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21/10/2022 | FRANCE | N°22PA01356

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 21 octobre 2022, 22PA01356


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Vieille Pie a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui est réclamé au titre de la période du 1er juin 2013 au 30 septembre 2015.

Par une ordonnance n° 2002391/1-1 du 10 mars 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 mars et 2 août 2022, la société La Vieille Pie, repré

sentée par Me Isabelle Arpaia, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 10 mars 2022 d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Vieille Pie a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui est réclamé au titre de la période du 1er juin 2013 au 30 septembre 2015.

Par une ordonnance n° 2002391/1-1 du 10 mars 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 mars et 2 août 2022, la société La Vieille Pie, représentée par Me Isabelle Arpaia, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 10 mars 2022 du Tribunal administratif de Paris et, à titre principal, de renvoyer l'affaire devant ce tribunal ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des rappels de taxe contestés devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée est irrégulière dès lors que sa requête n'était pas tardive ;

- l'administration, qui a refusé de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaire, l'a privée d'une garantie procédurale en méconnaissance de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales ;

- la proposition de rectification était insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;

- la ventilation des taux de taxe entre les ventes à emporter et les ventes sur places était suffisamment justifiée par les pièces produites ;

- elle s'est conformée aux dispositions des instructions BOI-TVA-LIQ-30-30 du 21 juillet 2014 et BOI-TVA-LIQ-50 du 21 juillet 2014.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- à la suite du placement en redressement judiciaire de la société, les intérêts de retard ont été dégrevés en application de l'article 1756 du code général des impôts ; les rappels de taxe restant en litige s'élèvent dès lors à 91 614 euros en droits et pénalités ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de droit et doit être annulée ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 6 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 23 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Prévot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société La Vieille Pie exerce une activité de bar-restaurant à Paris. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration, par une proposition de rectification du 14 décembre 2016, l'a informée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée envisagés pour la période du 1er juin 2013 au 30 septembre 2015 en raison de l'absence de justification de l'application du taux de taxe réduit sur les ventes à consommer sur place autres que les boissons alcooliques. La société La Vieille Pie relève appel de l'ordonnance du 10 mars 2022 par laquelle le Tribunal administratif de Paris a rejeté comme tardive sa demande tendant à être déchargée, en droits et majorations, de ces rappels de taxe.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation, que cette notification soit faite avant ou après l'expiration du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10. / Toutefois, le contribuable qui n'a pas reçu la décision de l'administration dans un délai de six mois mentionné au premier alinéa peut saisir le tribunal dès l'expiration de ce délai. / L'administration peut soumettre d'office au tribunal la réclamation présentée par un contribuable. Elle doit en informer ce dernier ". Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Il résulte de ces dispositions que seule la notification au contribuable d'une décision expresse de rejet de sa réclamation assortie de la mention des voies et délais de recours a pour effet de faire courir le délai de deux mois qui lui est imparti pour saisir le tribunal administratif du litige qui l'oppose à l'administration fiscale, l'absence d'une telle mention lui permettant de saisir le tribunal dans un délai ne pouvant, sauf circonstance exceptionnelle, excéder un an à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de la décision. En revanche, si, en cas de silence gardé par l'administration sur la réclamation, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif à l'issue d'un délai de six mois, aucun délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre, tant qu'une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée.

3. Il résulte de l'instruction que la société La Vieille Pie a formé une réclamation préalable réceptionnée par l'administration le 14 mai 2018 aux fins de contester les rappels de taxe en litige. L'administration a gardé le silence sur cette réclamation. Par suite, en l'absence de décision expresse de rejet, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a déclaré irrecevable la demande dont il était saisi au motif que, enregistrée le 6 février 2020, elle était tardive. L'ordonnance du 10 mars 2022 doit en conséquence être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société La Vieille Pie devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur la demande présentée par la société La Vieille Pie devant le tribunal :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts, soit de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 H du même code, soit du comité consultatif prévu à l'article 1653 F du même code, soit de la commission départementale de conciliation prévue à l'article 667 du même code.(...) " et aux termes de l'article L. 59 A de ce même livre dans sa rédaction applicable à l'espèce : " I. - La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition (...) " .

6. En l'espèce, le seul litige opposant la société La Vieille Pie à l'administration portait non sur la détermination de son chiffre d'affaires taxable mais sur le taux de taxe auquel devaient être soumises les recettes de la société, l'administration n'ayant procédé à aucun rehaussement de chiffre d'affaires. Par suite, il n'était pas au nombre des différends dont il appartient à la commission départementale de connaître. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le litige n'a pas été soumis à cette commission, malgré la demande de la société, doit être écarté.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile.

