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12/05/2023 | FRANCE | N°20PA04068

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 12 mai 2023, 20PA04068


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, la société Bayer SAS, venant aux droits et obligations de la société Bayer Holding France, a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, contributions sociales et exceptionnelles, intérêts de retard et pénalités pour abus de droit de 80 % pour un montant global de 2 587 155 euros au titre de l'exercice 2011, et, d'autre part, le remboursement des cotisations d'impôt sur les sociétés, co

ntributions sociales et exceptionnelles et majorations de 5 % pour un montant de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, la société Bayer SAS, venant aux droits et obligations de la société Bayer Holding France, a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, contributions sociales et exceptionnelles, intérêts de retard et pénalités pour abus de droit de 80 % pour un montant global de 2 587 155 euros au titre de l'exercice 2011, et, d'autre part, le remboursement des cotisations d'impôt sur les sociétés, contributions sociales et exceptionnelles et majorations de 5 % pour un montant de 12 501 859 euros au titre des exercices 2012 à 2016.

Par un jugement n° 1901360 en date du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par une seconde requête, la société Bayer SAS, venant aux droits et obligations de la société Bayer Holding France, a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge de la pénalité pour abus de droit de 80 % et des intérêts de retard mis à sa charge au titre des exercices 2012 et 2013.

Par un jugement n° 2005618 en date du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

I - Par une première requête et un mémoire, enregistrés le 17 décembre 2020 et le 22 juillet 2021 sous le numéro 20PA04068, la société Bayer SAS, venant aux droits et obligations de la société Bayer Holding France, représentée par Mes Leclercq et Delaigue, avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1901360 en date du 15 octobre 2020 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge du supplément d'impôt sur les sociétés, de contributions sociales et exceptionnelles, d'intérêts de retard et pénalités, pour un montant global de 2 587 155 euros au titre de l'exercice clos en 2011, et la restitution des cotisations au titre des mêmes impositions dont elle s'est acquittée pour la somme de 12 501 859 euros au titre des exercices clos de 2012 à 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'a pas répondu à tous les moyens ;

- il est insuffisamment motivé en ce qui concerne l'abus de droit ;

- les premiers juges n'ont pas soulevé de moyen d'ordre public tiré de l'existence de l'abus de droit ni communiqué ce moyen ;

- l'avis de mise en recouvrement est irrégulier ;

- un acte anormal de gestion a été rectifié sans invitation à consulter la commission départementale directe des impôts directs ;

- à supposer que le financement accordé soit irrégulier, il n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, mais dans celui de l'acte anormal de gestion, la société sœur bénéficiaire impliquée dans l'opération, la société Bayer BV, n'étant pas une société fictive ;

- l'opération a été motivée en raison des besoins financiers, indépendamment de l'avantage fiscal dont une autre société du groupe a pu bénéficier et de l'intérêt du groupe, qui ne peut être pris en compte pour apprécier le caractère anormal d'une charge ;

- le taux d'intérêt de 9,13 % est celui pratiqué pour des obligations convertibles en actions inverses, et est justifié au regard du risque propre à l'instrument de financement et au scoring du seul emprunteur ;

- l'option de conversion présentait un intérêt ainsi qu'une contrepartie pour la société Bayer SAS puisqu'elle lui offrait la possibilité, lors de la clôture de l'opération, de rembourser le capital emprunté sous forme d'actions, en cas de détérioration de sa situation financière en préservant sa trésorerie, ou au regard de risques propres futurs, tels que notamment le bannissement du marché pharmaceutique de produits majeurs, l'échec d'un nouveau produit pharmaceutique majeur ou la baisse du taux de croissance à long terme retenu en ce qui concerne sa valorisation ;

- l'opération a été réalisée dans son intérêt et non dans celui de ses actionnaires et de la banque BNP Paribas, la décision de conversion revenant à son directoire ;

- l'intérêt de l'opération doit être analysé au niveau de la société Bayer SAS ;

