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31/03/2023 | FRANCE | N°20PA02463

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 31 mars 2023, 20PA02463


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sogefi a demandé au tribunal administratif de Paris :

- d'annuler le marché conclu entre l'Etat et la société Eiffage Construction Equipement pour l'exécution des travaux relatifs au lot n° 2 " Lots architecturaux (second œuvre) " en vue du relogement du commissariat de police de Saint-Denis et des laboratoires parisiens de l'Institut national de police scientifique sur un site unique à Saint-Denis ;

- de condamner l'Etat à lui verser une somme de 445 047,60 euros, assortie des i

ntérêts au taux légal, en réparation du préjudice résultant de son éviction irréguliè...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sogefi a demandé au tribunal administratif de Paris :

- d'annuler le marché conclu entre l'Etat et la société Eiffage Construction Equipement pour l'exécution des travaux relatifs au lot n° 2 " Lots architecturaux (second œuvre) " en vue du relogement du commissariat de police de Saint-Denis et des laboratoires parisiens de l'Institut national de police scientifique sur un site unique à Saint-Denis ;

- de condamner l'Etat à lui verser une somme de 445 047,60 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de la procédure de passation de ce marché.

Par un jugement n°1802363-1920135 du 26 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 août 2020, la société Sogefi, représentée par Me Hourcabie, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler le marché correspondant au macro-lot n° 2 de l'opération de relogement du commissariat de police de Saint-Denis et des laboratoires parisiens de l'Institut National de Police Scientifique sur un site unique a` Saint-Denis ou de prononcer, à défaut, sa résiliation ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 445 047,60 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de la procédure de passation de ce marché ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'offre de la société Eiffage Construction Equipement était irrégulière en ce qu'elle prévoyait la sous-traitance de l'ensemble du lot ;

- le regroupement en macro-lots de prestations distinctes méconnaît l'obligation d'allotissement ;

- l'appréciation de son offre est entachée de plusieurs erreurs manifestes ;

- les illégalités dont est entaché le contrat justifient son annulation ou à tout le moins sa résiliation ;

- son offre ayant été classée en deuxième position, elle avait des chances sérieuses d'emporter le marché et elle justifie d'un manque à gagner d'un montant de 445 047,60 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 novembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- l'offre de la société Eiffage Construction Equipement ne prévoyait pas la sous-traitance de la totalité des missions figurant au contrat ;

- le lot n° 2 apparaît cohérent et est justifié par la spécificité du marché qui concerne pour 65 % un laboratoire ;

- le pouvoir adjudicateur n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'offre de la société Sogefi ;

- les vices invoqués ne seraient pas de nature à justifier l'annulation du contrat et la demande de résiliation est dépourvue d'objet compte tenu de l'entière exécution du contrat ;

- le taux de marge nette de 8,71 % invoqué par la requérante n'est pas justifié et le montant des prestations sous-traitées doit être déduit du montant du marché pour calculer le manque à gagner.

La requête a été communiquée à la société Eiffage Construction Equipement qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;

- l'ordonnance n° 2015-889 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gauthier, représentant la société Sogefi, et de M A..., représentant le ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Considérant ce qui suit :

1. La préfecture de Paris a lancé une procédure d'appel d'offres afin de conclure un marché ayant pour objet une opération de relogement du commissariat de police de Saint-Denis et des laboratoires parisiens de l'Institut de Police Scientifique (INPS) sur un site unique à Saint-Denis. La société Sogefi a candidaté pour l'attribution du lot n° 2 (lots architecturaux - second œuvre). Par un courrier du 21 novembre 2017, elle a été informée du rejet de son offre, classée deuxième, et de l'attribution de ce lot à la société Eiffage Construction Equipement. L'avis d'attribution du marché a été publié au BOAMP et au JOUE le 19 décembre 2017. La société Sogefi relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation du marché et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 445 047,60 euros au titre du manque à gagner induit par son éviction irrégulière du marché.

Sur la validité du contrat :

2. Saisi par un tiers de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

En ce qui concerne le défaut d'allotissement :

3. Aux termes de l'article 32 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " I. - Sous réserve des marchés publics globaux mentionnés à la section 4, les marchés publics autres que les marchés publics de défense ou de sécurité sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. A cette fin, les acheteurs déterminent le nombre, la taille et l'objet des lots. / Les acheteurs peuvent toutefois décider de ne pas allotir un marché public s'ils ne sont pas en mesure d'assurer par eux-mêmes les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ou si la dévolution en lots séparés est de nature à

restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que l'opération de relogement du commissariat de police de Saint-Denis et des laboratoires parisiens de l'INPS a été divisée en quatre lots : " gros-œuvre - Clos et couverts - VRD ", " lots architecturaux (second œuvre) ", " lots techniques " et " ascenseurs et monte-charges ". Le lot n° 2 " lots architecturaux (second œuvre) " regroupe lui-même plusieurs prestations distinctes : Cloisons - Doublage - Faux-plafonds ; Menuiseries Intérieures bois - Mobilier - Signalétique ; Revêtements de sols durs/faïence ; Revêtements de sols souples ; Peintures / nettoyage. Si le ministre de l'intérieur fait valoir que le choix du contenu du lot n° 2 a été motivé par la volonté de maîtriser la complexité de mise en œuvre du programme de l'opération, un nombre important d'intervenants étant de nature à accroître le risque de dysfonctionnement des laboratoires, dont l'environnement doit répondre à des critères très stricts, il est constant qu'il n'a fixé aucune limite au recours à la sous-traitance, multipliant ainsi le nombre des intervenants qu'il n'a pas été mis à même de choisir, et qu'il a de manière générale décidé de diviser le marché en macro lots. En revanche, la consistance du lot n° 2 n'apparaît pas incohérente en ce qu'il regroupe des prestations relatives au second œuvre. En outre, la seule circonstance invoquée par la requérante qu'un lot regroupe plusieurs prestations distinctes n'est pas de nature à révéler, à elle seule, que la consistance du lot est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Dans ces conditions, et compte tenu de la liberté laissée au pouvoir adjudicateur pour fixer le nombre et la consistance des lots, le moyen tiré du défaut d'allotissement doit être écarté.

