Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiées (SAS) Lux'Immo a demandé au Tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2010.
Par un jugement n° 1804111/3 du 17 juin 2021, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 août 2021 à la Cour administrative d'appel de Versailles, et transmise à la Cour par ordonnance du 1er septembre 2021, la SAS Lux'Immo, représentée par Me Philippe Morisset, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1804111/3 du 17 juin 2021 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses, en droits et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas été informée par l'administration de l'existence d'informations à décharge recueillies par celle-ci dans le cadre de l'assistance administrative internationale ;
- l'administration n'établit pas que la société Duninmad est soumise à un régime fiscal privilégié ;
- la commission litigieuse correspond à une opération réelle et ne présente pas un caractère exagéré.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 19 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Prévot, rapporteur public,
- et les observations de Me Morisset représentant la société Lux'Immo.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Lux'Immo, créée en avril 2006, exerce une activité de promotion immobilière visant à bâtir des immeubles d'habitation collective. A la suite de la vérification de sa comptabilité, conclue en dernier lieu par une proposition de rectification du 4 avril 2014, le service a rejeté la déduction d'une commission de 1 833 220,95 euros versée à la société Duninmad établie à Madère sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, et elle a été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2010, de contribution sociale additionnelle à cet impôt, ainsi qu'à des majorations correspondantes. La SAS Lux'Immo relève appel du jugement du 17 juin 2021 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions, en droits et pénalités.
Sur la régularité de la procédure :
2. A supposer que la société requérante ait entendu soutenir que la procédure était entachée d'irrégularité dès lors que l'administration ne lui a pas transmis des informations à décharge qu'elle aurait obtenues par l'exercice de l'assistance administrative internationale, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que M. A..., qu'elle présente comme l'auteur de la prestation d'intermédiation, a déclaré aux autorités fiscales portugaises qu'il aurait perçu une rémunération de la société Duninmad, ni que ces autorités auraient transmis une telle information à l'administration française, d'autre part il résulte de l'instruction que, dans leur réponse du 9 décembre 2013, les autorités portugaises ont indiqué à l'administration que la société Predipovoa n'avait à ce jour pas bénéficié d'une rémunération de la société Duninmad. Par suite, et en tout état de cause, le moyen manque en fait.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
3. Aux termes de l'article 238 A du code général des impôts : " Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. / Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. (...) ".
4. Pour l'application de ces dispositions, la charge de la preuve de ce que le bénéficiaire des rémunérations en cause est soumis à un régime fiscal privilégié incombe à l'administration. Il lui appartient à cet égard d'apporter tous éléments circonstanciés non seulement sur le taux d'imposition, mais sur l'ensemble des modalités selon lesquelles des activités du type de celles qu'exerce ce bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié ou établi. Le contribuable peut, de son côté, faire valoir, en réponse à l'administration, tous éléments propres à la situation du bénéficiaire en cause. Dans le cas où l'administration doit être regardée, au vu de l'ensemble des éléments ainsi produits par les parties, comme ayant établi que le bénéficiaire n'est pas imposable ou est assujetti à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont il aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, il appartient au contribuable d'apporter la preuve que les dépenses en cause correspondent à des opérations réelles et ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le siège social de la société Duninmad, bénéficiaire de la commission litigieuse en 2010, est situé dans la zone franche de Madère, où l'administration fait valoir qu'elle est soumise à un régime fiscal privilégié. Pour l'établir, elle invoque d'une part les dispositions légales applicables, les décrets-lois n° 165/86 et n° 84/93, selon lesquels les sociétés établies dans cette zone franche bénéficiaient d'une exemption d'impôt sur les sociétés (" imposto sobre o rendimento das pessoas colectivas ") prélevé sur les bénéfices nets jusqu'au 31 décembre 2011, dont la requérante ne conteste pas l'existence. Si celle-ci fait néanmoins valoir que le bénéfice de ce régime était soumis à l'obtention d'une licence auprès des autorités locales, délivrée à la suite du paiement d'un droit annuel, elle n'établit pas l'existence d'une telle condition, en l'absence notamment de toute référence au droit portugais. Le service a, d'autre part, relevé, dans la proposition de rectification du 4 avril 2014, qu'il ressort des balances générales des comptes de la société Duninmad au titre des exercices clos les 31 décembre 2009 et 2010, dont la copie lui a été transmise par les autorités portugaises, que la balance de l'exercice clos au 31 décembre 2010 était notamment composée du résultat net de l'exercice clos en 2009, s'élevant à 3 871 958,55 euros, et du compte de réserve au titre du même exercice 2009, s'élevant à 2 705 500,61 euros, sans qu'aucun impôt n'ait donc été prélevé sur ces sommes au titre de l'exercice clos en 2009. Face à cela, la société requérante se borne à faire valoir que l'absence de mention d'un prélèvement fiscal dans ces données comptables peut résulter d'" un choix contestable de la société " Duninmad et non du droit fiscal madérien, alors que les autorités fiscales portugaises n'ont pas indiqué que les données comptables en cause révéleraient une méconnaissance des règles fiscales applicables. Au regard de l'ensemble des éléments circonstanciés et convergents qu'elle invoque, qui ne sont ainsi pas utilement combattus, l'administration doit être regardée comme établissant que la société Duninmad était exemptée d'impôt sur les bénéfices à Madère lorsqu'elle a perçu la commission litigieuse, et, par suite, était soumise à un régime fiscal privilégié au sens des dispositions de l'article 238 A du code général des impôts.
