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28/04/2023 | FRANCE | N°21PA04461

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 28 avril 2023, 21PA04461


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Boyer a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler le contrat relatif au lot n° 1 " ouvrages maritimes " du marché ayant pour objet la " construction d'un système de production de frigories à partir d'un puisage océanique en eau profonde (SWAC) pour la climatisation du centre hospitalier de Polynésie française " ou, à titre subsidiaire, de résilier ce contrat.

Par un jugement n°1900224 du 22 juin 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française

a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Boyer a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler le contrat relatif au lot n° 1 " ouvrages maritimes " du marché ayant pour objet la " construction d'un système de production de frigories à partir d'un puisage océanique en eau profonde (SWAC) pour la climatisation du centre hospitalier de Polynésie française " ou, à titre subsidiaire, de résilier ce contrat.

Par un jugement n°1900224 du 22 juin 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 août 2021 et le 21 septembre 2022, la société Boyer, représentée par la SCP UGGC Avocats, Me Dal Farra, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ce contrat ou, à titre subsidiaire, de le résilier à compter de la date de notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 2 000 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- la fin de non-recevoir opposée par la société Géocéan doit être écartée dès lors que son intérêt à agir est incontestable ;

- la société Géocéan et la Polynésie française ne peuvent se prévaloir de prétendues irrégularités de son offre dès lors que celles-ci n'ont pas été relevées au stade de l'analyse des offres ;

- son offre n'est en tout état de cause pas irrégulière ; les défenderesses sont notamment infondées à invoquer de prétendues non-conformités au CCTP ainsi qu'un prix anormalement bas ; en outre, il n'appartient pas au juge administratif de statuer sur le moyen de la société Géocéan tiré d'une prétendue concurrence déloyale de sa part ;

- l'offre de la société Géocéan est inacceptable au sens de l'article LP 122-3 du code polynésien des marchés publics (CPMP) dès lors que son montant excède les crédits budgétaires établis avant le lancement de la procédure ; à cet égard, la Polynésie française ne pouvait légalement procéder à une augmentation budgétaire de 600 millions de francs CFP en cours de procédure de façon à respecter l'autorisation de programme relative au montant global de l'opération ;

- l'offre de la société Géocéan est irrégulière dès lors qu'elle prévoit une méthodologie de réalisation des tranchées non conforme aux exigences du dossier de consultation des entreprises (DCE), qui impose une protection des tranchées par palplanches et interdit les variantes à son article 2.5 ; elle aurait ainsi dû être éliminée par le pouvoir adjudicateur en vertu de l'article LP 235-3 du CPMP ;

- la procédure de passation du contrat a méconnu le principe d'impartialité dès lors que la société Airaro, en qualité d'assistant à maîtrise d'ouvrage de la Polynésie française, et la société Créocéan, en qualité de maître d'œuvre, ont participé à l'évaluation des offres alors qu'elles se trouvaient en situation de conflit d'intérêts qui les a conduites à dégrader systématiquement son offre ;

- le manquement par la Polynésie française du principe d'impartialité constitue un vice d'une particulière gravité que la Cour doit relever d'office ;

- la société Airaro ne pouvait être désignée pour participer à l'analyse des offres dès lors qu'elle a été désignée attributaire du marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage dans des conditions méconnaissant également le principe d'impartialité, un agent de la Polynésie française ayant influencé la sélection des offres et s'étant trouvé par la suite, du fait de sa participation à cette sélection, en situation de prise illégale d'intérêt ;

- la Polynésie française a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en s'abstenant de communiquer le plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé (PGCSPS), prévu notamment à l'article 8.5 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et à l'article Lp. 4532-14 du code du travail de la Polynésie française, et sans lequel elle ne pouvait présenter une offre satisfaisante au regard du sous-critère E1 du critère de la valeur technique relatif au plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) ;

