Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 3 mai 2022 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités espagnoles aux fins d'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2211076 du 10 juin 2022, ayant fait l'objet d'une ordonnance de rectification d'erreur matérielle du 14 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, et, en ses articles 2 à 4, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police de délivrer à Mme B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2022, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2211076 du 10 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté portant transfert de Mme B... aux autorités espagnoles n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés en première instance par Mme B... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2022, Mme B..., représentée par Me d'Allivy Kelly, conclut au non-lieu à statuer, à titre subsidiaire, au rejet de la requête du préfet de police, et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que :
- il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet de police dès lors que sa demande d'asile a été enregistrée en procédure normale par l'OFPRA ;
- aucun des moyens soulevés par le préfet de police n'est fondé.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris en date du 3 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêt C-578/16 du 16 février 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 février 2017 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a, sur sa proposition, dispensé M. Perroy, rapporteur public désigné en application de l'article R. 222-24 du code de justice administrative, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante ivoirienne née le 18 juillet 1986, est entrée irrégulièrement en France, et a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Par un arrêté du 3 mai 2022, le préfet de police a décidé le transfert de Mme B... aux autorités espagnoles. Cet arrêté précise également que les autorités espagnoles ont accepté de reprendre en charge les deux enfants de A... B..., nés respectivement en 2010 et en 2017. Par un jugement du 10 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, et, en ses articles 2 à 4, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police de délivrer à Mme B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance. Le préfet de police relève appel de ce jugement.
Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense :
2. Si Mme B... soutient que le préfet de police lui a délivré une attestation de demande d'asile en procédure normale le 14 juin 2022 et que sa demande d'asile a été ultérieurement enregistrée auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, ces mesures sont intervenues en exécution du jugement du 10 juin 2022 et n'excèdent pas ce qui était nécessaire à l'exécution de ce jugement. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer soulevée par Mme B... doit être écartée.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris :
3. Pour annuler l'arrêté en litige comme étant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 504/2013 du 26 juin 2013, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que l'état de santé de l'enfant de Mme B... était incompatible avec une reconduction immédiate en Espagne.
4. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée [...] même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par le présent règlement [...] ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. Dans son arrêt C-578/16 du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété ces dispositions dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave est susceptible d'entraîner un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, un tel transfert constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La Cour en a déduit que les autorités de l'État membre concerné doivent vérifier auprès de celles de l'État membre responsable que les soins indispensables et appropriés à l'état de santé du demandeur d'asile seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, un risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de cet état. Elle a en outre précisé que, au cas où ces autorités s'apercevraient que l'état de santé du demandeur d'asile ne devait pas s'améliorer à court terme ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver son état, l'État membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande du demandeur en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue par les dispositions qui précèdent.
6. Mme B... soutient que son fils, né en 2017, est atteint d'une pathologie lourde et qu'il n'a pu bénéficier des soins adaptés en Espagne. Elle produit, au soutien de ses allégations, un certificat médical daté du 14 avril 2022, indiquant, d'une part, qu'il " souffre d'une malformation médullaire sévère de type myéloméningocèle lombaire entraînant une paraplégie sans possibilité de marche et des troubles vésico-sphinctériens sévères pouvant entraîner une insuffisance rénale ", et d'autre part, qu'il " doit pouvoir bénéficier d'un suivi spécialisé et multidisciplinaire en milieu hospitalier afin de lui assurer une autonomie et une préservation de sa fonction rénale ". Toutefois, s'il atteste de la gravité de l'affection dont souffre son fils et de la nécessité d'un suivi médical, ce document, qui n'apporte, en particulier, aucun élément concernant la disponibilité des soins en Espagne, ne permet pas d'établir que le transfert en Espagne de Mme B... serait susceptible d'entraîner pour son fils un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé. Par ailleurs, si Mme B... a indiqué, au cours de l'audience publique devant le tribunal administratif de Paris, qu'elle s'était heurtée à des refus de soins lors de son passage en Espagne ainsi qu'à des difficultés linguistiques faisant obstacle à une prise en charge de son fils, elle n'apporte aucun élément de preuve au soutien de ses allégations. Par suite, le préfet de police n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
7. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 3 mai 2022 portant transfert de Mme B... aux autorités espagnoles était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
8. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris et devant la Cour.
