La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/07/2022 | FRANCE | N°20PA01354

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 29 juillet 2022, 20PA01354


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat Union des cadres de Paris et le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux ont, chacun, demandé l'annulation de la délibération 2018 DRH-6 du conseil de Paris du 2 mai 2018 portant statut particulier applicable au corps des ingénieurs et architectes d'administrations parisiennes.

Par un jugement n°s1811033, 1811274 du 10 avril 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé cette délibération.

Procédure devant la Cour :

I. Par une

requête, enregistrée le 25 mai 2020 sous le n° 20PA01354, la Ville de Paris, représentée ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat Union des cadres de Paris et le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux ont, chacun, demandé l'annulation de la délibération 2018 DRH-6 du conseil de Paris du 2 mai 2018 portant statut particulier applicable au corps des ingénieurs et architectes d'administrations parisiennes.

Par un jugement n°s1811033, 1811274 du 10 avril 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé cette délibération.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 25 mai 2020 sous le n° 20PA01354, la Ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°s 1811033, 1811274 du 10 avril 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter les demandes du syndicat Union des cadres de Paris et du syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux ;

3°) à titre subsidiaire, de dire que l'annulation de la délibération 2018 DRH-6 du 2 mai 2018 n'aura pas d'effet rétroactif et ne prendra effet qu'à l'issue d'un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du syndicat Union des cadres de Paris et du syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux la somme de 1 500 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif de Paris a inexactement considéré que le quorum de 82 élus requis lors de la mise en discussion de la délibération 2018 DRH-6, le 2 mai 2018 dans l'après-midi, n'était pas atteint ;

- aucun des autres moyens soulevés par les deux syndicats en première instance n'est fondé ;

- à titre subsidiaire, le jugement est irrégulier en ce que le tribunal n'a pas répondu au moyen, soulevé par le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, tiré de la nécessité de moduler dans le temps les effets de l'annulation qu'il a prononcée ;

- c'est à tort que le tribunal n'a pas procédé à cette modulation, alors que les effets de l'annulation de la délibération 2018 DRH-6 sont contraires à l'intérêt général, du point de vue tant des fonctionnaires et agents contractuels concernés que de la gestion de ses besoins par la Ville de Paris.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2020, le syndicat Union des cadres de Paris - Union syndicale des ingénieur.e.s et architectes (UCP-USIA), qui vient aux droits du syndicat Union des cadres de Paris, représenté par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 4 000 euros soit mis à la charge de la Ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement est irrecevable, dès lors que la Ville de Paris ne peut pas se prévaloir de l'absence de réponse du tribunal aux conclusions aux fins de modulation des effets dans le temps de l'annulation prononcée, qui étaient présentées non par elle mais par le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens ;

- les moyens soulevés par la Ville de Paris ne sont pas fondés et la modulation des effets de l'annulation dans le temps n'est pas justifiée.

La requête a été communiquée au syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, devenu le syndicat CGT de la santé, du social, de la culture, administration, architecture et technique des services publics parisiens (SSCAAT), qui n'a pas produit de mémoire en défense.

II. Par une requête, enregistrée le 25 mai 2020 sous le n° 20PA01355, la Ville de Paris demande à la Cour :

1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n°s 1811033, 1811274 du 10 avril 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de mettre à la charge du syndicat Union des cadres de Paris et du syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux la somme de 1 500 euros chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les conditions pour qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont réunies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2020, le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, représenté par Me Crusoé, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 2 500 euros soit mis à la charge de la Ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les conditions pour qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Paris ne sont pas réunies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2020, le syndicat UCP-USIA, qui vient aux droits du syndicat Union des cadres de Paris, représenté par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 2 000 euros soit mis à la charge de la Ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les conditions pour qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Paris ne sont pas réunies.

