Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 2000404 du 18 janvier 2021, le président du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a transmis à la cour la requête présentée par la société de distribution et de gestion.
Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2020 au greffe du tribunal, et des mémoires, enregistrés le 15 octobre 2021 et le 14 février 2022 au greffe de la cour, la société de distribution et de gestion, représentée Me De Greslan, demande :
1°) d'annuler la décision n° 2020-DEC-08 du 11 septembre 2020 par laquelle l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a autorisé la mise en exploitation, par la société SCD Païta, d'un hypermarché sous l'enseigne " Hyper U " " d'une surface de vente de 3 600 m² sur le territoire de la commune de Païta ;
2°) de mettre à la charge de la société SCD Païta la somme de 500 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée repose sur une insuffisante analyse des effets verticaux de l'opération quant au risque de verrouillage des intrants et quant au risque de partage des informations confidentielles entre les sociétés du groupe Ballande ;
- les engagements comportementaux pris par le groupe Ballande sont insuffisants au regard des risques anticoncurrentiels identifiés :
* les engagements visant à garantir une application non discriminatoire des grilles tarifaires et un traitement non discriminatoire des commandes est inutile dès lors que cette obligation s'impose déjà en vertu du code de commerce ;
* l'engagement tenant à la poursuite des opérations promotionnelles auprès des commerces de proximité est inapproprié dès lors que cette pratique a été identifiée comme de nature à limiter la concurrence dans le secteur de la grande distribution en Nouvelle-Calédonie ;
* l'engagement visant à éviter la communication d'informations commerciales sensibles entre les sociétés du groupe Ballande, et plus particulièrement la société SCD Païta, exploitante du magasin " Hyper U " et la société Serdis, présente sur le marché intermédiaire de la distribution en gros de produits alimentaires, est illusoire dès lors que les informations pourront transiter par leur société-mère et seront portées à la connaissance des équipes dirigeantes ;
* seul un engagement structurel tenant à la cession de la société Serdis est de nature à prévenir les effets anticoncurrentiels identifiés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2021 au greffe du tribunal et des mémoires complémentaires, enregistrés le 17 mars 2021 et le 2 décembre 2021 au greffe de la cour, l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par des mémoires, enregistrés le 15 mars 2021 et le 23 novembre 2021, la société SCD Païta, représentée par Me Descombes et Me Pégrinet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société de distribution et de gestion la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;
- le code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bonnier, représentant la société SCD Païta.
Considérant ce qui suit :
1. Le 3 juin 2020, la société Ballande SAS a notifié à l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie un projet de mise en exploitation, par la société SCD Païta, d'un nouvel hypermarché sous l'enseigne " Hyper U " d'une surface de vente de 3 600 m² sur le territoire de la commune de Païta. Par une décision du 11 septembre 2020, l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a autorisé cette mise en exploitation sous réserve de la mise en œuvre d'engagements proposés par la société Ballande SAS visant à remédier aux effets anticoncurrentiels identifiés, en application du deuxième alinéa du III de l'article Lp. 432-3 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie. Par la présente requête, la société de distribution et de gestion, qui exploite des hypermarchés sous l'enseigne " Carrefour " dans le Grand Nouméa, demande l'annulation de cette décision du 11 septembre 2020.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article Lp. 432-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie : " I. - Est soumis au régime d'autorisation défini par le présent chapitre : / 1° toute mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail, lorsque sa surface de vente est supérieure à 600 m² ; / 2° toute mise en exploitation, dans un magasin de commerce de détail déjà en exploitation, d'une nouvelle surface de vente, lorsque la surface totale de vente de ce magasin est ou devient supérieure à 600 m² ; / 3° tout changement d'enseigne commerciale d'un magasin de commerce de détail dont la surface de vente est supérieure à 600 m², et tout changement de secteur d'activité d'un tel magasin ; / 4° toute reprise, par un nouvel exploitant, d'un magasin de commerce de détail dont la surface de vente est supérieure à 600 m² sauf lorsque l'opération constitue une opération de concentration contrôlable au sens des articles Lp. 431-1 et Lp. 431-2. (...) ". Aux termes de l'article Lp. 432-2 du même code : " I. - Toute opération visée à l'article Lp. 432-1 est notifiée à l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie avant sa mise en exploitation effective. (...) ". Enfin, aux termes de l'article Lp. 432-3 du même code : " I- L'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie se prononce dans un délai de quarante jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète. (...) / II.- L'exploitant ayant procédé à la notification peut s'engager à prendre des mesures visant notamment à remédier, le cas échéant, aux effets anticoncurrentiels de l'opération : / - à l'occasion de la notification de cette opération ; / - ou à tout moment avant l'expiration du délai mentionné au I et tant que la décision prévue au I n'est pas intervenue. (...) / III.- L'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie peut, par décision motivée : / - soit constater que l'opération qui lui a été notifiée n'entre pas dans le champ défini par l'article Lp. 432-1 ; / - soit autoriser l'opération, en subordonnant éventuellement cette autorisation à la réalisation effective des engagements pris par l'exploitant ; / - soit, si elle estime qu'il subsiste un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, notamment au regard des critères mentionnés au premier alinéa du I de l'article Lp. 432-4, engager un examen approfondi dans les conditions prévues à l'article Lp. 432-4. Cette décision est notifiée sans délai à l'exploitant ayant procédé à la notification. (...) ".
