Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 15 juin 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Wolters Kluwer France à procéder à son licenciement pour motif disciplinaire ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1812682 du 9 novembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 15 janvier 2021, le 17 mars 2022,
le 27 juin 2022 et le 8 février 2023, Mme B... D..., représentée par Me Roumier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1812682 du 9 novembre 2020 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 15 juin 2018, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux ;
3°) de lui verser une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de l'inspectrice du travail du 15 juin 2018 est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen dès lors qu'elle ne mentionne pas l'intégralité de ses mandats passés et présents ;
- la procédure de licenciement est entachée d'irrégularité dès lors qu'elle n'a pas bénéficié d'un entretien préalable ;
- l'inexécution de ses obligations contractuelles est exclusivement imputable à son employeur et ne saurait constituer une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;
- la procédure de licenciement présente un lien avec ses mandats ;
- l'inspectrice du travail a commis un détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2023, la société Wolters Kluwer France devenue la société Lamy Liaisons, représentée par Me Gannat, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... D... ne sont pas fondés.
Une mise en demeure a été adressée le 30 juin 2021 à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- les observations de Me Abdillahi, représentant Mme B... D...,
- et les observations de Me Gannat, représentant la société Wolters Kluwer France devenue la société Lamy Liaisons.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... D... a été recrutée le 1er février 2014 par la société Wolters Kluwer France en qualité de rédactrice juridique. Elle détenait par ailleurs les mandats de déléguée syndicale, de représentante syndicale au comité d'entreprise, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de défenseure syndicale. Par un courrier du 17 avril 2018, la société Wolters Kluwer France a sollicité auprès de l'inspection du travail l'autorisation de licencier Mme B... D... pour motif disciplinaire. Par une décision du 15 juin 2018, l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement de la salariée. Cette dernière a alors saisi le tribunal administratif de Montreuil d'un recours tendant à l'annulation de cette décision ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux. Par un jugement du 9 novembre 2020, dont Mme B... D... relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
2. En premier lieu, pour opérer les contrôles auxquels elle est tenue de procéder lorsqu'elle statue sur une demande d'autorisation de licenciement, l'autorité administrative doit prendre en compte l'ensemble des mandats détenus par le salarié. Si les dispositions du code du travail ne sauraient permettre à une protection acquise postérieurement à la date de l'envoi par l'employeur de la convocation à l'entretien préalable au licenciement de produire des effets sur la procédure de licenciement engagée par cet envoi, l'autorité administrative doit toutefois avoir connaissance de l'ensemble des mandats détenus à la date de sa décision, y compris ceux obtenus le cas échéant postérieurement à cette convocation, afin d'être mise à même d'exercer son pouvoir d'appréciation de l'opportunité du licenciement au regard de motifs d'intérêt général.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... D... bénéficiait, à la date de la décision de l'inspectrice du travail, de la protection exceptionnelle contre le licenciement prévue par le code du travail au titre de ses fonctions d'ancienne conseillère prud'homale, de déléguée syndicale, de représentante syndicale au comité d'entreprise, au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de défenseure syndicale. Contrairement à ce que soutient Mme B... D..., la décision de l'inspectrice du travail mentionne l'intégralité desdits mandats et n'avait pas à viser ses fonctions de secrétaire du comité d'entreprise, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui ne lui conféraient pas de protection exceptionnelle, dès lors qu'elle ne faisait pas partie des membres de la délégation du personnel siégeant à ce comité. Par suite, les moyens tirés du défaut de motivation et du défaut d'examen doivent être écartés, l'inspectrice du travail ayant pris en considération l'ensemble des mandats dont était investie la salariée à la date de sa décision.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail :
" L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. (...) ". Aux termes de l'article L. 1232-3 du même code : " Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié ".
5. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement du
17 avril 2018 est fondée sur l'inexécution fautive, par Mme B... D..., de ses obligations contractuelles depuis sa reprise d'activité en avril 2017 et repose sur des griefs similaires à ceux retenus dans la demande du 20 mars 2018 pour laquelle la salariée avait été régulièrement convoquée à un entretien préalable le 8 février 2018. Au surplus, si la demande du 20 mars 2018 a donné lieu à une décision de rejet de l'inspectrice du travail dès lors que l'employeur n'avait pas qualifié le motif du licenciement sollicité, il ressort du compte-rendu établi par le délégué du personnel accompagnant Mme B... D... que le caractère disciplinaire des faits reprochés à la salariée a été expressément abordé lors de l'entretien préalable du 8 février 2018. Dans ces conditions, en l'absence de changement de circonstances et dès lors que les deux demandes étaient fondées sur des griefs identiques, la société Wolters Kluwer France n'était pas tenue de faire précéder la demande d'autorisation de licenciement du 17 avril 2018 d'un nouvel entretien préalable. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure interne à l'entreprise doit être écarté.
6. En troisième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
7. A l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement, la société Wolters Kluwer France fait grief à Mme B... D... d'avoir manqué à ses obligations contractuelles en refusant délibérément d'accomplir sa prestation de travail.
