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12/07/2022 | FRANCE | N°20PA00050

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 12 juillet 2022, 20PA00050


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions par lesquelles le ministre des affaires sociales et de la santé et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ont rejeté ses demandes indemnitaires préalables tendant à ce qu'elle soit indemnisée du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la prise du médicament Médiator, de condamner solidairement l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à lu

i verser une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, et d'ordon...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions par lesquelles le ministre des affaires sociales et de la santé et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ont rejeté ses demandes indemnitaires préalables tendant à ce qu'elle soit indemnisée du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la prise du médicament Médiator, de condamner solidairement l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à lui verser une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, et d'ordonner une expertise médicale.

Par un jugement avant-dire droit n° 1312345 du 3 juillet 2014, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de la demande dirigées contre l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles pour Mme A... de la prise du Médiator et ordonné une expertise. Par un jugement n° 1312345 du 23 octobre 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A....

Par un arrêt n°s 14PA03879-15PA04805 du 28 février 2018, la Cour a rejeté l'appel formé par Mme A... contre le jugement du Tribunal administratif de Paris du 23 octobre 2015 et prononcé un non-lieu à statuer sur l'appel formé par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes contre le jugement avant-dire droit du 3 juillet 2014.

Par une décision n° 420232 du 31 décembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par Mme A..., a annulé l'article 1er de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris n°s 14PA03879-15PA04805 du 28 février 2018 de la Cour et a renvoyé l'affaire devant la même Cour.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant-dire droit du 21 mars 2022, la Cour, statuant sur la requête présentée par Mme A... tendant à ce qu'elle soit indemnisée par l'Etat des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la prise du médicament Médiator et notamment du préjudice d'anxiété, a, avant de statuer sur les conclusions de la requête, procédé à un supplément d'instruction en demandant à Mme A... de lui communiquer le rapport de l'expert désigné par une ordonnance du juge des référés du Tribunal de grande instance de Nanterre du

29 septembre 2011 dans son intégralité dans un délai d'un mois.

Par des mémoires enregistrés les 5 et 18 mai 2022, Mme A..., représentée par

Me Verdier, conclut :

1°) à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice d'anxiété qu'elle estime avoir subi du fait de la prise du médicament Médiator en condamnant l'Etat à lui verser une somme de 60 000 euros.

2°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le caractère indemnisable du préjudice d'anxiété n'est plus discuté ;

- sa demande d'indemnisation est recevable ;

- elle a subi un préjudice d'anxiété comme l'établissent différentes études ;

- l'indemnisation de ce préjudice doit être évaluée à 60 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 10 mai 2022, le ministre des solidarités et de la santé maintient ses conclusions tendant au rejet de la requête par les mêmes moyens.

Par un mémoire enregistré le 12 mai 2022, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), représentée par Me Schmelck, conclut au rejet de la demande indemnitaire de Mme A....

Elle soutient que :

- la requérante a abandonné dans ses dernières conclusions les demandes qu'elle avait présentées au titre de son préjudice corporel ;

- elle limite sa demande à l'indemnisation de son préjudice d'anxiété ;

- le montant de ses conclusions précédentes au titre de ce préjudice étaient limitées à un montant de 15 000 euros ;

- le montant de 60 000 euros demandé en réparation du préjudice d'anxiété est nouveau en appel et par suite ces conclusions sont irrecevables ;

- la demande d'indemnisation est mal fondée ;

- la faute commise par les laboratoires Servier présente un caractère exonératoire total ou partiel ;