- la Polynésie française a commis une erreur de fait dans l'évaluation du sous-critère E1 précité dès lors que les travaux du SWAC de Tetiaroa ne sont pas similaires à ceux du SWAC du centre hospitalier de Polynésie française ;

- en attribuant le lot n°1 à la société Géocéan alors que son offre était inacceptable et irrégulière et en méconnaissant le principe d'impartialité, la Polynésie française a entaché la procédure de passation de vices d'une particulière gravité ;

- l'absence de communication du PGCSPS ainsi que la volonté manifeste de favoriser la société Géocéan constituent également des vices d'une particulière gravité ;

- l'annulation ou à tout le moins la résiliation du marché s'impose au regard des vices précités qui affectent directement le choix de l'attributaire ou ont été de nature à le favoriser.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2022, la société Géocéan, représentée par Me de Gérando, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'enjoindre en tant que de besoin à la Polynésie française de produire l'intégralité du mémoire technique de la société Boyer afin de le comparer aux procédures d'ingénierie d'installation développées par la société Géocéan utilisées pour la réalisation du SWAC de l'île de Tetiaroa en 2011, sur le fondement de l'article R. 631-1 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de la société Boyer la somme de 2 000 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que la société Boyer ne peut se prévaloir d'un intérêt suffisamment direct et certain à contester la validité du contrat, son offre ayant été définitivement jugée irrégulière par le juge des référés précontractuels dans son ordonnance du 19 mars 2019 ;

- l'offre de la société Boyer est irrégulière dès lors que cette dernière ne justifie pas disposer des moyens en matériel et en personnel invoqués, qu'elle n'est pas conforme à l'article 2.3.1 du CCTP relatif aux conduites d'aspiration et que son prix est anormalement bas ;

- l'offre de la société Boyer est également irrégulière dès lors qu'elle comporte des descriptions de procédures prétendument relatives à son savoir-faire alors qu'il s'agit en fait d'éléments recopiés à partir de procédures d'ingénierie appartenant à la société Géocéan, issues d'une précédente opération relative au SWAC de Tetiaroa en 2011 ;

- les moyens soulevés par la société Boyer sont inopérants dès lors que les manquements invoqués ne sont pas la cause de son éviction et ne constituent pas des vices d'une particulière gravité ;

- le moyen tiré de la prétendue incompétence de la Polynésie française pour passer le marché est infondé ;

- le moyen tiré du caractère non finançable de l'offre de la société Géocéan est infondé ;

- le moyen tiré de la non-conformité de la méthodologie de réalisation des tranchées aux exigences du DCE est infondé ;

- les moyens tirés de l'irrégularité de la mise en œuvre des sous-critères A1, B2, C1, C2, C3 et C5 de la valeur technique ainsi que de la dénaturation de l'offre au détriment de la société Boyer sont infondés ;

- le moyen tiré de l'absence de communication au DCE du PGCSPS est, à titre principal, inopérant et subsidiairement non fondé ;

- le moyen tiré de la prétendue méconnaissance du principe d'impartialité est, à titre principal, inopérant et subsidiairement non fondé ;

- en tout état de cause, à supposer même qu'un des moyens au moins de la société Boyer soit fondé et en relation directe avec un intérêt lésé, il ne serait pas d'une gravité telle que le juge doive le soulever d'office ;

- en toute hypothèse, une décision de résiliation ou d'annulation du contrat porterait une atteinte excessive à l'intérêt général du projet.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2022, la Polynésie française, représentée par Me Marchand, demande à la Cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de la société Boyer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'offre de la société Boyer est irrégulière dès lors que cette dernière ne justifie pas disposer des moyens en matériel de l'entreprise Nortek Med, notamment le ROV (Remoted operated vehicule) exigé par le CCTP, à défaut de détenir un formulaire DC4 de sous-traitance ou un engagement juridiquement contraignant de la part de cette entreprise ;

