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20/01/2023 | FRANCE | N°22PA02212

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 20 janvier 2023, 22PA02212


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société BEREPF II France Trinité a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 19 janvier 2020 par laquelle l'établissement public foncier d'Île-de-France a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur un bien situé 10-12 rue Jean-Baptiste Pigalle à Paris (9ème arrondissement).

Par un jugement n° 2012974/4-2 du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires compl

émentaires enregistrés les 12 mai, 31 août et 12 septembre 2022, la société BEREPF II France Trini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société BEREPF II France Trinité a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 19 janvier 2020 par laquelle l'établissement public foncier d'Île-de-France a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur un bien situé 10-12 rue Jean-Baptiste Pigalle à Paris (9ème arrondissement).

Par un jugement n° 2012974/4-2 du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 12 mai, 31 août et 12 septembre 2022, la société BEREPF II France Trinité, représentée par Me Gosseye, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2012974/4-2 du 14 mars 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 28 janvier 2022 de l'établissement public foncier d'Île-de-France ;

3°) de rejeter la demande de sursis à statuer présentée par l'établissement public foncier d'Île-de-France ;

4°) de mettre à la charge de l'établissement public foncier d'Île-de-France la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le principe du contradictoire a été méconnu dès lors qu'elle n'a pas eu le temps de répondre à une pièce communiquée le 31 janvier 2022 du fait de l'intervention d'une clôture à effet immédiat le 3 février 2022 alors que cette pièce était essentielle ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

- la décision a été prise par une autorité incompétente pour ce faire du fait de l'imprécision de la délibération du conseil d'administration de l'établissement public foncier d'Île-de-France portant délégation de signature à M. A... ;

- la procédure suivie est irrégulière en ce que l'avis du service des domaines ayant été réceptionné le jour de la décision à 14 h. 05, il n'est pas établi que cette dernière a été prise en prenant utilement connaissance de cet avis ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

- la réalité du projet n'est pas établie ;

- l'intérêt général de l'opération n'est pas établi ;

- la décision est entachée d'un détournement de pouvoir.

Par des mémoires en défense enregistrés les 29 août et 1er septembre 2022, l'établissement public foncier d'Île-de-France, représenté par Me Levy, conclut, dans le dernier état de ses écritures :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société BEREPF II France Trinité la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à ce que, si l'arrêt tient pour opérant le moyen tiré du caractère insuffisant du prix, il soit sursis à statuer dans l'attente de la décision du juge judiciaire.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- les observations de Me Baud substituant Me Gosseye, représentant la société BEREPF II France Trinité,

- et les observations de Me Pupponi substituant Me Levy, représentant l'établissement public foncier d'Île-de-France.

Une note en délibéré, enregistrée le 16 décembre 2022, a été présentée pour la société BEREPF II France Trinité.

Une note en délibéré, enregistrée le 16 décembre 2022, a été présentée pour l'établissement public foncier d'Île-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 décembre 2019, la société BEREFP II France Trinité a adressé à la mairie de Paris une déclaration d'intention d'aliéner l'immeuble situé au 10, rue Jean-Baptiste Pigalle à paris (9ème arrondissement) au profit de la société civile immobilière Batipart Pigalle. Par une décision du 19 février 2020, l'établissement public foncier d'Ile-de-France a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur ce bien. La société BEREFP II France Trinité relève appel du jugement du 14 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement :

2. La société requérante invoque une méconnaissance du principe du contradictoire, en faisant valoir que l'instruction a été close par un avis d'audience emportant clôture immédiate de l'instruction le 3 février 2022, alors qu'elle n'avait pas eu le temps de répondre à la production par l'EPFIF, le 31 janvier 2022, d'une pièce qu'elle juge essentielle, consistant en une étude de faisabilité. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier qu'une autre pièce au contenu largement similaire avait été produite dès le 11 janvier 2022, dans un mémoire détaillant le contenu de l'étude de faisabilité, une pièce erronée ayant ensuite été jointe au mémoire et, d'autre part, la société requérante n'explique pas en quoi les éléments nouveaux figurant dans la pièce communiquée le 31 janvier 2022 auraient été de nature à influencer les premiers juges, dont il ne ressort pas du jugement qu'ils se seraient fondés sur des éléments spécifiquement contenus dans la pièce en cause.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. En premier lieu, il ne ressort pas des dispositions de l'article 11 du règlement intérieur de l'établissement public foncier d'Île-de-France, lequel dispose que le Conseil d'administration " (...) délègue au directeur général, et en cas d'absence ou d'empêchement aux directeurs généraux adjoints, son pouvoir d'exercice des droits de préemption et de priorité " ni de celles de son article 14 selon lequel " Le directeur général, ou en cas d'absence ou d'empêchement les directeurs généraux adjoints, exercent sur délégation du conseil d'administration, les droits de préemption et de priorité dont l'établissement est titulaire ou délégataire " qu'elles seraient insuffisamment précises sur le contenu de la délégation consentie aux directeurs généraux adjoints. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques. (...) ". La consultation du service des domaines préalablement à l'exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit constitue une garantie tant pour ce dernier que pour l'auteur de la déclaration d'intention d'aliéner.