Par une lettre enregistrée le 26 juin 2022, le syndicat CGT de la santé, du social, de la culture, administration, architecture et technique des services publics parisiens (SSCAAT) informe la Cour qu'il vient aux droits du syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 94-415 du 24 mai 1994 ;

- le décret n° 98-898 du 8 octobre 1998 ;

- le décret n° 2000-1011 du 17 octobre 2000 ;

- le décret n° 2001-1375 du 31 décembre 2001 ;

- le décret n° 2004-474 du 2 juin 2004 ;

- le décret n° 2005-631 du 30 mai 2005 ;

- le décret n° 2012-1465 du 26 décembre 2012 ;

- le décret n° 2012-1466 du 26 décembre 2012 ;

- le décret n° 2015-576 du 27 mai 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique,

- et les observations de Mme A..., pour la Ville de Paris, de Me Waquet, pour le syndicat UCP-USIA, et de Me Crusoé, pour le syndicat CGT de la santé, du social, de la culture, administration, architecture et technique des services publics parisiens.

Deux notes en délibérés, présentées par la Ville de Paris, ont été enregistrées le 1er juillet 2022.

Deux notes en délibérés, présentées par le syndicat CGT de la santé, du social, de la culture, administration, architecture et technique des services publics parisiens, ont été enregistrées le 18 juillet 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération 2018 DRH-6, adoptée lors de sa séance des 2, 3 et 4 mai 2018, le conseil de Paris, siégeant en formation de conseil municipal, a, d'une part, créé le corps des ingénieurs et architectes d'administrations parisiennes, comprenant les spécialités " génie urbain, écologie urbaine et mobilité ", " santé publique et environnement ", " santé et sécurité au travail ", " architecture et urbanisme ", " paysage et urbanisme " et " systèmes d'information et numérique ", et, d'autre part, intégré dans ce corps les ingénieurs économistes de la construction de la commune de Paris, les ingénieurs hydrologues et hygiénistes de la commune de Paris, les techniciens de laboratoire - cadres de santé de la commune de Paris et les ingénieurs des travaux de la ville de Paris. Par deux requêtes distinctes, le syndicat Union des cadres de Paris, devenu le syndicat UCP-USIA, et le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, devenu le syndicat CGT de la santé, du social, de la culture, administration, architecture et technique des services publics parisiens, ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cette délibération.

2. Par une première requête, enregistrée sous le n° 20PA01354, la Ville de Paris relève appel du jugement du 10 avril 2020 par lequel le tribunal a fait droit à ces demandes. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 20PA01355, elle demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement dans l'attente de son arrêt au fond. Ces requêtes tendant à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement, il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur les conclusions de la requête n° 20PA01354 à fin d'annulation ou de réformation du jugement attaqué :

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Devant le tribunal administratif de Paris, le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, devenu le syndicat CGT de la santé, du social, de la culture, administration, architecture et technique des services publics parisiens (SSCAAT), demandait que les effets d'une annulation contentieuse soient modulés dans le temps. Le tribunal administratif a omis de se prononcer sur ces conclusions. Par suite, et alors que, contrairement à ce que soutient le syndicat UCP-USIA, la circonstance que la Ville de Paris n'avait pas elle-même présenté de telles conclusions ne fait pas obstacle à ce qu'elle se prévale, en appel, de l'absence de réponse apportée par le tribunal, il y a lieu d'annuler le jugement en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions.

4. Il y a lieu pour la cour administrative d'appel de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par voie d'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête.

Sur la légalité de la délibération 2018 DRH-6 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2512-2 du code général des collectivités territoriales : " Les dispositions applicables au fonctionnement des conseils municipaux sont applicables au conseil de Paris, sous réserve des chapitres Ier et II du présent titre ". Aux termes de l'article L. 2512-3 de ce code : " Le conseil de Paris est composé de 163 membres ". Et aux termes de l'article L. 2121-17 du même code : " Le conseil municipal ne délibère valablement que lorsque la majorité de ses membres en exercice est présente. / (...) ". Le quorum fixé par cette disposition s'apprécie au début de la séance et lors de la mise en discussion de chaque délibération.

