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22/11/2022 | FRANCE | N°21PA03590

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 22 novembre 2022, 21PA03590


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de E... d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande du 18 mai 2020 tendant à sa réintégration dans le corps des greffiers des services judiciaires et à son affectation au tribunal de première instance de A... à compter du

1er septembre 2020, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, de régulariser sa situation administrative, soit en l'affectant rét

roactivement au 1er septembre 2016 dans une juridiction hors de E..., soit en re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de E... d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande du 18 mai 2020 tendant à sa réintégration dans le corps des greffiers des services judiciaires et à son affectation au tribunal de première instance de A... à compter du

1er septembre 2020, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, de régulariser sa situation administrative, soit en l'affectant rétroactivement au 1er septembre 2016 dans une juridiction hors de E..., soit en retirant son arrêté du 14 août 2018 qui portait lui-même retrait de l'arrêté du 9 juillet 2018 mettant fin à son détachement et le réintégrant à compter du 1er septembre 2018 au parquet du tribunal de grande instance de Paris, et, à titre subsidiaire, de le réintégrer dans le corps des greffiers des services judiciaires en l'affectant à compter du 1er septembre 2021 soit au tribunal de première instance de A..., soit à la cour d'appel de A..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 15 000 francs CFP par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 300 000 francs CFP sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2000305 du 17 mai 2021, le Tribunal administratif de

E... a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 juin 2021 et 5 janvier 2022,

M. C..., représenté par Me Guérin, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de E... du

17 mai 2021 ;

2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, de régulariser sa situation administrative, soit en l'affectant rétroactivement au 1er septembre 2016 dans une juridiction hors de E..., soit en retirant son arrêté du 14 août 2018, et de prononcer en conséquence sa réintégration dans le corps des greffiers des services judiciaires en l'affectant au tribunal de première instance de A..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 125 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal n'a à tort pas retenu que le centre de ses intérêts matériels et moraux est en E... et, par suite que l'article 2 du décret du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de E..., de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, ne lui est pas applicable ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que cet article impliquait un accomplissement effectif de service hors du territoire de E..., alors qu'une telle exigence ne résulte ni de la lettre du décret ni de son esprit ;

- il est impératif de procéder à la régularisation de sa situation dès lors que, si l'administration considère qu'en application du décret du 26 novembre 1996 il ne pouvait rester affecté au tribunal de première instance de A... plus de quatre années successives, il y est administrativement affecté depuis septembre 2012, donc depuis neuf ans.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour de rejeter la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Par une ordonnance du 3 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 janvier 2022.

Vu :

- le décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. Beaufils, greffier des services judiciaires depuis 2005 et affecté au tribunal de première instance de A... de septembre 2012 à septembre 2016, a été détaché depuis lors auprès du gouvernement de la E... en tant que contrôleur des assurances à la direction des affaires économiques et financière de la E.... Après avoir sollicité en 2020 sa réintégration au tribunal de première instance de A..., il a été informé par courriel du 4 juin 2020 de ce qu'il ne pourrait être fait droit à sa demande dès lors qu'il était toujours administrativement rattaché à cette juridiction depuis 2012, soit depuis huit ans, alors qu'en application de l'article 2 du décret du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de E..., de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna l'affectation dans cette juridiction était limitée à quatre ans et qu'il ne pourrait, dès lors, y être réaffecté qu'après une affectation de deux ans minimum dans une juridiction hors de E.... Par lettre du 7 juin 2020 M. C... a confirmé sa demande de réintégration au tribunal de première instance de A... et a demandé au ministre de la justice de régulariser sa situation administrative, caractérisée par un maintien illégal depuis huit ans dans les effectifs du tribunal de première instance de A..., soit en prononçant son affectation rétroactive à compter du 1er septembre 2016 dans une juridiction hors de E..., soit, en reconnaissant que le centre de ses intérêts matériels et moraux se trouvait en E..., ce qui aurait pour effet de l'exclure du champ d'application des dispositions de l'article 2 du décret du 26 novembre 1996. Dans le silence de l'administration M. C..., qui n'a pas obtenu la réintégration sollicitée, a saisi le tribunal administratif de A... d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de réintégration et à ce qu'il soit enjoint au ministre de la justice de régulariser sa situation administrative, soit en l'affectant rétroactivement au