- la requérante ne s'est pas conformée à la demande de la Cour ne produisant qu'un rapport parcellaire qui ne permet toujours pas de l'éclairer.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ho Si Fat, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sergent, avocat de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son exposition au benfluorex, principe actif du Médiator, par lequel elle a été traitée de 2001 à novembre 2009. Par un jugement avant-dire droit du 3 juillet 2014, le Tribunal administratif de Paris a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles pour Mme A... de la prise du Médiator et ordonné une expertise en vue d'établir l'existence d'un lien de causalité entre la pathologie dont elle souffre et son exposition à ce médicament et d'apprécier l'étendue des préjudices subis. L'expert qu'il avait désigné le 6 octobre 2014 a déposé un rapport de carence au vu duquel le tribunal a rejeté la demande de Mme A... par un jugement du 23 octobre 2015. Par un arrêt du 28 février 2018, la Cour a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement. Saisi par Mme A..., le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, par une décision du 31 décembre 2019, annulé cet arrêt. Dans le dernier état de ses conclusions, Mme A... limite ses conclusions principales à une demande tendant à ce que l'Etat l'indemnise du préjudice d'anxiété qu'elle estime avoir subi du fait de la prise du médicament Médiator en lui versant une somme de 60 000 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 621-12 du code de justice administrative : " Le président de la juridiction, après consultation du président de la formation de jugement (...) peut, soit au début de l'expertise, si la durée ou l'importance des opérations paraît le comporter, soit au cours de l'expertise ou après le dépôt du rapport et jusqu'à l'intervention du jugement sur le fond, accorder aux experts et aux sapiteurs, sur leur demande, une allocation provisionnelle à valoir sur le montant de leurs honoraires et débours. / Il précise la ou les parties qui devront verser ces allocations. Sa décision ne peut faire l'objet d'aucun recours ".

3. Aux termes de l'article R. 621-12-1 du code de justice administrative : " L'absence de versement, par la partie qui en a la charge, de l'allocation provisionnelle, dans le mois qui suit la notification de la décision mentionnée à l'article R. 621-12, peut donner lieu, à la demande de l'expert, à une mise en demeure signée du président de la juridiction. / Si le délai fixé par cette dernière n'est pas respecté, et si le rapport d'expertise n'a pas été déposé à cette date, l'expert est appelé par le président à déposer, avec sa note de frais et honoraires, un rapport se limitant au constat des diligences effectuées et de cette carence, dont la juridiction tire les conséquences, notamment pour l'application des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 761-1./Le président peut toutefois, avant d'inviter l'expert à produire un rapport de carence, soumettre l'incident à la séance prévue à l'article R. 621-8-1 ".

4. Il résulte de l'instruction que le rapport de carence de l'expert désigné par une ordonnance du 6 octobre 2014 du président du Tribunal administratif de Paris a été déposé à la suite de la lettre du 28 octobre 2014 par laquelle l'avocat de Mme A... a indiqué au président du tribunal que les opérations d'expertise prescrites par le tribunal ne lui paraissaient pas utiles en l'état dès lors qu'une autre expertise était en cours dans le cadre d'une procédure d'indemnisation auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Il résulte également de l'instruction qu'aucune demande d'allocation provisionnelle n'a été sollicitée par l'expert ni qu'aucune décision n'a été prise par le président du tribunal désignant la partie qui devrait verser cette allocation. Ainsi, la circonstance qu'aucune mise en demeure n'ait été adressée à Mme A... l'informant des conséquences éventuelles du non-paiement de l'allocation provisionnelle est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué dès lors qu'en tout état de cause, l'intéressée n'était pas débitrice de l'allocation provisionnelle et que l'avocat de la requérante avait lui-même informé le président du tribunal qu'il ne lui semblait pas opportun d'organiser les opérations d'expertise prescrites par le jugement avant-dire droit dans la mesure où une autre expertise ayant le même objet et la même finalité était en cours auprès de l'ONIAM. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité ni que son droit à un procès équitable aurait été méconnu.

5. Par ailleurs, si Mme A... soutient que pour rejeter sa demande, le tribunal a estimé à tort qu'il ne disposait pas d'éléments suffisants, et notamment des éléments indispensables à la détermination du lien de causalité et de l'étendue des préjudices dont elle réclame la réparation, y compris à titre provisionnel, cette contestation ne relevait pas de la régularité du jugement attaqué mais de son bien-fondé. En outre, contrairement à ce qu'elle allègue, le tribunal qui n'avait pas à motiver son jugement sur ce point, n'était pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à la remise du rapport de l'expertise diligentée par l'ONIAM.