- l'offre de la société Boyer est en outre anormalement basse et, en conséquence, irrégulière, ce dont l'acheteur est toujours fondé à se prévaloir, alors même qu'elle aurait été examinée et classée ;

- aucun des moyens invoqués par la société Boyer n'a le caractère d'un moyen d'ordre public ;

- les moyens soulevés par la société Boyer n'étant pas en lien direct avec son éviction exceptée ceux tirés de la contestation du caractère irrégulier et anormalement bas de son offre, ces moyens doivent être écartés, à titre principal, comme inopérants ;

- à titre subsidiaire, le moyen tiré de ce que l'offre de la société Géocéan serait inacceptable du fait du dépassement du budget alloué au projet est infondé ;

- à titre subsidiaire, le moyen tiré de ce que l'offre de la société Géocéan serait irrégulière du fait de l'absence de palplanches est infondé, ce mode de protection des tranchées n'étant pas imposé par le CCTP ;

- à titre subsidiaire, le moyen tiré de ce que la procédure de passation du lot n° 1 méconnaîtrait le principe d'impartialité est infondé, tant au regard de l'appréciation par le maître d'œuvre et l'assistant à maîtrise d'ouvrage de " leurs propres travaux passés " que de celle de " leurs concurrents directs " ;

- à titre subsidiaire, le moyen tiré de ce que la procédure de passation du marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage méconnaîtrait le principe d'impartialité est, à titre principal, inopérant et, à titre subsidiaire, manque en droit et en fait ;

- le moyen tiré de l'absence de communication d'un PGCSPS est infondé, sa production, prévue dans un souci de protection et de sécurité des travailleurs, étant sans incidence sur les obligations du maître d'ouvrage en matière de respect des procédures de publicité et de mise en concurrence ;

- en tout état de cause, une décision de résiliation ou a fortiori d'annulation du contrat porterait une atteinte excessive à l'intérêt général qui s'attache à la poursuite de l'exécution du marché.

Une demande de pièces pour compléter l'instruction a été adressée, le 14 mars 2023, à la société Boyer.

Par un mémoire et des pièces, enregistrés le 22 mars 2023, la société Boyer a répondu à cette demande, les pièces transmises ayant été soustraites au contradictoire en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative. La Cour n'a finalement pas pris connaissance de ces pièces.

Ce mémoire a été communiqué le 23 mars 2023 à la Polynésie française et à la société Géocéan, en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative.

Un mémoire en observations a été enregistré le 29 mars 2023 par la société Géocéan, qui n'a pas été communiqué.

Une demande de pièces pour compléter l'instruction a été adressée, le 21 mars 2023, à la Polynésie française.

Par des pièces, enregistrées le 21 mars 2023, la Polynésie française a répondu à cette demande, ces pièces ayant été soustraites au contradictoire en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative. La cour n'a finalement pas pris connaissance de ces pièces.

Une note en délibéré a été produite pour la société Boyer le 18 avril 2023.Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code du travail de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,

- les observations de Me Nicolas représentant la société Boyer et de Me de Gerando représentant la société Géocéan.

Une note en délibéré a été enregistré le 18 avril 2023 pour la société Boyer.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au Journal officiel de la Polynésie française le 28 septembre 2018, la Polynésie française a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché public portant sur la " construction d'un système de production de frigories à partir d'un puisage océanique en eau profonde (SWAC) pour la climatisation du centre hospitalier de Polynésie française sur l'île de Tahiti ", comprenant quatre lots, soit " Ouvrages maritimes " (lot n°1), " Génie civil du local technique " ( lot n°2), " Process " (lot n°3) et " Réseau secondaire " (lot n°4). La SAS Boyer a déposé sa candidature pour les lots n° 1 et n° 2. Par lettre du 15 février 2019, le ministre de la modernisation de l'administration de la Polynésie française a informé la société requérante, s'agissant du lot n° 1, du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la SAS Géocéan. Par courrier du 19 février 2019, la société Boyer a sollicité des informations complémentaires sur les motifs de ce rejet, qui lui ont été fournies le 4 mars 2019. La société Boyer relève appel du jugement du 22 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation ou, subsidiairement, à la résiliation du marché.

