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20/03/2023 | FRANCE | N°21PA04330

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 mars 2023, 21PA04330


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société BNP PARIBAS a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions implicite et explicite des 14 janvier et 10 mars 2020 par lesquelles la ministre du travail a refusé la demande d'autorisation de licenciement de Mme E....

Par jugement n°s 2005274/3-3, 2007366/3-3 du 15 juin 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 juillet et 29 septembre 2021 et 14 février 2

022, la société BNP PARIBAS, représentée par la SCP Spinosi et Sureau, demande à la Cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société BNP PARIBAS a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions implicite et explicite des 14 janvier et 10 mars 2020 par lesquelles la ministre du travail a refusé la demande d'autorisation de licenciement de Mme E....

Par jugement n°s 2005274/3-3, 2007366/3-3 du 15 juin 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 juillet et 29 septembre 2021 et 14 février 2022, la société BNP PARIBAS, représentée par la SCP Spinosi et Sureau, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°s 2005274/3-3, 2007366/3-3 du 15 juin 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision explicite du 10 mars 2020 par laquelle la ministre du travail a refusé le licenciement de Mme E... ;

3°) d'enjoindre à la ministre du travail, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de faire droit à la demande dont elle a été saisie et d'autoriser, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, le licenciement de Mme E... ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que ne lui a pas été communiqué le mémoire du 23 décembre 2020 de la ministre du travail alors qu'il comportait des éléments nouveaux sur lesquels les premiers juges se sont fondés ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit, d'erreur de qualification juridique des faits et d'erreur d'appréciation dès lors que :

Sur le premier grief tiré de l'abus de ses fonctions de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) :

- les agissements de Mme E... sont constitutifs d'une méconnaissance de ses obligations de sécurité et de loyauté justifiant qu'il soit procédé à son licenciement pour faute ; elle a refusé délibérément de prendre en compte la procédure de danger grave et imminent destinée à protéger Mme C... et a, ainsi, manqué à son obligation de sécurité en négligeant la détresse d'une salariée, pour privilégier ses propres intérêts dans le cadre de querelles syndicales ; ce comportement n'est pas isolé mais répété et ne relève pas de l'exercice normal de ses mandats dès lors qu'elle a mis en péril la santé de salariés ; elle s'est affranchie des règles applicables quant à l'organisation des réunions du CHSCT en redéfinissant l'ordre du jour et le déroulé de la réunion du 26 septembre 2017 en méconnaissance des dispositions de l'article L. 4614-8 du code du travail alors applicable ; le mode de communication retenu par Mme E... ne relève pas de l'exercice normal de ses mandats mais d'un comportement systématiquement agressif et inapproprié, mettant en danger la santé des salariés qu'elle était censée protéger ; elle a systématiquement perturbé le fonctionnement des instances représentatives afin de faire valoir ses positions en refusant d'examiner la situation de grande détresse de Mme C..., en s'abstenant de prévenir le CHSCT de la venue de Mme B... qu'elle aurait dû protéger en la dissuadant de venir et en mettant en danger Mme B... qui a été manipulée ;

Sur le deuxième grief relatif au contournement de l'application de l'accord sur le harcèlement moral et la violence au travail signé par les partenaires sociaux le 1er juillet 2014 :

- Mme E... néglige systématiquement les procédures collectives, issues d'accords avec les représentants du personnel, afin de faire valoir ses intérêts personnels illustrant sa volonté de mettre à mal le bon fonctionnement des instances représentatives en court-circuitant délibérément un dispositif issu d'accords avec les représentants du personnel ;

Sur le troisième grief relatif à la " contre-enquête " informelle qu'elle a menée suite au signalement dont elle a fait l'objet pour des faits de harcèlement :

- Mme E... a contourné les procédures collectives applicables pour servir ses intérêts personnels en faisant pression sur les salariés qu'elle a interrogés dans le cadre de l'enquête qu'elle a menée suite aux accusations dont elle a fait l'objet ; elle a ainsi fait peser une pression permanente sur ses collègues, nocive pour leur santé, en méconnaissance de ses obligations contractuelles de sécurité et de loyauté ;

