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29/06/2022 | FRANCE | N°20PA03807

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 29 juin 2022, 20PA03807


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Issey Miyake Europe a demandé au Tribunal administratif de Paris de rétablir ses déficits reportables déclarés au titre des exercices clos en 2006, 2007, 2008, 2010 et 2011.

Par un jugement n° 1806236/1-3 du 7 octobre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 décembre 2020 et 3 août 2021, la société Issey Miyake Europe, représentée par Me Jean-Luc Raffy et Me Marie Pati

tucci, puis par Me Pascal Luquet, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1806236/1-3 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Issey Miyake Europe a demandé au Tribunal administratif de Paris de rétablir ses déficits reportables déclarés au titre des exercices clos en 2006, 2007, 2008, 2010 et 2011.

Par un jugement n° 1806236/1-3 du 7 octobre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 décembre 2020 et 3 août 2021, la société Issey Miyake Europe, représentée par Me Jean-Luc Raffy et Me Marie Patitucci, puis par Me Pascal Luquet, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1806236/1-3 du 7 octobre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer le rétablissement de ses déficits reportables déclarés au titre des exercices clos en 2006, 2007, 2008, 2010 et 2011 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'une pratique caractérisant un transfert indirect de bénéfices, sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts ;

- l'administration a incorrectement analysé son activité ;

- elle a justifié du bien-fondé de ses prix de transfert, la substitution de la méthode transactionnelle de la marge nette étant infondée ;

- les sociétés retenues en tant que comparables ne sont pas pertinentes ;

- l'administration a, à tort, retenu le point médian de l'intervalle de pleine concurrence ;

- son poids au sein du groupe est surévalué ;

- le montant des rehaussements est erroné, l'administration ne pouvant remettre en cause le montant de déficits qui n'ont pas été imputés.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la société Issey Miyake Europe ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,

- et les observations de Me Luquet, avocat de la société Issey Miyake Europe.

Considérant ce qui suit :

1. La société Issey Miyake Europe, diffuseur en qualité de grossiste et de vendeur au détail des produits de la marque détenue par la société japonaise Issey Miyake Inc, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, au terme de laquelle une proposition de rectification du 31 juillet 2014 lui a été adressée. A l'issue de la procédure, ont notamment été réduits ses déficits constatés à concurrence des rectifications notifiées en matière d'impôt sur les sociétés, sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts, pour un montant total de 2 319 050 euros au titre de l'exercice clos en 2011, comprenant une remise en cause des déficits reportables des exercices clos en 2006, 2007, 2008 et 2010. La société Issey Miyake Europe relève appel du jugement du 7 octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant au rétablissement de ses déficits reportables déclarés.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'application de l'article 57 du code général des impôts :

2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 de ce code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Peut constituer une telle pratique l'insuffisante rémunération perçue par une entreprise établie en France qui expose des charges contribuant au développement de la valeur d'une marque appartenant à sa société mère établie hors de France.