8. Il ressort des pièces du dossier que depuis sa reprise d'activité en avril 2017,
Mme B... D... était en charge, avec une autre collègue, de la codirection de l'ouvrage " Lamy Mobilités internationales " spécialisé en droit des étrangers et avait notamment pour mission d'actualiser certaines parties de cet ouvrage, selon une répartition arrêtée par sa hiérarchie. Malgré de nombreuses relances et deux avertissements des 20 septembre et
16 novembre 2017, la salariée n'a fourni aucune production juridique, à l'exception d'un document word intitulé " les mises à jours à faire dans les prochains mois " adressé à sa hiérarchie par courriel du 26 juin 2017. Mme B... D..., qui ne conteste pas cette absence de production, soutient que l'inexécution de sa prestation de travail est exclusivement imputable à son employeur. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la salariée a bénéficié, le 19 avril 2017, d'un entretien avec ses supérieurs hiérarchiques au cours duquel ses missions et ses besoins de formation ont été abordés, que sa fiche de poste ainsi qu'un descriptif détaillé de ses missions lui ont été adressés par courriel du 9 mai 2017 et qu'elle a suivi trois formations aux outils nécessaires à la mise à jour des ouvrages en ligne les 30 mai, 2 juin et 16 juin 2017. Si Mme B... D... soutient que sa formation était insuffisante au regard de sa longue période d'inactivité, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait signalé à sa hiérarchie la nécessité d'une remise à niveau sur les thématiques juridiques ni fait état de difficultés particulières sur ce point. Si la requérante se prévaut également de l'insuffisance des moyens matériels mis à sa disposition, il ressort des éléments versés aux débats que l'intéressée a bénéficié de moyens identiques à ceux attribués aux rédacteurs assurant la direction d'ouvrages en ligne, et notamment de l'allocation d'un budget de 5 000 euros lui permettant de recourir à des auteurs externes pour la production d'études nécessaires à l'actualisation des différentes parties du " Lamy Mobilités internationales " ainsi que d'un accès au site Lamyline et à l'ensemble des ressources juridiques accessibles gratuitement en ligne. A cet égard, la société Wolters Kluwer France établit que la collègue assurant la codirection de l'ouvrage avec
Mme B... D... a été en mesure de fournir, de façon régulière, un travail de veille et de mise à jour juridique. Enfin, si la salariée soutient que son employeur n'a pas tenu compte du temps effectivement consacré à ses mandats, il ressort au contraire des pièces du dossier que la société Wolters Kluwer France a veillé à adapter les fonctions de Mme B... D... en lui confiant uniquement la codirection d'un ouvrage en lien avec une autre collègue et en allongeant les délais de remise des productions sollicitées, au regard des échéances liées à ses fonctions représentatives. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'inexécution fautive de sa prestation de travail serait imputable à son employeur. Dès lors, au regard du niveau de responsabilité de la salariée et de la persistance, sans motif légitime, du refus d'exécuter sa prestation de travail dans des conditions préjudiciables à la bonne organisation de l'entreprise, les faits reprochés à Mme B... D... constituent une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
9. En quatrième lieu, Mme B... D... soutient que la société Wolters Kluwer France a adopté un comportement discriminatoire à son égard, et notamment qu'elle a été privée de travail à compter de son détachement syndical en 2009. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et n'est pas sérieusement contesté, que la salariée était détachée auprès de la CGT à raison de quatre jours par semaine et que le cinquième jour était consacré à l'exercice de ses autres mandats du fait d'une tolérance instaurée d'un commun accord avec son employeur. En outre, il n'est pas établi que Mme B... D... aurait connu un déroulement de carrière défavorable par rapport aux autres salariés alors qu'au sein de l'entreprise, les fonctions de directeur d'ouvrage en ligne sont généralement exercées par des salariés occupant le poste de rédacteur et que la requérante perçoit une rémunération annuelle supérieure à ses collègues rédacteurs, du fait de son ancienneté. Si Mme B... D... se prévaut également d'un droit d'alerte exercé par les représentants du personnel à son égard le 9 février 2016, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce droit d'alerte aurait été précédé d'autres signalements, ni qu'une action auprès du conseil des prud'hommes aurait été engagée du fait de l'absence d'enquête diligentée par l'employeur. Par ailleurs, la requérante soutient que la demande de licenciement est motivée par son implication personnelle dans une procédure judiciaire engagée depuis 2010 à l'encontre de son employeur pour fraude à la participation, et notamment par un signalement qu'elle a effectué le 29 mars 2018 sur la plateforme " lanceur d'alerte " de l'entreprise. Toutefois, une telle circonstance n'est pas de nature à établir un lien avec les mandats de l'intéressée alors que l'action judiciaire en cause est portée par plusieurs syndicats et que les faits à l'origine de sa procédure de licenciement ont été constatés depuis sa reprise d'activité en avril 2017. De la même façon, la circonstance qu'une précédente demande d'autorisation de licenciement la concernant a été refusée par l'inspection du travail le 23 septembre 2016 n'est pas davantage de nature à démontrer que la demande présentée le 17 avril 2018 serait en rapport avec ses fonctions représentatives. Enfin, si des difficultés de fonctionnement des institutions représentatives du personnel ont pu être identifiées par l'inspection du travail, de tels faits ne sont pas de nature, à eux-seuls, à démontrer l'existence d'un lien avec les mandats de Mme B... D... alors que les agissements qui lui sont reprochés trouvent leur origine dans un comportement fautif grave dont elle a pris seule l'initiative. Par suite, le moyen tiré de ce que son licenciement serait en rapport avec ses fonctions représentatives doit être écarté.
10. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme A... B... D..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Wolters Kluwer France devenue la société Lamy Liaisons.
Délibéré après l'audience du 15 février 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2023.
La rapporteure,
G. C...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANILa République mande et ordonne au ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00233