Sur le dernier grief relatif aux relations conflictuelles entretenues avec des interlocuteurs du CHSCT :

- Mme E... a adopté une attitude systématiquement hostile à l'égard de nombre de ses interlocuteurs et a créé une ambiance délétère au sein des instances représentatives en raison de son attitude manquant ainsi à son obligation de loyauté et de sécurité ;

- la décision du 10 mars 2020 de la ministre du travail est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'accumulation des manquements de Mme E... justifie la procédure de licenciement initiée à son encontre ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation : la demande de licenciement, contrairement à ce qu'a considéré la ministre du travail, n'est pas en lien avec le mandat syndical de la salariée dès lors que la circonstance que la demande d'autorisation de licenciement soit fondée sur des griefs traduisant des comportements fautifs de Mme E... lors de l'exercice de ses mandats ne peut suffire à établir que la société aurait sollicité l'autorisation de la licencier en raison de ses mandats ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'attestation du médecin du travail coordonnateur des établissements BNP PARIBAS signée le 19 janvier 2018 était bien recevable contrairement à ce que la ministre du travail a considéré.

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 janvier et 17 mars 2022, Mme E..., représentée par Me Cadot, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société BNP PARIBAS la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 1er mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mars 2022 à 12h.

Un mémoire a été enregistré le 25 mars 2022 pour la société BNP PARIBAS, après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- les observations de Me Bruniol Prochier, représentant la société BNP PARIBAS,

- et les observations de Me Bouba Camara, représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 21 février 2018, la société BNP PARIBAS a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de Mme E..., recrutée le 13 mars 2009 en qualité de juriste dans le cadre du transfert de son contrat de travail conclu le 2 mai 2001 avec la société BNP PARIBAS Lease Group. Elle était, à la date de la demande, titulaire des mandats de déléguée du personnel titulaire, de membre du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de conseillère prud'homale. Une décision implicite de rejet a été opposée à cette demande par l'inspecteur du travail le 22 avril 2018 confirmée par une décision explicite du 22 juin 2018. Par décision du 10 décembre 2018, la ministre du travail a, suite au recours hiérarchique formé par la société BNP PARIBAS contre ces deux décisions, annulé la décision du 22 juin 2018 compte tenu de l'irrégularité de la procédure de licenciement interne à l'entreprise et refusé le licenciement de l'intéressée. Par jugement n° 1902772/3-3 du 12 novembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision et enjoint à la ministre du travail de procéder à un nouvel examen de la demande d'autorisation de licenciement de Mme E..., laquelle a, d'abord, été implicitement rejetée avant de l'être explicitement par décision du 10 mars 2020. Par jugement n°s 2005274/3-3, 2007366/3-3 du 15 juin 2021, dont la société BNP PARIBAS relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".

3. Il résulte des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, qui sont destinés à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pas pu préjudicier aux droits des parties.

4. Il ressort des pièces du dossier que la ministre du travail a produit le 23 décembre 2020 un second mémoire en défense, lequel a été visé par le jugement attaqué, ce qui atteste que le tribunal en a pris connaissance. Si la société BNP PARIBAS soutient que le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que ce mémoire ne lui a pas été communiqué alors que, selon elle, il comportait des éléments nouveaux sur lesquels les premiers juges se sont fondés, elle n'assortit pas son moyen des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé alors même qu'elle a été destinataire du premier mémoire en défense présenté par la ministre du travail qui répondait déjà à ses moyens et que le nouveau mémoire ne comportait pas d'éléments nouveaux. Par suite, en s'abstenant de communiquer ce mémoire à la requérante, le tribunal n'a pas méconnu le principe du contradictoire et n'a pas entaché d'irrégularité son jugement.

Sur la légalité de la décision explicite du 10 mars 2020 de la ministre du travail :

5. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la société BNP PARIBAS ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreur de droit, d'erreur de qualification juridique des faits et d'erreur d'appréciation.