6. Pour établir que le quorum était atteint lors de la mise en discussion du projet de délibération, le 2 mai 2018, la Ville de Paris produit un extrait du registre d'émargement, ainsi que l'enregistrement audiovisuel de la séance et quatre captures d'écran effectuées à partir de cet enregistrement, dont il ressort selon elle que, compte tenu des 12 conseillers absents ou excusés, 151 conseillers étaient présents au début de la séance et 93 d'entre eux l'étaient toujours au moment où la délibération a été mise en discussion, environ six heures et vingt et une minutes plus tard. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de la première de ces captures d'écran, que seules 47 des 133 places visibles sur ce document étaient occupées par des conseillers. Ainsi, à supposer même que, comme le soutient la Ville de Paris, 18 autres conseillers, occupant des places non visibles sur la première capture d'écran, aient également été présents, le quorum nécessaire de 82 conseillers ne pourrait être regardé comme atteint. Par suite, la délibération 2018 DRH-6 a été adoptée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-17 du code général des collectivités territoriales précitées.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors en vigueur : " Les fonctionnaires territoriaux appartiennent à des cadres d'emplois régis par des statuts particuliers, communs aux fonctionnaires des communes, des départements, des régions et de leurs établissements publics. / Ces statuts particuliers ont un caractère national. / Un cadre d'emplois regroupe les fonctionnaires soumis au même statut particulier, titulaires d'un grade leur donnant vocation à occuper un ensemble d'emplois. Chaque titulaire d'un grade a vocation à occuper certains des emplois correspondant à ce grade. (...) ". Aux termes de l'article 118 de la même loi, dans sa version applicable au présent litige, dont les dispositions sont désormais codifiées aux articles L. 417-2 et L. 417-3 du code général de la fonction publique : " I- La commune et le département de Paris, ainsi que leurs établissements publics, disposent de fonctionnaires organisés en corps. Les personnels de ces collectivités et établissements sont soumis à un statut fixé par décret en Conseil d'Etat, qui peut déroger aux dispositions de la présente loi. Ce statut peut être commun à l'ensemble des collectivités et établissements mentionnés ci-dessus ou à certains d'entre eux. / Les écoles relevant de l'Etat peuvent, par voie de convention, être chargées d'organiser des concours communs pour le recrutement simultané de fonctionnaires de l'Etat et de fonctionnaires des collectivités et établissements mentionnés à l'alinéa précédent. / II- Lorsqu'un emploi de la commune, du département de Paris ou de leurs établissements publics est équivalent à un emploi de la fonction publique de l'Etat, le statut particulier de l'emploi de ces collectivités et établissements et la rémunération qui lui est afférente sont fixés par référence à l'emploi de l'Etat. / Lorsqu'un emploi des collectivités ou établissements mentionnés à l'alinéa précédent est équivalent à un emploi de la fonction publique territoriale, le statut particulier de l'emploi de ces collectivités et établissements et la rémunération qui lui est afférente sont fixés par référence à l'emploi territorial. / Il peut toutefois être dérogé à ces règles lorsqu'un emploi des collectivités ou établissements mentionnés au premier alinéa et un emploi de l'Etat ou des collectivités territoriales sont équivalents mais sont soumis, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, à des statuts particuliers différents et bénéficient de rémunérations différentes. / Les statuts particuliers et les rémunérations des emplois définis comme ne relevant d'aucune des catégories d'emplois mentionnés ci-dessus sont déterminés dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Et aux termes de l'article 28 du décret du 24 mai 1994 portant dispositions statutaires relatives aux personnels des administrations parisiennes : " L'organe délibérant de l'administration parisienne concernée, ou le conseil de Paris pour les corps communs à plusieurs administrations parisiennes, détermine par délibération, après avis du Conseil supérieur des administrations parisiennes, la référence des emplois des administrations parisiennes qui sont équivalents à un emploi de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière. / Les statuts particuliers et les rémunérations des emplois des administrations parisiennes mentionnés à l'alinéa précédent sont fixés par référence à ceux de l'emploi équivalent. Il peut toutefois être dérogé à cette règle lorsqu'un emploi des administrations parisiennes et un emploi de la fonction publique de l'Etat ou de la fonction publique territoriale sont équivalents mais étaient soumis, à la date de publication de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, à des statuts particuliers différents et bénéficiaient de rémunérations différentes, ou lorsqu'un emploi des administrations parisiennes et un emploi de la fonction publique hospitalière sont équivalents mais sont soumis à des statuts particuliers différents et bénéficient de rémunérations différentes ".

