Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du ministre de l'intérieur du 2 août 2019 portant tableau d'avancement au grade de brigadier-chef de police au titre de l'année 2019, ensemble les décisions de nomination à ce grade, ainsi que la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice occasionné à son image et à sa réputation.
Par un jugement n° 1924583 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu sur la demande d'annulation de l'arrêté du 2 août 2019, annulé les nominations au grade de brigadier-chef de police au titre de l'année 2019 et rejeté les conclusions indemnitaires du syndicat requérant.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2022, le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1924583 du 2 juin 2022 du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande du syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour avoir prononcé un non-lieu en se fondant d'office sur l'annulation de l'arrêté du 2 août 2019 prononcée par le jugement n° 1914190 du 4 février 2022, alors que ce jugement n'était pas définitif pour avoir été frappé d'un pourvoi en appel le 4 avril 2022 ;
- les moyens soulevés en première instance par le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police sont infondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 novembre 2022, le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police conclut au rejet de la requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Perroy ;
- et les conclusions de Mme Lorin, rapporteure publique désignée en application de l'article R. 222-24 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement n° 1924583 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Paris, saisi par le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur en date du 2 août 2019 relatif au tableau d'avancement au grade de brigadier-chef de police nationale au titre de 2019, ensemble les nominations à ce grade, a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 août 2019 et annulé les nominations au grade de brigadier-chef de la police prononcées par le ministre de l'intérieur au titre de l'année 2019. Par sa requête, le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'annuler ce jugement.
Sur la recevabilité du mémoire en défense présenté par le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police :
2. Aux termes de l'article R. 811-7 du code de justice administrative : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 774-8, les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 ". L'article R. 612-1 du même code dispose que : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. / Toutefois, la juridiction d'appel ou de cassation peut rejeter de telles conclusions sans demande de régularisation préalable pour les cas d'irrecevabilité tirés de la méconnaissance d'une obligation mentionnée dans la notification de la décision attaquée conformément à l'article R. 751-5 (...) ".
3. Il ressort des pièces de la procédure que le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police a produit un mémoire en défense le 27 novembre 2022, sans avoir constitué avocat alors que le courrier de la Cour lui notifiant, le 12 août 2022, la requête du ministre de l'intérieur, précisait que " [sa] défense devra[it] être présentée soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation et adressée par celui-ci à la juridiction par l'application Télérecours ". Le mémoire en défense est par suite irrecevable et doit être écarté des débats.
Sur la régularité du jugement :
4. Au soutien du dispositif du jugement attaqué, les premiers juges ont retenu que par un jugement n° 1914190 du 4 février 2022, passé en force de chose jugée, le tribunal administratif de Paris avait annulé l'arrêté du 2 août 2019 portant tableau d'avancement au grade de brigadier-chef de police au titre de l'année 2019 en sorte que les conclusions tendant à son annulation étaient devenues sans objet et qu'il devait être fait droit à la demande d'annulation des arrêtés de nomination pris sur son fondement. Toutefois, lorsque le juge administratif a annulé un acte administratif par une première décision juridictionnelle, et que, dans le cadre d'une seconde instance, il est à nouveau saisi de conclusions aux mêmes fins, il ne peut prononcer un non-lieu que si sa première décision est devenue définitive. Or, en l'espèce, le jugement n° 1914190 ayant été notifié le 4 février 2022 et le ministre de l'intérieur en ayant relevé appel devant la Cour le 4 avril 2022, dans le délai prévu à l'article R. 811-2 du code de justice administrative, il n'était pas définitif lorsque les premiers juges ont statué sur l'instance n° 1924583. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que le jugement dont s'agit est irrégulier.
5. Il y a lieu, pour la Cour, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les fins de non-recevoir soulevées par le ministre de l'intérieur :
6. En premier lieu, le ministère de l'intérieur fait valoir que la Fédération Professionnelle Indépendante de la Police n'a pas qualité donnant intérêt pour agir afin de demander l'annulation du tableau d'avancement et des nominations contestés. Toutefois, au regard de l'intérêt collectif que la loi lui donne pour objet de défendre et tel que défini par ses statuts, la fédération requérante justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur doit être écartée.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de la décision attaquée ou, dans le cas mentionné à l'article R. 421-2, de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation ".
