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12/12/2022 | FRANCE | N°20PA02866

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 12 décembre 2022, 20PA02866


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D..., Mme F... E..., M. C... D... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les arrêtés des 20 juillet 2018 et 21 août 2018 par lesquels le président de la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart les a interdits de séjour sur les aires d'accueil de gens du voyage de la communauté d'agglomération pour une durée de 5 ans, puis a prolongé d'un an cette interdiction.

Par un jugement n° 1808332 du 31 juillet 2020, le tribunal administrat

if de Melun a annulé les arrêtés des 20 juillet 2018 et 21 août 2018.

Procédure d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D..., Mme F... E..., M. C... D... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les arrêtés des 20 juillet 2018 et 21 août 2018 par lesquels le président de la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart les a interdits de séjour sur les aires d'accueil de gens du voyage de la communauté d'agglomération pour une durée de 5 ans, puis a prolongé d'un an cette interdiction.

Par un jugement n° 1808332 du 31 juillet 2020, le tribunal administratif de Melun a annulé les arrêtés des 20 juillet 2018 et 21 août 2018.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2 octobre 2020, la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart demande à la cour administrative d'appel de Paris :

1°) d'annuler le jugement n° 1808332 du tribunal administratif de Melun du

31 juillet 2020 ;

2°) de rejeter la demande de M. D..., de Mme E... et de leurs enfants ;

3°) de mettre à la charge de M. D..., de Mme E... et de leurs enfants une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en faisant application du principe de l'application de la loi pénale plus douce aux sanctions contestées, alors qu'elles relèvent du contentieux de l'excès de pouvoir et que le décret du 26 décembre 2019 ne présente pas le caractère d'une loi pénale plus douce, les premiers juges ont commis une erreur de droit ;

- si le décret du 26 décembre 2019 devait être regardé comme supprimant la possibilité d'édicter une sanction temporaire de séjour, il méconnaîtrait le principe de libre administration des collectivités territoriales rappelé à l'article 72 de la Constitution ;

- aucun des moyens de la requête de première instance soulevés à l'égard des deux arrêtés contestés n'est fondé.

La requête a été communiquée à M. B... D..., à Mme E... et à leurs enfants, qui n'ont pas présenté de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 21 avril 2002, la clôture d'instruction a été fixée au 9 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son préambule ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 ;

- le décret n° 2001-569 du 29 juin 2001 ;

- le décret n° 2019-1478 du 26 décembre 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G... d'Argenlieu

- les conclusions de Mme Iliada Lipsos, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., Mme E... et leurs deux enfants ont occupé pendant de nombreux mois un emplacement situé sur l'aire d'accueil des gens du voyage de la commune de Lieusaint. Le président de la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart a par un arrêté du 4 juillet 2018 prescrit la fermeture temporaire du site, pour la période allant du 7 août 2018 au 30 août 2018, afin d'y réaliser les travaux de remise en état nécessaires au bon fonctionnement et à la sécurité des lieux. Le président de la communauté d'agglomération a par un arrêté du 20 juillet 2018 interdit à M. D... et sa famille de séjourner sur les aires relevant de la compétence de cette communauté d'agglomération pour une durée de cinq ans. Les intéressés n'ont pas quitté l'aire d'accueil. La communauté d'agglomération a donc saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun aux fins d'obtenir leur expulsion. Il a été fait droit à cette demande par une ordonnance du 17 août 2018. Par un arrêté du 21 août 2018, l'interdiction de séjour des intéressés sur les aires relevant de la compétence de la communauté d'agglomération a été prolongée d'un an. M. D... et sa famille ont saisi le tribunal administratif de Melun d'une requête tendant à l'annulation des arrêtés des 20 juillet 2018 et 21 août 2018. Par un jugement du 31 juillet 2020, dont la communauté d'agglomération fait appel, le tribunal administratif de Melun a fait droit à la requête en annulant les deux arrêtés en litige.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (...) ". Le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l'empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui ne sont plus nécessaires. Dès lors, sauf à ce que la répression antérieure plus sévère soit inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s'est substituée, le principe de nécessité des peines implique que la loi répressive nouvelle, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, soit rendue immédiatement applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des décisions devenues irrévocables. Ces principes s'appliquent aux sanctions administratives infligées à un administré. Le juge se prononce alors comme juge de plein contentieux sur la contestation dont il est saisi contre une sanction de cette nature.