8. Il résulte des dispositions précitées des articles 4 et 118 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 28 du décret du 24 mai 1994 que l'organe délibérant de l'administration parisienne concernée, ou le conseil de Paris pour les corps communs à plusieurs administrations parisiennes, est tenu, pour fixer les statuts particuliers et les rémunérations des emplois des administrations parisiennes, de rechercher s'il existe des emplois équivalents relevant de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière et, dans cette hypothèse, de se référer aux statuts particuliers les régissant, sauf si ces emplois étaient soumis, à la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984, à des statuts particuliers différents et bénéficiaient de rémunérations différentes. L'équivalence des emplois s'apprécie en vérifiant si, dans leur ensemble, les fonctions qu'ils comportent sont comparables par le niveau de responsabilité et la nature des tâches exercées. Lorsqu'une telle équivalence est établie, l'organe délibérant compétent doit, en cas de création ou de modification du statut particulier d'un corps de fonctionnaires d'une administration parisienne, prendre en compte les règles prévues par le statut particulier du corps ou du cadre d'emplois qui sert de cadre de référence. En particulier, il ne peut pas laisser subsister, entre les règles qu'il adopte et celles en vigueur pour l'emploi équivalent auquel il se réfère, des différences dont l'importance serait telle que le statut particulier ou la rémunération de l'emploi des administrations parisiennes ne pourraient manifestement plus être regardés comme ayant été fixés par référence à l'emploi équivalent. La circonstance que des emplois des administrations parisiennes puissent être regardés comme équivalant à des emplois, dont les missions présentent entre elles une certaine cohérence, relevant de différents statuts ne fait pas obstacle, par elle-même, à la création d'un seul corps, dès lors que les règles applicables à ces différents statuts sont suffisamment proches pour qu'en se référant à l'un d'entre eux seulement, l'organe délibérant compétent puisse être regardé comme fixant les règles applicables aux emplois du corps des administrations parisiennes ainsi créé par référence aux autres emplois équivalents de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière.

9. Il ressort des pièces du dossier que par la délibération attaquée, le conseil de Paris a entendu créer un nouveau corps, doté d'un nouveau statut. Ce nouveau corps procède de la fusion des corps des ingénieurs des travaux de la ville de Paris, des ingénieurs hydrologues et hygiénistes de la commune de Paris, des ingénieurs économistes de la construction de la commune de Paris et des techniciens de laboratoire - cadres de santé de la commune de Paris, dont les statuts avaient auparavant été définis par référence, respectivement, au décret du 30 mai 2005 portant statut particulier du corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat, au décret du 17 octobre 2000 portant statut particulier des personnels scientifiques de laboratoire du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, au décret du 8 octobre 1998 portant statut particulier du corps des ingénieurs-économistes de la construction et du corps des ingénieurs des services culturels et du patrimoine, et au décret du 31 décembre 2001 portant statut particulier du corps des cadres de santé de la fonction publique hospitalière, mis en voie d'extinction par l'article 1er du décret n° 2012-1465 du 26 décembre 2012. Le nouveau corps ainsi créé, qui comprend différentes spécialités, dont des spécialités " architecture et urbanisme " et " systèmes d'information et numérique ", a également vocation à régir des emplois d'architectes et d'informaticiens. Il ressort des débats qui ont précédé l'adoption de la délibération attaquée que pour fixer les règles applicables à ces emplois, le conseil de Paris s'est référé au statut particulier du corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat.

