La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/01/2023 | FRANCE | N°21PA05700

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 24 janvier 2023, 21PA05700


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... et Mme G... E... agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants F... E..., I... E..., A... E..., C... E... et B... E..., ont demandé au tribunal administratif de Paris, d'ordonner une expertise médicale et dans le dernier état de leurs écritures, de condamner le centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts à verser à M. D... E... une somme de 500 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la perte de son œ

il de gauche, ainsi qu'une somme de 50 000 euros à Mme E... et une somme d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... et Mme G... E... agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants F... E..., I... E..., A... E..., C... E... et B... E..., ont demandé au tribunal administratif de Paris, d'ordonner une expertise médicale et dans le dernier état de leurs écritures, de condamner le centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts à verser à M. D... E... une somme de 500 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la perte de son œil de gauche, ainsi qu'une somme de 50 000 euros à Mme E... et une somme de 10 000 euros à chacun de leurs enfants mineurs, en réparation de leurs préjudices propres.

Par un jugement n° 1803788/6-3 du 28 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a ordonné, avant-dire-droit, une expertise médicale aux fins de déterminer si la prise en charge de M. E... a été conforme aux règles de l'art et d'évaluer la nature et l'étendue des préjudices subis.

Par un jugement n° 1803788/6-3 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. et Mme E....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2021, M. D... E..., représenté par Me Yturbide, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1803788/6-3 du 10 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner le CHNO des Quinze-Vingts à lui verser la somme totale de 87 397,97 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la perte de son œil gauche ;

3°) de mettre à la charge du CHNO des Quinze-Vingts les entiers dépens ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le CHNO des Quinze-Vingts a manqué à son devoir d'information quant à la teneur exacte des interventions réalisées, les risques d'échec encourus et le risque de cécité en

découlant ;

- il est ainsi fondé à solliciter au titre de ses préjudices :

* la somme de 35,50 euros correspondant aux frais d'assistance par une tierce personne temporaire ;

* la somme de 10 000 euros au titre du préjudice professionnel ;

* la somme de 2 362,47 euros et 10 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et permanent ;

* la somme de 25 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* la somme de 5 000 euros et 25 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et permanent ;

* la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément.

Par un mémoire, enregistré le 30 décembre 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis indique qu'elle n'a pas de créance à faire valoir dans la présente instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2022, le CHNO des Quinze-Vingts conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- à supposer que M. E... n'ait pas été informé préalablement aux interventions subies, il n'a cependant perdu aucune chance d'éviter les préjudices invoqués dès lors que sa cécité de l'œil gauche résulte de l'évolution défavorable de la pathologie dont il est atteint et qu'en état de cause, les opérations pratiquées étaient indispensables au regard de son état de santé ;

- subsidiairement, les demandes d'indemnisation présentées au titre des différents préjudices doivent être, selon les cas, soit ramenées à de plus justes proportions, soit rejetées.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 11 octobre 2021.

Par une ordonnance du 3 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au

3 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 1er février 2015, M. E..., alors âgé de quarante-trois ans et atteint de diabète, a consulté en urgence au centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts en raison d'une forte baisse de son acuité visuelle droite et gauche. Le diagnostic de rétinopathie diabétique proliférante, très évoluée au niveau de l'œil gauche, a alors été posé donnant lieu à une intervention de vitrectomie le 20 février suivant. Les suites opératoires ont été marquées par une hypertonie oculaire récidivante et des douleurs nécessitant des hospitalisations du 27 février au 2 mars 2015, du 8 au 17 mars 2015 puis du 2 au 3 juillet 2015. A cette occasion, ont été réalisés plusieurs lavages de la chambre intérieure de l'œil et de nouvelles opérations de vitrectomie les 13 mars, 2 juillet et 3 septembre 2015. En dépit de ces interventions, l'état oculaire de M. E... s'est dégradé et a évolué vers une cécité totale de l'œil gauche.

2. Estimant que sa prise en charge au CHNO des Quinze-Vingts a été défaillante,

M. E... et son épouse ont demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner une expertise médicale afin de déterminer les responsabilités encourues et l'étendue de ses préjudices. Par un jugement avant-dire-droit du 28 novembre 2019, le tribunal a fait droit à la demande d'expertise. A la suite du dépôt du rapport d'expertise le 20 août 2020, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 10 décembre 2020, rejeté la demande des requérants. M. E... relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du CHNO des Quinze-Vingts :

3. L'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...). Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

4. En cas de manquement à l'obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

5. M. E... soutient qu'il n'a reçu aucune information préalablement aux interventions subies à l'œil gauche, en particulier quant aux risques d'échec de ces opérations et de cécité en découlant. Le CHNO des Quinze-Vingts n'établit pas qu'une telle information aurait été effectivement délivrée à l'intéressé, alors qu'il résulte de l'expertise que M. E... ne " pouvait espérer une récupération d'environ 4/10ème avec une chance sur trois " et que le risque d'échec et d'évolution défavorable de sa pathologie était ainsi élevé.

6. Toutefois, il résulte du rapport d'expertise que M. E..., atteint d'un diabète non équilibré, souffrait d'une rétinopathie diabétique proliférante très évoluée au niveau de l'œil de gauche, son acuité visuelle étant de 1/10ème lors de sa consultation au CHNO des Quinze-Vingts le 1er février 2015. Selon l'expert, l'intéressé présentait un décollement de rétine tractionnel et une hémorragie intravitréenne persistante, stade ultime de ce type de pathologie, qui l'exposait, en l'absence d'interventions, à un risque certain de cécité à court terme, tout comme l'hypertonie et le glaucome oculaire consécutifs à la première opération pratiquée le 20 février 2015 et réfractaires aux traitements médicamenteux. En outre, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est pas davantage soutenu par M. E..., qu'il aurait existé des alternatives thérapeutiques aux interventions de vitrectomie réalisées les 20 février, 13 mars, 2 juillet et 3 septembre 2015. Dans ces conditions, il apparaît suffisamment certain que, compte-tenu de son état de santé, de l'évolution prévisible de sa pathologie dont l'issue certaine était la cécité à court terme et en l'absence d'alternative thérapeutique, M. E... aurait consenti aux interventions pratiquées. Par suite, le manquement du CHNO des Quinze-Vingts à son devoir d'information n'a privé l'intéressé d'aucune chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé.

7. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CHNO des Quinze-Vingts à l'indemniser des préjudices subis en raison de sa prise en charge dans cet établissement.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHNO des Quinze-Vingts, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., au centre hospitalier national d'ohptalmologie des Quinze-Vingts et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 2 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.

La rapporteure,

G. H...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA05700


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA05700
Date de la décision : 24/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle DÉGARDIN
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : YTURBIDE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-01-24;21pa05700 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award