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18/10/2022 | FRANCE | N°21PA02730

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 18 octobre 2022, 21PA02730


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision en date du 19 juillet 2018, par laquelle le maire de la commune de

Saint-Denis l'a licenciée pour faute grave et de mettre à la charge de cette commune une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1808432-4 du 19 mars 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision du maire de la commune de Saint-Denis du 19 juillet 2018 pron

onçant son licenciement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision en date du 19 juillet 2018, par laquelle le maire de la commune de

Saint-Denis l'a licenciée pour faute grave et de mettre à la charge de cette commune une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1808432-4 du 19 mars 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision du maire de la commune de Saint-Denis du 19 juillet 2018 prononçant son licenciement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mai 2021, la commune de Saint-Denis, représentée par Me Carrère, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 19 mars 2021 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme E... ;

3°) de mettre à la charge de Mme E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité en ne rouvrant pas l'instruction pour prendre en compte ses écritures et pièces, produites après l'audience, qui étaient de nature à établir que l'arrêté attaqué avait été compétemment signé ;

- la décision en litige était suffisamment motivée ;

- l'absence de saisine de la commission consultative paritaire n'a pu entacher d'irrégularité la décision en litige dès lors qu'à la date de son édiction ces commissions n'étaient pas encore mises en place, ayant été installées en janvier 2019 après les élections de leurs membres le 6 décembre 2018, et que la consultation de cette commission constituait dès lors une formalité impossible ;

- la matérialité des faits à l'origine de la sanction est établie, qu'il s'agisse des retards, du refus de mettre en œuvre les règles et évolutions du service, de son comportement inapproprié avec les agents d'accueil ou de ses sollicitations répétées à l'égard d'une patiente allant jusqu'à se rendre à son domicile ;

- ces faits revêtent un caractère fautif certain ;

- la sanction retenue est proportionnée aux faits et ne révèle pas d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2022, Mme E..., représentée par Me Lelièvre, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la commune de Saint-Denis ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Denis une somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- il n'est toujours pas justifié en appel de la publication de l'arrêté portant délégation de signature au bénéfice de la signataire de l'arrêté attaqué ;

- le tribunal a à bon droit retenu que la sanction retenue était disproportionnée mais a à tort considéré que les faits reprochés justifiaient néanmoins une sanction moins lourde.

Par une ordonnance du 18 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au

31 août 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- les observations de Me Carrère pour la commune de Saint-Denis ;

- et les observations de Me Lelievre pour Mme E....

Une note en délibéré présentée pour la commune de Saint-Denis a été enregistrée le 12 octobre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., recrutée en qualité de masseur-kinésithérapeute par la commune de Saint-Denis par contrat à durée déterminée le 1er février 1994, puis par contrat à durée indéterminée à compter du 24 janvier 2007, a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à l'annulation de la décision en date du 19 juillet 2018, par laquelle le maire de cette commune l'a licenciée pour faute grave. Le tribunal administratif de Montreuil a dès lors prononcé l'annulation de cette décision, par un jugement du 19 mars 2021, dont la commune de Saint-Denis relève appel.

Sur la régularité du jugement :

2. Lorsqu'il est saisi, postérieurement à l'audience, d'une pièce nouvelle émanant de l'une des parties, qu'elle s'intitule ou non " note en délibéré ", il appartient au juge d'en prendre connaissance. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la pièce produite, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce document contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.

3. Pour répondre au moyen tiré de ce que la signataire de la décision attaquée n'aurait pas bénéficié d'une délégation de signature, régulièrement consentie et publiée, la commune de Saint-Denis a produit, à l'appui de son mémoire enregistré le 24 mai 2019, l'arrêté en date du

3 juillet 2018 relatif aux délégations de signature aux élus pendant les vacances d'été 2018, par lequel le maire de la commune de Saint-Denis avait, pour la période du 13 juillet au 5 août 2018, délégué les fonctions et la signature habituellement délégués à Mme B... A..., maire-adjointe, à Mme F..., maire-adjointe aux solidarités, au développement social et au quartier Grand Centre-Ville, signataire de la décision attaquée. Mais la commune n'a produit que dans le cadre d'une note en délibéré du 16 mars 2021, faisant suite à l'audience du