10. Aux termes de l'article 2 du décret du 30 mai 2005 portant statut particulier du corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat : " Le corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat comprend trois grades : / 1° Le grade d'ingénieur des travaux publics de l'Etat hors classe qui comporte cinq échelons et un échelon spécial ; / 2° Le grade d'ingénieur divisionnaire des travaux publics de l'Etat qui comporte neuf échelons ; / 3° Le grade d'ingénieur des travaux publics de l'Etat qui comporte dix échelons. / Le grade d'ingénieur des travaux publics de l'Etat hors classe donne vocation à exercer des fonctions correspondant à un niveau particulièrement élevé de responsabilité ". Selon l'article 3 de ce même décret : " Les membres du corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat sont chargés de fonctions de direction, d'encadrement, d'expertise, d'étude, d'administration d'inspection, de recherche ou d'enseignement dans les domaines scientifique, technique, environnemental, économique ou social. / Les ingénieurs des travaux publics de l'Etat peuvent être chargés de la direction d'unités ou de cellules. / Les ingénieurs divisionnaires des travaux publics de l'Etat peuvent être chargés de la direction de services ou de bureaux. (...) ". Aux termes de l'article 26 du décret : " Les avancements de grade dans le corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat et l'avancement à l'échelon spécial du grade d'ingénieurs des travaux publics hors classe ont lieu au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement. Les avancements de grade et d'échelon sont prononcés par arrêté du ministre chargé de l'environnement ". Les conditions pour être promus au grade d'ingénieur divisionnaire des travaux publics de l'Etat ou au grade d'ingénieur des travaux publics de l'Etat hors classe sont fixées aux articles 27 et 27-1 du décret.

11. Il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté, que les emplois d'ingénieurs des travaux de la ville de Paris, d'ingénieur hydrologues et hygiénistes de la commune de Paris, d'ingénieurs économistes de la construction de la commune de Paris et de techniciens de laboratoire - cadres de santé de la commune de Paris avaient été, eu égard au niveau de responsabilité et à la nature des tâches exercées, regardés comme équivalents aux emplois, respectivement, d'ingénieurs des travaux publics de l'Etat, de personnels scientifiques de laboratoire du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, d'ingénieurs économistes de la construction et de cadres de santé de la fonction publique hospitalière. Il n'est pas davantage contesté que les emplois relevant de la spécialité " systèmes d'information et numérique " du nouveau corps créé par la délibération litigieuse sont équivalents aux emplois d'ingénieurs des systèmes d'information et de communication régis par le décret du 27 mai 2015 portant statut particulier du corps des ingénieurs des systèmes d'information et de communication.

12. Or il résulte des dispositions du décret du 30 mai 2005 portant statut particulier du corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat, du décret du 17 octobre 2000 portant statut particulier des personnels scientifiques de laboratoire du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, du décret du 8 octobre 1998 portant statut particulier du corps des ingénieurs-économistes de la construction et du corps des ingénieurs des services culturels et du patrimoine, du décret du 26 décembre 2012 portant statut particulier du corps des cadres de santé paramédicaux de la fonction publique hospitalière, dans lequel les cadres de santé avaient vocation à être intégrés à la suite de la mise en voie d'extinction de leur corps, et du décret du 27 mai 2015 portant statut particulier des ingénieurs des systèmes d'information et de communication, ainsi que des textes fixant l'échelonnement indiciaire applicable à ces corps, que les règles qui les régissent sont très proches, notamment en matière d'avancement et de rémunération. Dans ces conditions, en créant un unique corps, dont il a fixé le statut par référence au statut particulier du corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat, pour les différents ingénieurs des administrations parisiennes, quelle que soit leur spécialité, y compris celle relative aux systèmes d'information et au numérique, le conseil de Paris n'a pas fait une inexacte application des dispositions, citées au point 7, des articles 4 et 118 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 28 du décret du 24 mai 1994.