3. En vertu du I de l'article 4 du décret du 29 juin 2001 relatif aux normes techniques applicables aux aires d'accueil des gens du voyage, le gestionnaire d'une aire d'accueil établit un règlement intérieur. L'article 6 du règlement intérieur applicable à l'aire de Lieusaint, adopté le 26 septembre 2017 sur ce fondement, dispose que : " Exception faite de l'aire de Savigny le Temple, les aires d'accueil sont fermées une fois par an pendant 15 jours à un mois. (...) ". Selon l'article 9 de ce règlement : " Toute personne séjournant sur l'aire devra se comporter en " bon père de famille " au sens du code civil (...). Tout débordement ou agression verbale et/ou physique fera l'objet d'une sanction adaptée et proportionnée, conformément aux dispositions de l'article 13 ". L'article 13 de ce règlement dispose à ses troisième et quatrième alinéas : " En cas d'atteinte à la sécurité (notamment menaces, insultes, agressions verbales et/ou physiques du personnel intervenant sur les aires) ou à la salubrité publique, le rappel à l'ordre et la mise en demeure écrites ne sont pas nécessaires. Le contrevenant et sa famille devront quitter les lieux au plus tard sous 48 heures après les faits. Leur éviction sera immédiatement requise auprès des autorités compétentes et l'intéressé fera l'objet d'une interdiction de séjour. / Un arrêté d'interdiction de séjour sur l'ensemble des aires d'accueil et de grand passage implantées dans le périmètre de la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine Essonne Sénart pourra être pris à l'encontre des familles n'ayant pas respecté les dispositions du présent règlement intérieur. Cette interdiction de séjour ne pourra excéder un an pour des troubles n'ayant pas entraîné de dégradation, deux ans pour des troubles ayant entraîné des dégradations, et cinq ans en cas d'atteinte physique à la personne, à la sécurité ou à la salubrité publiques. Ces durées pourront être doublées en cas de récidive de non-respect des dispositions du règlement intérieur ".

4. Aux termes de l'article 7 du décret du 26 décembre 2019 relatif aux aires permanentes d'accueil et aux terrains familiaux locatifs destinés aux gens du voyage et pris pour l'application de l'article 149 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et la citoyenneté : " La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale établit un règlement intérieur de l'aire qui régit les relations entre le gestionnaire et les occupants. Il précise notamment les conditions de séjour, les règles de vie en collectivité, ainsi que les droits et obligations réciproques des occupants et du gestionnaire. / Ce règlement intérieur est établi conformément au modèle type figurant en annexe. (...) ". L'article 18 de ce même décret dispose que : " Le décret n° 2001-569 du 29 juin 2001 relatif aux normes techniques applicables aux aires d'accueil des gens du voyage est abrogé ". Le II de l'article 20 de ce décret prévoit, en outre, que : " Les règlements intérieurs des aires permanentes d'accueil sont mis en conformité avec le règlement intérieur type annexé au présent décret dans un délai de six mois à compter de la publication du présent décret ". Enfin, le règlement intérieur type annexé à ce décret indique à son VI, " Dispositions en cas de non-respect du règlement " : " Chaque occupant est tenu de respecter le présent règlement. / En cas de manquement à ce règlement ou en cas de trouble grave à l'ordre public, le gestionnaire pourra oralement ou par écrit, s'il le juge nécessaire, mettre en demeure l'occupant de s'y conformer. Si cette mise en demeure n'a pas été suivie d'effet, le gestionnaire pourra résilier la convention d'occupation temporaire ".

5. En premier lieu, les arrêtés contestés ont pour objet de réprimer les manquements aux articles 6 et 9 cités ci-dessus du règlement intérieur applicable à l'aire de Lieusaint, reprochés à M. D..., à Mme E... et à leurs enfants, en leur interdisant de séjourner pendant six années consécutives sur l'ensemble des terrains d'accueil des gens du voyage de la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart. Ces arrêtés constituent, par suite, des sanctions administratives infligées à des administrés.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart, compétente pour assurer le bon fonctionnement de l'aire d'accueil de Lieusaint, a prévu, à l'article 13 du règlement intérieur adopté le 26 septembre 2017, une sanction administrative d'interdiction de séjour en cas de non-respect de ce règlement, et notamment de trouble à l'ordre public. Toutefois, il résulte de l'article 20 précité du décret du 26 décembre 2019 que les règlements intérieurs des aires permanentes d'accueil des gens du voyage, applicables à la date de son entrée en vigueur, doivent être mis en conformité avec le règlement type qui lui est annexé. Or ce règlement type prévoit en son point VI, comme seule mesure possible en cas de manquement au règlement ou de trouble à l'ordre public, non une sanction mais la simple résiliation de la convention d'occupation temporaire. Il y a donc lieu de faire une application immédiate aux décisions contestées des dispositions plus douces de ce décret, postérieures aux faits en litige mais en vigueur à la date de la présente décision, lesquelles ne sont pas contraires au principe de libre administration des collectivités territoriales. Par conséquent, les deux arrêtés contestés doivent être regardés comme dépourvus de base légale.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé les arrêtés des 20 juillet 2018 et 21 août 2018.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. D... et sa famille, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart demande au titre des frais de l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine- Essonne-Sénart est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart, à M. B... D..., à Mme F... E..., à M. C... D... et à M. A... D....

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Heers, présidente,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2022.

La rapporteure,

L. D'ARGENLIEU

La présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02866


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02866
Date de la décision : 12/12/2022
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SCP LONQUEUE - SAGALOVITSCH - EGLIE-RICHTERS et Associés

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-12;20pa02866 ?
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