8. Le ministre de l'intérieur soutient que le syndicat requérant ne produit pas les nominations dont il demande l'annulation et ne justifie pas de l'impossibilité de les produire. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que par courrier du 14 novembre 2019, le syndicat a demandé au ministre de l'intérieur de lui communiquer les décisions individuelles de nomination au grade de brigadier-chef de police au titre de l'année 2019. Le ministre, qui ne conteste pas avoir reçu ce courrier, n'y a pas répondu. Dès lors, la Fédération Professionnelle Indépendante de la Police était dans l'impossibilité justifiée de produire ces nominations et la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 412-1 du code de justice administrative doit être écartée en ce qui les concerne.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
9. Aux termes de l'article 58 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " L'avancement de grade a lieu de façon continue d'un grade au grade immédiatement supérieur. Il peut être dérogé à cette règle dans les cas où l'avancement est subordonné à une sélection professionnelle. (...) Sauf pour les emplois laissés à la décision du Gouvernement, l'avancement de grade a lieu, selon les proportions définies par les statuts particuliers, suivant l'une ou plusieurs des modalités ci-après : 1° Soit au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents,·2° Soit par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, après une sélection par voie d'examen professionnel. (...) ". Aux termes de l'article 17 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale : " Pour l'établissement du tableau d'avancement de grade qui est soumis à l'avis des commissions administratives paritaires, il est procédé à un examen approfondi de la valeur professionnelle des agents susceptibles d'être promus compte tenu des notes obtenues par les intéressés, des propositions motivées formulées par les chefs de service et de l'appréciation portée sur leur manière de servir. Cette appréciation prend en compte les difficultés des emplois occupés et les responsabilités particulières qui s'y attachent ainsi que, le cas échéant, les actions de formation continue suivies ou dispensées par le fonctionnaire et l'ancienneté ". Aux termes de l'article 13 du décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat : " Les fonctionnaires sont inscrits au tableau par ordre de mérite. Les candidats dont le mérite est jugé égal sont départagés par l'ancienneté dans le grade ".
10. Le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police soutient que les mérites professionnels de MM. Jean D..., Thierry Roeser, David A... et de Mme E... C... sont supérieurs à ceux de plusieurs des brigadiers promus brigadiers chefs en sorte que l'arrêté du 2 août 2019 est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
11. Il ressort des pièces du dossier que MM. D..., Roeser et Mme B... disposent d'une ancienneté élevée dans le grade de brigadier, et que leurs qualités professionnelles sont saluées au titre des trois derniers exercices de notation dans des termes élogieux et leur ont permis d'obtenir des notations chiffrées (de 6 ou 7) plus élevées que d'autres candidats eux-mêmes promus. Leurs compétences professionnelles, y compris leur aptitude à l'encadrement, sont également soulignées, M. D... ayant d'ailleurs occupé en dernier lieu un poste à très grande responsabilité et à haute technicité. Les mérites de ces agents apparaissent ainsi plus favorables que ceux d'au moins quatre des fonctionnaires qui ont été promus. Quant à M. A..., s'il occupe des fonctions syndicales à titre permanent depuis l'année 2000 et doit, à ce titre, se voir attribuer un avancement dans la moyenne de ses collègues, il ressort des pièces du dossier que sa nomination dans le grade de brigadier remonte au 1er octobre 1997, en sorte qu'il justifiait, à la date d'adoption du tableau attaqué, d'une ancienneté de 9 ans et 7 mois. Si le ministre fait valoir, à cet égard, que le principe d'égalité de traitement dans la carrière des fonctionnaires ne s'oppose pas, par principe, à ce qu'il soit traité différemment, la durée moyenne de l'avancement au grade de brigadier-chef était, en l'espèce, dans son cas, déjà largement atteinte en 2019. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que le syndicat requérant est fondé à soutenir que le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'arrêté du 2 août 2019 portant tableau d'avancement au grade de brigadier-chef de police au titre de 2019, ainsi que, par voie de conséquence, l'ensemble des nominations intervenues en exécution de ce tableau.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui annule l'intégralité des mesures individuelles de nomination au grade de brigadier-chef de police au titre de 2019, implique d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'arrêter un nouveau tableau d'avancement au grade de brigadier-chef de police au titre de 2019 dans un délai qu'il convient de fixer à quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard.
Sur les conclusions indemnitaires du syndicat :
14. Si la Fédération professionnelle indépendante de la police soutient que les irrégularités qui ont entaché le tableau d'avancement au grade de brigadier-chef de police nationale au titre de 2019 auraient eu un impact sur sa notoriété et lui auraient causé un préjudice d'image et de réputation, elle ne l'établit pas. Par suite, ses conclusions tendant au versement d'une somme de 3 000 euros en réparation desdits préjudices doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que le syndicat requérant lui demande sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le mémoire présenté en appel par le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police est écarté des débats.
Article 2 : Le jugement n° 1924583 du 2 juin 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : L'arrêté du 2 août 2019 portant tableau d'avancement au grade de brigadier-chef de police au titre de 2019 ainsi que les nominations intervenues en exécution de ce tableau sont annulés.
Article 4 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur d'arrêter un nouveau tableau d'avancement au grade de brigadier-chef de police au titre pour 2019, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Article 5 : Le surplus des demandes formées par le syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au syndicat Fédération Professionnelle Indépendante de la Police.
Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Perroy, premier conseiller,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2023.
Le rapporteur,
G. PERROY
La présidente,
C. VRIGNON-VILLALBA
La greffière,
A. MAIGNAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA0333502