- la pénalité pour abus de droit est intervenue en méconnaissance des articles L. 80 D et L. 80 E du livre des procédures fiscales et est dépourvue de fondement légal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

II - Par une seconde requête, et un mémoire en réplique enregistrés le 21 septembre 2021 et le 31 mai 2022 sous le numéro 21PA05182, la société Bayer SAS, venant aux droits et obligations de la société Bayer Holding France, représentée par Mes Leclercq, Delaigue et Locatelli, avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2005618 en date du 10 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à la compatibilité des sanctions prévues à larticle 1729 du code général des impôts avec les principes des droits de la défense énoncés à l'article 47 de la la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°) de prononcer la décharge des pénalités d'abus de droit et des intérêts de retard maintenus sa charge au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur matérielle ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une omission de réponse à moyen ;

- les premiers juges n'ont pas soulevé de moyen d'ordre public tiré de l'existence de l'abus de droit ni communiqué ce moyen ;

- les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts ne permettent pas à l'administration d'assortir de pénalités des droits résultant d'une déclaration ou d'un acte, lorsque le contribuable a, antérieurement à l'engagement d'un contrôle, adressé au service une déclaration rectificative ;

- le service a méconnu les droits de la défense, en ne respectant pas les dispositions des articles L. 80 D et L. 80 E du livre des procédures fiscales ;

- sa situation devant être traitée au regard du principe des droits de la défense contenu dans l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne devrait être interrogée à titre préjudiciel ;

- sa situation ne relève pas du champ des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; si l'administration entendait critiquer le niveau du taux du financement par obligations convertibles en actions inverses, elle devait se situer sur le seul terrain de l'acte anormal de gestion ; aucun acte anormal de gestion n'est établi en l'espèce, faute d'existence d'un intérêt de groupe méconnu ;

- aucun abus de droit n'est constitué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;

- et les observations de Mes Locatelli, Leclercq et Nicolas, pour la société Bayer SAS.

Considérant ce qui suit :

1. La société Bayer SAS, filiale à 100 % du Bayer AG, société de droit allemand, a émis en 2011 des titres de dette sous la forme d'obligations convertibles inverses (OCI) pour un montant de 150 millions d'euros, avec une maturité de cinq ans et un coupon annuel de 9,13 %. Les OCI ont été souscrites le 7 juin 2011 par la succursale allemande de la banque BNP Paribas. Concomitamment à cette opération de financement, BNP Paribas a conclu avec la société néerlandaise Bayer BV, également filiale à 100 % du groupe Bayer, un contrat d'option de vente (" put option agreement "), stipulant, si Bayer SAS exerce l'option de conversion des OCI, la cession des actions de Bayer SAS au prix de 150 millions d'euros. En contrepartie, la société Bayer BV reçoit de la banque une rémunération de 5,1 % par an, assise sur ce prix de vente. Par un contrat de garantie, la tête de groupe, Bayer AG, a apporté sa garantie à la BNP Paribas pour la bonne exécution du contrat d'option de vente. Par ailleurs, la société Bayer AG a souscrit un contrat d'option d'achat (" call option agreement ") lui donnant le droit d'acquérir auprès de la banque BNP Paribas les actions de Bayer SAS, si celle-ci exerce l'option de conversion, à une valeur déterminée par elle. Enfin, Bayer AG a octroyé à la banque BNP Paribas un contrat de prêt sur cinq ans de bons du Trésor allemand à moins d'un an d'une valeur nominale de 125 millions d'euros, sans garantie en contrepartie. Ce prêt est rémunéré à hauteur de 37 000 euros par BNP Paribas.