En ce qui concerne l'analyse concurrentielle :
3. Il appartient à l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie saisie d'une opération de création ou d'extension d'un magasin de commerce de détail visée par les dispositions précitées de l'article Lp 432-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, à partir d'une analyse prospective tenant compte de l'ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération et d'apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte.
4. En premier lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a estimé que la mise en exploitation, par la société SCD Païta appartenant au groupe Ballande, d'un hypermarché sous l'enseigne " Super U " sur la commune de Païta était de nature à avoir des effets anticoncurrentiels verticaux tenant aux risques de verrouillage des intrants. D'une part, sur le marché intermédiaire de la distribution en gros de produits alimentaires, l'Autorité de la concurrence a relevé que la société Serdis, filiale du groupe Ballande, était susceptible de mettre en place une stratégie de verrouillage des intrants en dégradant les conditions d'approvisionnement des concurrents des " Super U ". D'autre part, l'Autorité de la concurrence a identifié un risque identique sur le marché amont de l'élevage bovin et de la fourniture de viande compte tenu du positionnement de la société Agrical, filiale du groupe Ballande.
5. La société requérante soutient que l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a sous-estimé les risques de verrouillage des intrants par la société Serdis alors que cette dernière détient une part de marché supérieure à 30% sur les segments des produits frais et des produits surgelés du marché de la distribution en gros de produits alimentaires. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la société Serdis ne constitue pas l'opérateur dominant sur ces deux segments de marché dès lors que, d'une part, sur le segment des produits surgelés, elle détient 30% des parts de marché derrière la société Nouméa Surgelés appartenant au groupe Carrefour et que, d'autre part, sur le segment des produits frais, la société Serdis détient une part de marché de 42%, comparable à celle de la société Socalait appartenant au groupe Calonne. En outre, l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a tenu compte des résultats du test de marché en relevant que la société Serdis assure quasi-exclusivement la distribution de marques notoires auprès des concurrents des " Super U ". Si l'Autorité de la concurrence a indiqué que ces marques notoires étaient disponibles en Nouvelle-Calédonie par le biais d'autre grossistes-importateurs ou des centrales d'achat, elle a néanmoins relevé les contraintes d'approvisionnement qui pèseraient sur les concurrents sur les segments du marché de la distribution en gros des produits alimentaires spécifiquement dirigés vers les marques notoires. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie aurait commis une erreur d'appréciation ou une erreur de droit en omettant d'analyser suffisamment les effets verticaux de l'opération projetée quant aux risques de verrouillage des intrants.
6. En second lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a estimé que la mise en exploitation d'un hypermarché sous l'enseigne " Super U " par la société SCD Païta était de nature à avoir des effets anticoncurrentiels verticaux tenant au risque de partage d'informations stratégiques entre la société Serdis, présente sur le marché de la distribution en gros des produits alimentaires, et la société SCD Païta, exploitante du " Super U ".
7. La société requérante soutient que l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie n'a pas tenu compte du risque de partage d'informations existant également entre la société SCD Païta et la société STTR, présente sur le marché amont du transport routier de marchandises et appartenant au groupe Ballande. Toutefois, il ressort des résultats du test de marché que la société STTR, qui réalise des transports de containers au profit de concurrents des " Super U ", n'est susceptible d'avoir accès qu'à des informations logistiques, lesquelles ne constituent pas des éléments déterminants susceptible de renseigner sur leur stratégie commerciale. En outre, il ressort des pièces du dossier que la société STTR détient une part de marché inférieure à 25% sur le marché amont du transport routier de marchandises, qui est insuffisante pour permettre le développement d'une stratégie anticoncurrentielle. Par suite, l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le risque d'accès, par la société STTR, à des informations stratégiques commerciales était minime et en écartant ce risque anticoncurrentiel.
