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21/10/2022 | FRANCE | N°22PA00759

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 21 octobre 2022, 22PA00759


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2015, des intérêts de retard afférents et des majorations appliquées sur le fondement du c du I de l'article 1728 du code général des impôts.

Par un jugement n° 2011700 du 14 décembre 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2015, des intérêts de retard afférents et des majorations appliquées sur le fondement du c du I de l'article 1728 du code général des impôts.

Par un jugement n° 2011700 du 14 décembre 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 17 février 2022, Mme C..., représentée par Me Erika Martin, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 14 décembre 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses et à tout le moins substituer aux pénalités de 80 % la majoration de 10 % prévue par le a) du 1 de l'article 1728 du code général des impôts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration ne peut procéder à un redressement sur la base d'éléments obtenus dans le cadre d'une visite domiciliaire sans mettre en œuvre un examen contradictoire de situation fiscale personnelle, ainsi que l'exige le VI de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;

- la procédure de visite domiciliaire la visait à titre personnel ;

- l'administration a utilisé à son encontre des éléments obtenus dans le cadre de la procédure de visite et de saisie, ainsi qu'il ressort de la proposition de rectification ;

- la procédure utilisée méconnaît les droits de la défense au sens de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales ;

- l'administration ayant choisi d'imposer l'établissement stable de la société Coudyser, ainsi qu'il résulte de la procédure utilisée, elle ne peut ensuite revenir sur ce choix et affirmer que la société ne disposait pas d'un tel établissement ;

- ce choix s'imposait à l'administration aux termes de la doctrine administrative référencée BOI-IR-DOMIC-30, n° 130 ;

- la pénalité de 80 % ne pouvait, sans méconnaître l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, être mise en œuvre sans recours à la procédure de répression des abus de droit ni preuve de l'existence de manœuvres frauduleuses, sur la base d'une activité occulte présumée.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 mars 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au

18 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les conclusions de Mme Prévot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'administration a, en application de l'article 155 A du code général des impôts, mis à la charge de Mme C..., associée à 50 % et administratrice-déléguée de la société de droit luxembourgeois Coudyser, spécialisée dans le conseil aux entreprises, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2010 à 2015, assorties d'intérêts de retard et de majorations pour activité occulte. Ces impositions ont été établies sur le fondement des éléments recueillis dans le cadre de la procédure de visite domiciliaire et de saisie diligentée à l'encontre de la société sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, lesquels ont révélé que les prestations de service réalisées en France par Mme C... avaient été facturées par la société Coudyser. Mme C... relève appel du jugement du 14 décembre 2021 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge de ces impositions

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes du VI de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, relatif à la procédure de visite domiciliaire et de saisie : " L'administration des impôts ne peut opposer au contribuable les informations recueillies, y compris celles qui procèdent des traitements mentionnés au troisième alinéa, qu'après restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction et mise en œuvre des procédures de contrôle visées aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 47. (...) ". Aux termes de l'article L. 47 du même livre, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification (...) ".

3. Il résulte des termes explicites de l'ordonnance du 25 février 2015 par laquelle le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé l'administration à procéder à une visite domiciliaire et à des saisies sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales que cette procédure visait la société Coudyser, et non Mme C... à titre personnel, même si cette dernière était mentionnée dans l'ordonnance en sa qualité d'administratrice de la société et au titre de ses activités au sein de celle-ci, et si le local occupé par l'intéressée était, à ce titre, l'objet de l'autorisation de visite domiciliaire. Aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce que l'administration des impôts oppose à un contribuable les informations recueillies dans le cadre de la procédure de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales menée à l'égard d'un autre contribuable. Dès lors, l'administration pouvait, sans méconnaître les droits de la défense, fonder les rehaussements notifiés à Mme C..., qui n'était pas en l'espèce le contribuable visé par la procédure prévue à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, sur des informations recueillies dans le cadre de cette procédure, sans engager à son encontre un examen contradictoire de situation fiscale personnelle. La circonstance que, à la suite de l'ensemble des investigations menées à l'égard de la société Coudyser, l'administration fiscale a estimé que cette dernière ne disposait pas en France d'un établissement stable est à cet égard sans portée. Il suit de là que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition serait irrégulière et, dès lors, qu'elle ne saurait, se prévaloir d'une telle irrégularité pour demander la décharge des impositions sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

4. Aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; (...) ".

5. Aucune disposition ni aucun principe ne faisait obstacle à ce que l'administration fiscale, après avoir envisagé d'imposer la société Coudyser au titre d'un établissement stable dont elle aurait disposé en France et mis en œuvre à cette fin diverses procédures d'investigations et de contrôle à son égard, renonce à cette imposition, au vu des éléments recueillis, et notifie à Mme C... les impositions litigieuses sur le fondement des dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts.

En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale :

6. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) ". Aux termes du paragraphe 130 de de l'instruction BOI-IR-DOMIC-30 : " Sauf dans le cas où une telle situation donnerait lieu à des abus, il y a lieu de considérer que ne sont pas visées par l'article 155 A du CGI les activités rattachées à un établissement que posséderait en France la personne morale étrangère dès lors que les revenus correspondants sont imposables en France ".

7. Contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que l'administration fiscale aurait envisagé d'imposer la société Coudyser au titre d'un établissement stable dont elle aurait disposé en France, en mettant en œuvre à cette fin diverses procédures d'investigations et de contrôle à son égard, ne permet pas de considérer que cette société aurait effectivement disposé d'un tel établissement. Mme C... ne se trouve ainsi pas dans la situation décrite par la doctrine dont elle se prévaut. A supposer même que la société Coudyser puisse être regardée comme disposant en France d'un établissement stable, il est constant que ni l'existence de cet établissement, ni les revenus de ce dernier n'ont été déclarés, de sorte que l'établissement dont Mme C... se prévaut revêtirait un caractère occulte et traduirait l'existence d'une situation abusive, destinée à éluder l'impôt. Mme C... ne remplirait donc pas davantage les conditions fixées par l'instruction précitée.

Sur les pénalités :

8. Aux termes du 1 de l'article 1728 du code général des impôts : " Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte ".

9. Il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article 1728 du code général des impôts, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi dont elles sont issues, que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.

10. Il résulte de l'instruction que Mme C... a exercé, au cours des années 2010 à 2015, une activité de consultante dont elle n'a déclaré ni les revenus, ni l'existence à un centre des formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. Elle ne saurait valablement contester l'existence de cette activité au seul motif que l'administration aurait envisagé de taxer la société Coudyser sur la base des résultats d'un éventuel établissement stable dont celle-ci aurait disposé en France. L'administration doit ainsi être réputée apporter la preuve de l'exercice occulte de l'activité professionnelle par Mme C... et pouvait donc établir, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1728 du code général des impôts, la majoration de 80 %, régulièrement motivée dans la proposition de rectification du 26 avril 2018, sans mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit ni établir l'existence de manœuvres frauduleuses, ce dont il ne résulte aucune méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2022.

Le rapporteur,

F. B... La présidente,

P. FOMBEUR

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

2

N° 22PA00759


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00759
Date de la décision : 21/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: Mme PRÉVOT
Avocat(s) : CABINET FILOR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-10-21;22pa00759 ?
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