13. En revanche, d'une part, eu égard à la nature différente des tâches confiées, respectivement, aux architectes des administrations parisiennes et aux ingénieurs des travaux publics de l'Etat, ces emplois ne peuvent être regardés comme équivalents. D'autre part, si une équivalence pouvait être établie avec les emplois d'architectes et urbanistes de l'Etat, les règles régissant ces derniers, qui résultent du décret du 2 juin 2004 portant statut du corps des architectes et urbanistes de l'Etat, sont trop différentes de celles applicables aux ingénieurs des travaux publics de l'Etat pour que le conseil de Paris puisse être regardé, en se référant aux secondes, comme s'étant également référé aux premières. Par suite, le conseil de Paris a méconnu les dispositions précitées des articles 4 et 118 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 28 du décret du 24 mai 1994 en fixant les règles applicables aux emplois d'architectes des administrations parisiennes par référence à celles applicables aux emplois d'ingénieurs des travaux publics de l'Etat.

14. Il résulte de tout de ce qui précède que la Ville de Paris n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la délibération 2018 DRH-6 du 2 mai 2018.

Sur les conséquences de l'illégalité de la délibération attaquée :

15. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

16. En l'espèce, d'une part, à la suite de l'annulation de la délibération 2018 DRH-6 prononcée par le tribunal administratif de Paris le 10 avril 2020, le conseil de Paris a adopté, lors de sa séance des 23 et 24 juillet 2020, une nouvelle délibération, 2020 DRH-39, approuvant le statut particulier applicable au corps des ingénieurs et architectes d'administrations parisiennes, ainsi qu'une délibération n° 2020 DRH-40, qui dispose que la mention de la délibération 2018 DRH-6 est remplacée, dans tous les actes pris pour son application, ou y faisant référence, par la mention de la délibération 2020 DRH-39. D'autre part, l'annulation de la délibération 2018 DRH-6 n'implique pas que la Ville de Paris remette en cause les décisions individuelles créatrices de droits prises sur son fondement entre son entrée en vigueur et le 10 avril 2020 et il ne résulte pas de l'instruction que de telles décisions soient encore, au jour du présent arrêt, susceptibles de recours. Dans ces conditions, et eu égard, au surplus, aux moyens d'annulation retenus par le présent arrêt, les effets d'une annulation rétroactive de la délibération 2018 DRH-6 n'apparaissent pas manifestement excessifs. Il n'y a pas lieu, dès lors, de limiter les effets dans le temps de cette annulation.

Sur les conclusions de la requête n° 20PA01355 à fin de sursis à exécution du jugement :

17. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur les conclusions de la requête n° 20PA01354 de la Ville de Paris tendant à l'annulation du jugement du 10 avril 2020 du tribunal administratif de Paris, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20PA01355 par lesquelles la Ville de Paris demande à la Cour le sursis à exécution de ce jugement.

Sur les frais liés aux instances :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge du syndicat UCP-USIA, d'une part, et du SSCAAT, d'autre part, qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes, les sommes que la Ville de Paris demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

19. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement au syndicat UCP-USIA d'une somme de 2 000 euros et au SSCAAT d'une somme de 1 250 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 20PA01355 de la Ville de Paris.

Article 2 : Le jugement n°s 1811033, 1811274 du 10 avril 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur la demande du syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, devenu SSCAAT, tendant à la modulation dans le temps des effets de l'annulation de la délibération du conseil de Paris 2018 DRH-6 du 2 mai 2018.

Article 3 : Les conclusions aux fins de modulation dans le temps des effets de l'annulation de la délibération 2018 DRH-6 présentées par le syndicat CGT des cadres et techniciens parisiens des services publics territoriaux, devenu SSCAAT, et le surplus des conclusions des requêtes n°s 20PA01354 et 20PA01355 de la Ville de Paris sont rejetés.

Article 4 : La Ville de Paris versera au syndicat UCP-USIA et au syndicat SSCAAT, respectivement, une somme de 2 000 euros et une somme de 1 250 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Ville de Paris, au syndicat Union des cadres de Paris - Union syndicale des ingénieur.e.s et architectes et au syndicat CGT de la santé, du social, de la culture, administration, architecture et technique des services publics parisiens.

Copie en sera adressée au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 juillet 2022.

La rapporteure,

C. B...La présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

F. DUBUY-THIAM

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 20PA01354, 20PA01355 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01354
Date de la décision : 29/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : SCP FOUSSARD-FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-07-29;20pa01354 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award