En ce qui concerne la matérialité des faits et leur gravité :

6. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

Sur le grief tiré de l'abus de ses fonctions de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail :

7. La société BNP PARIBAS soutient que Mme E... a refusé délibérément de prendre en compte la procédure de danger grave et imminent destinée à protéger Mme C... et a, ainsi, manqué à son obligation de sécurité en négligeant la détresse d'une salariée, pour privilégier ses propres intérêts dans le cadre de querelles syndicales, que ce comportement n'est pas isolé mais répété et ne relève pas de l'exercice normal de ses mandats dès lors qu'elle a mis en péril la santé de salariés. Toutefois, la circonstance que Mme E... ait initié au bénéfice d'une salariée une procédure d'alerte auprès de son employeur sur le fondement de l'article L. 4131-1 du code du travail, après avoir considéré que la situation de travail de cette dernière présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, mais qu'elle se soit abstenue, en revanche, de souscrire au déclenchement de la même procédure par une élue du CHSCT membre d'un autre syndicat s'agissant de la supérieure de cette salariée n'est pas de nature à caractériser le manquement allégué, contrairement à ce que soutient la société requérante.

8. La circonstance que l'intéressée ait formulé des observations s'agissant de l'organisation de la réunion du CHSCT au cours de laquelle a été évoquée la situation de la salariée pour laquelle elle a initié la procédure d'alerte évoquée au point précédent relève de l'exercice normal de son mandat de membre de ce comité et ne saurait lui être opposé, quand bien même la définition de cet ordre du jour et de l'organisation de cette séance relève de la compétence du président. Il s'ensuit que, contrairement à ce qui est soutenu par la société requérante, Mme E... ne s'est pas affranchie des règles relatives à l'organisation des réunions du CHSCT en redéfinissant l'ordre du jour et le déroulé de la réunion du 26 septembre 2017 et n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 4614-8 du code du travail alors applicable.

9. Si la société BNP PARIBAS soutient que Mme E... a systématiquement perturbé le fonctionnement des instances représentatives afin de faire valoir ses positions, cette affirmation n'est pas davantage de nature à établir que l'intéressée aurait méconnu ses obligations de sécurité et de loyauté justifiant qu'il soit procédé à son licenciement pour faute dès lors qu'elle n'est pas assortie des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et notamment des dates précises auxquelles auraient eu lieu les faits reprochés alors que la procédure de demande d'autorisation de licenciement s'inscrit dans un délai contraint entraînant la prescription des faits qui peuvent être opposés au salarié protégé au-delà d'un certain délai.

10. La société BNP PARIBAS oppose à Mme E... la circonstance qu'elle soit venue à la séance du CHSCT du 26 septembre 2017 accompagnée de la salariée pour laquelle elle a déclenché la procédure d'alerte évoquée au point 7, sans que ses membres en aient été préalablement informés cherchant ainsi à " faire pression " sur ceux-ci, les empêchant de procéder à un examen attentif de la situation d'une salariée en souffrance " et de ne pas l'avoir protégé en la dissuadant de venir et même en l'ayant manipulée. Toutefois, si Mme E... n'a effectivement pas informé les membres du CHSCT de la venue de cette dernière, il ressort des pièces du dossier que cette circonstance a seulement retardé le début de la réunion et n'a pas été de nature à empêcher l'examen de la situation de l'intéressée qui n'est finalement pas restée alors d'ailleurs qu'aucun règlement intérieur du comité ni aucune règle du code du travail n'impose une information préalable des membres du comité quant à la venue d'un tiers pour participer à ses séances. Enfin, il ressort des pièces du dossier que cette salariée a indiqué, notamment par des courriels des 6 septembre 2017 et 10 septembre 2018, qu'elle avait souhaité de sa propre initiative se présenter à cette séance. Par suite, dès lors que ces agissements reprochés à Mme E... se rattachent à l'exercice normal de son mandat, ils ne caractérisent pas, contrairement à ce que soutient la société requérante, un manquement à ses obligations de loyauté et de sécurité.