5 mars précédent, l'attestation du maire certifiant de l'affichage en mairie de cet arrêté. Or il n'est ni établi ni même allégué que la collectivité défenderesse en première instance n'aurait pu produire un tel certificat d'affichage avant la clôture de l'instruction. De ce seul fait les premiers juges n'étaient pas tenus de prononcer la réouverture de l'instruction et de prendre en compte ledit certificat. Dès lors la collectivité requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article 36-1 du décret du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale susvisé : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : /1° L'avertissement ; /2° Le blâme ; /3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; /4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement (...) ".

5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont établis, s'ils constituent des fautes de nature à justifier une sanction, et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour prononcer la sanction en litige, la commune s'est fondée sur les retards de l'intéressée, en particulier les 6, 7, 8 et 11 janvier ainsi que

25 septembre, 2 octobre et 4 octobre 2017, son refus d'appliquer des consignes de sa direction, notamment celles tendant à limiter la durée des consultations à 30 mn et à recourir au dossier médical informatique, ainsi que sur des pressions exercées par Mme C... sur les agents d'accueil et le fait qu'elle a pénétré dans le service pour consulter son ordinateur, alors qu'elle était en congé maladie, et ce malgré l'interdiction qui lui avait été opposée par la direction, et en faisant croire à l'agent d'accueil qu'elle était autorisée à le faire. Il lui est également reproché d'avoir à deux reprises refusé de prendre en charge des patients, et d'avoir relancé téléphoniquement à de multiples reprises une patiente du service, qu'elle avait par ailleurs refusé de prendre en charge, puis de s'être procurée son adresse et de s'être rendue à son domicile personnel le 10 février 2018 pour lui demander un soutien, ce qui est attesté par courrier de cette patiente du 15 février suivant, témoignant de son malaise face à cette démarche. Or, la matérialité des faits ainsi reprochés ressort des pièces du dossier, en particulier des rapports de sa hiérarchie, des 15 novembre 2017 et 19 février 2018, et ne sont d'ailleurs, pour certains, pas véritablement contestés par elle, notamment en ce qui concerne le démarchage effectué au domicile de cette patiente, même si elle tente de les minimiser en les restituant dans un contexte général. Ainsi la matérialité des faits peut être tenue pour établie, de même que leur caractère fautif.

7. En revanche, il ressort également des pièces du dossier, et notamment des échanges très vifs entre le médecin du travail et les services de la direction des ressources humaines, des témoignages d'agents et des documents syndicaux, que le service connaissait alors de très fortes tensions, que la commune ne conteste d'ailleurs pas, pas plus que la politique managériale autoritaire qui y était menée. De même, il est constant que cette agente n'avait jamais fait l'objet de sanctions disciplinaires auparavant, au cours de ses 24 ans de service, une sanction ayant seulement été envisagée en 2016 en raison de ses retards, sans être finalement prononcée. Dans ces conditions, c'est à juste titre que, en prenant en compte les circonstances très particulières de l'espèce, le tribunal a jugé que la sanction prononcée présentait un caractère disproportionné et en a prononcé l'annulation.

8. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés en première instance, que la commune de Saint-Denis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé l'annulation de la décision en date du 19 juillet 2018, par laquelle le maire de cette commune a licencié Mme Mme E.... Sa requête ne peut par suite qu'être rejetée.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Saint-Denis demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Denis une somme de 1 500 euros à verser à Mme E... en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Saint-Denis est rejetée.

Article 2 : la commune de Saint-Denis versera à Mme E... une somme de 1500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Denis et à Mme E....

Délibéré après l'audience du 6 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 octobre 2022.

La rapporteure,

M-I. D...Le président,

T. CELERIER

La greffière,

K. PETIT

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA02730


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA02730
Date de la décision : 18/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : LEX PUBLICA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-10-18;21pa02730 ?
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