3. Il résulte de l'instruction que la société Issey Miyake Europe, détenue au cours de la période vérifiée à plus de 99 % par la société de droit japonais Issey Miyake Inc, est le distributeur exclusif des produits de la marque Issey Miyake en qualité de grossiste et de détaillant sur le territoire européen, à l'exception du Royaume-Uni, et au Moyen-Orient. En sa qualité de grossiste, elle exerce son activité dans des locaux situés à l'adresse de son siège social, place des Vosges à Paris. Dans ce cadre, le prix de vente des produits est déterminé par la société Issey Miyake Inc, qui approvisionne l'ensemble de ses filiales mondiales à un prix harmonisé correspondant au prix de revient auquel est ajouté une marge comprise entre 12 % et 15 % qui inclut notamment les coûts de transport, d'emballage et d'enlèvement des produits, les coûts administratifs facturés par les transitaires et les risques courants tels que ceux liés au cours des monnaies et aux taux de change. En sa qualité de détaillant, la société Issey Miyake Europe exerce son activité dans des locaux situés, sur l'ensemble de la période vérifiée, boulevard Saint-Germain, rue Royale et dans l'enceinte d'un grand magasin à Paris et, jusqu'en 2010, à Toulouse. Elle disposait également de locaux situés rue des Rosiers, rue des Francs Bourgeois et place des Vosges à Paris, regroupés au cours de la période vérifiée rue Royale, et avait une succursale en Suisse et un bureau en Allemagne. Dans ce cadre, le prix de vente au détail est déterminé à partir de celui de la vente en gros tel qu'il a été décrit précédemment, auquel est appliqué un coefficient de 2,7 %, qui donne le prix de vente toutes taxes comprises et constitue la rémunération de la société Issey Miyake Europe. Après avoir procédé à une analyse fonctionnelle et constaté la persistance de déficits d'exploitation, l'administration a estimé, à partir d'une étude analytique produite et des éléments avancés au cours du débat oral et contradictoire, que des charges d'exploitation affectées à l'activité de grossiste étaient communes avec l'activité de détaillant et a procédé à une affectation de ces charges entre les deux activités en utilisant le rapport existant entre le chiffre d'affaires de chaque activité et le chiffres d'affaires global. Elle a également estimé que les prix de vente pratiqués par la société Issey Miyake Inc à l'égard de la société Issey Miyake Europe ne permettait pas à cette dernière d'assumer les fonctions et les risques qui lui étaient attribués, en ne prenant notamment pas suffisamment en compte des charges liées à la politique d'implantation des lieux de vente. Afin de déterminer un taux de pleine concurrence, l'administration a alors mis en œuvre la méthode transactionnelle de marge nette. Après avoir procédé à une recherche de comparables à partir d'une base de données et retenu sept sociétés au titre de l'activité de détaillant et neuf sociétés au titre de l'activité de grossiste, puis examiné les marges nettes d'exploitation, elle a retenu la médiane comme taux de pleine concurrence. Elle en a conclu que les résultats de la société Issey Miyake Europe, en qualité de grossiste, se situaient dans l'intervalle de pleine concurrence mais que ses résultats en qualité de détaillant s'en éloignaient, à l'exception de l'exercice clos en 2012, et a retenu au titre de cette activité un taux correspondant à la médiane, s'élevant à 3,82 % au titre de l'exercice clos en 2005, 2,39 % au titre de l'exercice clos en 2006, 2,06 % au titre de l'exercice clos en 2007, 1,43 % au titre de l'exercice clos en 2008, 1,70 % au titre de l'exercice clos en 2009, 1,58 % au titre de l'exercice clos en 2010 et 2,07 % au titre de l'exercice clos en 2011, avant d'en tirer les conséquences en matière de déficits reportables.

4. En premier lieu, la société Issey Miyake Europe soutient qu'elle n'a pas subi de pertes récurrentes au titre de l'ensemble de la période vérifiée et que les pertes constatées ne résultent pas des prix de transfert pratiqués au sein du groupe mais de difficultés de gestion qui ont nécessité des actions et restructurations, telles que, notamment, une augmentation de capital souscrite par la société Issey Miyake Inc, libérée pour l'essentiel par compensation avec des créances détenues par cette société, une réduction des coûts de management par la suppression des postes de directeur général et de " responsable boutiques " en 2010 et la diminution de la rémunération du président en 2009, le développement d'une nouvelle stratégie commerciale pour la vente au détail et l'activité de vente d'accessoires, le recrutement d'un personnel plus compétent et mieux rémunéré, une réorganisation avec la fermeture de la boutique de Toulouse et le regroupement des boutiques de Paris dans une seule boutique située rue Royale, ces restructurations ayant permis de restaurer ses marges à compter de l'exercice clos en 2012 sans modification de la politique de prix de transfert.