Sur la validité du marché :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Au titre de tels manquements, le concurrent évincé peut contester la décision par laquelle son offre a été écartée comme irrégulière. Un candidat dont l'offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait en revanche soulever un moyen critiquant l'appréciation des autres offres. Il ne saurait notamment soutenir que ces offres auraient dû être écartées comme irrégulières ou inacceptables, un tel moyen n'étant pas de ceux que le juge devrait relever d'office. Il en va ainsi y compris dans l'hypothèse où toutes les offres ont été écartées comme irrégulières ou inacceptables, sauf celle de l'attributaire, et qu'il est soutenu que celle-ci aurait dû être écartée comme irrégulière ou inacceptable.

4. En premier lieu, si la société Géocéan et la Polynésie française soutiennent que la société Boyer, du fait de l'irrégularité, selon elles, de son offre, ne peut utilement invoquer des moyens critiquant l'appréciation de l'offre de l'attributaire, notamment ceux tirés de son caractère prétendument irrégulier ou inacceptable, il résulte de l'instruction, notamment de la lettre de la Polynésie française du 4 mars 2019 explicitant les motifs du rejet de l'offre de la société Boyer, que cette dernière n'a pas été écartée comme irrégulière ou inacceptable. Elle a ainsi été notée et classée. Par suite, la société Boyer peut utilement invoquer les moyens précités au soutien de sa contestation de la validité du marché.

5. En second lieu, aux termes de l'article LP 122-3 du code polynésien des marchés publics : " Au sens du présent code, on entend par : (...) 9° offre inacceptable, offre dont les conditions d'exécution méconnaissent la réglementation en vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché, après évaluation du besoin à satisfaire ne permettent pas à l'acheteur public de la financer (...) ". Et aux termes de l'article LP 235-3 du même code : " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables au sens de l'article LP 122-3 sont éliminées par l'acheteur public (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que par une autorisation de programme n° 3.2012 figurant en annexe du rapport de l'assemblée de la Polynésie française sur le budget général de cette collectivité au titre de l'exercice 2012, le montant budgétaire global de l'opération du SWAC du centre hospitalier de Polynésie française (CHPF), incluant les marchés de travaux des quatre lots ainsi que les marchés de maîtrise d'œuvre et d'assistance à maîtrise d'ouvrage, a été fixé à 3 000 000 000 francs CFP HT. Aux termes des annexes 1 et 2 de l'avenant n° 4659 du 17 juillet 2018 à la convention de financement entre l'Agence de l'environnement et la maîtrise de l'énergie (ADEME) et la Polynésie française, le montant total des dépenses d'investissement relatives au lot n° 1 de l'opération du SWAC a été fixé à 2 092 029 170 francs CFP HT. A supposer même que ce dernier montant doive être regardé comme constituant le budget maximal pouvant être mobilisé pour le paiement des opérations de travaux du lot n° 1, il ne résulte pas de l'instruction que l'offre de la SAS Géocéan d'un montant de 2 169 968 955 francs CFP HT, qui représentait un surcoût de 77 939 785 francs CFP HT, soit 3,72 %, par rapport à cette évaluation budgétaire et n'en différait donc pas sensiblement, n'aurait pu être financé par la Polynésie française, alors en outre que le règlement de la consultation ne prévoyait pas le rejet d'une offre dont le prix serait supérieur à un certain seuil. Il résulte d'ailleurs de l'instruction que, par autorisation de programme n° 2018-96 du 6 décembre 2018, portée au budget général de l'exercice 2019, la Polynésie française a augmenté de 600 000 000 francs CFP HT la dotation globale de l'opération du SWAC du CHPF. Par suite, la société Boyer n'est pas fondée à soutenir que l'offre de la société Géocéan aurait été inacceptable et que le pouvoir adjudicateur aurait dû, en conséquence, l'éliminer.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 " Consistance et phasage des travaux " du CCTP : " (...) Les travaux comprennent toutes les fournitures et mises en œuvre nécessaires à la complète réalisation des opérations ci-après : (...) Réalisation des tranchées terrestres et maritimes (...) Le blindage et l'étaiement des fouilles à ciel ouvert, par tous dispositifs quelle qu'en soit la nature / Le blindage des fouilles sous-marines ". Aux termes de l'article 5 " Conditions d'établissement des prix " du CCTP : " (...) Les prix unitaires remis par l'entrepreneur seront établis pour tenir compte des faux frais, droits et impôts, assurances, bénéfices de l'entreprise et tous aléas dont certains sont rappelés ci-dessous : (...) les frais relatifs aux sujétions de blindage des fouilles si nécessaire ". Aux termes de l'article 12.1 " Les mesures de protection " du CCTP : " Toutes les tranchées seront protégées. Les notes d'exécution devront définir la nécessité de mettre en œuvre un blindage de fouille pour tout ou partie des sections. (...) ". Aux termes de l'article 2 " Pièces constitutives du marché " du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) : " Les pièces constitutives du marché sont énumérées ci-dessous et prévalent les unes sur les autres, dans leur ordre d'énumération, en cas de contradiction ou de différences entre elles. / 2.1. Pièces particulières. L'acte d'engagement (AE) ; Le présent cahier des clauses administratives particulières (CCAP) ; Le planning prévisionnel intégrant les dates jalons proposé par le titulaire dans son offre ; Le cahier des clauses techniques particulières (CCTP), spécifique à chaque lot ; Le bordereau des prix unitaires (BPU) et les sous-détails de prix unitaire, spécifique à chaque lot ; Le détail quantitatif estimatif (DQE), spécifique à chaque lot ; Le mémoire justificatif transmis par le titulaire dans le cadre de son offre ". Et aux termes de l'article 2.5 du règlement de la consultation : " Les variantes ne sont pas autorisées ".

