Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... C... épouse H... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 18 octobre 2018 par laquelle le directeur de l'école nationale supérieure (ENS) de Paris a rejeté sa demande de reconnaissance en maladie professionnelle de la pathologie dont elle souffre, ensemble la décision du 8 février 2019 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1906828 du 19 mai 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé ces décisions.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 juillet 2021, l'Ecole Normale Supérieure de Paris, représentée par Me Michel, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1906828 du 19 mai 2021 du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de Mme H... ;
2°) de mettre à la charge de Mme H... le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours introduit le 8 avril 2019 dès lors que la décision expresse du 18 octobre 2018 était purement confirmative de la décision du 10 octobre 2017, laquelle était devenue définitive ;
- il n'est pas établi qu'il existerait un lien direct entre les conditions de travail de Mme H... et la ténosynovite de De Quervain dont elle est atteinte.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 décembre 2021, Mme H..., représentée par Me Horny, conclut au rejet de la requête, à ce que soit enjoint au directeur de l'ENS de prendre une nouvelle décision reconnaissant l'imputabilité au service de sa maladie et à ce que l'ENS lui verse une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- et les conclusions de M. Aggiouri, rapporteur public désigné en application de l'article R. 222-24 du code de justice administrative ;
- et les observations de Me Dorel représentant l'Ecole Normale Supérieure de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Mme G... C... épouse H..., professeur des Universités de 1ère classe, affectée à l'École normale supérieure de Paris (ENS) depuis le 1er septembre 2013 en qualité de directrice du département de géographie, a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision en date du 18 octobre 2018 par laquelle le directeur de l'ENS a refusé de reconnaître que la ténosynovite de De Quervain dont elle souffre est une maladie de nature professionnelle, décrite au tableau n° 57 C des maladies professionnelles, et de la décision du 8 février 2019 ayant rejeté son recours gracieux formé le 10 décembre 2018. L'ENS relève appel du jugement n° 1906828 du 19 mai 2021 par lequel ce tribunal a fait droit aux conclusions de Mme H... et l'a enjoint de rétablir l'intéressée dans ses droits en prenant une nouvelle décision reconnaissant l'imputabilité au service de sa maladie de ténosynovite de De Quervain.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande formée devant les premiers juges par Mme H... :
2. Il résulte du 5° de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) et du premier alinéa de l'article R. 421-2 du code de justice administrative (CJA) qu'un requérant n'est pas recevable à contester une décision expresse confirmative d'une décision de rejet devenue définitive. Il en va différemment si la décision de rejet n'est pas devenue définitive, le requérant étant alors recevable à en demander l'annulation dès lors qu'il saisit le juge dans le délai de recours contre la décision expresse confirmant ce rejet. Il en va ainsi lorsque, par son comportement, l'administration a induit en erreur le requérant sur les conditions d'exercice de son droit au recours contre le refus qui lui a été initialement opposé.
3. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision expresse du 10 octobre 2017, le directeur de l'ENS a rejeté la demande formée par Mme H... et tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie. Cette décision a par ailleurs fait l'objet, dans les délais, d'un recours hiérarchique le 3 janvier 2018, lequel a donné naissance, en l'absence de réponse, à une décision de rejet implicite le 3 mars 2018. Le directeur de l'ENS en déduit que la décision du 18 octobre 2018 était purement confirmative de la décision du 10 octobre 2017 devenue définitive, en sorte que la requête introduite devant le tribunal administratif de Paris le 8 avril 2019 par Mme H... contre la décision du 18 octobre 2018, ensemble le rejet de son recours gracieux par décision du 8 février 2018, serait tardive.
4. Il ressort toutefois également des pièces du dossier qu'en réponse au recours administratif de Mme H... formé le 3 janvier 2018 contre la décision du 10 octobre 2017, le directeur de l'ENS l'a informée de la conduite d'une nouvelle expertise, in fine réalisée le 27 juin 2018 après qu'un premier rendez-vous du 31 janvier 2018 n'a pu être honoré, et que c'est au vu de cette nouvelle expertise qu'il a adopté la décision de rejet du 18 octobre 2018. Ainsi, et alors même que cette nouvelle expertise, dont les conclusions ne diffèrent pas de celles de l'avis de la commission de réforme au vu duquel le directeur de l'ENS avait statué le 10 octobre 2017, ne révèlerait pas un changement dans les circonstances de fait, le choix fait par le directeur de l'ENS de solliciter une nouvelle expertise en réponse à son recours hiérarchique a pu induire en erreur Mme H... quant à la naissance, le 3 mars 2018, d'une décision implicite de rejet de son recours administratif et à l'obligation de demander au juge l'annulation de la décision du 10 octobre 2017 au plus tard le 3 mai 2018. Par suite, en vertu des principes rappelés au point 2, le directeur de l'ENS n'est pas fondé à soutenir que la demande de Mme H... était dirigée contre une décision purement confirmative et qu'elle était, à ce titre, tardive.