2. En vertu des dispositions combinées du 3° du 1, du 12 de l'article 39 et du 1 de l'article 212, alors en vigueur du code général des impôts, rendues applicables à l'impôt sur les sociétés par les dispositions du I de l'article 219 du même code, les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise qui en détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social ou y exerce en fait le pouvoir de décision, ou qui est placée sous le contrôle d'une même entreprise tierce que la première, sont déductibles dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d'une durée initiale supérieure à deux ans ou, s'il est plus élevé, au taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. A l'issue de la vérification de comptabilité de la société Bayer SAS portant notamment sur l'exercice clos en 2011, l'administration a considéré que l'opération décrite au point 1 du présent arrêt, prise dans son ensemble, en permettant à la société de déduire les intérêts correspondant à la prime de conversion des obligations en actions, caractérisait un montage artificiel constitutif d'un abus de droit au sens des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Elle a, par suite, établi des compléments d'imposition en application de la procédure prévue à cet article L. 64 du livre des procédures fiscales, afin de remettre en cause la déductibilité des intérêts relatifs à la clause de conversion en actions, et son incidence sur la base d'imposition de la société française à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2011. Le litige a été soumis au comité de l'abus de droit fiscal qui, à la suite de sa séance du 9 novembre 2017, a considéré que l'administration était fondée à mettre en œuvre la procédure d'abus de droit fiscal. Par ailleurs, la société Bayer SAS, après avoir déposé le 29 décembre 2014 une liasse fiscale rectificative au titre des exercices 2012 et 2013, et, au titre des exercices 2014 à 2016, réintégré les intérêts déduits au titre des obligations convertibles inverses mentionnées, a demandé, par réclamation du 4 juillet 2018, la déduction de ces intérêts au titre des exercices 2012 à 2016. Par réclamation du 15 octobre 2018, la société Bayer SAS a demandé la décharge de la pénalité d'abus de droit et des intérêts de retard afférents aux suppléments d'imposition correspondant aux exercices 2012 et 2013. Par des décisions du 6 décembre 2018 et du 28 février 2020, l'administration a rejeté ces réclamations. Par les jugements n° 1901360 et n° 2005618 en date des 15 octobre 2020 et 10 juin 2021, dont la société Bayer SAS fait régulièrement appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes de la société Bayer SAS.

3. Les requêtes nos 20PA04068 et 21PA05182 visées ci-dessus ont trait au même contribuable, présentent à juger des questions identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y lieu d'en prononcer la jonction et d'y statuer par un même arrêt.

Sur la régularité des jugements attaqués :

4. En premier lieu, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, le juge administratif ne peut soulever d'office un moyen d'ordre public sans en avertir les parties. Il résulte des écritures des parties que l'existence d'un abus de droit, attaché notamment au recours à des obligations convertibles inverses, non destinées à une conversion en actions, et à l'interposition simultanée de la banque souscriptrice entre la société émettrice et sa société sœur Bayer NV, constituait le fondement des litiges portés devant les premiers juges et n'a pas été soulevée par ces derniers sans en informer les parties. Ainsi, c'est sans méconnaissance des dispositions rappelées ci-dessus que les premiers juges ont examiné le moyen, introduit par les parties, tiré de la méconnaissance du champ d'application de l'abus de droit. Par suite, le moyen tiré, s'agissant du jugement n° 1901360 en date du 15 octobre 2020, de l'insuffisante motivation du jugement attaqué, voire d'une omission de réponse à moyen, en tant que les premiers juges auraient réduit la portée des différents moyens soulevés au seul moyen tiré de l'absence de montage constitutif d'un abus de droit, ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort du jugement n° 2005618 en date du 10 juin 2021 que les premiers juges ne se sont pas bornés à rejeter sans motif la légalité, en l'espèce, de l'application de l'article 1729 du code général des impôts. Ils ont estimé que, du seul fait du dépôt hors du délai légal des déclarations rectificatives de la société Bayer SAS, l'administration était fondée à ne tenir compte que de ses déclarations initiales pour les exercices clos en 2012 et 2013. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisante motivation des jugements, voire d'une omission de réponse à moyen, doit être écarté.

6. Enfin, la circonstance que, dans le jugement n° 2005618 en date du 10 juin 2021, les premiers juges ont mentionné un numéro et une date erronés pour le jugement auquel ils se référaient, est une erreur matérielle qui, au surplus, de son propre aveu, n'a pu induire en erreur la requérante.