8. La société Boyer soutient que l'offre de la société Géocéan serait irrégulière dès lors qu'elle ne prévoit pas de protection des tranchées au moyen de palplanches, en méconnaissance des exigences du dossier de consultation des entreprises (DCE). Toutefois, d'une part, les stipulations du CCTP ci-dessus mentionnées n'imposent pas la réalisation des tranchées terrestres et maritimes au moyen de palplanches, ni même ne la mentionnent à titre indicatif, l'article 3 se bornant à prévoir " le blindage et l'étaiement des fouilles à ciel ouvert, par tous dispositifs quelle qu'en soit la nature " ainsi que " le blindage des fouilles sous-marines ". Si la société Boyer soutient que la nécessité de procéder à la protection des tranchées au moyen de palplanches résulte des pièces graphiques et du planning d'exécution des travaux qui font partie intégrante du DCE en vertu de l'article 10 du règlement de la consultation, il ne saurait être déduit de l'examen de ces deux documents, lesquels se bornent à mentionner sans plus de précisions la méthode de blindage par palplanches, une obligation de recourir à ce procédé. D'autre part, les pièces graphiques invoquées, qui ne figurent pas parmi les pièces constitutives du marché en vertu de l'article 2 du CCAP, ne sauraient en tout état de cause prévaloir sur les stipulations précitées du CCTP, qui prévaut sur ces pièces, selon l'ordre de prévalence prévu à cet article. S'agissant du planning d'exécution des travaux intitulé à l'article 2 du CCAP " planning prévisionnel intégrant les dates jalons proposé par le titulaire dans son offre ", sa prévalence sur le CCTP ne saurait être effective qu'en ce qui concerne ces dates et non au regard des mentions " palplanches terrestres " et " palplanches maritimes " qui n'y figurent qu'à titre d'élément d'identification, sans valeur contraignante particulière, de la nature des travaux prévus aux lignes 45 et 46 de ce planning. Enfin, si la société Boyer fait état de ce que, dans l'extrait du rapport d'analyse des offres, s'agissant du sous-critère C4 relatif à la " réalisation des tranchées terrestres et maritimes ", il est mentionné que " le candidat propose une méthodologie différenciée de la proposition initiale du marché mais tout à fait pertinente et préalablement utilisée par l'entreprise dans des conditions d'interventions similaires ", il résulte de cette appréciation que, alors même que la méthode de protection des tranchées proposée par la société Géocéan n'aurait pas été celle indiquée dans les documents du marché, la méthode prévue par ces derniers n'avait en tout état de cause qu'une valeur de " proposition initiale ", soit non contraignante pour les candidats. Par suite, la société Boyer n'est pas fondée à soutenir que l'offre de la société Géocéan serait irrégulière du fait qu'elle n'aurait pas mis en œuvre la protection des tranchées au moyen de palplanches ni, pour les mêmes motifs, que la méthode utilisée par la société Géocéan constituerait une variante, catégorie non autorisée aux termes de l'article 2.5 du règlement de la consultation. Par suite, la société Boyer n'est pas non plus fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait dû, en conséquence, éliminer cette offre.