11. En dernier lieu, la société BNP PARIBAS oppose à Mme E... un mode de communication et un comportement systématiquement agressifs et inappropriés mettant en danger la santé des salariés qu'elle était censée protéger ne relevant ainsi pas de l'exercice normal de ses mandats et elle se prévaut du contenu de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 10 septembre 2020, frappé d'un pourvoi en cassation toujours pendant et qui concerne la procédure visant à faire reconnaître les discriminations dont elle s'estime victime au sein de cette société. Toutefois, la demande d'autorisation de licenciement du 21 février 2018 a circonscrit l'étendue des griefs opposés à Mme E... parmi lesquels ne figurent que son mode de communication et son comportement au sein du CHSCT et non les relations conflictuelles qu'elle entretiendrait avec ses " différents supérieurs, les N+2 et les gestionnaires des ressources humaines ", qui ne peuvent, par suite, être utilement invoquées pour contester la légalité de la décision explicite du 10 mars 2020 par laquelle la ministre du travail a refusé le licenciement de Mme E....

12. Il suit de là qu'en ne retenant pas que Mme E... aurait, en abusant de ses fonctions de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, méconnu ses obligations de sécurité et de loyauté prévues par son contrat de travail et justifiant ainsi qu'il soit procédé à son licenciement pour faute, la ministre du travail n'a entaché sa décision ni d'erreur de droit, d'erreur de qualification juridique des faits ou d'erreur d'appréciation.

Sur le grief relatif au contournement de l'application de l'accord sur le harcèlement moral et la violence au travail signé par les partenaires sociaux le 1er juillet 2014 :

13. La circonstance que, saisie par trois salariés de leur situation de souffrance au travail, Mme E... ait préféré, dans l'exercice de ses mandats d'élue au CHSCT et de déléguée du personnel, exercer son droit d'alerte pour danger grave et imminent sur le fondement des dispositions de l'article L. 4131-1 du code du travail plutôt que de solliciter l'engagement de l'enquête prévue par l'accord sur le harcèlement moral et la violence au travail signé par les partenaires sociaux le 1er juillet 2014 ne constitue pas une faute susceptible de lui être reprochée. En effet, ce droit d'alerte relève de l'exercice normal par Mme E... de ses fonctions représentatives. Par suite, la ministre du travail n'a pas entaché la décision en litige d'erreur de droit, d'erreur de qualification juridique des faits ou d'erreur d'appréciation en considérant qu'en ne suivant pas la procédure prévue par l'accord précité, Mme E... n'avait pas commis de manquement à son contrat de travail constitutif d'une faute de nature à justifier l'autorisation de licenciement sollicitée.

Sur le grief relatif à une " contre-enquête " informelle :

14. Il ressort des pièces du dossier que, suite au signalement à la responsable des relations sociales de la société BNP PARIBAS par un membre du CHSCT de sa situation, qu'il estimait pouvoir entrer dans le cadre de l'accord sur le harcèlement moral et la violence au travail signé par les partenaires sociaux le 1er juillet 2014 et mettant en cause Mme E..., une enquête a été diligentée en août 2015, qui a conclu à l'absence d'agissements entrant dans ce cadre. Si la société BNP PARIBAS oppose à l'intéressée la circonstance qu'elle a interrogé des personnes qui avaient été entendues dans le cadre de cette enquête en contournant les procédures collectives applicables et en faisant pression sur les intéressés, ce que la société n'établit pas au demeurant, cette circonstance ne permet pas de caractériser le fait que Mme E..., en méconnaissance de ses obligations contractuelles de sécurité et de loyauté, exercerait une pression permanente sur ses collègues qui serait nocive pour leur santé. Par suite, la faute de Mme E... ou l'abus dans l'exercice de ses fonctions représentatives invoqué par la société BNP PARIBAS n'est pas, pour ce motif, davantage établi. Par suite, le moyen selon lequel la ministre du travail aurait, pour ce motif, entaché la décision attaquée d'une erreur de droit, d'une erreur de qualification juridique des faits et d'une erreur d'appréciation n'est pas fondé.