5. Toutefois, il résulte de l'instruction que si la société Issey Miyake Europe a dégagé entre 2005 et 2012 une marge d'exploitation positive au titre des exercices clos en 2005, 2011 et 2012, elle a présenté des déficits d'exploitation au titre de l'ensemble des autres exercices, les marges d'exploitation positives des exercices bénéficiaires étant largement insuffisantes pour combler les pertes des autres exercices, alors que l'entreprise n'était pas en phase de démarrage. En outre, l'administration a procédé à une analyse fonctionnelle qui a permis de recenser les fonctions exercées et les risques encourus et de constater que si la société Issey Miyake Europe assume dans sa zone géographique les frais et risques liés à la commercialisation des produits, la société Issey Miyake Inc est responsable des décisions stratégiques quant à la gestion de la marque, qui fait partie de ses actifs incorporels. Il ressort notamment des mentions de la proposition de rectification que le choix des emplacements des boutiques, s'il était concerté avec la présidente de la filiale française, appartenait à la société Issey Miyake Inc. Or, s'il est constant que les prix de transfert intégraient notamment le coût du transport, des emballages et de l'enlèvements des produits, les coûts administratifs des transitaires et les risques courants de taux de change, l'administration a relevé que la société Issey Miyake Europe disposait, au cours de la période vérifiée, de boutiques dans des endroits stratégiques de Paris, qui valorisent la marque pour le compte de la société Issey Miyake Inc, du fait de sa renommée internationale dans le domaine de la mode, les dépenses correspondantes étant prises en charge par la société Issey Miyake Europe, qui ne détient pas les actifs incorporels, à l'exception du fichier clients, en particulier la marque propriété de la société japonaise. A cet égard, la société Issey Miyake Europe fait valoir que la société Issey Miyake Inc lui verse une somme forfaitaire qui représente l'équivalent de cinq mois de loyer pour faciliter l'équilibre de l'exploitation de la boutique située rue Royale. Il résulte en effet de contrats conclus à compter du 1er septembre 2008 entre les deux sociétés que le chiffre d'affaires réalisé par l'exploitation de cette boutique n'est pas suffisamment élevé pour permettre un équilibre des résultats, mais qu'étant une vitrine pour la marque et un vecteur promotionnel et publicitaire fort, l'exploitation doit être poursuivie afin de dynamiser l'expansion internationale, la société Issey Miyake Inc versant en contrepartie de ce service la somme forfaitaire de 200 000 euros. Toutefois, outre que sur l'ensemble de la période vérifiée, la société Issey Miyake Europe disposait de plusieurs autres boutiques de vente au détail, notamment à Paris, fermées en décembre 2007 et en juillet-août 2008 au profit de la boutique située rue Royale, elle ne produit aucun document permettant de présumer que cette participation au loyer de cette seule boutique serait suffisante pour prendre en charge la fonction de valorisation de la marque, alors que les charges correspondant au montant total des loyers acquittés dans le cadre de l'activité de distributeur détaillant s'élevaient à 637 727 euros, 730 523 euros, 941 405 euros, 863 559 euros et 914 162 euros au titre des exercices clos de 2008 à 2012.

6. Dans ces conditions, l'administration établit que la société Issey Miyake Inc vend ses produits à toutes ses filiales dans le monde à leur prix de revient auquel est ajouté une marge sans tenir compte de la spécificité des marchés locaux, le maintien de l'activité déficitaire en France ayant permis à cette société de bénéficier d'une vitrine pour exposer et développer la notoriété de la marque et de disposer d'un débouché commercial sur un marché de rayonnement international dans le secteur du luxe, alors que la société Issey Miyake Europe a pris en charge des dépenses de loyer excessives au regard de son activité en vue de développer la marque. Elle apporte ainsi la preuve que le résultat d'exploitation de la société Issey Miyake Europe est structurellement déficitaire au titre de la période vérifiée à raison de son activité de vente au détail, du fait des surcoûts induits par la stratégie de commercialisation qui a pour effet de faire valoriser les biens incorporels de la société Issey Miyake Inc par sa filiale.