9. En quatrième lieu, au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat.

10. La société Boyer invoque des manquements au principe d'impartialité dans la procédure de passation du marché. D'une part, elle soutient que la société Airaro, assistant à maîtrise d'ouvrage du marché litigieux, aurait été désignée attributaire du marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage dans des conditions qui, elles-mêmes, auraient méconnu le principe d'impartialité. Toutefois, la circonstance, à la supposer même établie, que la société Airaro aurait bénéficié, lors du débat en séance de la commission des marchés du 16 juin 2016, du soutien prononcé du chef de projet du SWAC au sein du service des énergies de la Polynésie française, puis que cet agent, deux ans plus tard environ, aurait rejoint les effectifs d'une société spécialisée notamment dans les inspections sous-marines dont le dirigeant serait aussi celui de la société Airaro n'est pas, par elle-même, suffisante pour établir que la Polynésie française n'aurait pas attribué ce marché dans le respect des garanties d'impartialité et de neutralité requises, en l'absence notamment de tout lien établi ou même allégué, contemporain au marché, entre cet agent et la société Airaro. Par suite, la société Boyer n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait dû écarter la société Airaro de la procédure d'appréciation des offres du du lot n° 1 du marché litigieux.

11. D'autre part, la société Boyer fait valoir que les sociétés Créocéan et Airaro, respectivement maître d'œuvre et assistant à maîtrise d'ouvrage du marché litigieux, auraient précédemment collaboré avec la société Géocéan dans la réalisation du SWAC de l'hôtel " The Brando " sur l'île de Tetiaroa, entre 2008 et 2012, et se seraient ainsi trouvées en situation d'évaluer leur propre travail dans le cadre du marché litigieux. Cette situation les aurait conduites, selon la société requérante, à une valorisation systématique, au stade de l'analyse des offres, de l'expérience et des compétences de la société Géocéan, acquises notamment au regard de cette collaboration passée, et de nature à faire légitimement naître un doute sur l'impartialité de la procédure suivie par le pouvoir adjudicateur. La société Boyer invoque également la circonstance que la société Créocéan aurait travaillé pour le compte de la société Géocéan, qu'elle aurait qualifiée de " client ", dans le cadre d'une opération d'installation d'un " pipe " réalisée en 2015 et 2016. Enfin, elle soutient que les sociétés Créocéan et Airaro auraient été conduites à évaluer l'offre de concurrents directs, à savoir, pour la société Créocéan, la société Dietswell, à qui la société Boyer avait prévu de confier les études d'exécution du marché litigieux et qui aurait été en concurrence avec elle pour l'attribution du marché de maîtrise d'œuvre et, pour la société Airaro, la société requérante dès lors que le dirigeant de la société Airaro, ancien salarié de la société Boyer jusqu'en 2006, serait également à la tête d'une autre société qui interviendrait dans le domaine de la réparation de SWAC et de la réalisation d'ouvrages en poly-éthylène haute densité (PEHD), sur lequel interviendrait aussi la société Boyer.