En ce qui concerne l'imputabilité au service de la maladie de Mme H... :
5. D'une part, l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 n'est entré en vigueur, en tant qu'il s'applique à la fonction publique d'Etat, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 24 février 2019, du décret n° 2019-122 du 21 février 2019 par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique et dont l'intervention était, au demeurant, prévue, sous forme de décret en Conseil d'Etat, par le VI de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017. Par ailleurs, les droits des agents publics en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée.
6. Il ressort des pièces du dossier que le diagnostic de la pathologie de Mme H... est intervenu le 7 juillet 2015. Il s'ensuit que la situation de Mme H... est entièrement régie par les dispositions légales applicables à la date du 7 juillet 2015. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° (...) A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévus en application de l'article 35. Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ".
7. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Il appartient au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de former sa conviction sur les points en litige au vu des circonstances de l'espèce.
8. D'autre part, aux termes de l'article 7 du décret du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences : " Les fonctions des enseignants, chercheurs s'exercent dans les domaines énumérés aux articles L. 123-3 et L. 952-3 du code de l'éducation et L. 112-1 du code de la recherche. I.- Le temps de travail de référence, correspondant au temps de travail arrêté dans la fonction publique, est constitué pour les enseignants-chercheurs : 1° Pour moitié, par les services d'enseignement déterminés par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison équivalente en formation initiale, continue ou à distance. Ces services d'enseignement s'accompagnent de la préparation et du contrôle des connaissances y afférents. Ils sont pris en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l'article 18-1 du présent décret ; 2° Pour moitié, par une activité de recherche prise en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l'article 18-1 du présent décret. Lorsqu'ils accomplissent des enseignements complémentaires au-delà de leur temps de travail tel qu'il est défini au présent article, les enseignants-chercheurs perçoivent une rémunération complémentaire dans les conditions prévues par décret (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que le directeur de l'ENS a rejeté la demande d'imputation au service de la ténosynovite de De Quervain déclarée par Mme H... en juillet 2015, au vu de l'avis du 18 juillet 2017 de la commission de réforme, formation collégiale composée de deux médecins de l'agence régionale de santé, qui retient que " l'usage du clavier d'ordinateur et de la souris ne génère pas de ténosynovite de De Quervain ", ainsi que de l'expertise rédigée le 16 juillet 2018 par le docteur D..., rhumatologue, qui retient également que le travail sur ordinateur et sur clavier ne provoque ni ne favorise, au regard des gestes qu'il implique, cette pathologie. Ce dernier rapport d'expertise exclut ainsi, après étude anatomopatho-physiologique du poste et des missions de Mme H..., une étiologie professionnelle en relevant que cette maladie se présente le plus souvent, lorsqu'elle est liée aux conditions de travail, combinée avec plusieurs autres pathologies du pouce, ce qui n'est pas le cas de l'intéressée. Il est vrai que l'intimée a versé aux débats trois autres rapports médicaux respectivement rédigés le 25 avril 2017 par le docteur F..., le 12 juin 2017 par le docteur B... et le 21 février 2019 par le docteur A... qui concluent à une causalité professionnelle en retenant que Mme H... effectue des " mouvements répétés du poignet et des doigts de la main, notamment du pouce ". Toutefois, d'une part, si les missions d'enseignement exercées par Mme H... impliquent en amont un travail bureautique, ses autres fonctions, notamment celles de direction du département de géographie de l'ENS, impliquent principalement des taches de management et de représentation, étant précisé qu'elle dispose à cette fin d'un secrétariat. A cet égard, les expertises qu'elle produit ne peuvent être regardées comme quantifiant le caractère prolongé ou répété des mouvements de son poignet du fait d'un travail bureautique trop intense, celui-ci étant évalué à 4 heures ou plus par jour dans le rapport du docteur F... avant d'être estimé à 8 puis 7 heures au sein du rapport du docteur A.... D'autre part, aucune des expertises produites par Mme H..., qui ne comportent pas de description fonctionnelle de ses gestes de travail, ne précise en quoi la frappe sur ordinateur ou l'utilisation de la souris impliquerait une mobilisation pathogène des tendons fléchisseurs ou extenseurs du poignet. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'ont retenu à tort les premiers juges, l'intimée n'établit pas que sa pathologie aurait un lien direct et certain avec les tâches d'enseignement, de recherche et d'encadrement d'équipes qu'elle effectue sur son poste de travail.
10. Il résulte de ce qui précède que le directeur de l'ENS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 18 octobre 2018 rejetant la demande de reconnaissance en maladie professionnelle de la pathologie dont souffre Mme H..., ensemble sa décision du 8 février 2019 rejetant le recours gracieux formé contre cette première décision.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme H... le versement de la somme que lui réclame le directeur de l'ENS sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font par ailleurs obstacle à ce que l'ENS, qui n'est pas la partie perdante dans l'instance, verse à l'intimée la somme qu'elle lui réclame au titre des frais du procès.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906828 du tribunal administratif de Paris du 19 mai 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme H... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de l'Ecole Normale Supérieure tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... C... épouse H... et au directeur de l'Ecole Normale Supérieure.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Vinot, présidente de chambre,
Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
M. Perroy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 décembre 2022.
Le rapporteur,
G. E...La présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA0386902