Sur les autres moyens soulevés en première instance et devant la Cour par Mme B... :
9. En premier lieu, en application des dispositions de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
10. L'arrêté du 3 mai 2022, par lequel le préfet de police a décidé le transfert de Mme B... aux autorités espagnoles, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Il indique qu'" il ressort de la comparaison des empreintes digitales de Mme B... au moyen du système Eurodac, effectuée conformément au règlement n° 603/2013 [...], que l'intéressée a sollicité l'asile auprès des autorités espagnoles le 14 mars 2019 [...], que les autorités espagnoles ont été saisies le 25 avril 2022 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 (1) b du règlement UE n° 604/2013, [...] que les autorités espagnoles ont fait connaître leur accord le 26 avril 2022 en application de l'article 18 (1) b du règlement susvisé [...] ". Par ailleurs, le préfet de police a précisé que " l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de Mme B... ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ". Il a également relevé que " Mme B... ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France stable, que les autorités espagnoles ont également accepté de reprendre en charge ses enfants mineurs [...] et qu'elle n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Espagne ", de sorte que " la présente décision ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect du droit à la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention susvisée ". Enfin, l'arrêté contesté mentionne que " Mme B... n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de sa demande d'asile ". Ainsi, cet arrêté comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il est donc suffisamment motivé.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement [...]. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 [...] ".
12. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est vu remettre, contre signature, la brochure dite " A " (" J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' "), le 31 mars 2022 et la brochure dite " B " (" Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' "), le 4 avril 2022, l'une et l'autre rédigées en français. Alors que ces documents ont été remis à Mme B... en temps utile, il n'est pas établi qu'ils ne comportaient pas l'ensemble des éléments d'information énumérés par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, alors qu'il est indiqué, au-dessus de la signature apposée par la requérante sur chacun des documents, le nombre de pages qu'ils comportaient. Par ailleurs, la circonstance que le " guide du demandeur d'asile " ne lui a pas été remis est sans incidence sur la régularité de la procédure, la remise de la brochure dite " A " et de la brochure dite " B ", qui seules constituent la brochure commune au sens des dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013, permettant aux demandeurs d'asile de bénéficier d'une information complète sur l'application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Enfin, si Mme B..., qui n'établit pas qu'elle ne saurait pas lire, soutient que les brochures devaient être remises dans une langue qu'elle comprend, il ressort des pièces du dossier qu'elle a signé le résumé de l'entretien individuel, réalisé en français, et a déclaré " avoir compris l'ensemble des termes de cet entretien ". Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.
13. En troisième lieu, aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque Etat membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement. / Le non-respect du délai de 72 heures n'exonère pas les Etats membres de l'obligation de relever et de transmettre les empreintes digitales au système central. Lorsque l'état des doigts ne permet pas de relever des empreintes digitales d'une qualité suffisante pour une comparaison appropriée au titre de l'article 25, l'Etat membre d'origine procède à un nouveau relevé des empreintes digitales du demandeur et le retransmet dès que possible et au plus tard 48 heures suivant ledit relevé de bonne qualité ". Aux termes de l'article 29 du même règlement : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'Etat membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les Etats membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données ; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1 ".
14. A la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, aujourd'hui reprises à l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Ainsi, si Mme B... entend se prévaloir des articles 9 et 29 cités au point précédent, la méconnaissance de l'obligation d'information qu'ils consacrent ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Par suite, le moyen doit être écarté.
15. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".
16. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a bénéficié, le 4 avril 2022, d'un entretien individuel assuré par un agent de la préfecture de police. Le préfet de police a produit, en annexe de ses écritures, un résumé de son entretien individuel contenant les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Si, en vertu des dispositions alors codifiées à l'article R. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police est l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'entretien individuel requis pour l'application de l'article 5 précité soit mené par un agent de la préfecture, qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert déterminant l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, n'avait pas à bénéficier d'une délégation de signature du préfet pour procéder à cet entretien. Et si le résumé de l'entretien individuel de Mme B... ne comporte pas le nom et la qualité de l'agent qui a conduit l'entretien, ni sa signature, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée a été reçue par un agent du douzième bureau de la direction de la police générale en charge de l'asile de la préfecture de police. Dès lors que l'entretien de Mme B... a été mené par un agent qualifié au sens du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel n'a pas privé Mme B... de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Par ailleurs, cet entretien a eu lieu en français, langue que Mme B... a déclaré comprendre, le résumé de l'entretien précisant par ailleurs, ainsi qu'il a été dit précédemment, que l'intéressée " a déclaré avoir compris l'ensemble des termes de cet entretien ". Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien individuel se serait déroulé dans des conditions ne garantissant pas la confidentialité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté, dans ses diverses branches.
17. En cinquième lieu, d'une part, aux termes de l'article 23 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un Etat membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre Etat membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013 [...] 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'Etat membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale [...] ". Aux termes de l'article 25 du même règlement : " 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".
18. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " Dublinet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Aux termes de l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement [...]. / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".
19. Il résulte des dispositions du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " Dublinet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux mois au terme duquel la demande de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier " Eurodac " et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.
20. En l'espèce, le préfet de police a versé au dossier la copie de la réponse automatique d'accusé de réception du point d'accès espagnol Dublinet depuis l'adresse " esdub@nap01.es.dub.testa.eu ", émise le 25 avril 2022, et portant la référence 9930566177, correspondant au dossier de Mme B.... Cet accusé de réception, bien qu'émis automatiquement par l'adresse électronique du point d'accès espagnol, permet de regarder les autorités françaises comme ayant saisi dès le 25 avril 2022, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac, daté du 31 mars 2022, les autorités espagnoles de la requête aux fins de reprise en charge de Mme B.... Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les autorités espagnoles ont répondu favorablement à cette demande, ainsi qu'en atteste le courrier du 26 avril 2022 par lequel les services du ministère de l'intérieur espagnol ont indiqué que les autorités espagnoles acceptaient de reprendre en charge Mme B.... Par suite, le moyen tiré de ce que les autorités espagnoles n'auraient pas valablement été saisies par les autorités françaises doit être écarté.
21. En sixième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas suffisamment communiqué d'informations avec les autorités espagnoles et aurait ce faisant méconnu les dispositions de l'article 34 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
22. En septième lieu, aux termes de l'article 3 paragraphe 2, du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " [...] Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable [...] ".
23. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
24. Mme B... n'établit pas qu'il y aurait de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Espagne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Par ailleurs, eu égard à ce qui a été dit au point 6, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le transfert de son enfant en Espagne constituerait pour lui un traitement inhumain et dégradant. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et ceux tirés d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences de cet arrêté sur la situation personnelle de Mme B... doivent être écartés. Par ailleurs, et pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 53-1 de la Constitution ne peut qu'être écarté.
25. En huitième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
26. Mme B... se prévaut de la circonstance que sa fille aînée, âgée de douze ans, est scolarisée en France. Toutefois, eu égard à l'entrée récente de Mme B... en France, l'arrêté contesté n'a pas méconnu l'intérêt supérieur de sa fille. Par ailleurs, et eu égard à ce qui a été dit précédemment concernant l'état de santé du fils de A... B..., l'arrêté contesté n'a pas davantage méconnu l'intérêt supérieur de cet enfant. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
27. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme B.... A cet égard, la seule circonstance que l'arrêté en litige n'a pas visé le courrier du 19 avril 2022 adressé, aux services de la préfecture de police, par une association, laquelle faisait état de la situation de Mme B... ainsi que de celle son fils, ne saurait caractériser un défaut d'examen particulier. Par suite, le moyen doit être écarté.
28. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 3 mai 2022, a enjoint au préfet de police de délivrer à Mme B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance. Il est dès lors fondé à demander l'annulation des articles 2 à 4 de ce jugement et le rejet des conclusions de la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Sur les frais liés à l'instance :
29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme B... demande, au profit de son conseil, au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2211076 du 10 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... devant la Cour sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme D... B... et à Me d'Allivy Kelly.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, où siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre ;
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure ;
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 décembre 2022.
Le rapporteur,
K. C...La présidente,
H. VINOT
La greffière,
E.VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA03138 2