Sur le grief relatif aux relations conflictuelles entretenues avec des interlocuteurs du CHSCT :

15. La société BNP PARIBAS soutient que Mme E... a adopté une attitude systématiquement hostile à l'égard de nombre de ses interlocuteurs et a créé une ambiance délétère au sein des instances représentatives en raison de son attitude manquant ainsi à son obligation de loyauté et de sécurité. D'une part, la société ne peut, là encore, pour les mêmes raisons que celles précisées précédemment au point 11, se prévaloir de l'existence de relations conflictuelles de Mme E... avec ses " différents supérieurs, les N+2 et les gestionnaires des ressources humaines ". D'autre part, si la société requérante soutient que Mme E... a eu des échanges tendus avec le médecin du travail, il ressort de l'attestation du supérieur du médecin du travail représentant le service de santé au sein de ce comité établie le 18 janvier 2018 pouvait être prise en compte par la ministre du travail, l'enquête réalisée par l'inspecteur du travail a révélé que le médecin en question ne se déplaçait plus aux réunions du CHSCT depuis 2016 " sans qu'il existe un lien direct entre cette décision et l'attitude de " Mme E.... Par ailleurs, si la société établit, par les pièces qu'elle produit et notamment les témoignages de membres du CHSCT que Mme E... a eu, à plusieurs reprises, des propos critiques à l'encontre du président du CHSCT et des échanges tendus avec ce dernier ainsi qu'avec le secrétaire du comité et que plusieurs réunions du CHSCT se sont déroulées dans une atmosphère très conflictuelle, il ne résulte pas de ces différents éléments que Mme E... ait eu une attitude telle qu'elle devrait être regardée comme excédant l'exercice normal du mandat qu'elle détient au sein de ce comité. Par suite, la ministre du travail n'a pas entaché la décision attaquée d'erreur de droit, d'erreur de qualification juridique des faits ou d'erreur d'appréciation en considérant que les relations conflictuelles entretenues par Mme E... avec ses interlocuteurs du CHSCT n'étaient pas constitutives d'un manquement à son contrat de travail et d'une faute de nature à justifier l'autorisation de licenciement sollicitée. La circonstance que la ministre du travail ait écarté à tort l'attestation du médecin du travail coordonnateur des établissements BNP PARIBAS signée le 19 janvier 2018 est sans incidence sur la légalité de la décision contestée dès lors qu'il résulte de ce qui précède que la prise en compte de cette attestation n'aurait pas modifié son appréciation de sorte que le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entachée la décision attaquée pour ce motif ne peut qu'être écarté.

Sur les griefs cumulés justifiant selon la société BNP PARIBAS l'autorisation de licenciement sollicitée :

16. Dès lors que les griefs précités ne sont pas constitutifs d'une faute qui aurait été commise par Mme E... de nature à justifier l'autorisation de licenciement sollicitée par la société BNP PARIBAS, la prise en compte combinée de ces différents griefs n'est pas davantage de nature à permettre la délivrance d'une telle autorisation. Il s'ensuit que doit être écarté le moyen tiré de ce que la décision en litige est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'accumulation des manquements de Mme E... justifie l'autorisation de licenciement sollicitée.

En ce qui concerne le lien de la demande d'autorisation de licenciement avec le mandat exercé par Mme E... :

17. Il ressort de l'analyse des différents griefs opposés à Mme E..., qu'aucun d'eux n'est de nature à caractériser l'existence d'un manquement à ses obligations contractuelles et qu'ainsi, en l'absence de faute commise, les faits reprochés doivent être regardés comme ayant été accomplis dans le cadre de l'exercice normal de ses mandats représentatifs de sorte que la ministre du travail n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en considérant que la demande d'autorisation de licenciement dont elle était saisie n'était pas sans lien avec les mandats détenus par l'intéressée.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la société BNP PARIBAS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle la ministre du travail a rejeté la demande d'autorisation de licenciement de Mme E....

Sur les frais liés à l'instance :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société BNP PARIBAS au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société BNP PARIBAS la somme de 2 000 euros à verser à Mme E... par application des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société BNP PARIBAS est rejetée.

Article 2 : La société BNP PARIBAS versera à Mme E... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société BNP PARIBAS, à Mme D... E... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2023.

La rapporteure,

A. A... Le président,

R. LE GOFF

Le greffier,

P. TISSERANDLa République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA04330


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04330
Date de la décision : 20/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SCP HEMERY/THOMAS-RAQUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-03-20;21pa04330 ?
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