Sur le fond :

En ce qui concerne la procédure d'imposition :

7. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient notamment en cas de désaccord sur le montant du résultat industriel et commercial d'une entreprise. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ". Et en vertu des dispositions de l'article R. 194-1 du même livre, un contribuable dont l'imposition a été établie d'après les bases qu'il a souscrites ne peut en obtenir la décharge ou la réduction qu'en démontrant son caractère exagéré. Dès lors, eu égard à la teneur de l'avis du comité de l'abus de droit fiscal, rendu à la suite de sa séance du 9 novembre 2017, favorable à l'administration, la charge de la preuve du caractère exagéré des rectifications au titre de l'exercice clos en 2011 est dévolue à la contribuable. Pour les exercices suivants, la requérante a été imposée selon ses déclarations initiales, alors même qu'elle a procédé spontanément à des rectifications. Par suite, elle supporte également la charge de la preuve. En revanche, s'agissant de la contestation portant sur la pénalité d'abus de droit appliquée au titre des exercices 2011 à 2013, l'administration supporte la charge de l'existence d'un tel abus.

8. En deuxième lieu, il est constant, en l'espèce, que l'administration n'a pas invité la société Bayer SAS à saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Pourtant, la requérante expose qu'en contestant le recours à des obligations convertibles en actions inverses pour se refinancer, l'administration s'est immiscée dans ses décisions de gestion et s'est placée ainsi sur le terrain de l'acte anormal de gestion, sans critiquer efficacement les contreparties retirées de ces instruments financiers. L'administration n'aurait ainsi recouru à la procédure d'abus de droit que faute d'avoir pu établir l'absence de telles contreparties. Pour autant, l'administration, comme le comité de l'abus de droit fiscal dans son avis mentionné

ci-dessus, n'ont remis en cause ni la réalité de l'endettement de la société Bayer SAS auprès de la banque BNP Paribas par émission de ces obligations, ni les flux financiers qui en découlent, ni le niveau du taux de l'intérêt qui les assortit, notamment en comparant ce niveau, nécessairement élevé eu égard au risque assumé par le souscripteur à raison de la faculté de l'emprunteur d'activer à tout moment la clause de conversion en actions, à celui qui assortirait des obligations convertibles de même nature souscrites sur le marché, ni les contreparties alléguées à ces instruments financiers, mais le caractère artificiel de ces derniers et leur finalité exclusivement fiscale. Dès lors, le moyen tiré de la privation de la garantie consistant en la possibilité de saisir la commission mentionnée

ci-dessus doit être écarté.

9. Enfin, contrairement à ce que soutient la société Bayer SAS, l'avis de mise en recouvrement du 13 décembre 2017, afférent aux suppléments d'impôt et aux pénalités relatives à l'exercice clos en 2011, fait référence à la lettre d'information du 4 décembre 2017 qui informait la requérante, devenue entre-temps société-mère du groupe intégré Bayer, des conséquences des rectifications notifiées.

En ce qui concerne l'abus de droit :

10. En premier lieu, pour justifier de l'émission d'obligations convertibles inverses d'une durée de cinq ans, d'un montant de 150 millions d'euros et d'un taux de 9,13 %, souscrites par une société extérieure au groupe dont elle fait partie, la banque BNP Paribas au travers de sa succursale allemande, la société Bayer SAS se prévaut des incertitudes pesant à court et moyen terme sur ses résultats, sa trésorerie et sa valorisation, et de l'intérêt pour elle de diversifier ses sources de financement en recourant à une clause de conversion en actions, activée à son initiative, des obligations souscrites par la banque afin de réduire les risques résultant de ces incertitudes, en acquittant en contrepartie des taux d'intérêts à un niveau plus élevé. En ce sens, elle invoque le risque d'interdiction de certains de ses produits phares en raison de considérations environnementales, et l'incertitude pesant sur l'autorisation de mise sur le marché de certains de ses nouveaux produits pharmaceutiques. Elle fait également état d'une perte de valeur qui pourrait en résulter pour une de ses filiales. Elle envisage l'éventualité d'une réduction du périmètre du crédit impôt recherche au détriment de ses activités. Toutefois, la société Bayer SAS n'établit ni la réalité, au cours de la période de cinq ans couverte par la durée des obligations convertibles en litige, de la survenance de tels risques, qui, d'ailleurs, n'étaient pas mentionnés dans l'étude réalisée par BNP Paribas pour évaluer la clause de conversion des obligations et n'ont pas donné lieu à constitution de provisions, ni l'intérêt pour elle, pour faire face à de tels risques, d'acquitter des taux d'intérêt élevés correspondant à la soucription d'obligations convertibles en actions inverses.

11. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration ne s'est pas fondée, pour déterminer l'objet de cet endettement, sur le recours inhabituel par une société non cotée en bourse à des obligations convertibles inverses. Elle n'a relevé qu'incidemment que la faculté pour BNP Paribas de devenir à terme actionnaire minoritaire d'une entreprise est contraire au principe de séparation, dans le secteur bancaire, des fonctions d'investisseurs en capital et de prêteur, et à la réglementation Bâle III. Elle n'a pas davantage soutenu que le taux des obligations en question était supérieur à celui qui se pratique pour les mêmes produits. En revanche, l'administration a analysé l'ensemble des contrats ayant conditionné l'émission des obligations convertibles en litige, décrit au point 1 du présent arrêt et constituant un projet dénommé Timmendorf, comme un mécanisme destiné à neutraliser la clause de conversion en actions, l'entrée d'un tiers dans le capital de la société Bayer SAS étant de ce fait rendue impossible. A cet égard, elle a relevé que l'option de conversion était à la discrétion de Bayer SAS et non du porteur des obligations. En outre, en cas d'exercice de l'option de conversion à la date de maturité des obligations, BNP Paribas est tenue de céder ces obligations à Bayer NV, également filiale à 100 % de Bayer AG, pour un prix d'exercice de 150 millions d'euros, le risque pour Bayer NV tenant à une éventuelle entrée au capital de la société Bayer SAS étant pris en charge par la banque BNP Paribas au travers du remboursement, à la société Bayer NV, des intérêts correspondant à la prime de conversion des obligations en actions pour un taux fixé à 5,1 %. De plus, la société mère Bayer AG dispose, en cas d'émission d'actions par la société Bayer SAS, de la possibilité d'acquérir auprès de la banque BNP Paribas ces actions à une valeur déterminée par elle, sur la base d'un rapport d'évaluation établi par un expert indépendant. Il résulte de ces seules stipulations, parmi les nombreuses autres dans les contrats passés entre les acteurs de l'opération litigieuse, que la perspective de voir la banque BNP Paribas effectivement entrer au capital de la société Bayer SAS, susceptible de justifier un taux d'intérêt majoré correspondant à la rémunération de la conversion en actions des obligations souscrites dans les conditions mentionnées, n'est pas établie par la société requérante. Par ailleurs, en se bornant à soutenir que si l'administration avait analysé son " scoring ", elle aurait dû admettre le taux d'endettement, la société Bayer SAS inverse la charge de la preuve, l'administration ne s'étant pas placée, pour fonder le redressement, sur une critique du niveau du taux d'intérêt associé à la souscription d'obligations convertibles inverses, ainsi qu'il a été indiqué au point 8 précédent. De même, la circonstance que la société requérante, filiale française du groupe, avait reçu mandat pour déterminer les modalités de son emprunt, est sans incidence sur le litige.