7. En deuxième lieu, la société Issey Miyake Europe soutient qu'en distinguant les activités de grossiste et de détaillant, l'administration a remis en cause les transactions structurées par les parties sans fondement au regard de l'analyse fonctionnelle et a imposé une analyse économique segmentée, alors que sa stratégie et sa comptabilité n'opèrent pas de distinction et qu'elle exerce une activité unique et intégrée par le biais de deux canaux de distribution qui utilisent les mêmes actifs, présentent les mêmes risques, et ne constituent ainsi que des modalités d'exploitation d'activités qui ont la même nature économique et juridique. Il résulte toutefois de l'instruction qu'interrogée sur le rôle et les responsabilités assumés par chaque entité au sein du groupe, notamment au moyen d'une grille d'analyse fonctionnelle qui a permis d'identifier et de comparer les activités et responsabilités économiques des deux entités associées, les actifs utilisés et les risques assumés, la société Issey Miyake Europe, dans sa réponse du 4 décembre 2013, a produit un détail analytique de son activité au titre des années vérifiées et a indiqué qu'elle exerce depuis 1979 une activité de vente au détail, qui consiste à vendre des marchandises sans transformation majeure à un consommateur final, et depuis 1983 une activité de grossiste, qui consiste à acheter des produits à des fins professionnelles en vue de les revendre à d'autres professionnels qui s'approvisionnent pour les besoins de leurs activités, les prix de transfert étant fixés comme il a été indiqué ci-dessus. Ainsi, la distinction des activités de grossiste et de détaillant reflète l'activité économique réelle de la société Issey Miyake Europe, l'administration ayant pris en compte les transactions réellement effectuées consistant en la vente directe des produits de la marque entre les sociétés Issey Miyake Europe et Issey Miyake Inc et n'ayant pas réaffecté les fonctions et les risques entre ces deux sociétés, mais s'étant bornée à analyser les prix de transfert pour l'exercice de l'activité en qualité de grossiste et de détaillant en vue de déterminer les prix de pleine concurrence, mettant en lumière que les prix pratiqués dans le cadre des transactions structurées par les parties, tels qu'ils ont été précédemment rappelés, ne permettaient pas d'allouer à la société Issey Miyake Europe une rémunération prenant en compte ses charges en qualité de détaillant mais incluaient des charges valorisant la marque, propriété de la société Issey Miyake Inc.

8. Par ailleurs, si la société Issey Miyake Europe conteste l'affectation de ses charges entre les activités de grossiste et de détaillant pratiquée par l'administration, au motif que " l'implication des personnels ne saurait s'apprécier à l'aune des seuls volumes de ventes ", elle n'apporte aucune précision à l'appui de ses allégations selon lesquelles l'utilisation du rapport existant entre le chiffre d'affaires de chaque activité et le chiffres d'affaires global ne reflèterait pas la réalité de l'exploitation.

9. Enfin, si la société Issey Miyake Europe soutient qu'une compensation aurait dû être opérée avec les surprofits constatés dans l'activité de grossiste, il résulte de l'instruction que l'administration a conclu que les prix de transfert au titre de l'activité de grossiste respectaient le principe de pleine concurrence et la requérante n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles l'administration aurait dû tenir compte de l'existence de surprofits réalisés dans le cadre de l'activité de grossiste.

