupliers a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de trente-quatre titres exécutoires émis à son encontre par l'AP-HP au titre de la facturation d'actes de biologie moléculaire et d'anatomie-cytologie-pathologie réalisés par le laboratoire du groupement hospitalier de la Pitié-Salpêtrière. Une telle demande, qui n'est pas dirigée contre un acte de poursuite procédant des titres exécutoires, vise à contester le bien-fondé de créances détenues par un établissement public de santé sur une personne privée. Par suite, les premiers juges n'ont pas entaché leur jugement d'irrégularité en estimant que la juridiction administrative était seule compétente pour connaître du présent litige.
5. En second lieu, l'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, le juge n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler le titre. Statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse.
6. Il ressort du jugement attaqué que pour annuler les titres exécutoires litigieux, les premiers juges ont retenu le moyen tiré du vice de forme entachant lesdits titres et ont rejeté les conclusions à fin de décharge des sommes correspondantes dès lors que le motif d'annulation retenu, tiré d'une irrégularité en la forme, n'impliquait pas nécessairement de prononcer cette décharge. Ce faisant, le tribunal doit être réputé avoir nécessairement examiné et écarté l'autre moyen soulevé devant lui, relatif au bien-fondé des titres exécutoires litigieux. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur, ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. (...) ". Aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " Les dispositions du présent article s'appliquent également aux établissements publics de santé. (...) / 4° Quelle que soit sa forme, une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressée au redevable sous pli simple. (...) En application des articles
L. 111-2 et L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénom et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation. (...) ".
8. D'une part, il résulte de ces dispositions que le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif doit mentionner les nom, prénoms et qualité de l'auteur de cette décision, au sens de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, de même, par voie de conséquence, que l'ampliation adressée au redevable. D'autre part, il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation, que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de cet auteur. Lorsque le bordereau est signé non par l'ordonnateur lui-même mais par une personne ayant reçu de lui une délégation de compétence ou de signature, ce sont, dès lors, les nom, prénom et qualité de cette personne qui doivent être mentionnés sur le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.
9. Il résulte de l'instruction que les titres exécutoires litigieux mentionnent le nom de
M. D... C..., directeur général de l'AP-HP. Ni les titres, ni les bordereaux y afférents ne comportent sa signature. Si l'AP-HP produit pour la première fois en appel les bordereaux de ces titres exécutoires comportant la signature de Mme B... A..., chef du département du pilotage de la comptabilité et de la facturation de l'AP-HP et bénéficiaire d'une délégation de signature de l'ordonnateur, les nom, prénoms et qualité de cette personne ne figurent pas sur les titres litigieux adressés à l'hôpital privé des Peupliers. Par suite, les dispositions précitées des articles L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales et L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ont été méconnues.
10. En second lieu, aux termes de l'article 2223 du code civil : " Les dispositions du présent titre ne font pas obstacle à l'application des règles spéciales prévues par d'autres lois ". Aux termes de l'article 2224 du même code : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Le délai de droit commun des créances des personnes publiques fixé par l'article 2224 du code civil s'applique, en l'absence de règles spéciales prévues par d'autres lois, non seulement à la prescription des actions en recouvrement d'une créance publique mais également à la prescription d'assiette de ces créances.
11. L'hôpital privé des Peupliers soutient que les créances détenues par l'AP-HP étaient prescrites au moment de l'émission des titres exécutoires en se prévalant de l'instruction DGOS/PF4/DSS/1A/2018/101 du 16 avril 2018 relative aux actes de biologie médicale et d'anatomopathologie hors nomenclatures éligibles au financement au titre de la mission d'intérêt général d'enseignement, de recherche, de rôle de référence et d'innovation G03 (MERRI G03), aux règles de facturation de ces actes et aux modalités de délégation associées. Il ressort de cette instruction que dans le cas où l'acte est prescrit et réalisé dans des établissements de santé distincts, l'établissement " effectueur " facture l'acte à l'établissement " prescripteur ", lequel peut alors demander un financement de cet acte au titre de la dotation MERRI G03 en le déclarant sur un logiciel dédié à cet effet. Contrairement à ce que soutient l'hôpital privé des Peupliers, si cette instruction prévoit que la dotation MERRI G03 est versée au cours d'une année pour les actes réalisés l'année précédente, elle n'a pas pour autant pour effet d'imposer aux établissements " effectueurs " un délai d'une année pour réclamer, par l'émission de titres exécutoires, aux établissements " prescripteurs " le paiement de ces actes. Dans ces conditions, l'instruction précitée du 16 avril 2018, laquelle ne revêt au demeurant pas valeur législative, ne saurait être regardée comme instituant une règle spéciale de prescription d'un an rendant inapplicable la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil. Par suite, les créances de l'AP-HP n'étaient pas prescrites lorsque les titres exécutoires litigieux ont été émis.
12. Il résulte de ce qui précède que l'AP-HP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les trente-quatre titres exécutoires émis à l'encontre de l'hôpital privé des Peupliers au seul motif tiré de leur irrégularité en la forme.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'hôpital privé des Peupliers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par
l'AP-HP et non compris dans les dépens.
14. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP le versement de la somme de 1 500 euros à l'hôpital privé des Peupliers sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'AP-HP est rejetée.
Article 2 : L'AP-HP versera à l'hôpital privé des Peupliers une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et à l'hôpital privé des Peupliers.
Délibéré après l'audience du 14 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.
La rapporteure,
G. E...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA02140