8. La proposition de rectification du 14 décembre 2016, qui désigne l'impôt concerné, la période d'imposition et la base d'imposition, expose les motifs de fait et de droit des rappels de taxe en litige. Elle précise en particulier que, pour la période vérifiée, la société a réalisé des opérations passibles de taux différents, mais qu'elle n'a produit que des tickets Z totalisant les montants journaliers du chiffre d'affaires hors taxe, de la taxe sur la valeur ajoutée et du chiffre d'affaires toutes taxes comprises, sans fournir aucun justificatif de recettes permettant de déterminer, par client et de manière chronologique, les ventes à consommer sur place supportant les différents taux de taxe, alors qu'il appartient au contribuable de justifier de la ventilation des taux applicables conformément aux disposition de l'article 268 bis du code général des impôts. La seule circonstance que le vérificateur ait mentionné l'absence de fiabilité de la comptabilité présentée, sans pour autant l'écarter, est sans incidence sur la motivation du chef de rectification retenu, relatif aux rappels de taxe en litige. Dans ces conditions, la société La Vieille Pie n'est pas fondée à soutenir que la proposition de rectification serait insuffisamment motivée.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

9. Aux termes de l'article 268 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'une personne effectue concurremment des opérations se rapportant à plusieurs des catégories prévues aux articles du présent chapitre, son chiffre d'affaires est déterminé en appliquant à chacun des groupes d'opérations les règles fixées par ces articles ". Selon les articles 278 et 279, dans leur rédaction applicable à l'espèce, le taux normal de taxe sur la valeur ajoutée était fixé à 19,6 % pour la période du 1er juin au 31 décembre 2013 et à 20 % pour la période du 1er janvier 2014 au 30 septembre 2015, tandis que le taux réduit relatif aux ventes à consommer sur place, à l'exception de celles relatives aux boissons alcooliques, était respectivement de 7 % et 10 % pour les périodes en litige.

10. Il appartient au redevable de la taxe sur la valeur ajoutée réalisant concurremment des opérations soumises au taux normal et des opérations relevant du taux réduit de justifier, soit par des factures, soit par sa comptabilité, de la part de son chiffre d'affaires provenant de chacune de ces deux catégories d'opérations. Lorsqu'un redevable réalise des ventes passibles de la taxe sur la valeur ajoutée selon des taux différents et tient une comptabilité qui ne permet pas de distinguer entre ces différentes catégories de ventes, il est passible de la taxe au taux le plus élevé sur la totalité de ses recettes.

11. En premier lieu, si la société La Vieille Pie fait valoir que les tickets Z journaliers sur lesquels figurent les ventes par taux de taxe étaient à eux seuls suffisants pour justifier de la ventilation, elle ne produit aucun élément de nature à établir que le paramétrage de la caisse générant les tickets Z permettait un enregistrement comptable fiable des opérations de vente par taux de taxe, faute d'avoir conservé les fiches clients, pas plus qu'elle ne démontre en quoi les stocks et la carte clients permettraient, ainsi qu'elle l'affirme, de corroborer la ventilation des recettes par taux de taxe figurant sur ces tickets. Elle n'apporte pas non plus de justifications du caractère isolé des incohérences comptables, relevées par l'administration en défense, sur les opérations figurant sur le ticket Z de la journée du 3 janvier 2015 qu'elle avait elle-même produit à l'appui de sa réponse à la proposition de rectification adressée à l'administration le 4 janvier 2017. Dans ces conditions, la société La Vieille Pie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a appliqué le taux de taxe sur la valeur ajoutée le plus élevé sur l'ensemble de ses recettes.

12. En second lieu, les instructions BOI-TVA-LIQ-30-30 et BOI-TVA-LIQ-50 du 21 juillet 2014 dont se prévaut la société La Vieille Pie proposent à titre indicatif des méthodes de ventilation des ventes par taux de taxe, sans exonérer le contribuable de l'obligation d'en justifier par la production des pièces de recettes correspondantes. Elles ne comportent ainsi aucune interprétation formelle de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. La société La Vieille Pie n'est dès lors pas fondée à s'en prévaloir.

13. Par suite, la société La Vieille Pie n'est pas fondée à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée envisagés pour la période du 1er juin 2013 au 30 septembre 2015.

14. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être également rejetées.

DECIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2002391/1-1 du Tribunal administratif de Paris en date du 10 mars 2022 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société La Vieille Pie devant le Tribunal administratif de Paris et le surplus de ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Vieille Pie et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Topin, président assesseur,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2022.

Le rapporteur,

E. A...La présidente,

P. FOMBEUR

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA01356


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01356
Date de la décision : 21/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme Emmanuelle TOPIN
Rapporteur public ?: Mme PRÉVOT
Avocat(s) : ARPAÏA

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-10-21;22pa01356 ?
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