En ce qui concerne la régularité de l'offre de la société Eiffage Construction Equipement :

5. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ". L'article 133 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics permet par ailleurs au titulaire de sous-traiter " l'exécution de certaines parties de son marché public ". Enfin, aux termes de l'article 5 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " I. - Les marchés publics de travaux ont pour objet : / 1° Soit l'exécution, soit la conception et l'exécution de travaux dont la liste est publiée au Journal officiel de la République française (...) ".

6. Il résulte des travaux préparatoires à la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier que les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975, dans leur rédaction issue de cette loi poursuivent, notamment, un objectif de transparence, afin de garantir que le titulaire retenu au terme d'une procédure de publicité et de mise en concurrence ne puisse confier totalement l'exécution du marché à une autre société qui n'aurait pas été choisie par le pouvoir adjudicateur.

7. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'offre de la société Eiffage Construction Equipement et du rapport d'analyse des offres, que cette société a prévu la présence, sur le chantier, d'une importante équipe d'encadrement, composée, notamment, d'un directeur d'exploitation, d'un conducteur de travaux principal, d'un conducteur de travaux et d'un responsable chantier faible nuisance, chargée de la direction des travaux et de leur qualité. L'offre d'Eiffage Construction Equipement impliquait ainsi la participation de la société à l'exécution des travaux faisant l'objet du marché, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elle ait recours à une main d'œuvre sous-traitée pour l'ensemble du macro-lot. Dans ces conditions, son offre ne méconnaissait pas les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 et de l'article 133 du décret du 25 mars 2016.

En ce qui concerne les erreurs manifestes commises dans l'appréciation de l'offre de la société Sogefi :

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Sogefi a obtenu la note de 2 sur 6 à l'item " Moyens humains " du premier sous-critère utilisé pour apprécier la valeur technique de son offre. D'une part, si elle fait valoir que le préfet ne pouvait retenir, dans son appréciation de cet item, l'absence d'attestations de capacités, moyens et qualifications pour chacun des sous-traitants pressentis dès lors que le règlement de la consultation n'exigeait pas leur production, il est constant que le règlement demandait la justification de l'organisation du chantier en moyens humains (pic d'activité, courbe d'effectifs) et que le pouvoir adjudicateur a retenu que la société Sogefi n'apportait aucune certitude sur la sous-traitance pressentie. D'autre part, la présentation des moyens humains faite par la société Sogefi dans l'extrait de son offre produit par le ministre en défense ne traite que des moyens humains de la société, l'appel à des sous-traitants n'étant mentionné qu'en cas de surcroît d'activité, pouvant laisser penser que l'ensemble des prestations a vocation à être exécuté par la candidate alors que son offre indique par ailleurs sous-traiter une partie des prestations. Le rapport d'analyse des offres a dès lors pu souligner sans erreur cette contradiction apparente. Il résulte en outre de l'instruction que le rapport d'analyse des offres a également retenu une sous-évaluation des effectifs par rapport à l'échelle du projet et l'absence de précision quant au personnel d'insertion auquel la société Sogefi indiquait avoir recours. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la note de 2 sur 6 appliquée à l'offre de la société Sogefi soit entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

9. En deuxième lieu, pour apprécier l'offre de la société Sogefi au regard de l'item " Besoins en installation du chantier " du premier sous-critère et lui mettre la note de 1 sur 6, le pouvoir adjudicateur a notamment retenu que la candidate ne donnait aucun détail supplémentaire sur les types d'installation à prévoir quant aux différents bungalows de la base de vie. Il résulte de l'instruction que le règlement de la consultation précisait pour cet item : " Besoin en installation de chantier (en cohérence avec les plans d'installation de chantier fourni au dossier de consultation) ". La société requérante n'apporte aucun élément de nature à contredire l'appréciation portée sur son offre sur ce point par le pouvoir adjudicateur et en particulier sur son manque de précision.

10. En dernier lieu, le rapport d'analyse des offres a retenu, s'agissant de l'item " sécurité vis-à-vis des tiers " du troisième sous critère " Sécurité, protection des travailleurs et des tiers / développement durable ", que les dispositions prévues par la société Sogefi étaient " très succinctes (pas de signalétique...) " mais que l'intéressée répondait de façon assez satisfaisante aux attentes de l'administration. Si la société requérante fait valoir que son offre mentionnait la présence d'une signalétique du chantier, il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur a entaché son appréciation d'une erreur manifeste en lui accordant la note de 6 sur 10 compte tenu du caractère succinct des informations qui figuraient dans son offre.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Sogefi n'est pas fondée à contester la validité du contrat conclu entre l'Etat et la société Eiffage Construction Equipement. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur les frais du litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par la société Sogefi pour la présente instance et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Sogefi est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sogefi, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la société Eiffage Construction Equipement.

Délibéré après l'audience du 17 mars 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Briançon, présidente,

Mme d'Argenlieu, première conseillère,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2023.

La rapporteure,

M. B...

La présidente,

C. BRIANÇON

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02463


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02463
Date de la décision : 31/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRIANÇON
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : HOURCABIE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-03-31;20pa02463 ?
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