12. Il résulte toutefois de l'instruction que la circonstance, en l'admettant même établie, que les sociétés Créocéan et Airaro auraient précédemment collaboré avec la société Géocéan dans le cadre de la réalisation du SWAC de l'hôtel " The Brando ", entre 2008 et 2012, soit six ans au moins avant la procédure de passation du marché litigieux, dans un domaine d'activité très étroit où les personnes jouissant d'une certaine expertise sont peu nombreuses, n'est pas de nature à faire douter de la capacité de ces deux sociétés à analyser les offres dans le respect des garanties d'impartialité et de neutralité requises, en l'absence notamment de tout lien particulier et contemporain au marché avec la société Géocéan. En outre, il ne résulte d'aucun élément probant de l'instruction que les dirigeants des sociétés Créocéan et Airaro aurait eu un intérêt personnel à l'issue de la procédure ou une capacité d'influence particulière sur son déroulement, le dirigeant de la société Airaro n'ayant à cet égard qu'une voix consultative au sein de la commission d'appel d'offres du marché. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la société Créocéan se serait trouvée en situation de conflit d'intérêt du fait d'une concurrence avec la société Dietswell, dont la participation au marché n'était en tout état de cause qu'hypothétique, à défaut pour la société Boyer d'avoir fait la preuve de sa capacité à disposer de cette participation, et que la société Airaro se serait trouvée en concurrence avec la société Boyer du fait de la présence de son dirigeant à la tête d'une autre société dont il n'est en tout état de cause pas établi qu'elle interviendrait sur le même domaine de compétences que celui de la société requérante. Par suite, compte tenu notamment du contexte de spécificité technique rendant inéluctable l'existence de relations d'affaires antérieures entre les acteurs évoluant dans le domaine du SWAC, la participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres des sociétés Créocéan et Airaro n'est pas de nature à faire naître un doute sur l'existence d'intérêts liant ou opposant ces sociétés à l'un ou l'autre des candidats du marché et, par voie de conséquence, sur l'impartialité de la procédure suivie par la Polynésie française.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article Lp. 4532-14 du code du travail de la Polynésie française : " Lorsque plusieurs entreprises sont appelées à intervenir sur un chantier, le maître d'ouvrage fait établir par le coordonnateur un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé qui est rédigé dès la phase de conception, d'étude et d'élaboration du projet et tenu à jour pendant toute la durée des travaux. / Ce plan général de coordination est un élément constitutif du dossier d'appel d'offres adressé aux entreprises. / Toute entreprise qui répond à l'appel d'offres remet un document précisant les dispositions retenues pour répondre aux prescriptions du plan général de coordination. (...) ". Aux termes de l'article A. 4532-47 du même code : " Le plan particulier de sécurité et de protection de la santé est adapté aux conditions spécifiques de l'intervention sur le chantier. A cet effet, outre la prise en compte des mesures de coordination générale décidées par le coordonnateur et l'énumération des installations de chantier et des matériels et dispositifs prévus pour la réalisation de l'opération, le plan mentionne, en les distinguant : 1. Les mesures spécifiques prises par l'entreprise destinées à prévenir les risques spécifiques découlant : a. de l'exécution par d'autres entreprises de travaux dangereux pouvant avoir une incidence particulière sur la sécurité et la santé des travailleurs de l'entreprise ou du travailleur indépendant ; b. des contraintes propres au chantier ou à son environnement, en particulier en matière de circulations ou d'activités d'exploitation particulièrement dangereuses ; 2. La description des travaux et des processus de travail de l'entreprise pouvant présenter des risques pour la sécurité et la santé des autres intervenants sur le chantier ; 3. Les dispositions à prendre pour prévenir les risques pour la sécurité et la santé que peuvent encourir les salariés de l'entreprise lors de l'exécution de ses propres travaux ". Aux termes de l'article 5.2 du règlement de consultation du marché : " Ce mémoire comprendra une note spécifique au lot concerné comprenant les éléments listés ci-après pour chaque lot. / (...) Le plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) de la société, adapté au projet ". Et aux termes de l'article 6.2.1 de ce même règlement intitulé " Notation de l'offre sur le critère 1 (valeur technique) ": " Les sous-critères de jugement de la valeur technique du lot 1 - ouvrages maritimes sont : (...) E1 : PPSPS : 2 (points) ".