5. Quand bien même l'avis du pôle d'évaluation de la direction nationale des interventions domaniales a été communiqué le 19 février 2020 à 14 h. 05 au maire de Paris, soit le jour même de la décision, laquelle comporte une proposition de prix identique à l'estimation contenue dans cet avis, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'établissement public foncier d'Île-de-France aurait pris sa décision sans prendre utilement connaissance de cet avis, lequel comporte une description précise du bien et est au demeurant visé par la décision contestée, ni, en tout état de cause, que le pôle d'évaluation nationale des interventions domaniales aurait repris une estimation du bien formulée par l'EPFIF, sans procéder lui-même à cette estimation.

6. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dans sa version alors en vigueur : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine. ". Aux termes des dispositions de l'article L. 300-1 du même code alors en vigueur : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

8. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat, les exigences résultant de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme, et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. À cette fin, la collectivité peut, soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.

9. D'une part, en ce qui concerne sa motivation, la décision vise notamment le plan local d'urbanisme et son projet d'aménagement et de développement durables ainsi que la délibération des 28, 29 et 30 mars 2011 du conseil de Paris adoptant le programme de l'habitat arrêté par délibération des 15 et 16 novembre 2010 et modifié par délibération des 9 et 10 février 2015, elle rappelle l'objectif fixé par la loi n° 2010-597 relative au Grand Paris de construire 70 000 logements géographiquement et socialement adaptés, elle mentionne que l'immeuble est situé en zone UG du plan local d'urbanisme où sont mis en œuvre des dispositifs qui visent à assurer la diversité des fonctions urbaines et à développer la mixité sociale de l'habitat et que l'ensemble immobilier, dans le 9ème arrondissement de Paris, est également situé dans une zone de déficit en logements sociaux définie par le plan local d'urbanisme, elle précise que l'augmentation de la part de logements sociaux constitue un des objectifs du programme local de l'habitat et elle décrit l'objet de l'opération, à savoir la création de 80 logements dont 50% de logements locatifs sociaux pour une surface de 7 150 m2 de surface de plancher et 234 m2 de locaux commerciaux en rez-de-chaussée. Elle est ainsi suffisamment motivée quand bien même elle ne mentionne pas l'étude de faisabilité.

10. D'autre part, en ce qui concerne la réalité du projet, il ressort des termes de la décision qu'elle a pour objet, ainsi qu'il a été dit au point précédent, la création de 80 logements dont 50% de logements locatifs sociaux. Ne sont pas de nature à remettre en cause la réalité de l'opération, en l'absence de tout autre élément précis, la circonstance que le projet reprendrait un projet préexistant, la nécessité de constituer une servitude de cour commune avec la parcelle voisine appartenant à Paris Habitat non plus que la simple réserve de la participation d'une autre société. Si la société requérante relève qu'à la note du comité opérationnel du 17 février 2020 mentionnant une offre de préemption à 27 millions d'euros, a succédé une " note interne " faisant état d'un coût total nettement supérieur pour une proportion de logements sociaux de 30% seulement, cette dernière note, qui ne fait état que d'hypothèses, relève toutefois explicitement que la Ville de Paris a validé le scenario de création de 50% de logements sociaux et que le prix de 40,6 millions d'euros correspond à un prix qui pourrait être proposé au vendeur dans le cadre d'une acquisition amiable de l'immeuble et non de celui d'une préemption.

11. En quatrième lieu, si la société requérante soutient que n'est pas démontré que cette opération correspond à un intérêt général suffisant, il ressort des pièces du dossier que l'ensemble immobilier est situé dans le 9ème arrondissement de Paris dans une zone de déficit en logements sociaux et qu'il est prévu qu'elle comportera une part de 50% de logements sociaux. Les circonstances que le prix proposé serait significativement sous-évalué et qu'une procédure judiciaire en vue de la détermination du prix du bien est en cours, ne sont pas de nature à priver l'opération de son intérêt général et, sont en elles-mêmes, sans influence sur la légalité de la décision de préemption.

12. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'opération révélerait l'existence d'un détournement de pouvoir.

13. Il résulte de ce qui précède que la société BEREPF II France Trinité n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'établissement public foncier d'Île-de-France qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société BEREPF II France Trinité demande au titre des frais exposés par elle. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société BEREPF II France Trinité une somme de 1 500 euros à verser à l'établissement public foncier d'Île-de-France.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société BEREPF II France Trinité est rejetée.

Article 2 : La société BEREPF II France Trinité versera une somme de 1 500 euros à l'établissement public foncier d'Île-de-France.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société BEREPF II France Trinité et à l'établissement public foncier d'Île-de-France.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Bernard, première conseillère,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 janvier 2023.

Le rapporteur, Le président,

J.-F. B... J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02212


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02212
Date de la décision : 20/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : SELAS DS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-01-20;22pa02212 ?
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