10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des termes de la proposition de rectification et de la réponse aux observations du contribuable, qui ne sont pas sérieusement contestés, que la société Issey Miyake Europe, bien qu'interrogée sur ce point et même si elle n'était pas tenue à des obligations documentaires détaillées, n'a produit aucun élément suffisamment précis au cours de la vérification de comptabilité pour justifier des prix de transfert, contrairement à ce qu'elle soutient. Elle a en revanche présenté une étude réalisée en juin 2015 par la société Grant Thornton au cours de la procédure d'imposition, qui analyse les transactions portant sur les stocks pour la période comprise entre l'exercice clos en 2012 et celui clos en 2014 et retient, après avoir procédé à une analyse des fonctions et des risques des seules sociétés Issey Miyake Inc et Issey Miyake Europe, la méthode du coût majoré, au motif que la société Issey Miyake Inc vend également en gros à des entreprises indépendantes dans la région Asie-Océanie et que ces transactions seraient similaires à celles réalisées avec la société Issey Miyake Europe. Toutefois, cette étude, qui constate d'ailleurs que les marchés analysés sont différents et porte sur une période distincte de la période vérifiée, compare les marges réalisées par la société Issey Miyake Inc dans ses ventes à des distributeurs indépendants avec les marges réalisées dans les ventes à la société Issey Miyake Europe, en apportant des ajustements pour tenir compte de la longueur du canal de distribution et des différences dans les risques de change, sans apporter aucun élément précis en ce qui concerne notamment les produits vendus, cette étude se bornant à se référer de façon générale aux types de produits, aux volumes des transactions comparées et aux stipulations contractuelles régissant ces transactions. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a écarté la méthode proposée par la société Issey Miyake Europe.

11. Par ailleurs, si la société Issey Miyake Europe conteste le principe du recours par l'administration à la méthode transactionnelle de la marge nette, il ne résulte pas de l'instruction que celle-ci aurait disposé d'informations suffisantes, internes au groupe, en matière de prix de transfert lui permettant de retenir une méthode fondée sur les transactions, et la requérante n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles l'analyse des fonctions et des risques réalisée à partir de ses propres réponses serait erronée. Elle n'apporte pas plus d'éléments à l'appui de ses allégations selon lesquelles la méthode retenue par l'administration aboutirait par principe à une surimposition ne tenant pas compte de facteurs commerciaux. Dans ces conditions, la société Issey Miyake Europe n'est pas fondée à soutenir que l'administration n'aurait pas pu retenir la méthode transactionnelle de la marge nette.

12. En quatrième lieu, la société Issey Miyake Europe soutient que les comparables retenus par l'administration au titre de l'activité de détaillant ne sont pas pertinents, dès lors qu'il s'agit de sociétés qui exercent une activité de distribution dans le domaine de l'habillement et non dans celui des produits de luxe, qui comprend des exigences particulières, ce que confirment l'esthétique des vitrines, la qualité des boutiques, les emplacements, la typologie du personnel et le prix des produits vendus. Toutefois, la méthode transactionnelle de la marge nette vise à comparer, à la différence des méthodes fondées sur les prix, qui nécessitent une similarité des produits vendus, les résultats issus de transactions contrôlées avec ceux de sociétés tierces exerçant des fonctions et assumant des risques comparables. En l'espèce, la société Issey Miyake Europe se borne à réfuter les comparables au seul motif qu'il ne s'agit pas de sociétés françaises indépendantes distribuant des vêtements de prêt-à-porter de luxe similaires à ceux qu'elle distribue et dans les mêmes conditions, alors que l'administration, qui a exclu les sociétés initialement retenues dont les fonctions exercées étaient susceptibles de présenter des différences substantielles, telles que celles assumant des fonctions de fabrication et de production, a joint en annexe à la proposition de rectification les données sociales et comptables au titre des exercices vérifiés des sociétés finalement retenues, qui ont toutes pour activité la distribution spécialisée dans le domaine de l'habillement et des accessoires de mode sur le marché national, et ne s'est pas ainsi bornée à se référer à la seule description de l'activité mentionnée dans la base de données utilisée. Au demeurant, la société Issey Miyake Europe, qui ne propose d'ailleurs aucun ajustement relatif à l'impact des charges spécifiques dont elle se prévaut, et qui ne contribueraient pas à la valorisation de la marque, fait valoir qu'elle n'a elle-même pas été en mesure d'identifier des sociétés françaises indépendantes distribuant des vêtements de prêt-à-porter de luxe similaires à ceux qu'elle distribue. Dans ces conditions, l'administration apporte la preuve de la pertinence des comparables retenus.