12. Il résulte de ce qui a été indiqué aux points 10 et 11 du présent arrêt que la société Bayer SAS n'apporte pas la preuve lui incombant de ce que l'ensemble des contrats accompagnant l'émission d'obligations convertibles en actions inverse en litige constituait une opération dépourvue de caractère artificiel ou répondant à des buts autres que fiscaux. C'est donc à bon droit que l'administration, sans être tenue d'examiner préalablement la possibilité de fonder son redressement sur une critique de la normalité du taux d'intérêt en litige, a estimé que l'émission d'obligations convertibles inverses souscrites par la banque BNP Paribas s'analysait en l'espèce comme une émission d'obligations non convertibles, la fraction du taux d'intérêt correspondant à la prime de conversion, soit 5,1 % par an, étant réintégrée. Elle en a déduit à juste titre que l'interposition fictive de la banque avait pour objet exclusif de permettre à Bayer SAS de s'endetter auprès de la société sœur néerlandaise à due concurrence, la société requérante ayant ce faisant méconnu les dispositions du code général des impôts mentionnées au point 2 du présent arrêt et qui régissent les sociétés liées entre elles. Au demeurant, une obligation convertible étant destinée à permettre à moindre coût l'entrée de souscripteurs dans le capital de la société émettrice, cette souscription est dépourvue d'intérêt lorsque le souscripteur réel possède l'intégralité du capital de l'émettrice, et peut éventuellement décider seule de son augmentation. Dès lors, en cas de souscription d'une obligation convertible directement ou, comme en l'espèce par l'intermédiaire d'une filiale détenue en totalité par l'actionnaire unique de la société émettrice, la prime de conversion est nécessairement nulle.

En ce qui concerne les pénalités d'abus de droit :

13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de (...) : b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ". Le premier alinéa de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dispose : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées (...) quand un document ou une décision, adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire (...) en a porté la motivation à la connaissance du contribuable ". Le deuxième alinéa de cet article interdit que des sanctions fiscales puissent être prononcées " avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer ". Enfin, selon l'article L. 0 E du même livre : " La décision d'appliquer les majorations et amendes (...) est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret (...) ".

14. En premier lieu, en vertu des dispositions des articles L. 57 et R. 57 du livre des procédures fiscales, une proposition de rectification porte à la connaissance du contribuable les rectifications que l'administration envisage d'apporter à ses impositions, ainsi que les intérêts de retard et les pénalités dont ces dernières peuvent être assorties. Cette proposition peut être abandonnée ou modifiée selon les observations que le contribuable peut, comme en l'espèce, dans la procédure de rectification contradictoire, présenter en principe dans le délai d'un mois à compter de leur réception. Par suite, cette proposition de rectification ne présente pas le caractère d'une décision. Ainsi, en motivant, dans cette proposition de rectification, les pénalités qu'elle se propose d'infliger au contribuable, l'administration ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, dès lors, que comme en l'espèce, un délai minimal d'un mois sépare la réception de ce document de la mise en recouvrement de ces pénalités.

15. En deuxième lieu, si la proposition de rectification du 2 décembre 2014 infligeant et motivant la pénalité d'abus de droit au titre de l'année 2011 a été prise au visa d'un inspecteur principal, et si l'avis de mise en recouvrement le 13 décembre 2017 est signé par un autre agent, dont le grade ne serait pas établi, cette circonstance n'est pas, à elle seule, de nature à révéler une méconnaissance des dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales.

16. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, par deux propositions de rectification du 10 décembre 2015 pour l'année 2012 et du 29 juin 2016 pour l'année 2013, l'administration a notifié les pénalités d'abus de droit portant sur les déclarations initiales, ce qui a permis à la société Bayer SAS d'exprimer son désaccord par des observations en date des 8 février et 21 juillet 2016. La décision relative à ces sanctions, matérialisée par l'avis de mise en recouvrement, n'a été prise que le 26 octobre 2018, soit plus de deux ans après la confirmation de ces propositions, la réclamation présentée le 15 octobre 2019 par la contribuable ayant été rejetée le 28 février 2020. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.

