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10/02/2023 | FRANCE | N°22PA01520

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 10 février 2023, 22PA01520


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2021 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2106766 du 28 f

évrier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Mel...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2021 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2106766 du 28 février 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 9 juillet 2021 de la préfète du Val-de-Marne et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés sous le n° 22PA01520 respectivement le 4 avril 2022 et le 20 mai 2022, la préfète du Val-de-Marne demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a estimé que M. F... a été privé du droit d'être entendu avant le prononcé de la mesure d'éloignement en litige ; en effet, lors de la retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français dont il a fait l'objet, il a été entendu sur l'ensemble de sa situation ; ainsi, cette mesure d'éloignement a été prise au terme d'une procédure régulière ;

- l'arrêté litigieux a été signé par une autorité bénéficiant d'une délégation de signature à cet effet ;

- cet arrêté est suffisamment motivé ;

- l'interpellation de l'intéressé, dans le cadre d'un contrôle d'identité, a revêtu un caractère régulier ;

- avant de prononcer à l'encontre de M. F... une mesure d'éloignement, l'autorité préfectorale a procédé à un examen particulier de sa situation ;

- l'arrêté attaqué portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans est exempte d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2022, M. F..., représenté par Me Djemaoun, avocat, conclut :

1°) à ce qu'il soit admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) au rejet de la requête ;

3°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la requête de la préfète du Val-de-Marne est tardive et, par suite, irrecevable ;

- il a été privé de son droit d'être entendu ;

- si le moyen tiré de l'irrégularité du contrôle d'identité ayant directement précédé l'édiction de la mesure d'éloignement est inopérant à l'encontre de cette mesure, il en va différemment lorsqu'aucune rétention n'a eu lieu, le juge des libertés et de la détention n'étant pas conduit à contrôler la régularité du contrôle d'identité en cause, et que ce contrôle d'identité a permis de révéler sa situation irrégulière au regard du séjour ;

- il y a lieu de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis, sur le fondement des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, afin de savoir si le moyen tiré de l'illégalité du contrôle d'identité est opérant ;

- l'arrêté attaqué est illégal dès lors que le contrôle d'identité dont il a fait l'objet, réalisé selon des critères non objectifs et non déduits de circonstances extérieures à sa personne, a revêtu un caractère irrégulier ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans est entachée d'un défaut de motivation, d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par une ordonnance du 19 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au

14 novembre 2022 à 12h00.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 22PA03755 le 10 août 2022, la préfète du

Val-de-Marne demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement attaqué.

Elle soutient que les conditions prévues à l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'elle invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2022, M. F..., représenté par Me Djemaoun, avocat, conclut :

1°) à ce qu'il soit admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) de surseoir à statuer pour saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur le fondement des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative ;

3°) au rejet de la requête ;

4°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir les mêmes moyens que ceux soulevés en défense sous le n° 22PA01520.

Par une ordonnance du 19 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2022 à 12h00.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, rapporteur,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,

- et les observations de Me Djemaoun, avocat de M. F....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées n° 22PA01520 et n° 22PA03755, présentées par la préfète du Val-de-Marne, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

2. M. F..., ressortissant malien, né en 1984 et entré en France, selon ses déclarations, le 25 mars 2013, a été interpellé le 9 juillet 2021, lors d'un contrôle d'identité, et placé en retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Par un arrêté du même jour, la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. La préfète relève appel du jugement du 28 février 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 9 juillet 2021.

Sur les conclusions de M. F... tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

3. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ".

4. Eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de M. F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. F... :

5. Aux termes de l'article R. 751-4-1 du code de justice administrative : " Par dérogation aux articles R. 751-2, R. 751-3 et R. 751-4, la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 aux parties qui sont inscrites dans cette application ou du téléservice mentionné à l'article R. 414-2 aux parties qui en ont accepté l'usage pour l'instance considérée. / Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai. Sauf demande contraire de leur part, les parties sont alertées de la notification par un message électronique envoyé à l'adresse choisie par elles ". Aux termes de l'article R. 776-9 du même code : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée ".

6. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le jugement attaqué du 28 février 2022 a été mis à disposition de la préfète du Val-de-Marne dans l'application informatique Télérecours le 1er mars 2022 et que celle-ci l'a consulté le 3 mars 2022. Pour en relever appel, la préfète disposait donc d'un délai franc d'un mois à compter de cette dernière date. Ainsi, sa requête d'appel tendant à l'annulation de ce jugement, qui a été enregistrée le 4 avril 2022, est recevable. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par M. F... doit être écartée.

Sur les conclusions de la préfète du Val-de-Marne à fin d'annulation du jugement attaqué :

7. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. En outre, ainsi que la Cour de justice l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision en litige que si la procédure administrative en cause aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.

8. Pour annuler l'arrêté litigieux du 9 juillet 2021 au motif que M. F... a été privé du droit d'être entendu, le premier juge a relevé qu'en l'absence de défense de la préfète du

Val-de-Marne, il ne ressortait pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait été entendu sur sa situation et aurait pu présenter des observations sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement, avant l'édiction de celle-ci, " alors que, résidant en France depuis l'année 2013, il disposait d'informations qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de cette décision ".

9. Il ressort cependant des pièces du dossier et, notamment, du procès-verbal d'audition du 9 juillet 2021, produit en appel par la préfète du Val-de-Marne, que M. F..., qui, au demeurant, ne pouvait ignorer qu'il se maintenait irrégulièrement sur le territoire français, a été interrogé, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire, sur son identité, son pays d'origine, les conditions de son entrée et de son séjour en France, sa situation professionnelle et familiale ainsi que la perspective d'un éloignement vers son pays d'origine. Sur ce dernier point, l'intéressé ne saurait sérieusement faire valoir que, lors de cette audition, il n'aurait pas été informé ou n'aurait pas compris qu'une mesure d'éloignement était susceptible d'être prise à son encontre, alors qu'il ressort de ce

procès-verbal qu'il a expressément indiqué qu'il avait bien compris qu'il était susceptible de faire l'objet qu'un arrêté préfectoral l'obligeant à quitter le territoire français. Ainsi, M. F... a été mis à même de présenter son point de vue sur l'irrégularité de son séjour et les motifs qui auraient été susceptibles de justifier que l'autorité préfectorale s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Au surplus, M. F... ne justifie, pas plus en appel qu'en première instance, d'aucun élément propre à sa situation qu'il aurait été privé de faire valoir lors de son audition et qui, s'il avait été en mesure de l'invoquer préalablement, aurait été de nature à influer sur le sens de la décision prise par le préfet. En particulier, si M. F... se prévaut de la durée de son séjour en France depuis le mois de mars 2013, l'intéressé, qui y est entré et s'y est maintenu irrégulièrement, sans jamais solliciter un titre de séjour, ne justifie d'aucune vie familiale en France, son épouse et son fils résidant au Mali, ni d'aucune insertion sociale ou professionnelle stable et ancienne sur le territoire. Il suit de là que la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté en litige du 9 juillet 2021 au motif tiré d'une méconnaissance du droit d'être entendu.

10. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... devant le tribunal administratif de Melun et devant la cour.

11. En premier lieu, par un arrêté du 28 mai 2021, publié au recueil des actes administratifs de l'Etat dans le département du même jour, la préfète du Val-de-Marne a donné délégation aux fins de signer, notamment, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français à Mme J... G..., directrice des migrations et de l'intégration de la préfecture, et en cas d'absence ou d'empêchement de celle-ci, à Mme E... A..., cheffe du bureau de l'éloignement et du contentieux, et en cas d'absence ou d'empêchement de cette dernière, à M. B... H..., adjoint à la cheffe de bureau, signataire de l'arrêté attaqué. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la directrice des migrations et de l'intégration et la cheffe du bureau de l'éloignement et du contentieux n'ait pas été absentes ou empêchées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

12. En deuxième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige, qui vise, notamment, le 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qui fait état de ce que M. F... ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour, comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivée.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".