13. En cinquième lieu, la société Issey Miyake Europe soutient que c'est à tort que l'administration a retenu le point médian de l'intervalle de pleine concurrence pour procéder aux rectifications en litige, dès lors qu'elle devait procéder à une étude détaillée de la situation et des opérations réalisées pour déterminer le point de l'intervalle à retenir. Toutefois, elle ne fait état d'aucune circonstance spécifique justifiant de s'écarter de la médiane, alors que l'administration n'a elle-même pas constaté de telles circonstances au regard des faits et des caractéristiques propres de la société Issey Miyake Europe tels qu'ils sont rappelés dans la proposition de rectification.

14. En sixième lieu, si la société Issey Miyake Europe se prévaut d'aides ponctuelles accordées par la société Issey Miyake Inc au cours de la période vérifiée, elle n'en tire aucune conséquence quant au montant de la rectification contestée, alors que l'existence d'une pratique caractérisant un transfert indirect de bénéfices est établi. Elle se prévaut également du rapport établi par le cabinet Grant Thornton précité, qui propose une méthode d'analyse qui n'est pas pertinente ainsi qu'il a été dit précédemment, d'un tableau présentant le " transfert de marge " qui résulterait des rectifications et qui aboutirait à lui affecter une part trop importante du profit avant impôt réalisé par la société mère, sans élément précis quant à la rémunération résiduelle qui aurait dû normalement revenir à l'entrepreneur principal, et d'un tableau présentant un compte segmenté de la société Issey Miyake Inc, relatif à ses transactions intra-groupe avec elle, montrant des pertes, qui est sans incidence sur l'insuffisance des prix de transfert pratiqués telle qu'elle a été précédemment mise en évidence. Dans ces conditions, elle n'apporte aucun élément suffisamment précis à l'appui de ses allégations selon lesquelles la rectification contestée aboutirait à surestimer son poids dans le groupe au regard de la création de valeur qu'elle génère.

En ce qui concerne le montant des rectifications :

15. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour (...) l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due (...) ". Aux termes de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur, issue de l'article 89 de la loi de finances pour 2004 n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 : " I. (...) En cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants (...) ".

16. L'administration, qui peut exercer son droit de contrôle pour rectifier des déficits déclarés au titre des exercices non prescrits, conformément à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, et remettre en cause à cette occasion des déficits nés au cours d'exercices prescrits dès lors qu'ils ont été imputés par l'entreprise sur les résultats d'un exercice non prescrit, peut également remettre en cause l'existence et le montant des déficits déclarés au titre d'exercices prescrits reportés sur des exercices déficitaires non prescrits, dès lors que le report de ces déficits, sans limitation de temps en application de l'article 209 du code général des impôts, constitue l'un des éléments à prendre en compte pour déterminer le résultat fiscal des exercices non prescrits, même lorsqu'ils constatent un déficit fiscal, en augmentant le déficit de ces exercices et en influant ainsi sur les résultats servant de base à l'imposition, même si celle-ci est nulle, compte tenu de la situation fiscalement déficitaire. Ainsi, la société Issey Miyake Europe n'est pas fondée à soutenir que le montant des rectifications est erroné, au motif que l'administration ne pouvait remettre en cause des déficits issus d'exercices couverts par la prescription qui n'ont pas été effectivement imputés sur des résultats bénéficiaires des exercices non prescrits.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Issey Miyake Europe n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de rétablissement de ses déficits déclarés doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Issey Miyake Europe demande au titre des frais qu'elle a exposés.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Issey Miyake Europe est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Issey Miyake Europe et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Platillero, président assesseur,

- M. Magnard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 juin 2022.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

I. BROTONS

Le greffier,

J. CHAMPESMELa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA03807


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03807
Date de la décision : 29/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : SELAS DS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-29;20pa03807 ?
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