1er septembre 2016 dans une juridiction hors de E..., soit en retirant son arrêté du 14 août 2018, et de prononcer sa réintégration dans le corps des greffiers des services judiciaires avec affectation au tribunal de première instance de A.... Toutefois, le tribunal administratif a rejeté cette demande par un jugement du 17 mai 2021 dont M. C... relève appel.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 1er du décret du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de E..., de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna : " Le présent décret est applicable (...) aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'Etat, ainsi qu'aux magistrats de l'ordre judiciaire, affectés dans les territoires d'outre-mer de E..., de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, qui sont en position d'activité ou détachés auprès d'une administration ou d'un établissement public de l'Etat dans un emploi conduisant à pension civile ou militaire de retraite. / Il ne s'applique ni aux personnels dont le centre des intérêts moraux et matériels se situe dans le territoire où ils exercent leurs fonctions, ni aux membres des corps de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française, ni aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale. ". L'article 2 du même décret dispose que : " La durée de l'affectation dans les territoires d'outre-mer de E..., de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna est limitée à deux ans. / Cette affectation peut être renouvelée une seule fois à l'issue de la première affectation. / Une affectation dans l'un des territoires d'outre-mer énumérés au premier alinéa du présent article ne peut être sollicitée qu'à l'issue d'une affectation d'une durée minimale de deux ans hors de ces territoires ou de Mayotte. Toutefois, cette période de deux ans peut être accomplie dans un territoire d'outre-mer distinct du territoire d'affectation ou à Mayotte, si le centre des intérêts moraux et matériels de l'agent se situe dans l'un de ces territoires ou dans cette collectivité. ". Pour la détermination du centre des intérêts matériels et moraux d'un agent, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge, de tenir compte d'un faisceau de critères, notamment relatifs au temps passé par l'intéressé sur le territoire concerné, aux attaches qu'il a conservées avec la métropole ou dans d'autres territoires d'outre-mer, au lieu de résidence des membres de sa famille, à sa situation immobilière, et à la disposition de comptes bancaires ou postaux, que ni la loi ni les règlements n'ont définis. La localisation du centre des intérêts matériels et moraux d'un agent, qui peut varier dans le temps, doit être appréciée, dans chaque cas, à la date à laquelle l'administration, sollicitée le cas échéant par l'agent, se prononce sur l'application d'une disposition législative ou réglementaire.

3. Il résulte de ces dispositions combinées que la règle selon laquelle un agent ne peut être affecté de manière continue dans un des territoires d'outre-mer concernés que pour une durée de deux ans renouvelable une seule fois, et doit ensuite faire l'objet d'une affectation hors de ce territoire pendant au moins deux ans avant de pouvoir y revenir, ne s'applique pas à l'agent qui a le centre de ses intérêts moraux et matériels dans le territoire en cause.

4. Or, il ressort des pièces du dossier que si M. C... et sa partenaire sont originaires de métropole où ils sont nés, ils résident ensemble en E... depuis août 2012, soit depuis son affectation au tribunal de première instance de A... ; de plus ils travaillent tous deux sur ce territoire et y sont parfaitement intégrés socialement, de même que leurs deux enfants mineurs, qui y sont tous deux scolarisés, et dont l'un est d'ailleurs né à A... en 2017, tandis que l'autre est arrivé sur ce territoire à l'âge de deux ans. En outre, le requérant et sa partenaire y sont inscrits sur les listes électorales, ils y ont domicilié leurs comptes bancaires et ils y ont acquis un bien immobilier en 2017. Dans ces conditions, et alors même que l'intéressé et sa famille ne résidaient en E..., à la date d'intervention de la décision attaquée, que depuis huit ans et n'en sont pas originaires, M. C... doit être regardé comme ayant transféré, à la date de la décision attaquée, le centre de ses intérêts matériels et moraux sur ce territoire. Par suite il est fondé à soutenir, d'une part, que les dispositions précitées de l'article 2 du décret du 26 novembre 1996 ne lui étaient pas applicables, et, d'autre part, que l'administration a à tort, par la décision implicite contestée, rejeté sa demande du 7 juin 2020 qui tendait notamment à ce que soit reconnu que le centre de ses intérêts matériels et moraux se trouvait désormais en E..., et à sa réintégration.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de E... a rejeté sa demande. Il est par suite fondé à demander l'annulation dudit jugement ainsi que celle de la décision implicite attaquée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé./La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".

7. Le présent arrêt annule la décision implicite de refus de réintégration du requérant, au motif qu'il avait transféré le centre de ses intérêts matériels et moraux en E... et n'entrait donc pas dans le champ d'application de l'article 2 du décret visé ci-dessus du

26 novembre 1996. Par suite ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de régulariser sa situation administrative pour lui permettre de satisfaire aux conditions posées par ces dispositions sont sans objet.

8. Par ailleurs le présent arrêt n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de prononcer la réintégration de M. C... dans le corps des greffiers des services judiciaires en l'affectant au tribunal de première instance de A... mais seulement qu'il soit procédé au réexamen de sa demande, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2000305 du tribunal de E... du 17 mai 2021 et la décision implicite de rejet de la demande de réintégration de M. C... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de procéder au réexamen de la demande de M. C... de réintégration dans le corps des greffiers des services judiciaires avec affectation au tribunal de première instance de A..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 novembre 2022.

La rapporteure,

M-I. D...Le président,

T. CELERIER

La greffière,

K. PETIT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA03590


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03590
Date de la décision : 22/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : CABINET MAZARS SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-11-22;21pa03590 ?
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