6. En second lieu, pour apporter la preuve de ce que la commission litigieuse correspondait à une opération réelle, qui lui incombe désormais en application de l'article 238 A du code général des impôts, la société, qui a indiqué avoir confié à titre exclusif la commercialisation de l'ensemble immobilier à la société Duninmad, fait valoir qu'elle a été démarchée par M. A..., représentant légal de la société de droit portugais Predipovoa Imobiliari, qui s'est présenté comme mandataire de la société Duninmad, et que celui-ci l'a mise en relation avec M. B..., dirigeant de la société de HLM D... qui a acquis l'ensemble immobilier, au prix d'un taux de commercialisation de 5 % inférieur à celui d'un autre intermédiaire contacté concurremment. Elle se réfère à la convention de partenariat du 10 novembre 2009 la liant à Duninmad, restreinte néanmoins à la seule publicité de biens commercialisés par celle-ci, à quatre brefs courriels, relatif à la procédure de cession de l'ensemble immobilier en cause, adressés à son gérant par M. A... entre septembre 2009 et mars 2010, et à l'attestation de M. B..., établie le 20 mai 2014, selon lequel M. A... l'a informé " avoir été mandaté par la société Duninmad " afin de commercialiser le programme immobilier en cause et que " les négociations et le suivi technique de ce dossier ont été menés avec M. A... jusqu'à la signature de l'acte d'acquisition ". Face à cela, l'administration fait valoir, qu'aux termes des informations transmises par les autorités portugaises, la société Duninmad, qui est dépourvue de moyens matériels et humains, a eu pour seul autre client connu une société dirigée et détenue par le gérant de la société Lux'Immo, et dont l'une des deux sociétés associées à parts égales, sise au Luxembourg, a pour actionnaire prépondérant une entité établie aux Iles Vierges Britanniques, n'a versé aucune rémunération à M. A... ou à la société Predipovoa en rétribution de la mission censée avoir été accomplie pour elle comme mandataire. La société n'établit par aucune pièce que M. A... aurait perçu une rémunération de la société Duninmad pour la mission alléguée. Par ailleurs, si le dirigeant de la société D... a attesté de ce dont M. A... l'avait informé et de la part prise par celui-ci dans les négociations et le suivi technique de la cession, l'administration fait également valoir que le gérant de la société Lux'Immo était déjà en relations d'affaires avec la société D... entre 2004 et 2006, qui a eu recours à trois reprises, pour un montant de près de 36 000 euros hors taxe, aux services d'une autre entreprise dont le dirigeant de Lux'Immo est le gérant, également dans le secteur du bâtiment. La société ne combat pas utilement l'existence de cette relation préexistante en se bornant à souligner que ce montant est de faible importance au regard du chiffre d'affaires de cette entreprise et ne révèle pas nécessairement la connaissance réciproque des deux parties. Dans ces conditions, la société requérante, qui ne produit aucun document circonstancié justifiant des démarches accomplies par la société Duninmad ou par M. A... dans le cadre des négociations et du suivi technique de la cession de l'ensemble immobilier, n'apporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, de ce que la commission litigieuse versée en 2010 à la société Duninmad correspondait à une opération réelle, réalisée pour le compte de celle-ci. Par suite, l'administration était fondée à rejeter la déduction du montant de cette commission de 1 833 220,95 euros versée à la société Duninmad au titre de l'exercice clos en 2010 sur le fondement des dispositions de l'article 238 A du code général des impôts.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Lux'Immo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions litigieuses, en droits et pénalités.
Sur les frais liés à l'instance :
8. L'Etat n'étant pas la partie perdante à l'instance, les conclusions de la SAS Lux'Immo présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Lux'Immo est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Lux'Immo et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 15 février 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er mars 2023.
Le rapporteur,
A. C...La présidente,
I. BROTONS
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04921 2