17. En quatrième lieu, s'agissant des exercices 2012 et 2013, le dépôt par la société Bayer SAS d'une déclaration rectificative, le 29 décembre 2014, ayant pour objet, à la suite de la proposition de rectification adressée le 2 décembre précédent au titre de l'exercice 2011, la rectification, par réintégration des intérêts correspondant à la prime de conversion des obligations convertibles inverses en litige, des résultats déclarés au titre des exercices 2012 et 2013, ne saurait priver de fondement les pénalités appliquées au titre de ces exercices, lesquelles résultaient de la remise en cause, par des propositions de rectification, des déclarations initiales souscrites au titre de ces exercices. C'est donc par une exacte application de l'article 1729 du code général des impôts, indépendamment de la doctrine exprimée par le BOI-CF-INF-10-20-30-10 20130415 qu'elle invoque et dont la société requérante, en tout état de cause, ne répond pas aux conditions, que l'administration a sanctionné les inexactitudes des déclarations initiales relatives aux exercices clos en 2012 et 2013.

18. En cinquième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 16 que l'administration a respecté, à l'occasion de l'application des pénalités en litige, les droits de la défense de la requérante, garantis en matière fiscale notamment par les dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales. Il est constant que la contribuable a pu utilement développer, tant à l'occasion de la procédure administrative qu'à l'occasion de la procédure juridictionnelle, tout moyen, et faire valoir tout justificatif, de nature à lui permettre d'obtenir la décharge des pénalités établies à raison de l'application de la procédure d'abus de droit. S'il est vrai que ces pénalités ne visent pas la seule réparation pécuniaire d'un préjudice, mais ont le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements, et si, dès lors, elles constituent des accusations en matière pénale au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elles n'entrent pas pour autant en l'espèce dans le champ d'application de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui comporte le droit d'être informé au cours de la procédure administrative préalable à une contestation contentieuse, des motifs d'une décision, dès lors que le présent litige porte sur des suppléments d'impôt sur les sociétés. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit au point 14 que les propositions de rectification prévues à l'article L. 57 du livre des procédures fiscales constituent non pas une décision d'imposition, mais un document comportant la motivation de la révision envisagée de l'imposition, et éventuellement des sanctions dont elle est assortie. Par suite le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, y compris d'une éventuelle discrimination au regard de ce dernier, ne peut qu'être écarté comme inopérant, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle susvisée.

19. En sixième lieu, la société Bayer SAS se prévaut du droit à l'erreur de manière si imprécise qu'elle ne met pas le juge de l'impôt en mesure d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, la complexité de l'ingénierie financière déployée dans l'abus de droit qu'elle a commis, et la célérité avec laquelle elle a rectifié ses déclarations initiales pour les exercices clos de 2012 et 2013, lors de la vérification de comptabilité de l'exercice clos en 2011, révèlent qu'elle a anticipé une remise en cause sur le même fondement des impositions initiales relatives aux deux derniers exercices. Ce comportement atteste une connaissance approfondie de la législation et des procédures fiscales, qui ne permet pas de présumer une erreur. Le moyen doit donc être écarté.

20. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été indiqué aux points 8 et 10 à 12 du présent arrêt que l'administration, sans se situer sur le terrain de la remise en cause d'un acte anormal de gestion, a établi l'existence d'un montage artificiel sans but autre que fiscal. Par suite, l'administration établit que c'est à bon droit que les pénalités pour abus de droit prévues à l'article 1729 du code général des impôts ont été appliquées.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bayer SAS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à la décharge en droits, intérêts de retard et pénalités, du supplément d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale exceptionnelle au titre de l'exercice clos 2011 pour la somme de 2 587 157 euros, ainsi qu'à la restitution des cotisations relatives à ces impositions dont elle s'est acquittée pour la somme de 12 501 859 euros au titre des exercices clos en 2012 à 2016, et, d'autre part, à la décharge de la pénalité pour abus de droit et des intérêts de retard qui ont assorti les redressements au titre des exercices 2012 et 2013. Par voie de conséquence doivent être rejetées les conclusions de la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes nos 20PA04068 et 21PA05182 de la société Bayer SAS sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Bayer et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI).

Délibéré après l'audience du 21 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Soyez, président assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 12 mai 2023.

Le rapporteur,

J.-E. A...Le président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 20PA04068, 21PA05182


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA04068
Date de la décision : 12/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Jean-Eric SOYEZ
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : FIDAL DIRECTION PARIS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-05-12;20pa04068 ?
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