Sur le bien- fondé du jugement attaqué :

6. L'expertise prescrite par le jugement avant-dire droit du Tribunal administratif de Paris du 3 juillet 2014 n'ayant pas eu lieu du fait de la demande de suspension introduite par la requérante pour apprécier le bien-fondé de ses demandes, la Cour l'a, par un arrêt avant-dire droit du 21 mars 2022, invitée à produire le rapport de l'expert désigné par une ordonnance du juge des référés du Tribunal de grande instance de Nanterre du 29 septembre 2011 dans son intégralité dans un délai d'un mois à compter de la notification dudit arrêt, soit jusqu'au

25 avril 2022.

7. Mme A... a déclaré produire à l'appui de son mémoire du 5 mai 2022 " le rapport d'expertise judiciaire B... ", lequel était demandé par la Cour dans son arrêt d'avant-dire droit. Toutefois, le fichier produit sous cette dénomination n'est composé que de deux documents. D'une part, 21 pages émanant de M. B..., non datées, présentées sous le titre " compte rendu de la réunion d'expertise contradictoire du 27 février 2012 ", qui se terminent par l'alinéa suivant : " Ceci est à mettre en balance avec les constatations échocardiographiques précédentes : " et ne comportent aucune conclusion. D'autre part, 12 pages émanant de M. B..., datées du 29 décembre 2012, présentées sous le titre " réponse au dire de la société Les Laboratoires Servier du 3 décembre 2012, adressé par courriel le 5 décembre 2012 ", lesquelles citent à trois reprises des pages du prérapport qui n'est pas produit et citent 9 documents joints qui ne sont pas produits. Ces documents ne constituent pas le rapport d'expertise du docteur B..., dont le dépôt du rapport d'expertise définitif, ainsi qu'il résulte du protocole transactionnel signé entre les Laboratoires Servier et Mme A..., a eu lieu le 3 janvier 2013. En l'état, il y a lieu de se fonder sur les constatations de l'expertise produites ainsi que sur l'ensemble des éléments versés au dossier afin de déterminer le préjudice d'anxiété qu'elle estime avoir subi du fait de son exposition au benfluorex, principe actif du Médiator.

Sur le préjudice d'anxiété :

8. Mme A... soutient que le caractère certain de son préjudice d'anxiété résulte de la prise du Médiator de 2001 à 2009 et de son inquiétude permanente de développer des pathologies en lien avec la prise de ce médicament et demande au titre de son préjudice d'anxiété la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 60 000 euros.

9. Toutefois, il résulte de l'instruction que les périodes d'angoisse de Mme A... sont surtout liées à des essoufflements en période de crise d'asthme ou de bronchite. Par ailleurs, s'il est constant et n'est pas contesté que la découverte du caractère dangereux du Médiator a suscité chez Mme A... des interrogations et des inquiétudes, celle-ci, qui ne fait pas état d'éléments personnels et circonstanciés permettant de justifier de l'existence d'un préjudice direct et certain lié à la crainte de développer une pathologie grave après la prise de Mediator, ne justifie pas, par les documents qu'elle produit, et en particulier par la littérature médicale générale relative aux risques de l'exposition au benfluorex, et sur les analogies qu'ils présenteraient avec l'exposition à l'amiante et la contamination par le virus de l'hépatite C, d'un état d'anxiété suffisamment caractérisé qui lui ouvrirait droit à une réparation de ce préjudice spécifique. Dans ces conditions, sa demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété doit être rejetée.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais liés à l'instance et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des autres parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au ministre de la santé et de la prévention et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Copie en sera adressée pour information à l'ONIAM.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Collet, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2022.

Le rapporteur,

F. HO SI FATLe président,

R. LE GOFF

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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No 20PA00050


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