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16/09/2022 | FRANCE | N°22PA01938

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 16 septembre 2022, 22PA01938


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 février 2022 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités bulgares responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2204351/8 du 28 mars 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 16 février 2022 du préfet de police, a enjoint à ce dernier d'enregistrer la demande d'asile de M. C... et de lui délivrer une attestati

on de demande d'asile en procédure normale dans le délai de deux mois à compter de la n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 février 2022 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités bulgares responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2204351/8 du 28 mars 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 16 février 2022 du préfet de police, a enjoint à ce dernier d'enregistrer la demande d'asile de M. C... et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. C... d'une somme de 1 100 euros au titre des frais liés à l'instance, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 avril 2022, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- M. C... ne démontre aucunement la réalité des mauvais traitements qu'il allègue avoir subis en Bulgarie ;

- l'arrêté contesté portant transfert de M. C... aux autorités bulgares ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il ne peut être tenu de délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale à M. C... dès lors que la situation de ce dernier entre dans le champ d'application de l'article L. 531-27 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant un examen en procédure accélérée ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. C... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. C... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du

26 juin 2013 ;

- la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du

13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant afghan né le 4 décembre 1995, est entré irrégulièrement en France, et a sollicité, le 10 décembre 2021, son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier " Eurodac " ayant révélé, le même jour, que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités bulgares le 10 novembre 2021 et auprès des autorités autrichiennes le 26 novembre 2021, le préfet de police a saisi ces autorités d'une demande de reprise en charge de M. C... le 30 décembre 2021, en application des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités autrichiennes ont fait connaître, le 30 décembre 2021, leur refus de prise en charge de l'intéressé. Les autorités bulgares ont accepté explicitement la reprise en charge, par décision du 13 janvier 2022, sur le fondement des dispositions précitées. En conséquence, par un arrêté du 16 février 2022, le préfet de police a décidé le transfert de M. C... aux autorités bulgares. Le préfet de police relève appel du jugement du 28 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris, saisi par M. C..., a annulé cet arrêté, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. C... et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 100 euros au titre des frais liés à l'instance et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :

4. Aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : ... b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; ". Par ailleurs l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

5. Pour annuler l'arrêté en litige comme méconnaissant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que le transfert de M. C... en Bulgarie était susceptible d'entraîner un risque qu'il y subisse des traitements inhumains et dégradants.

6. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat un non-respect des conditions d'accueil des demandeurs d'asile, qui entraînerait un risque de traitement inhumain ou dégradant, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre, l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

7. M. C..., en se bornant à se prévaloir, d'une part, des circonstances que la Commission européenne a adressé aux autorités bulgares, le 8 novembre 2018, une lettre de mise en demeure sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, puis, a transmis, le 29 juillet 2019, un avis motivé pour transposition incomplète de la directive n° 2013/32/UE de refonte sur les procédures d'asile, et d'autre part, d'articles de presse et de rapports émanant d'organisations non gouvernementales internationales, n'établit pas qu'il existait, à la date de l'arrêté attaqué, un non-respect des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, alors que, ainsi que le fait valoir le préfet de police, la Commission européenne n'avait déclenché aucune procédure en manquement à l'encontre de cet Etat à la date de l'arrêté litigieux ni n'avait recommandé de suspendre les transferts des demandeurs d'asile vers celui-ci. Par ailleurs, si M. C... soutient qu'il a subi des violences de la part des autorités bulgares, la seule production d'un témoignage écrit par ses soins ne permet pas de l'établir, alors en outre qu'il n'a fait état d'aucun mauvais traitement en Bulgarie lors de son entretien individuel du 14 décembre 2021, notamment dans le cadre des observations qu'il a été invité à formuler. Il ne ressort donc pas des pièces du dossier que le transfert de M. C... en Bulgarie entraînerait un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Le préfet de police est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 16 février 2022 portant transfert de M. C... aux autorités bulgares méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'a annulé pour ce motif.

9. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. C... :

En ce qui concerne la légalité externe :

10. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-00991 du 27 septembre 2021 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2021-202 de la préfecture de Paris du même jour, le préfet de police a donné délégation à M. D... E..., attaché d'administration de l'Etat, pour signer tous actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figurent les arrêtés de transferts. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit donc être écarté.

11. En second lieu, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du

26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement (...) ". Aux termes de l'article 23 du même règlement : " (...) 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013 ". Aux termes de l'article 25 de ce règlement : " 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines (...) ". Et aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

12. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a produit, en première instance, l'accusé de réception " DubliNet " généré par le point d'accès national de l'Etat requis, établissant qu'il a saisi, le 30 décembre 2021, soit dans le délai de deux mois à compter de la date de l'introduction de la demande prévu par les dispositions précitées de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités bulgares d'une requête aux fins de reprise en charge de M. C.... Ces autorités ont donné explicitement leur accord à cette reprise en charge par un courriel du 13 janvier 2022, soit dans le délai de deux semaines prévu à l'article 25 du même règlement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 21, 23 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement [...]. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 [...] ".

14. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre le 10 décembre 2021, contre signature, la brochure dite " A " (" J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ") et le 14 décembre 2021, contre signature également, la brochure dite " B " (" Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' "). Il n'est pas établi que ces documents, rédigés en langue pachtou, et remis à l'intéressé dès l'introduction de sa demande, ne comportaient pas l'ensemble des éléments d'information énumérés par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, alors qu'il est indiqué, au-dessus de la signature apposée par le requérant sur chacun des documents, le nombre de pages qu'ils comportaient. Si M. C... fait valoir que les brochures devaient être remises dans une langue qu'il comprend, l'intéressé a signé le résumé de l'entretien individuel, réalisé à l'aide d'un traducteur en pachtou, et a déclaré " avoir compris l'ensemble des termes de cet entretien ". Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

15. En quatrième lieu, aux termes de l'article 9 du règlement n° 603/2013 du

29 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Chaque Etat membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement. / Le non-respect du délai de 72 heures n'exonère pas les Etats membres de l'obligation de relever et de transmettre les empreintes digitales au système central. Lorsque l'état des doigts ne permet pas de relever des empreintes digitales d'une qualité suffisante pour une comparaison appropriée au titre de l'article 25, l'Etat membre d'origine procède à un nouveau relevé des empreintes digitales du demandeur et le retransmet dès que possible et au plus tard 48 heures suivant ledit relevé de bonne qualité ". Aux termes de l'article 29 du même règlement : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'Etat membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données ; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1 ".

16. A la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 29 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Ainsi, si M. C... entend se prévaloir des articles 9 et 29 cités au point précédent, la méconnaissance de l'obligation d'information qu'ils consacrent ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français refuse l'admission provisoire au séjour à un demandeur d'asile et remet celui-ci aux autorités compétentes pour examiner sa demande.

17. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".

18. La conduite de l'entretien par une personne qualifiée en vertu du droit national constitue, pour le demandeur d'asile, une garantie. Il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu de cet entretien versé au dossier de première instance par le préfet de police, que M. C... a bénéficié d'un entretien individuel le 14 décembre 2021 dans les locaux de la préfecture de police, que cet entretien a été réalisé en présence d'un interprète en langue pachtou, langue que l'intéressé a déclaré comprendre et qu'il a ainsi eu la possibilité de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. Si le résumé de l'entretien individuel, dont l'intéressé a eu connaissance comme l'atteste l'apposition de sa signature, ne mentionne pas le nom et la qualité de l'agent qui a conduit l'entretien, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été reçu par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale en charge de l'asile à la préfecture de police. Dès lors que l'entretien de M. C... a été mené par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie dès lors qu'elle n'a pas privé l'intéressé de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles et, en l'espèce, n'a pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

19. Aux termes de l'article 3 paragraphe 2, du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " [...] Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable [...] ". Le paragraphe 1 de l'article 17 du même règlement dispose que : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité [...] ".

20. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

21. M. C... soutient qu'il a subi des traitements inhumains et dégradants en Bulgarie, que sa demande d'asile sera nécessairement rejetée en cas de transfert dans cet Etat et qu'il sera renvoyé en Afghanistan, pays caractérisé par une violence généralisée. Toutefois, d'une part, l'arrêté contesté a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Bulgarie, et non dans son pays d'origine. Or et ainsi qu'il a été dit au point 7, il ne ressort pas des pièces du dossier que le transfert de M. C... en Bulgarie entraîne un risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, il ne ressort pas davantage de ces pièces que les autorités bulgares n'évalueront pas, avant de procéder à un éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que l'arrêté attaqué n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. D'autre part et pour les mêmes motifs, l'arrêté attaqué n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que le préfet de police n'a pas mis en œuvre la faculté d'examen prévu par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.

23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 16 février 2022, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. C... et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance. Il est dès lors fondé à demander l'annulation des articles 2 à 4 de ce jugement et le rejet des conclusions de la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris auxquelles ce jugement a fait droit, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

DÉCIDE :

Article 1 : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2204351/8 du 28 mars 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris auxquelles ce jugement a fait droit, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. F... C....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 16 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- Mme Briançon, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Lu en audience publique le 16 septembre 2022.

Le rapporteur,

P. B...

La présidente,

M. A...

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA01938 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01938
Date de la décision : 16/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-09-16;22pa01938 ?
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