En ce qui concerne les engagements :
8. Lorsque lui est notifiée une opération de création ou d'extension d'un magasin de commerce de détail soumise à son autorisation, il incombe à l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie d'user des pouvoirs d'interdiction ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par l'exploitant, qui lui sont conférés par l'article Lp. 432-3 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération. Les engagements qu'elle accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche.
9. En premier lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que pour prévenir les risques de verrouillage des intrants exposés au point 4, la société Ballande a pris une série d'engagements tenant, d'une part, à l'application non-discriminatoire des grilles tarifaires élaborées par ses filiales Serdis et Agrical ainsi qu'au traitement non-discriminatoire des commandes effectuées auprès de la société Serdis et d'autre part, à la poursuite par la société Serdis de ses opérations promotionnelles mensuelles auprès des commerces de proximité. Contrairement à ce que soutient la société requérante, de tels engagements, qui ne constituent pas une simple application de la réglementation du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, sont de nature à prévenir efficacement le risque de refus de vente ou de mise en œuvre de prix ou de conditions moins favorables à l'égard des concurrents, en excluant la possibilité de toute discrimination dans les tarifs et le traitement des commandes, et ce sans qu'il soit besoin d'établir un abus de position dominante ou une pratique déloyale. En outre, si la requérante soutient que l'engagement tenant à la poursuite d'opérations promotionnelles auprès des commerces de proximité conforte une pratique identifiée comme limitant la concurrence dans le secteur de la grande distribution en Nouvelle-Calédonie, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors qu'il incombe seulement à l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, dans le cadre de son contrôle, d'apprécier si l'engagement pris est de nature à pallier les effets anticoncurrentiels de la mise en exploitation projetée et à maintenir ainsi une concurrence suffisante et non de subordonner son accord à des engagements permettant de restaurer un niveau de concurrence supérieur à celui existant avant la mise en exploitation.
10. En second lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que pour prévenir les risques de partage d'informations confidentielles exposés au point 6, la société Ballande a pris un engagement spécifique visant à mettre en place une exploitation du magasin " Hyper U " distincte et indépendante de la société Serdis et à interdire la communication à la SCD Païta des informations commerciales sensibles recueillies par la société Serdis auprès des distributeurs concurrents. A ce titre, l'engagement prévoit une sensibilisation des équipes commerciales de la société Serdis quant à leur obligation de confidentialité, à travers la diffusion d'une circulaire interne annuelle, la formation des salariés aux exigences du droit de la concurrence ainsi que l'insertion d'une clause spécifique relative aux sanctions encourues en cas de manquement au droit de la concurrence dans les nouveaux contrats de travail. Enfin, il est prévu que la société Ballande s'engage à garantir la confidentialité des informations commerciales sensibles recueillies par la société Serdis dans l'hypothèse où une convention de services intragroupe relative aux fonctions support serait conclue. La requérante soutient que les mesures prévues dans cet engagement sont illusoires dès lors que les sociétés SCD Païta et Serdis ne disposent d'aucune autonomie par rapport au groupe Ballande et que les informations stratégiques transiteront nécessairement par leur société-mère. Toutefois, l'engagement pris par la société Ballande d'assurer une exploitation indépendante et distincte des sociétés SCD Païta et Serdis permettra de garantir leur autonomie commerciale, notamment à l'égard de leur maison-mère. En outre, si la société requérante soutient que la direction du groupe Ballande sera destinataire des informations stratégiques par l'intermédiaire de ses filiales SCD Païta et Serdis, il ressort de l'engagement pris que l'interdiction de communiquer des données commerciales sensibles entre les deux filiales s'applique tant aux salariés qu'aux équipes dirigeantes, lesquels sont soumis à une obligation de confidentialité dont la méconnaissance est constitutive d'une faute professionnelle.
11. Dans ces conditions, l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation en estimant que les engagements décrits ci-dessus, dont la pertinence et l'efficacité doivent être appréciées globalement, étaient de nature à prévenir les effets anticoncurrentiels identifiés. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que seule une mesure structurelle tenant à la cession de la société Serdis par le groupe Ballande permettrait le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés concernés dès lors qu'une telle mesure n'était pas nécessaire pour prévenir les risques identifiés par l'Autorité.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société de distribution et de gestion n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SCD Païta, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société de distribution et de gestion et non compris dans les dépens.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société de distribution et de gestion le versement d'une somme de 1 500 euros à la SCD Païta sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société de distribution et de gestion est rejetée.
Article 2 : La société de distribution et de gestion versera une somme de 1 500 euros à la société SCD Païta au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société de distribution et de gestion, à la société SCD Païta et à l'Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.
La rapporteure,
G. A...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANILa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00263