14. D'une part, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la préfète n'aurait pas procédé à l'examen particulier de la situation personnelle et familiale de M. F... avant de prendre à son encontre la mesure d'éloignement en litige. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entaché de ce chef cette mesure doit être écarté.

15. D'autre part, M. F... étant entré irrégulièrement et s'étant maintenu en France sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, la préfète du Val-de-Marne pouvait légalement, en application des dispositions précitées, l'obliger à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait dépourvue de base légale doit être écarté.

16. Enfin, le moyen tiré de la prétendue illégalité du contrôle d'identité dont M. F... a fait l'objet est inopérant à l'encontre de la mesure d'éloignement en litige.

17. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;

18. M. F... fait valoir qu'entré en France au mois de mars 2013, il y séjourne depuis lors, qu'il y travaille et qu'il est bien intégré. Toutefois, à supposer établie, par les pièces produites en première instance, l'ancienneté de son séjour depuis 2013, il est constant que l'intéressé est entré de façon irrégulière en France et s'y est maintenu sans jamais solliciter un titre de séjour. En outre, il n'allègue aucune vie familiale en France, ni ne justifie d'aucune insertion sociale ou professionnelle stable et ancienne sur le territoire. A cet égard, si l'intéressé fait valoir qu'il a travaillé dans le bâtiment, il ne fournit aucune précision, ni aucun élément sur son expérience ou sa qualification dans le secteur d'activité pour lequel il aurait été ainsi recruté. Enfin, il ne fait état d'aucune circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'il poursuive normalement sa vie à l'étranger et, en particulier, dans son pays d'origine où, selon ses propres déclarations lors de son audition, résident sa mère, ses frères, son épouse et son fils et où lui-même a vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des conditions de l'entrée et du séjour en France de M. F..., ni la décision attaquée portant obligation de quitter le territoire français, ni celle portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ne peuvent être regardées comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ces deux mesures ont été prises. Par suite, ces décisions ne méconnaissent pas les stipulations précitées.

19. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

20. D'une part, la décision prononçant à l'encontre de M. F... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, qui vise, en particulier, l'article L. 612-6 précité, rappelle la durée de présence de M. F... sur le territoire français depuis le 25 mars 2013 ainsi que les conditions de son entrée et de son séjour en France, à savoir qu'il y est entré et s'y est maintenu de manière irrégulière, sans jamais avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Elle indique également que l'intéressé ne justifie d'aucune vie familiale en France, que ses liens personnels et familiaux avec ce pays ne sont pas intenses et stables et qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Ainsi et contrairement à ce que fait valoir l'intéressé, cette décision, dont les motifs attestent de la prise en compte par l'autorité préfectorale, au vu de la situation de l'intéressé, des critères énoncés à l'article

L. 612-10 précité et qui n'avait pas à faire état expressément de ce que sa présence sur le territoire aurait été constitutive d'une menace pour l'ordre public, le préfet n'ayant pas retenu une telle circonstance au nombre des motifs de sa décision, comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivée.

21. D'autre part, en se fondant sur les conditions irrégulières de l'entrée et du séjour en France de M. F..., sur l'absence de tout lien familial dans ce pays ainsi que sur le fait que l'intéressé n'a entrepris en France aucune démarche en vue de régulariser sa situation au regard du séjour, la préfète du Val-de-Marne a pu, sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation, prononcer à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 9 juillet 2021 obligeant M. F... à quitter le territoire français et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Sur les conclusions de la préfète du Val-de-Marne à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :

23. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 220PA01520 de la préfète du Val-de-Marne tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 220PA03755 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

24. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : M. F... est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le jugement n° 2106766 du 28 février 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Melun et le surplus de ses conclusions en appel sont rejetés.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22PA03755 de la préfète du

Val-de-Marne.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise à la préfète du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- M. d'Haëm, président assesseur,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 février 2023.

Le rapporteur,

R. d'HAËMLa présidente,

M. C...

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA01520-22PA03755 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01520
Date de la décision : 10/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : DJEMAOUN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-02-10;22pa01520 ?
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