14. La société Boyer soutient que l'absence de communication du plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé (PGCSPS) constitue une méconnaissance, par la Polynésie française, de ses obligations de publicité et de mise en concurrence, dès lors notamment que les soumissionnaires ne disposaient pas des informations nécessaires à l'établissement de leur offre au regard du sous-critère E1 relatif à l'établissement du PPSPS. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que la communication de ce document n'était pas prévue par le DCE, notamment par le règlement de consultation. Si l'article 8.6 du CCAP faisait référence au PGCSPS en mentionnant notamment que le " titulaire s'engage à respecter les modalités pratiques de coopération entre le coordonnateur SPS et les intervenants, définies dans le Plan Général de Coordination en matière de sécurité et de protection de la santé ", le respect de cette exigence n'était pas imposé à la date de remise des offres. D'autre part, il ne résulte pas des dispositions ci-dessus mentionnées de l'article A. 4532-47 du code du travail de la Polynésie française que l'élaboration d'un PPSPS par les candidats nécessitait la connaissance du PGCSPS, dès lors notamment que l'article 6.2 du CCTP détaillait de manière précise l'ensemble des mesures de sécurité que l'entreprise était tenue d'indiquer voire d'expliciter dans le PPSPS, lui permettant de disposer ainsi de l'ensemble des informations nécessaires à l'établissement de son offre. Enfin, et à supposer même que l'obligation pour le maître d'ouvrage d'inclure le PGCSPS dans le dossier d'appel d'offres destiné aux entreprises candidates, prévue par les dispositions précitées de l'article Lp. 4532- 14 du code du travail de la Polynésie française, constitue une méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence du marché, et que la société Boyer se soit vu attribuer la note maximale pour ce sous-critère, soit 2 sur 2 au lieu de 0,8 sur 2, l'écart final aurait été d'une différence minime et sans incidence sur l'issue de l'appel à la concurrence. Pour les mêmes motifs, l'erreur de fait alléguée par la société Boyer dans la mise en œuvre du sous-critère PPSPS, à la supposer même établie, est également restée sans incidence sur le choix de l'attributaire. Par suite, le vice allégué n'est en tout état de cause pas en rapport direct avec l'intérêt lésé dont la requérante se prévaut et ne peut, en conséquence, être utilement soulevé par elle.

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Boyer n'est pas fondée à contester son éviction de la procédure de passation du lot n° 1 " ouvrages maritimes " du marché du SWAC. Par suite, et sans qu'il besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, la société Boyer n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société Boyer demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Boyer le versement d'une somme de 1 500 euros à la société Géocéan et le versement d'une somme de 1 500 euros à la Polynésie française, sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Boyer est rejetée.

Article 2 : La société Boyer versera à la société Géocéan la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société Boyer versera à la Polynésie française la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Boyer, à la société Géocéan et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Briançon, présidente assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 avril 2023.

Le rapporteur,

P. B...

La présidente,

M. A... La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA04461 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04461
Date de la décision : 28/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : MARCHAND

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-04-28;21pa04461 ?
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